1922 |
Un discours en défense de la tactique du Front Unique Ouvrier, qui suscitait alors les plus grandes réserves dans les rangs de l'Internationale Communiste. |
Œuvres - février 1922
Discours sur le Front Unique
Camarades, je nai pas assisté hier à la séance, mais j'ai lu avec attention les deux discours qui sont, en principe, opposés à la tactique définie par l'Exécutif : les discours de nos camarades Terracini et Daniel Renoult.
Je suis d'accord avec le camarade Radek, quand il dit que le discours du camarade Terracini n'est qu'une édition nouvelle et pas très améliorée, je dois l'avouer, des objections qu'il avait présentées à nos thèses du 3° congrès[1]. Or, la situation a changé.
Au 3° congrès, nous étions devant le danger que le parti communiste italien ou d'autres, ne s'engagent dans des actions qui pourraient être bien nuisibles. Maintenant, il y a un danger plutôt négatif : c'est qu'il s'abstienne de participer à des actions qui peuvent doivent être très profitables au mouvement ouvrier.
On peut toujours dire que ce danger négatif n'est pas aussi dangereux que le danger positif. Oui, mais le temps est un grand facteur en politique et, si on le laisse échapper, ce temps, il est toujours utilisé par d'autres contre nous.
Le camarade Terracini dit : Naturellement, nous sommes pour laction des masses et pour la conquête des masses. C'est ce quil répète toujours dans son discours. Mais, d'autre part : Nous sommes pour la lutte générale du prolétariat, et contre le front unique, dans le sens précisé par l'Exécutif.
Le fait même, camarades, qu'un représentant du parti prolétarien affirme et répète toujours : Nous sommes pour la conquête de la majorité du prolétariat, nous sommes pour ce mot d'ordre : Aux masses ! apparaît comme un écho un peu tardif des discussions du 3° congrès, où l'on croyait la révolution imminente, où les sentiments du prolétariat, sentiments nés de la guerre, et bien sommaires pour la révolution russe comme pour la révolution en général semblaient suffisants pour amener à la révolution Mais les événements ont démontré que cette appréciation était fausse. Au moment du 3° congrès, nous avons discuté, nous avons dit :
Non, maintenant c'est une nouvelle étape qui commence; la bourgeoisie est actuellement, sinon tout à fait ferme, au moins assez ferme sur ses jambes pour nous obliger, nous, communistes, à conquérir d'abord la conscience de la majorité des travailleurs.
Et aujourd'hui le camarade Terracini répète toujours : Nous sommes pour l'action qui doit conquérir les masses. Naturellement, mais nous nous trouvons déjà placés à un niveau un peu plus élevé et nous discutons maintenant sur les méthodes de conquérir ces masses dans l'action. Et, sur ce problème comment conquérir ces masses ? les partis communistes sont groupés tout à fait naturellement, logiquement, en trois grandes catégories : les partis qui ne sont qu'au commencement de leurs succès et qui, comme organismes, ne peuvent pas encore jouer un grand rôle dans l'action immédiate des masses. Naturellement, ces partis ont un grand avenir, comme tous les autres partis communistes; mais, aujourd'hui, ils ne peuvent pas compter beaucoup dans l'action de la masse prolétarienne, parce qu'ils n'ont pas beaucoup de militants. Alors, ces partis doivent, pour le moment, lutter pour conquérir une base, une possibilité d'influencer le prolétariat pendant son action (de cette situation sort avec un succès toujours grandissant notre parti anglais).
De l'autre côté, il y a des partis qui dominent tout à fait le prolétariat. Je crois que le camarade Kolarov a raison quand il dit que c'est le cas de la Bulgarie. Qu'est ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la Bulgarie est mûre pour la révolution prolétarienne, mais que ce sont les conditions internationales qui l'en empêchent. Alors, naturellement, pour une situation pareille, la question du front unique ne se présente pas ou presque pas.
En Belgique, par exemple, et en Angleterre, elle se présente comme une lutte pour conquérir une place dans le front prolétarien, pour influencer le prolétariat, pour ne pas être éliminé de son mouvement
Entre ces deux pôles extrêmes, il y a les partis qui représentent une force, non seulement une force d'idées, mais une force numérique, une force comme organisation. Et c'est déjà le cas de la plupart des partis communistes. Leur force peut être un tiers de l'avant-garde organisée, un quart, même la moitié, un peu plus de la moitié, ne change pas la situation en général.
Quelle est leur tâche ? C'est de conquérir la majorité écrasante du prolétariat. Dans quel but ? Pour mener le prolétariat à la conquête du pouvoir, à la révolution. Quand ce moment là sera atteint, le savons pas. Mettons dans six mois, mettons dans six ans, peut-être cette échelle, entre six mois et six années dans les différents pays. Mais, théoriquement, il n'est pas exclu que cette période préparatoire puisse durer encore plus longtemps. Alors, je demande : qu'est ce que nous faisons pendant cette période ? Nous luttons toujours pour conquérir la majorité, la conscience de la totalité du prolétariat. Mais ce n'est pas le cas, ni aujourd'hui, ni même demain; nous sommes, pour le moment, le parti de l'avant garde du prolétariat. Eh bien, faut il que la lutte de classes s'arrête pour attendre le moment où nous aurons conquis la totalité du prolétariat ? Voilà la question que je pose au camarade Terracini et aussi au camarade Renoult : est ce que la lutte prolétarienne pour le pain cesse en attendant le moment où le parti communiste, soutenu par la totalité de la classe ouvrière, peut conquérir le pouvoir ? Non, elle ne cesse pas, elle continue. Les ouvriers qui sont dans notre parti ou ceux qui se tiennent en dehors de lui, comme les ouvriers qui sont dans le parti social démocrate ou en dehors, sont plus ou moins disponibles cela dépend du moment et du milieu prolétarien mais ils sont capables de lutter pour leurs intérêts immédiats et la lutte pour leurs intérêts immédiats, en cette époque de grande crise impérialiste, est toujours le commencement d'une lutte révolutionnaire. Cela est très important, mais c'est ici seulement une parenthèse.
Eh bien, les ouvriers qui n'entrent pas dans notre parti et qui comprennent pas notre parti et c'est la raison pour laquelle n'y entrent pas veulent avoir la possibilité de lutter pour le morceau de pain, pour le morceau de viande. Ils voient le parti communiste, le parti socialiste, et ne comprennent pas pourquoi ils se sont séparés; ils adhèrent à la C.G.T. réformiste, au parti socialiste en Italie, etc., ou bien ils sont en dehors du parti. Et voilà, ils disent que ces organisations, ou bien ces sectes je ne sais pas comment ils les appellent dans leur langage, ces ouvriers mi conscients -, ils disent : Qu'elles nous donnent la possibilité de la lutte daujourdhui ! Nous ne pouvons pas leur répondre : Mais nous nous sommes isolés pour préparer ton avenir, ton grand après-demain... Ils ne le comprendraient pas, parce qu'ils sont tout à fait absorbés par leur aujourd'hui , parce que s'ils pouvaient comprendre cet argument, pour eux tout à fait théorique, ils seraient entrés dans le parti. Etant dans cet état d'esprit et voyant devant eux différentes organisations syndicales et politiques, ils sont désorientés; ils se trouvent dans l'impossibilité de préparer une action immédiate, si partielle, si petite soit elle. Alors vient le parti communiste, qui leur dit : Mes amis, nous sommes séparés. Vous croyez que c'est une faute; je peux vous en expliquer les raisons. Vous ne les comprenez pas ? Je le regrette, mais nous existons maintenant, nous, communistes, socialistes, et il y a à côté de nous les syndicalistes réformistes et les syndicalistes révolutionnaires; nous existons comme des organisations indépendantes pour des raisons que nous, communistes, trouvons tout à fait légitimes; mais malgré tout, nous, communistes, nous vous proposons une action immédiate pour votre morceau de pain : nous vous la proposons, à vous et à vos chefs, à chaque organisation qui représente une partie du prolétariat. C'est tout à fait dans la psychologie des masses, dans la psychologie du prolétariat, et j'affirme que les camarades qui, avec passion ce qui s'explique très bien par l'importance, par la gravité de la question protestent contre cela, expriment beaucoup plus le processus douloureux de leur récente séparation d'avec les réformistes, d'avec les opportunistes, que la mentalité de la grande classe prolétarienne. Parce que je comprends très bien que, pour un journaliste, qui était dans la même rédaction de l'Humanité mettons que Longuet , qui s'est séparé de lui avec de grandes difficultés , s'adresser de nouveau après cela à Longuet, lui proposer de causer avec lui, c'est une difficulté psychologique, c'est une difficulté morale. Mais quant à la classe prolétarienne, quant à la masse française, aux millions d'ouvriers français, ils ne se soucient pas du tout de ces choses , malheureusement, peut être parce qu'ils ne sont pas du parti. Mais quand on leur dit : Nous, communistes, nous prenons maintenant l'initiative de l'action de masses pour votre morceau de pain , qui les ouvriers flétriront ils en cette circonstance ? L'Internationale communiste, le parti communiste français ? Non, jamais.
Et pour vous démontrer, camarades, que cette mentalité qui se fait jour en France, surtout en France, n'est pas le reflet de la mentalité de la masse prolétarienne, mais représente d'une part un écho tardif d'un aspect de l'ancien parti et d'autre part le processus pénible de la séparation, pour vous démontrer ceci, je vous citerai quelques articles... Je m'en excuse : les camarades français se moquent un peu de notre engouement pour les citations; l'un d'eux a fait des remarques très spirituelles sur l'étendue de notre documentation, mais il ne nous reste pas autre chose, naturellement; les citations sont des fleurs desséchées du mouvement ouvrier, mais si on connaît un peu la botanique et si l'on a vu aussi des fleurs dans les champs, sous le soleil, on a, même en face d'exemplaires desséchés, une idée du mouvement.
Je vous citerai un camarade bien connu en France : c'est le camarade Victor Méric. Il représente plus ou moins l'opposition contre le front unique sous un aspect compréhensible pour tout le monde; il la vulgarise dans sa manière humoristique. Voici ce qu'il dit cela paraît être une plaisanterie et, pour moi, c'en est une mauvaise; mais il faut la prendre telle qu'elle est :
Si nous faisions front unique avec Briand ? Après tout, Briand nest qu'un dissident, un dissident de la première cuvée, un dissident précurseur; mais il est tout de même de la grande famille. (Journal du peuple, 13 janvier.)
Ainsi, au moment où l'Exécutif dit : Vous, le parti français, vous ne représentez qu'une partie de la classe ouvrière, il faut checher les possibilités de l'action commune des masses , la voix de Paris répond : Mais si nous faisions front unique avec Briand ?
On peut dire : c'est de l'ironie, et c'est écrit dans un journal qui est créé spécialement pour ce genre de plaisanterie, le Journal peuple. Mais j'ai une citation du même auteur dans l'Internationale et c'est infiniment plus sérieux où il dit textuellement :
Et qu'on me permette de poser une seule question oh ! sans la moindre ironie... (C'est Victor Méric lui même qui précise : Sans la moindre ironie. )
INTERRUPTIONS -. Pour une fois!... Ça n'arrive pas souvent.
TROTSKY -. ... Et qu'on me permette de poser une seule question oh ! sans la moindre ironie ! Si cette thèse est acceptée en France et si, demain, le ministère Poincaré la Guerre, culbuté, fait place à un cabinet Briand ou Viviani, partisan résolu de la paix, du désarmement, de l'entente entre les peuples et de la reconnaissance des Soviets, ne faudra t il pas que nos élus au Parlement consolident de leur vote la situation de ce gouvernement bourgeois ? Et si même tout arrive ! un portefeuille était offert à l'un nôtres, devra t il le refuser ? (L'Internationale, 22 janvier.)
C'est écrit oh ! sans la moindre ironie non pas dans le Journal du peuple, mais dans l'Internationale, le journal de notre Parti Ainsi, pour Victor Méric, il n'est pas question de l'unité action prolétarienne, mais des relations de Victor Méric et de tel ou tel dissident, des dissidents de la veille ou des dissidents de l'avant veille. C'est, comme on voit, un argument pris dans le domaine de la politique internationale. Au cas où un gouvernement Briand serait disposé à reconnaître les Soviets, est ce que l'Internationale de Moscou nous imposera la collaboration avec ce gouvernement ?
Le camarade Terracini n'a pas parlé tout à fait comme le camarade Méric; mais il a, lui aussi, évoqué le spectre d'une alliance entre trois puissances : les puissances numéros 3, 2 et 2 ½ - l'Allemagne, l'Autriche et la Russie. C'est un peu du même domaine.
Le camarade Zinoviev a dit dans son discours en séance plénière, et je l'ai dit aussi à la commission : il y a des camarades qui cherchent, dans nos opinions ou nos déviations , des raisons dÉtat . Ce ne seraient pas nos erreurs de communistes, ce seraient nos intérêts d'hommes d'Etat russes qui nous pousseraient à recourir à telle ou telle tactique. C'est précisément l'accusation voilée de Victor Méric.
Il faut se souvenir de nos débats du 3° congrès. On a rappelé qu'en Allemagne les événements de mars étaient interprétés par la droite, et surtout par les laquais de la droite, comme le résultat d'une suggestion de Moscou pour sauver la situation compromise des Soviets. Or, au 3° congrès, quand on a condamné certaines méthodes employées au cours de ces événements, c'est l'extrême gauche (K.A.P.D.) [2] qui a prétendu que le gouvernement des Soviets était contre ce mouvement révolutionnaire et qu'il voulait ajourner la révolution mondiale un certain temps, afin de pouvoir faire des affaires avec la bourgeoisie d'Occident.
Maintenant, on répète la même chose à propos du front unique,
Camarades, l'intérêt de la République des Soviets ne peut être autre que l'intérêt du mouvement révolutionnaire mondial. Si cette tactique est nuisible pour vous, nos frères français, ou pour vous, nos frères italiens, elle est tout à fait nuisible pour nous. Et si vous croyez que nous sommes tellement absorbés ou hypnotisés par notre situation d'hommes d'Etat que nous ne pouvons plus comprendre les nécessités du mouvement ouvrier, alors il faut introduire dans les statuts de l'Internationale un paragraphe qui dise que le parti qui en est arrivé à la situation pitoyable d'avoir conquis le pouvoir doit être exclu de l'Internationale ouvrière. (Rires.)
A ce sujet, je voudrais bien qu'au lieu de pareilles accusations, qui ne sont pas des accusations formelles mais des insinuations accolées aux éloges plus ou moins officiels et rituels de la révolution russe, on nous critique un peu plus. Si le Comité Directeur du parti français nous envoyait une lettre disant : Vous faites maintenant une nouvelle politique économique. Prenez garde ! Casse cou ! Vous allez trop loin dans le domaine des relations capitalistes.
Ou si la délégation française nous disait : Nous avons assisté à la revue. Vous avez trop fidèlement copié les anciennes méthodes de l'armée : cela peut influencer fâcheusement les jeunesses ouvrières. Ou, par exemple, si vous disiez : Votre diplomatie est trop diplomatique ; elle donne des interviews, des notes qui peuvent nous gêner, en France. Que vous nous critiquiez ouvertement, en mettant les points sur les i, voilà les vraies relations que nous désirons voir s'établir entre nous. Mais pas de cette façon détestable qui procède par allusions[3] . Tout cela est entre parenthèses.
Chez Victor Méric, après l'argument de politique internationale, il y a l'argument d'ordre sentimental : Tout de même, ce 15 janvier prochain, quand nous évoquerons les deux martyrs, il ne fera bon de venir nous parler d'unité de front avec les amis des Scheidemann, des Noske, des Ebert et autres assassins des socialistes et des travailleurs. (LInternationale, 8 janvier 1922.)
Naturellement, c'est un argument qui peut fort bien influencer des travailleurs très simples, ayant un sentiment révolutionnaire, mais sans éducation politique suffisante, sans éducation révolutionnaire suffisante. Le camarade Zinoviev en fait mention dans son discours. Et le camarade Thalheimer a dit :
Camarades, si l'on a des raisons sentimentales pour ne pas s'asseoir à la même table que des hommes de la II° Internationale et de l'Internationale II et II et demie[4], ces raisons sont valables, surtout pour nous, Allemands. Mais comment se fait il qu'un communiste français énonce une affirmation qui signifie que les communistes allemands ne possèdent pas ce sentiment révolutionnaire, cette haine contre les traîtres et les assassins de la II° Internationale ?
Je crois que leur haine n'est pas moindre que la haine littéraire, journalistique, de Victor Méric. Mais, pour eux, la tactique du front unique, c'est une action politique, et non un rapprochement moral avec les chefs social démocrates.
Le troisième argument est le suivant, et il est plus ou moins décisif. Nous le trouvons dans un article du même auteur :
La Fédération de la Seine vient de prendre une décision sur ces graves questions : elle repousse, à une forte majorité, le front unique. Cela signifie simplement qu'à un an de distance elle entend ne pas se déjuger. Cela veut dire qu'après avoir consenti à cette opération douloureuse que fut la scission de Tours, elle se défend de vouloir tout remettre en cause, se refuse à en appeler aux hommes dont nous nous sommes séparés. (l'Internationale, 22 janvier 1922.)
Voilà comme on présente le front unique. C'est le retour à la situation d'avant Tours. Et Fabre, l'hospitalier Fabre, déclare qu'il est tout à fait d'accord avec la tactique du front unique, avec une seule remarque : Pourquoi alors avoir démoli à coups de revolver l'unité socialiste et ouvrière ?
Ainsi l'affaire est entendue. Avec cette manière de présenter la question, si front unique signifie retour à la situation d'avant Tours, c'est en fait la trêve, l'union sacrée avec les dissidents, les réformistes. Après avoir constaté le fait, capital, on discute sur la tactique à suivre : ou accepter ou refuser. Méric s'écrie : Je m'y oppose, avec la Fédération de la Seine. Et Fabre : Non, j'accepte, j'accepte.
Camarades, même chez Frossard, qui est naturellement un homme politique d'une grande valeur, que nous connaissons tous et qui ne voit pas les choses seulement sous leur aspect anecdotique, même chez lui nous ne trouvons pas des arguments plus solides. Non, c'est toujours l'idée du rapprochement avec les dissidents; pas question de l'unité de front. Or, je vous le demande est ce que cette question existe en France, ou non ?
Le parti communiste français a 130 000 membres; le parti des dissidents a un effectif très faible, et j'attire votre attention sur ce fait que les camarades français ont nommé les réformistes les dissidents . Pourquoi ? Pour les dénoncer devant le prolétariat comme briseurs du front unique les dissidents, c'est à dire les social-traîtres , comme la C.G.T. révolutionnaire s'appelle unitaire pour démontrer qu'un de ses buts, son but principal, est d'assurer au prolétariat l'unité d'action.
Je pourrais dire que vos méthodes et vos actions sont supérieures aux arguments que vous avez employés contre la tactique définie par le comité exécutif de l'Internationale communiste. Le parti a 130 000 membres et les dissidents en ont 30 000, 40 000 ou 50 000. N'importe...
INTERRUPTIONS -. 15 000 ! Chez les dissidents, les chiffres ne sont pas toujours exacts ! C'est très difficile de les connaître.
TROTSKY -. C'est une minorité, mais une minorité pas tout à fait négligeable.
Puis, il y a les syndicats. Les syndicats, ils ont eu, il y a des années, deux millions de membres. Ils l'ont affirmé la statistique des syndicats français est au dessus de leur élan révolutionnaire et maintenant il y a je puise ces chiffres dans le discours du camarade Renoult 300 000 adhérents à la C.G.T unitaire. L'ensemble des syndiqués était de 500 000 avant la scission.
Or, la classe prolétarienne se compte par millions.
Le parti a 130 000 membres. Les syndicats révolutionnaires en ont 300 000. Les syndicats réformistes en ont un peu plus ou un peu moins de 200 000. Les dissidents sont 15 000. Voilà la situation.
Naturellement, le parti a une situation très favorable, parce qu'il est l'organisation politique prépondérante, mais pas tout à fait dominante. Que représente le parti français maintenant ? Le parti français, c'est le résultat, la cristallisation de cette grande poussée révolutionnaire du prolétariat qui a surgi de la guerre, grâce à l'action courageuse des camarades qui étaient en tête du mouvement à cette époque. Ils ont utilisé cet élan, cette poussée de la masse, ce sentiment plutôt sommaire, mais révolutionnaire, primitivement révolutionnaire; ils l'ont utilisé pour transformer l'ancien parti et pour en faire un parti communiste.
Après cela, la révolution n'est pas venue. La masse, qui avait le sentiment que la révolution allait se déclencher aujourd'hui ou demain, voit qu'elle n'éclate pas. Alors, comme conséquence, il y a un certain reflux, et ce qui reste au parti, c'est l'élite prolétarienne. Mais la grande masse, elle, éprouve un sentiment de retraite psychologique et un reflux. Cela se matérialise par la sortie en masse des syndicats. Les syndicats perdent leurs membres. Ils avaient des millions qu'ils n'ont plus, des hommes et des femmes qui sont entrés pour quelques semaines, pour quelques mois, et qui sont sortis. La grande masse prolétarienne garde en elle, naturellement, cet idéal de la révolution, mais cet idéal est devenu quelque chose de plus vague, de moins réalisable. Le parti communiste subsiste avec sa doctrine et sa tactique. Il y a un petit groupement dissident qui a perdu, pendant cette époque tumultueuse de la révolution, toute autorité. Mais supposons que cette situation transitoire tienne encore une année, deux années, trois années; admettons le. Nous ne le voulons pas; mais, pour nous représenter la situation, supposons qu'il y ait une action générale en France. Comment vont se grouper les ouvriers ? Les ouvriers français, comment feront ils ? Si nous prenons le parti communiste et le parti des dissidents, les rapports sont de 4 à 1 et, dans la classe ouvrière, les sentiments pour la révolution, les sentiments vagues, sont peut être dans le rapport de 99 à 1.
Mais voilà, la situation traîne sans se stabiliser, et l'époque des nouvelles élections arrive. Que va penser l'ouvrier français ? Il se dit que le parti communiste c'est peut être un bon parti, que les communistes sont de bons révolutionnaires; mais, aujourd'hui, il n'y a pas de révolution, il s'agit d'élections; c'est Poincaré, c'est le dernier grand effort du nationalisme revanchard, de la paix dangereuse, c'est le dernier sursaut de la lampe qui va s'éteindre.
Après cela, que restera-t-il à la bourgeoisie ? Le Bloc des gauches. Mais pour que cette combinaison politique réussisse, il faut disposer d'un instrument au sein même de la classe ouvrière. Cet instrument, c'est le parti des dissidents.
De notre côté, nous disposons d'un excellent terrain pour notre propagande avec l'Humanité, avec toute notre presse, avec tous nos organes.
Mais il y a d'autres moyens et nous essayons encore de toucher les grandes masses par des meetings, par les discours excellents de nos amis français qui, vous le savez, ne manquent pas d'éloquence. Les élections arrivent. Une grande masse des ouvriers français raisonnera alors vraisemblablement de la manière suivante : En définitive, un Parlement du Bloc des gauches et tout de même préférable à un Parlement de Poincaré, du Bloc national. Et ce sera le moment pour les dissidents de jouer un rôle politique. Il ne sont pas nombreux dans l'organisation politique. Certes. Mais les réformistes, surtout en France, n'ont pas besoin d'avoir une grande organisation. Ils ont des journaux qui ne sont pas très lus, c'est vrai, parce que la masse la plus passive, la plus désillusionnée du prolétariat ne lit pas; elle est désenchantée, elle attend les événements; elle flaire ce qui est dans l'air sans lire. Ce sont les ouvriers tout à fait acquis à la révolution qui veulent lire. Donc, ce petit instrument de la bourgeoisie, cette organisation des dissidents, peut, dans ces conditions, prendre une grande importance politique. Et notre tâche est alors de combattre par avance l'idée du Bloc des gauches dans le prolétariat français. C'est là une question très importante pour le parti français. je ne dis pas que ce Bloc des gauches serait un malheur pour nous. Pour nous aussi ce serait un avantage, mais à condition que le prolétariat n'y collabore pas.
Et si vous, dans ces conditions, sans préciser davantage les méthodes, la forme de la lettre ouverte ou fermée qu'il faut envoyer au comité directeur, s'il existe, des dissidents; si, sans préciser les formes, vous les provoquez, si vous démasquez cette alliée de la bourgeoisie qui attend, qui ne veut pas trop se compromettre maintenant, qui attend dans l'asile de ses rédactions, de ses clubs parlementaires, vous aurez remporté un grand avantage, car, au moment des élections, ces groupements dissidents deviendront très actifs, ils feront aux ouvriers toutes sortes de promesses. Et nous avons le plus grand intérêt à les tirer de leur chambre, de leur retraite et à les mettre devant le prolétariat, sur la base de l'action des masses. Voilà la question. Il ne s'agit pas du tout d'un rapprochement avec Longuet.
Et vraiment, camarades, c'est une situation un peu comique. Nous avons longuement discuté, il y a quinze ou seize mois, avec les camarades français; nous leur avons démontré qu'il fallait exclure Jean Longuet. Et les camarades qui, à cette époque, restaient hésitants devant les vingt et une conditions nous disent aujourd'hui Vous nous imposez un rapprochement avec Jean Longuet je comprends très bienqu'un ouvrier parisien, après avoir lu l'article de Victor Méric, en tire une idée si folle. Il faut tranquillement lui expliquer son erreur, lui montrer qu'il ne s'agit pas de cela, qu'il s'agit avant tout de ne pas laisser les dissidents préparer tranquillement dans leur asile une nouvelle trahison, qu'il faut les prendre au collet et les mettre, par la violence, sous la pression populaire devant le prolétariat et les obliger, ces messieurs, à répondre aux questions précises que nous posons.
Quand nous voyons Terracini dire que nous avons d'autres méthodes d'action, que nous sommes pour la révolution et qu'ils sont, eux, contre la révolution, nous sommes tout à fait d'accord avec Terracini.
Mais si cela était clair pour tous les ouvriers, il n'y aurait pas lieu d'aborder la question du Front unique. Naturellement que nous sommes pour la révolution, et qu'eux sont contre; mais le prolétariat n'a pas compris cette différence; il faut la lui démontrer.
Le camarade Terracini répond :
Mais nous le faisons, il y a des noyaux communistes dans les syndicats; les syndicats ont une très grande importance. Nous le démontrons par la propagande.
La propagande ne sera pas interdite par ce discours : la propagande est toujours excellente, c'est la base de tout. Mais il s'agit de la combiner et de l'adapter aux conditions nouvelles et à l'importance du parti comme organisation.
Voici un petit incident qui est très significatif. Le camarade Terracini dit :
Lorsque nous avons lancé notre appel pour une action générale du prolétariat, nous avons conquis la majorité dans les organisations par notre propagande.
La majorité ... Ensuite, la main délicate de l'auteur a fait une correction : la quasi majorité . Encore un point où nous sommes d'accord. Mais la quasi majorité , cela veut dire en français, il me semble, la minorité, et en russe aussi.[5]
Camarades, même la majorité n'est pas la totalité.
Nous avons la majorité : nous avons avec nous les quatre septièmes du prolétariat. Mais quatre septièmes du prolétariat, ce n'est pas la totalité, et les trois septièmes qui restent peuvent très bien saboter une action de masse. Et la quasi majorité, c'est seulement trois septièmes de la classe ouvrière. Grâce à la propagande, nous avons trois septièmes, mais il faut encore gagner quatre septièmes. Ce n'est pas une chose très facile, camarade Terracini, et si l'on croit qu'en répétant les méthodes qu'on a employées pour gagner les trois septièmes, on gagnera les quatre autres, on se trompe, parce que, quand le parti devient plus grand, ces méthodes doivent changer. Au commencement, quand le prolétariat voit ce petit groupe révolutionnaire intransigeant, qui dit : Au diable, les réformistes ! Au diable, lÉtat bourgeois ! , il applaudit et dit : Très bien ! Mais quand il voit ces trois septièmes de l'avant garde organisés chez les communistes, qu'il n'y a pas grand changement dans le domaine des discussions, des meetings, alors il s'ennuie, le prolétariat, il s'ennuie et il faut de nouvelles méthodes pour lui démontrer que puisque nous sommes un grand parti, nous pouvons participer à la lutte immédiate.
Et, pour démontrer cela, il faut l'action d'ensemble du prolétariat; il faut l'assurer et ne pas en laisser aux autres l'initiative.
Quand les ouvriers disent : Peu nous importe votre révolution de demain ! Nous voulons aujourd'hui livrer bataille pour garder nos huit heures de travail ! , c'est nous qui devons prendre l'initiative de l'union dans la bataille d'aujourd'hui.
Le camarade Terracini dit : Il ne faut pas porter grande attention aux socialistes. Rien à faire avec eux. Mais il faut faire attention aux syndicats. Et il ajoute : Ce n'est pas nouveau. Déjà au 2° congrès de l'Internationale communiste, on a dit, peut être inconsciemment : la scission dans les partis politiques, mais l'unité dans les syndicats. Je ne comprends pas du tout. J'ai souligné ce passage de son discours au crayon rouge, puis au crayon bleu pour exprimer mon étonnement. Nous avons dit au 2° congrès, peut être inconsciemment...
TERRACINI -. C'était dans la polémique avec Zinoviev... C'était ironique; vous n'étiez pas dans la salle quand j'ai parlé.
TROTSKY -. Mettons donc cela de côté et nous l'enverrons dans une enveloppe à Victor Méric. L'ironie, c'est son monopole.
INTERRUPTIONS -. - On en fait en Italie aussi, vous voyez... Et même à Moscou...
TROTSKY -. Malheureusement, puisque cela m'a induit en erreur. Ne pas faire la scission dans les syndicats ? Qu'est ce que cela veut dire ? La chose la plus dangereuse du discours du camarade Renoult, que j'ai lu avec grand intérêt, et où j'ai trouvé des choses très instructives pour comprendre l'état d'esprit du parti communiste français, c'est son affirmationque, dans ce moment ci, nous n'avons rien à faire non seulement avec les dissidents du parti, mais aussi avec la C.G.T. réformiste. Voilà qui donne un appui inattendu aux anarchistes les plus maladroits, je me permets de le dire, de la C.G.T. unitaire. Vous avez précisément, dans le mouvement syndical, appliqué la théorie du Front Unique; vous l'avez appliquée avec succès, et si vous avez maintenant 300 000 adhérents en comparaison des 200 000 de Jouhaux, c'est, j'en suis sûr, pour une moitié grâce à la tactique du front unique, parce que, dans le mouvement syndical, où il s'agit d'englober les prolétaires de toutes les opinions, de toutes les tendances, il y a possibilité de lutter pour les intérêts immédiats. Si nous voulons faire une scission dans les syndicats suivant les tendances, ce serait du suicide.
Nous avons dit : non, ce terrain est pour nous. Comme nous sommes indépendants en tant que communistes, nous avons toute possibilité de manuvrer, de dire ouvertement ce que nous pensons, de critiquer les autres; nous entrons dans les syndicats avec cette conception et nous sommes sûrs que la majorité sera pour nous dans un délai déterminé.
Jouhaux a vu que le terrain lui échappait. Notre pronostic était tout à fait juste. Il faut l'unité d'action. C'était notre tactique. Vous l'avez expliqué vous mêmes en disant : Quand Jouhaux a commencé sa manuvre de scission, les révolutionnaires l'ont dénoncé devant la masse comme le destructeur de l'unité syndicale. Naturellement, c'est le sens de la théorie du Front unique. En luttant contre les réformistes, les dissidents, comme vous les avez nommés, les syndicalistes réformistes et patriotards, etc., il faut rejeter sur eux la responsabilité de la scission, il faut les pousser toujours, les obliger à se prononcer toujours sur la possibilité d'une action de lutte de classes, il faut les mettre dans l'obligation de dire ouvertement Non devant la classe ouvrière. Et si la situation est favorable pour un mouvement dans la classe ouvrière, il faut les pousser en avant. Aujourd'hui, nous avons une situation; dans deux ans, nous aurons peut être la révolution. Dans l'intervalle, nous aurons un mouvement toujours plus profond de la classe ouvrière. Est ce que vous croyez que les Jouhaux et les Merrheim resteront comme ils sont ? Non, ils feront un pas, deux pas en avant et, comme il y aura des ouvriers qui n'auront pas voulu les suivre, cela provoquera dans leur milieu une nouvelle scission. Nous en profiterons. C'est une tactique, naturellement, une tactique de mouvement, une tactique bien flexible, mais en même temps tout à fait énergique, parce que la direction reste la même. Et si vous croyez, comme le camarade Terracini, que lorsque de grands événements viendront, l'unité d'action se réalisera d'elle même, nous ne l'empêcherons pas. Mais, à l'heure actuelle, il n'y a pas de grands événements, et il n'y a pas de raisons qu'on en tienne compte dans nos propositions sur le Front Unique...
TERRACINI -. Je n'ai jamais dit cela.
TROTSKY -. Il se peut que je me trompe, ce n'est peut être pas vous qui l'avez dit; mais cet argument a été présenté ici, je l'ai vu dans les sténogrammes. On dit : si les événements se développent... Mais s'il n'y a pas de grands événements ? Or, j'affirme, je crois que c'est un axiome, qu'un des obstacles aux grands événements, un des obstacles psychologiques pour le prolétariat, c'est le fait qu'il existe beaucoup d'organisations politiques et syndicales et qu'il n'en comprend pas la raison : il ne voit pas comment il pourrait réaliser son action. Cet obstacle psychologique a une grande importance, négative naturellement; c'est le résultat d'une situation qui n'a pas été créée par nous, mais nous devons donner au prolétariat la possibilité de comprendre cette situation. Nous proposons à une organisation telle ou telle action immédiate; c'est tout à fait dans la logique des choses. Et j'affirme que si la C.G.T. unitaire adopte la tactique qui consiste à négliger la C.G.T. jouhaussiste, ce sera la plus grande faute qu'on puisse actuellement commettre en France. Et si le parti commet cette faute, il sera écrasé sous son poids, parce que 300 000 ouvriers révolutionnaires dans les syndicats, mais, camarades, c'est un minimum, 300 000 ouvriers, c'est à peu près votre parti, à peine doublé par des éléments divers, c'est tout. Où est le prolétariat français ? Vous me direz : Mais il n'est pas non plus avec Jouhaux. C'est vrai. Mais je dis que les ouvriers qui ne sont pas dans les organisations, les ouvriers les plus désenchantés ou les plus inactifs, peuvent très bien être entraînés par nous lors d'une crise révolutionnaire aiguë; mais, dans une époque stagnante, ils seront plutôt du côté de Jouhaux, parce que, qu'est ce qu'il représente, Jouhaux ? La paresse de la classe ouvrière. Voilà ce qu'il représente. Et le fait que vous n'avez que 300 000 ouvriers démontre qu'il reste encore pas mal de paresse dans la classe ouvrière française.
Il y a encore un autre danger. Si la C.G.T. unitaire tourne simplement le dos à la Confédération réformiste et si elle essaie de conquérir les masses par la propagande révolutionnaire, elle risque de commettre des fautes comme la minorité révolutionnaire en a déjà commises. Vous savez très bien que le mouvement syndical, les actions syndicales, ce sont des choses très difficiles à manuvrer; il faut toujours songer aux grandes réserves des masses arriérées, qui sont représentées par Jouhaux, et si nous négligeons Jouhaux, cela veut dire que nous négligeons les masses d'ouvriers arriérés.
Il y a une question urgente : la question de la conférence des trois Internationales [6]. Camarades, on dit : Nous ne sommes préparés à cette idée de collaboration internationale avec ceux que nous avons dénoncés, avec ceux de la II et de la II et demie.
Oui, il conviendrait de préparer les esprits à un événement d'une telle ampleur. C'est juste. Cette question a provoqué une vive agitation. Mais quelle en est la cause ? C'est la conférence de Gênes qui est venue, elle aussi, bien inopinément [7]. Lorsque nous avons reçu cette invitation personnelle pour le camarade Lénine, c'était tout à fait inattendu. Et si cette conférence est vraiment convoquée, si elle a lieu, la conférence de Gênes ou de Rome, alors, elle fixera plus ou moins le destin du monde, autant que la bourgeoisie peut le faire. Et on sentira, dans le prolétariat, la nécessité de faire quelque chose. Naturellement, nous, communistes, nous susciterons toute l'action possible, par la propagande, par des meetings, par des démonstrations; mais il y a, non seulement chez les communistes, mais aussi chez les ouvriers, dans la classe ouvrière tout entière, en Allemagne, en France, partout, il y a le sentiment, vague peut être, de l'obligation, de la nécessité de faire quelque chose pour orienter un peu les travaux de cette conférence selon les intérêts du prolétariat.
L'Internationale II et demie prend l'initiative d'une conférence et nous invite à y venir. Il faut se prononcer : oui ou non. Si nous disons : vous êtes des traîtres cela a déjà été dit et beaucoup de fois répété, et c'est toujours juste. Ils nous disent : Nous, ceux de la II° et de la II° et demie, nous voulons aujourd'hui exercer une pression sur la conférence diplomatique bourgeoise par la voix du prolétariat mondial; et nous vous invitons, vous, les communistes. Et nous, nous répondons : Vous êtes des traîtres, des canailles (on veillera à ce que ce mot soit rayé dans les sténogrammes), et nous n'irons pas. Naturellement, notre auditoire communiste sera tout à fait convaincu parce qu'il l'est déjà. Nous n'avons donc pas besoin de le convaincre de nouveau. Mais les autres, les adhérents de l'Internationale II et II et demie, est ce qu'il y a des ouvriers parmi eux ? C'est la seule question qui ait une importance. Si vous dites : Non, les mencheviks ont perdu toute influence partout , alors, je ne me soucie pas de la conférence des Internationales II et II et demie. Mais dites le. En fait, les ouvriers qui soutiennent l'Internationale II et Il et demie sont malheureusement plus nombreux que les ouvriers qui soutiennent la III° Internationale.
Le seul fait qu'il faut retenir, c'est que Friedrich Adler a dit, s'adressant à nous : Nous vous invitons à participer à une conférence qui se propose de faite pression sur la bourgeoisie, sur sa diplomatie. Ils invitent également les ouvriers du monde entier. Si nous nous bornons, pour toute réponse, à répéter : Vous êtes des social traitres , ce sera une réponse maladroite. Et les Scheidemann, les Friedrich Adler et tous les autres s'adresseront à la classe ouvrière et ils diront : Voilà : les communistes prétendent que nous sommes des traîtres; mais, quand nous nous adressons à eux et quand nous les invitons à collaborer avec nous pour un court délai et un objet précis, ils refusent. Vous savez, je garde en réserve cette dénomination de traîtres et de canailles pour après et même pendant la conférence. Mais ce n'est pas maintenant, ce n'est pas dans la lettre de réponse que nous pouvons dire : Nous refusons parce que vous êtes des canailles et des traîtres. Est ce que cette conférence est tout à fait assurée ? Je l'ignore. Il y a des camarades qui sont optimistes à ce sujet, il y en a d'autres qui le sont moins. Mais si la conférence ne doit pas aboutir, ce sera parce que les scheidemanniens ne l'auront pas voulu. Alors, nous tirerons la leçon de l'événement : Voilà, camarades, dirons nous, vos II° et II° et demie; elles sont impuissantes à faire ce qu'elles nous ont proposé. Et, non seulement, nous, communistes, nous serons applaudis par nos camarades, mais aussi une partie des scheidemanniens auront prêté l'oreille et diront : Il y a là quelque chose, on a proposé un accord, mais les social démocrates allemands n'ont pas voulu. Et alors, la lutte entre nous et les scheidemanniens reprendra. Nous les aurons amenés sur un terrain plus large et plus favorable pour nous.
Je ne sais, camarades, si l'on peut ajourner la conférence; et il est certain que cela ne dépend pas de notre désir. Pour préparer la mentalité ouvrière, cela serait très important. Mais, on nous propose cette conférence maintenant, avant la conférence de Gênes, et nous devons répondre.
Et si, dans la fédération de la Seine, il y a un ouvrier qui s'écrie : Mon parti veut rencontrer Jouhaux. Non ! je déchire ma carte ! nous lui dirons : Mon cher ami, tu es en colère, à présent. Patiente un peu. Et s'il claque la porte, nous regretterons beaucoup son départ, mais ce sera sa faute. Et, dans quelques semaines, quand il lira les nouvelles de la conférence de Berlin, quand il verra que Cachin et les délégués des autres partis communistes y participent, qu'ils y parlent et agissent en communistes; puis, qu'après la conférence, la même lutte continue, mais que nos adversaires sont plus démasqués qu'avant la conférence, alors, nous l'auront convaincu, lui et tous les autres communistes, et, en même temps, notre but sera atteint. C'est pourquoi je crois que nous devons répondre à l'unanimité, non pas par les formules déjà rituelles sans y rien changer, mais répondre :
Oui, nous sommes prêts, comme représentants des intérêts révolutionnaires du prolétariat mondial, à essayer devant cette tentative nouvelle des Internationales II et II et demie de tromper encore une fois le prolétariat, à essayer de lui ouvrir les yeux sur la politique criminelle de ces deux Internationales .
Notes
[1] Au 3° congrès de lI..C., Terracini, représentant du P.C. italien qui venait de naître de la scission de Livourne, avait été l'un des adversaires les plus déterminés du tournant vers les masses défendu par Lénine et Trotsky. Son intervention lui avait valu notamment une vigoureuse réplique de Lénine cours de la séance du I° juillet. ( Discours en faveur de la tactique de I.C. , uvres, édition en langue française, t. 32, pp. 498, 508.)
[2] Le K. A. P. D. était le parti des communistes de gauche pris à partie par Lénine dans La Maladie infantile du communisme. Exclus du P. C. par Levi au congrès de Heidelberg en 1919, les militants qui avaient constitué l' opposition formèrent ce nouveau parti au début de 1920.
[3] Sur ce terrain, la position de l'I. C., développée par Trotsky, était effectivement très forte. Quelques années plus tard, en revanche, la direction de l'I.C. non seulement ne réclamait plus, mais ne tolérait plus une critique ouverte .
[4] L'Internationale II et demie est le sobriquet donné par les communistes à l'Union internationale de travail des partis socialistes, formée en 1921, à Vienne, par des représentants de partis socialistes de treize pays, dont le parti social démocrate indépendant (la minorité qui avait refusé de rallier lI.C.), les dissidents français du parti socialiste (future S.F.I.O.), l'Independant Labour Party de Grande-Bretagne, les socialistes tchèques, hongrois, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires russes. Elle se proposait de reconstruire lInternationale, regroupant, comme avant la guerre, réformistes et révolutionnaires, mais mieux structurée. Friedrich Adler était son secrétaire.
[5] Les syndicats affiliés à la minorité étaient tout près de conquérir la majorité lorsque Jouhaux provoqua délibérément la scission de la C.G.T.
[6] L'union de Vienne, constatant l'aggravation des conditions de vie des travailleurs, les progrès du chômage, l'offensive patronale générale, ainsi que les aspirations ouvrières à lunité, s'était adressée, le 14 janvier 1922, aux deux autres Internationales pour leur proposer la tenue d'une conférence commune sur l'ensemble de ces questions. Sa proposition fut acceptée, et la conférence des trois Internationales se tint à Berlin en avril 1922.
[7] La conférence de Gênes (10 avril 19 mai 1922) réunit les diplomates sur le thème de la reconstruction économique de l'Europe. Elle vit le retour des diplomates russes sur la scène. L'union de Vienne suggérait une manifestation des trois Internationales au moment de la conférence de Gênes afin de faire pression sur elle. Les délégués de l'I.C. reprirent la balle au bond.