1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
VII° section : Accumulation du capital
Le caractère antagonique de l'accumulation capitaliste ne s'affirme nulle part plus brutalement que dans le mouvement progressif de l'agriculture anglaise et le mouvement rétrograde des cultivateurs anglais. Avant d'examiner leur situation actuelle, il nous faut jeter un regard en arrière. L'agriculture moderne date en Angleterre du milieu du siècle dernier, quoique les bouleversements survenus dans la constitution de la propriété foncière, qui devaient servir de base au nouveau mode de production, remontent à une époque beaucoup plus reculée.
Les renseignements fournis par Arthur Young, penseur superficiel, mais observateur exact, prouvent incontestablement que l'ouvrier agricole de 1771 était un bien piteux personnage comparé à son devancier de la fin du XIV° siècle, « lequel pouvait vivre dans l'abondance et accumuler de la richesse [1] », pour ne pas parler du XV° siècle, « l'âge d'or du travailleur anglais et à la ville et à la campagne ». Nous n'avons pas besoin cependant de remonter si loin. On lit dans un écrit remarquable publié en 1777 : « Le gros fermier s'est presque élevé au niveau du gentleman, tandis que le pauvre ouvrier des champs est foulé aux pieds... Pour juger de son malheureux état, il suffit de comparer sa position d'aujourd'hui avec celle qu'il avait il y a quarante ans... Propriétaire foncier et fermier se prêtent mutuellement main‑forte pour opprimer le travailleur [2]. » Il y est ensuite prouvé en détail que de 1737 à 1777 dans les campagnes le salaire réel est tombé d'environ un quart ou vingt-cinq pour cent. « La politique moderne, dit Richard Price, favorise les classes supérieures du peuple; la conséquence sera que tôt ou tard le royaume entier se composera de gentlemen et de mendiants, de magnats et d'esclaves [3]. »
Néanmoins la condition du travailleur agricole anglais de 1770 à 1780, à l'égard du logement et de la nourriture aussi bien que de la dignité et des divertissements, etc., reste un idéal qui n'a jamais été atteint depuis. Son salaire moyen exprimé en pintes de froment se montait de 1770 à 1771 à quatre‑vingt‑dix; à l'époque d'Eden (1797), il n'était plus que de soixante-cinq, et en 1808 que de soixante [4].
Nous avons indiqué la situation du travailleur agricole à la fin de la guerre antijacobine (antijacobin war, tel est le nom donné par William Cobbet à la guerre contre la Révolution française), pendant laquelle seigneurs terriens, fermiers, fabricants, commerçants, banquiers, loups‑cerviers, fournisseurs, etc., s'étaient extraordinairement enrichis. Le salaire nominal s'éleva, en conséquence soit de la dépréciation des billets de banque, soit d'un enchérissement des subsistances les plus nécessaires indépendant de cette dépréciation. Son mouvement réel peut être constaté d'une manière fort simple, sans entrer dans des détails fastidieux. La loi des pauvres et son administration étaient, en 1814, les mêmes qu'en 1795. Or, nous avons vu comment cette loi s'exécutait dans les campagnes : c'était la paroisse qui, sous forme d'aumône, parfaisait la différence entre le salaire nominal du travail et la somme minima indispensable au travailleur pour végéter. La proportion entre le salaire payé par le fermier et le supplément ajouté par la paroisse nous montre deux choses, premièrement : de combien le salaire était au‑dessous de son minimum, secondement : à quel degré le travailleur agricole était transformé en serf de sa paroisse. Prenons pour exemple un comté qui représente la moyenne de cette proportion dans tous les autres comtés. En 1795 le salaire hebdomadaire moyen était à Northampton de sept shillings six pence, la dépense totale annuelle d'une famille de six personnes de trente-six livres sterling douze shillings cinq pence, sa recette totale de vingt-neuf livres sterling dix-huit shillings, le complément fourni par la paroisse de six livres sterling quatorze shillings cinq pence. Dans le même comté le salaire hebdomadaire était en 1814 de douze shillings deux pence, la dépense totale annuelle d'une famille de cinq personnes de cinquante‑quatre livres sterling dix-huit shillings quatre pence; sa recette totale de trente-six livres sterling deux shillings, le complément fourni par la paroisse de dix-huit livres sterling six shillings quatre pence [5]. En 1795 le complément n'atteignait pas le quart du salaire, en 1814 il en dépassait la moitié. Il est clair que dans ces circonstances le faible confort qu'Eden signale encore dans le cottage de l'ouvrier agricole avait alors tout à fait disparu [6]. De tous les animaux qu'entretient le fermier, le travailleur, l'instrumentum vocale, restera désormais le plus mal nourri et le plus mal traité.
Les choses continuèrent paisiblement en cet état jusqu'à ce que « les émeutes de 1830 vinssent nous avertir (nous, les classes gouvernantes), à la lueur des meules de blé incendiées, que la misère et un sombre mécontentement, tout prêt à éclater, bouillonnaient aussi furieusement sous la surface de l'Angleterre agricole que de l'Angleterre industrielle [7] ». Alors, dans la Chambre des communes, Sadler baptisera les ouvriers des campagnes du nom « d'esclaves blancs » (white slaves), et un évêque répétera le mot dans la Chambre haute. « Le travailleur agricole du sud de l'Angleterre, dit l'économiste le plus remarquable de cette période, E. G. Wakefield, n'est ni un esclave, ni un homme libre: c'est un pauper [8]. »
A la veille de l'abrogation des lois sur les céréales, la lutte des partis intéressés vint jeter un nouveau jour sur la situation des ouvriers agricoles. D'une part les agitateurs abolitionnistes faisaient appel aux sympathies populaires, en démontrant par des faits et des chiffres que ces lois de protection n'avaient jamais protégé le producteur réel. D'autre part la bourgeoisie industrielle écumait de rage quand les aristocrates fonciers venaient dénoncer l'état des fabriques, que ces oisifs, cœurs secs, corrompus jusqu'à la moelle, faisaient parade de leur profonde sympathie pour les souffrances des ouvriers de fabrique, et réclamaient à hauts cris l'intervention de la législature. Quand deux larrons se prennent aux cheveux, dit un vieux proverbe anglais, l'honnête homme y gagne toujours. Et de fait, la dispute bruyante, passionnée, des deux fractions de la classe dominante, sur la question de savoir laquelle des deux exploitait le travailleur avec le moins de vergogne, aida puissamment à révéler la vérité.
L'aristocratie terrienne avait pour général en chef dans sa campagne philanthropique contre les fabricants le comte de Shaftesbury (ci‑devant Lord Ashley). Aussi fut‑il le principal point de mire des révélations que le Morning Chronicle publiait de 1844 à 1845. Cette feuille, le plus important des organes libéraux d'alors, envoya dans les districts ruraux des correspondants qui, loin de se contenter d'une description et d'une statistique générales, désignèrent nominalement les familles ouvrières visitées et leurs propriétaires. La liste suivante spécifie les salaires payés dans trois villages, aux environs de Blandford, Wimbourne et Poole, villages appartenant à M. G. Bankes et au comte de Shaftesbury. On remarquera que ce pontife de la basse église (low church), ce chef des piétistes anglais empoche, tout comme son compère Bankes, sous forme de loyer, une forte portion du maigre salaire qu'il est censé octroyer à ses cultivateurs.
Premier village [9] |
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a) Enfants. |
b) Nombre des membres de la famille. |
c) Salaire des hommes par semaine. |
d) Salaire des enfants par semaine. |
e) Recette hebdomadaire de toute la famille. |
f) Loyer de la semaine. |
g) Salaire total après déduction du loyer. |
h) Salaire par semaine et par tête. |
2 | 4 | 8 sh. | 8 sh. | 2 sh. | 6 sh. | 1 sh. 6 d. | |
3 | 5 | 8 sh. | 8 sh. | 1 sh. 6 d. | 6 sh. 6 d. | 1 sh. 3 ½ d. | |
3 | 4 | 8 sh. | 8 sh. | 1 sh. | 7 sh. | 1 sh. 9 d. | |
2 | 4 | 8 sh. | 8 sh. | 1 sh. | 7 sh. | 1 sh. 9 d. | |
6 | 8 | 7 sh. | 1 sh. 6 d. | 10 sh. 6 d. | 2 sh. | 8 sh. 6 d. | 1 sh. 0 ¾ d. |
3 | 5 | 7 sh. | 1 sh. 2 d. | 10 sh. 2 d. | 1 sh. 4 d. | 6 sh. 10 d. | 1 sh. ½ d. |
Deuxième village |
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6 | 8 | 7 sh. | 1 sh. 6 d. | 10 sh. | 1 sh. 6 d. | 8 sh. 6 d. | 1 sh. 0 ¾ d. |
6 | 8 | 7 sh. | 1 sh. 6 d. | 7 sh. | 1 sh. 3 ½ d. | 5 sh. 8 ½ d. | 1 sh. 8 ½ d. |
8 | 10 | 7 sh. | 7 sh. | 1 sh. 3 ½ d. | 5 sh. 8 ½ d. | 1 sh. 7 d. | |
4 | 6 | 7 sh. | 7 sh. | 1 sh. 6 ½ d. | 5 sh. 5 ½ d. | 1 sh. 11 d. | |
3 | 5 | 7 sh. | 7 sh. | 1 sh. 6 ½ d. | 5 sh. 5 ½ d. | 1 sh. 1 d. | |
Troisième village |
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4 | 6 | 7 sh. | 7 sh. | 1 sh. | 6 sh. | 1 sh. | |
3 | 5 | 7 sh. | 1 sh. 2 d. | 11 sh. 6 d. | 0 sh. 10 d. | 10 sh. 8 d. | 2 sh. 2 ½ d. |
0 | 2 | 5 sh. | 1 sh. 6 d. | 5 sh. | 1 sh. | 4 sh. | 2 sh. |
L'abrogation des lois sur les céréales donna à l'agriculture anglaise une nouvelle et merveilleuse impulsion. Drainage tout à fait en grand [10], nouvelles méthodes pour nourrir le bétail dans les étables et pour cultiver les prairies artificielles, introduction d'appareils mécaniques pour la fumure des terres, manipulation perfectionnée du sol argileux, usage plus fréquent des engrais minéraux, emploi de la charrue à vapeur et de toutes sortes de nouvelles machines-outils, etc., en général, culture intensifiée, voilà ce qui caractérise cette époque. Le président de la Société royale d'agriculture, M. Pusey, affirme que l'introduction des machines a fait diminuer de près de moitié les frais (relatifs) d'exploitation. D'un autre côté, le rendement positif du sol s'éleva rapidement. La condition essentielle du nouveau système était un plus grand déboursé de capital, entraînant nécessairement une concentration plus rapide des fermes [11]. En même temps, la superficie des terres mises en culture augmenta, de 1846 à 1865, d'environ quatre cent soixante-quatre mille cent dix-neuf acres, sans parler des grandes plaines des comtés de l'est, dont les garennes et les maigres pâturages furent transformés en magnifiques champs de blé. Nous savons déjà que le nombre total des personnes employées dans l'agriculture diminua dans la même période. Le nombre des cultivateurs proprement dits des deux sexes et de tout âge, tomba, de 1851 à 1861, de un million deux cent quarante et un mille deux cent soixante-neuf à un million cent soixante-trois mille deux cent vingt‑sept [12]. Si donc le Registrar général fait très justement remarquer que « l'accroissement du nombre des fermiers et des ouvriers de campagne depuis 1801 n'est pas le moins du monde en rapport avec l'accroissement du produit agricole [13] », cette disproportion se constate encore bien davantage dans la période de 1846 à 1866. Là, en effet, la dépopulation des campagnes a suivi pas à pas l'extension et l'intensification de la culture, l'accumulation inouïe du capital incorporé au sol et de celui consacré à son exploitation, l'augmentation des produits, sans précédent dans l'histoire de l'agronomie anglaise, l'accroissement des rentes dévolues aux propriétaires fonciers et celui des profits réalisés par les fermiers capitalistes. Si l'on songe que tout cela coïncidait avec le développement rapide et continu des débouchés urbains et le règne du libre-échange, le travailleur agricole, post tot discrimina rerum, se trouva évidemment placé dans des conditions qui devaient enfin, secundum artem, selon la formule, le rendre fou de bonheur.
Le professeur Rogers trouve, en définitive, que, comparé à son prédécesseur de la période de 1770 à 1780, pour ne rien dire de celle qui commence au dernier tiers du XIV° siècle et se termine au dernier tiers du XVV°, le travailleur agricole anglais d'aujourd'hui est dans un état pitoyable, « qu'il est redevenu serf », à vrai dire, serf mal nourri et mal logé [14]. D'après le rapport du docteur Julien Hunter sur les conditions d'habitation des ouvriers ruraux, rapport qui a fait époque, « les frais d'entretien du hind (nom donné au paysan aux temps féodaux) ne sont point calculés sur le profit qu'il s'agit de tirer de lui. Dans les supputations du fermier il représente le zéro [15]. Ses moyens de subsistance sont toujours traités comme une quantité fixe [16] ». « Quant à une réduction ultérieure du peu qu'il reçoit, il peut dire : nihil habeo, nihil curo, « rien n'ai, rien ne me chaut ». Il n'a aucune appréhension de l'avenir, parce qu'il ne dispose de rien en dehors de ce qui est absolument indispensable à son existence. Il a atteint le point de congélation qui sert de base aux calculs du fermier. Advienne que pourra, heur ou malheur, il n'y a point part [17]. »
Une enquête officielle eut lieu, en 1863, sur l'alimentation et le travail des condamnés soit à la transportation, soit au travail forcé. Les résultats en sont consignés dans deux livres bleus volumineux. « Une comparaison faite avec soin », y est‑il dit entre autres, « entre l'ordinaire des criminels dans les prisons d'Angleterre d'une part, et celui des pauvres dans les Workhouses et des travailleurs agricoles libres du même pays d'autre part, prouve jusqu'à l'évidence que les premiers sont beaucoup mieux nourris qu'aucune des deux autres catégories [18], tandis que « la masse du travail exigée d'un condamné au travail forcé ne s'élève guère qu'à la moitié de celle qu'exécute le travailleur agricole ordinaire [19]. » Citons à l'appui quelques détails caractéristiques, extraits de la déposition d'un témoin : Déposition de John Smith, directeur de la prison d'Edimbourg. Nr, 5056 : « L'ordinaire des prisons anglaises est bien meilleur que celui de la généralité des ouvriers agricoles. » Nr. 5075 : « C'est un fait certain qu'en Ecosse les travailleurs agricoles ne mangent presque jamais de viande. » Nr. 3047 : « Connaissez‑vous une raison quelconque qui explique la nécessité de nourrir les criminels beaucoup mieux (much better) que l'ouvrier de campagne ordinaire ? ‑ Assurément non. » Nr. 3048 : « Pensez‑vous qu'il convienne de faire de plus amples expériences, pour rapprocher le régime alimentaire des condamnés au travail forcé de celle du travailleur libre [20] ? » Ce qui veut dire : « L'ouvrier agricole pourrait tenir ce propos : Je travaille beaucoup et je n'ai pas assez à manger. Lorsque j'étais en prison, je travaillais moins et je mangeais tout mon soûl : il vaut donc mieux rester en prison qu'en liberté [21]. » Des tables annexes au premier volume du rapport nous avons tiré le tableau comparatif qui suit :
Somme de nourriture hebdomadaire |
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Eléments azotés |
Eléments non azotés |
Eléments minéraux |
Somme totale |
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Criminels de la prison de Portland |
28,95 | 150,06 | 4,68 | 183,69 |
Matelots de la marine royale |
29,63 | 152,91 | 4,52 | 187,06 |
Soldats |
25,55 | 114,49 | 3,94 | 143,98 |
Ouvrier carrossier |
21,24 | 100,83 | 3,12 | 125,19 |
Travailleur agricole |
17,73 | 118,06 | 3,29 | 139,08 |
Le lecteur connaît déjà les conclusions de la Commission médicale d'enquête sur l'alimentation des classes mal nourries du peuple anglais. Il se souvient que, chez beaucoup de familles agricoles, l'ordinaire s'élève rarement à la ration indispensable « pour prévenir les maladies d'inanition ». Ceci s'applique surtout aux districts purement agricoles de Cornwall, Devon, Somerset, Dorset, Wilts, Stafford, Oxford, Berks et Herts. « La nourriture du cultivateur, dit le docteur Simon, dépasse la moyenne que nous avons indiquée, parce qu'il consomme une part supérieure à celle du reste de sa famille, et sans laquelle il serait incapable de travailler; il se réserve presque toute la viande ou le lard dans les districts les plus pauvres. La quantité de nourriture qui échoit à la femme et aux enfants dans l'âge de la croissance est, en beaucoup de cas, et à vrai dire dans presque tous les comtés, insuffisante et surtout pauvre en azote [22]. Les valets et les servantes, qui habitent chez les fermiers eux-mêmes. sont, au contraire, plantureusement nourris, mais leur nombre va diminuant. De deux cent quatre‑vingt‑huit mille deux cent soixante-dix‑sept qu'il comptait en 1851 il était descendu à deux cent quatre mille neuf cent soixante-deux en 1861.
« Le travail des femmes en plein champ, dit le docteur Smith, quels qu'en soient les inconvénients inévitables, est, dans les circonstances présentes, d*un gram avantage pour la famille, parce qu'il lui procure les moyens de se chausser, de se vêtir, de payer son loyer et de se mieux nourrir [23]. »
Le fait le plus curieux que l'enquête ait relevé, c'est que parmi les travailleurs agricoles du Royaume‑Uni celui de l’Angleterre est de beaucoup le plus mal nourri (considerably the worst fed). Voici l'analyse comparée de leurs régimes alimentaires :
Consommation hebdomadaire de carbone et d’azote |
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Angleterre | 40 673 | 1 594 |
Galles | 48 354 | 2 031 |
Ecosse | 48 980 | 2 348 |
Irlande | 43 336 | 2 439 [24] |
« Chaque page du rapport du docteur Hunter », dit le docteur Simon dans son rapport officiel sur la santé, « atteste l'insuffisance numérique et l'état misérable des habitations de nos travailleurs agricoles. Et depuis nombre d'années leur situation à cet égard n'a fait qu'empirer. Il leur est maintenant bien plus difficile de trouver à se loger, et les logements qu'ils trouvent sont bien moins adaptés à leurs besoins, que ce n'était le cas depuis peut‑être des siècles. Dans les vingt ou trente dernières années particulièrement, le mal a fait de grands progrès, et les conditions de domicile du paysan sont aujourd'hui lamentables au plus haut degré. Sauf les cas où ceux que son travail enrichit jugent que cela vaut bien la peine de le traiter avec une certaine indulgence, mêlée de compassion, il est absolument hors d'état de se tirer d'affaire. S'il parvient à trouver sur le sol qu'il cultive un abri‑logis décent ou un toit à cochons, avec ou sans un de ces petits jardins qui allègent tant le poids de la pauvreté, cela ne dépend ni de son inclination personnelle, ni même de son aptitude à payer le prix qu'on lui demande, mais de la manière dont d'autres veulent bien exercer « leur droit » d'user de leur propriété comme bon leur semble. Si grande que soit une ferme, il n'existe pas de loi qui établisse qu'elle contiendra un certain nombre d'habitations pour les ouvriers, et que même ces habitations seront décentes. La loi ne réserve pas non plus à l'ouvrier le moindre droit sur ce soi, auquel son travail est aussi nécessaire que la pluie et le soleil... Une circonstance notoire fait encore fortement pencher la balance contre lui, c'est l'influence de la loi des pauvres et de ses dispositions [25] sur le domicile des pauvres et les charges qui reviennent aux paroisses. Il en résulte que chaque paroisse a un intérêt d'argent à limiter au minimum le nombre des ouvriers ruraux domiciliés chez elle, car, malheureusement, au lieu de garantir à ceux-ci et à leurs familles une indépendance assurée et permanente, le travail champêtre, si rude qu'il soit, les conduit, en général, par des acheminements plus ou moins rapides, au paupérisme; paupérisme toujours si imminent, que la moindre maladie ou le moindre manque passager d'occupation nécessite un appel immédiat à l'assistance paroissiale. La résidence d'une population d'agriculteurs dans une paroisse y fait donc évidemment augmenter la taxe des pauvres... Il suffit aux grands propriétaires fonciers [26] de décider qu'aucune habitation de travailleurs ne pourra être établie sur leurs domaines, pour qu'ils soient sur‑le‑champ affranchis de la moitié de leur responsabilité envers les pauvres. Jusqu'à quel point la loi et la constitution anglaises ont‑elles eu pour but d'établir ce genre de propriété absolue, qui autorise le seigneur du sol à traiter les cultivateurs du sol comme des étrangers et à les chasser de son territoire, sous prétexte « de disposer de son bien comme il l'entend » ? c'est là une question que je n'ai pas à discuter... Cette puissance d'éviction n'est pas de la théorie pure; elle se réalise pratiquement sur la plus grande échelle; elle est une des circonstances qui dominent les conditions de logement du travailleur agricole... » Le dernier recensement permet de juger de l'étendue du mal; il démontre que dans les dix dernières années la destruction des maisons, malgré la demande toujours croissante d'habitations, a progressé en huit cent vingt et un districts de l'Angleterre.
En comparant l'année 1861 à l'année 1851, on trouvera qu'à part les individus forcés de résider en dehors des paroisses où ils travaillent, une population plus grande de cinq un tiers pour cent a été resserrée dans un espace plus petit de quatre et demi pour cent... « Dès que le progrès de la dépopulation a atteint le but », dit le docteur Hunter, « on obtient pour résultat un show-village (un village de parade), où les cottages sont réduits à un chiffre faible et où personne n'a le privilège de résider, hormis les bergers, les jardiniers, les gardes‑chasses et autres gens de domesticité ordinairement bien traités par leurs bienveillants seigneurs [27]. Mais le sol a besoin d'être cultivé, et ses cultivateurs, loin de résider sur les domaines du propriétaire foncier, viennent d'un village ouvert, distant peut‑être de trois milles, où ils ont été accueillis après la destruction de leurs cottages. Là où cette destruction se prépare, l'aspect misérable des cottages ne laisse pas de doute sur le destin auquel ils sont condamnés. On les trouve à tous les degrés naturels de délabrement. Tant que le bâtiment tient debout, le travailleur est admis à en payer le loyer et il est souvent bien content de ce privilège, même lorsqu'il lui faut y mettre le prix d'une bonne demeure. Jamais de réparations d'aucune sorte, à part celles que peut faire le pauvre locataire. La bicoque devient‑elle à la fin tout à fait inhabitable, ce n'est qu'un cottage détruit de plus, et autant de moins à payer à l'avenir pour la taxe des pauvres. Tandis que les grands propriétaires s'affranchissent ainsi de la taxe en dépeuplant les terres qui leur appartiennent, les travailleurs, chassés par eux, sont accueillis par la localité ouverte ou la petite ville la plus proche; la plus proche, ai‑je dit, mais ce « plus proche » peut signifier une distance de trois ou quatre milles de la ferme où le travailleur va peiner tous les jours. Outre la besogne qu'il fait journellement pour gagner son pain quotidien, il lui faut encore parcourir l'espace de six à huit milles, et cela n'est compté pour rien. Tout travail agricole accompli par sa femme et ses enfants subit les mêmes circonstances aggravantes. Et ce n'est pas là le seul mal que lui cause l'éloignement de son domicile, de son champ de travail : des spéculateurs achètent, dans les localités ouvertes, des lambeaux de terrain qu'ils couvrent de tanières de toute espèce, élevées au meilleur marché possible, entassées les unes sur les autres. Et c'est dans ces ignobles trous qui, même en pleine campagne, partagent les pires inconvénients des plus mauvaises habitations urbaines, que croupissent les ouvriers agricoles anglais [28]... » D'autre part, il ne faut pas s'imaginer que l'ouvrier qui demeure sur le terrain qu'il cultive y trouve le logement que mérite sa vie laborieuse. Même sur les domaines princiers son cottage est souvent des plus misérables. Combien de propriétaires qui estiment qu'une étable est assez bonne pour des familles ouvrières, et qui ne dédaignent pas de tirer de sa location le plus d'argent possible [29]. « Ou bien c'est une cabane en ruines avec une seule chambre à coucher, sans foyer, sans latrines, sans fenêtres, sans autre conduit d'eau que le fossé, sans jardin, et le travailleur est sans défense contre ces iniquités. Nos lois de police sanitaire (les Nuisances Removal Acts) sont en outre lettre morte. Leur exécution est confiée précisément aux propriétaires qui louent des bouges de cette espèce... On ne doit pas se laisser éblouir par quelques exceptions et perdre de vue la prédominance écrasante de ces faits qui sont l'opprobre de la civilisation anglaise. L'état des choses doit être en réalité épouvantable, puisque, malgré la monstruosité évidente des logements actuels, des observateurs compétents sont tous arrivés au même résultat sur ce point, savoir, que leur insuffisance numérique constitue un mai infiniment plus grave encore. Depuis nombre d'années, non seulement les hommes qui font surtout cas de la santé, mais tous ceux qui tiennent à la décence et à la moralité de la vie, voyaient avec le chagrin le plus profond l'encombrement des habitations des ouvriers agricoles. Les rapporteurs chargés d'étudier la propagation des maladies épidémiques dans les districts ruraux n'ont jamais cessé, en phrases si uniformes qu'elles semblent stéréotypées, de dénoncer cet encombrement comme une des causes qui rendent vaine toute tentative faite pour arrêter la marche d'une épidémie une fois qu'elle est déclarée. Et mille et mille fois on a eu la preuve que, malgré l'influence favorable de la vie champêtre sur la santé, l'agglomération qui active à un si haut degré la propagation des maladies contagieuses ne contribue pas moins à faire naître les maladies ordinaires. Et les hommes qui ont dénoncé cet état de choses n'ont pas passé sous silence un mal plus grand. Alors même que leur tâche se bornait à examiner le côté sanitaire, ils se sont vus presque forcés d'aborder aussi les autres côtés de la question en démontrant par le fait que des adultes des deux sexes, mariés et non mariés, se trouvent très souvent entassés pêle-mêle (huddled) dans des chambres à coucher étroites. Ils ont fait naître la conviction que, dans de semblables circonstances, tous les sentiments de pudeur et de décence sont offensés de la façon la plus grossière, et que toute moralité est nécessairement étouffée [30]... On peut voir, par exemple, dans l'appendice de mon dernier rapport, un cas mentionné par le docteur Ord, à propos de la fièvre qui avait ravagé Wing, dans le Buckinghamshire. Un jeune homme y arriva de Wingrave avec la fièvre. Les premiers jours de sa maladie il couche dans une même chambre avec neuf autres individus. Quelques semaines après, cinq d'entre eux furent pris de la même fièvre et un en mourut ! Vers la même époque, le docteur Harvey, de l'hôpital Saint‑Georges, à propos de sa visite à Wing pendant l'épidémie, me cita des faits pareils : « Une jeune femme malade de la fièvre couchait la nuit dans la même chambre que son père, sa mère, son enfant illégitime, deux jeunes hommes, ses frères, et ses deux sœurs chacune avec un bâtard, en tout dix personnes. Quelques semaines auparavant, treize enfants couchaient dans ce même local [31]. »
Le docteur Hunter visita cinq mille trois cent soixante-quinze cottages de travailleurs ruraux, non seulement dans les districts purement agricoles, mais dans toutes les parties de l'Angleterre. Sur ce nombre deux mille cent quatre-vingt-quinze contenaient une seule chambre à coucher (formant souvent toute l’habitation); deux mille neuf cent trente en contenaient deux et deux cent cinquante plus de deux. Voici quelques échantillons pris parmi une douzaine de ces comtés.
Wrestlingiworth : Chambre à coucher d'environ douze pieds de long sur dix de large, et il y en a beaucoup de plus petites. L'étroite cabane, d'un seul étage, est souvent partagée, au moyen de planches, en deux chambres à coucher, il y a quelquefois un lit dans une cuisine haute de cinq pieds six pouces. Loyer : trois livres sterling par an. Il faut que les locataires construisent eux-mêmes leurs lieux d'aisances, le propriétaire ne leur fournissant que le trou. Dès que l'un d'eux a construit ses latrines, elles servent à tout le voisinage. Une maison du nom de Richardson était une vraie merveille. Ses murs de mortier ballonnaient comme une crinoline qui fait la révérence. A une extrémité, le pignon était convexe, à l'autre concave. De ce côté-là se dressait une malheureuse cheminée, espèce de tuyau recourbé, fait de bois et de terre glaise, pareil à une trompe d'éléphant; pour l'empêcher de tomber on l'avait appuyée à un fort bâton. Les portes et les fenêtres étaient en losange. Sur dix-sept maisons visitées, quatre seulement avaient plus d'une chambre à coucher et ces quatre étaient encombrées. Les cottages a une seule chambre abritaient tantôt trois adultes et trois enfants, tantôt un couple marié, avec six enfants, etc.
Dunton : Loyers très élevés, de quatre à cinq livres sterling par an. Salaire des hommes : dix shillings par semaine. lis espèrent que le travail domestique (tressage de la paille) leur permettra de payer cette somme. Plus le loyer est élevé, plus il faut être en nombre pour pouvoir I'acquitter. Six adultes qui occupent avec quatre enfants une chambre à coucher paient un loyer de trois livres sterling dix shillings. La maison louée le meilleur marché, longue de quinze pieds et large de dix à l'extérieur, se paie trois livres sterling. Une seule des quatorze maisons visitées avait deux chambres à coucher. Un peu avant le village se trouve une maison dont les murs extérieurs sont souillés d'ordures par les habitants; la putréfaction a enlevé cinq pouces du bas de la porte; une seule ouverture, ménagée ingénieusement le soir au moyen de quelques tuiles poussées du dedans au-dehors, et couverte avec un lambeau de natte. Là, sans meubles, étaient entassés trois adultes et cinq enfants. Dunton n'est pas pire que le reste de la Biggleswude Union.
Beenham : En juin 1864, un homme demeurait dans un cot (cottage à un seul étage), avec sa femme et quatre enfants. Une de ses filles, atteinte de la fièvre scarlatine et obligée de quitter son emploi, arrive chez lui. Elle meurt. Un enfant tombe malade et meurt également. La mère et un autre enfant étaient atteints du typhus, lorsque le docteur Hunter fut appelé. Le père et un deuxième enfant couchaient au‑dehors, mais, ce qui montre combien il est difficile de localiser l'infection, le linge de cette famille avait été jeté là, sur le marché encombré du misérable village, en attendant le blanchissage. ‑ Loyer de la maison de H. un shilling par semaine; dans l'unique chambre à coucher, un couple et six enfants. Une autre maison, louée huit pence (par semaine), quatorze pieds six pouces de long, sept pieds de large; cuisine six pieds de haut; la chambre à coucher sans fenêtre, sans foyer, sans porte ni ouverture, si ce n'est vers le couloir, pas de jardin. Un homme y demeurait, il y a peu de temps, avec deux filles adultes et un fils adolescent; le père et le fils couchaient dans le lit, les jeunes filles dans le couloir. A l'époque où elles habitaient là, elles avaient chacune un enfant; seulement l'une d'elles était allée faire ses couches au Workhouse et était revenue ensuite.
Trente cottages, sur mille acres de terrain, contiennent de cent trente à cent quarante personnes environ. La paroisse de Bradenham comprend une superficie de mille acres; elle avait, en 1851, trente-six maisons et une population de quatre-vingt-quatre hommes et cinquante‑quatre femmes. En 1861, cette inégalité entre les sexes n'existait plus, les personnes du sexe masculin étaient au nombre de quatre-vingt-dix-huit et celles du sexe féminin de quatre-vingt-dix-sept, donnant une augmentation de quatorze hommes et de trente-trois femmes en dix ans. Mais il y avait une maison de moins.
Winslow : Une grande partie de ce village a été nouvellement bâtie dans le grand style. Les maisons y paraissent être très recherchées, car de misérables huttes sont louées un shilling et un shilling trois pence par semaine.
Water Eaton : Ici les propriétaires, s'apercevant de l'accroissement de la population, ont détruit environ vingt pour cent des maisons existantes. Un pauvre ouvrier qui avait à faire près de quatre milles pour se rendre à son travail, et auquel on demandait s'il ne pourrait pas trouver un logement plus rapproché, répondit : « Non, c'est impossible, ils se garderont bien de loger un homme avec autant de famille. »
Tinker's End, près de Winslow : Une chambre à coucher dans laquelle se trouvaient quatre adultes et quatre enfants avait onze pieds de long, neuf de large et six pieds cinq pouces de haut dans l'endroit le plus élevé. Une autre, longue de onze pieds cinq pouces, large de neuf et haute de cinq pieds dix pouces, abritait dix personnes. Chacune de ces familles avait moins de place qu'il n'en est accordé à un galérien. Pas une seule maison n'avait plus d'une chambre à coucher, pas une seule une porte de derrière; de l'eau très rarement, le loyer de un shilling quatre pence à deux shillings par semaine. Sur seize maisons visitées, il n'y avait qu'un seul homme qui gagnât, par semaine, dix shillings. La quantité d'air pour chaque personne, dans les cas ci‑dessus, correspond à celle qui lui reviendrait, si on l'enfermait la nuit dans une boîte de quatre pieds cubes. Il est vrai que les anciennes masures laissent pénétrer l'air par différentes voies.
Gamblingay appartient à divers propriétaires. On ne trouverait nulle part des cots plus misérables et plus délabrés. Grand tressage de paille. Il y règne une langueur mortelle et une résignation absolue à vivre dans la fange. L'abandon dans lequel se trouve le centre du village devient une torture à ses extrémités nord et sud, où les maisons tombent morceau par morceau en pourriture. Les propriétaires absentéistes saignent à blanc les malheureux locataires; les loyers sont très élevés; huit à neuf personnes sont entassées dans une seule chambre à coucher. Dans deux cas, six adultes chacun avec deux ou trois enfants, dans une petite chambre.
Dans ce comté, un grand nombre de paroisses voient diminuer à la fois les cottages et les personnes. Dans vingt-deux paroisses, cependant, la destruction des maisons n'a pas arrêté l'accroissement de la population, ni produit, comme partout ailleurs, l'expulsion ‑ qu'on appelle « l'émigration vers les villes ». A Fingringhœ, une paroisse de trois mille quatre cent quarante-trois acres, il y avait cent quarante-cinq maisons en 1851; il n'y en avait plus que cent dix en 1861, mais la population ne voulait pas s'en aller et avait trouvé moyen de s'accroître dans ces conditions. En 1851 Ramsden Crays était habité par deux cent cinquante‑deux individus répartis dans soixante et une maisons, mais en 1861 le nombre des premiers était de deux cent quatre‑vingt‑deux et celui des secondes de quarante-neuf. A Basilden cent cinquante-sept individus occupaient, en 1851, mille huit cent vingt-sept acres et trente-cinq maisons; dix ans après, il n'y avait plus que vingt-sept maisons pour cent quatre‑vingts individus. Dans les paroisses de Fingringhœ, South Fambridge, Widford, Basilden et Ramsden Crays, habitaient, en 1851, sur huit mille quatre cent quarante-neuf acres, mille trois cent quatre-vingt-douze individus, dans trois cent seize maisons; en 1861, sur la même superficie, il n'y avait plus que deux cent quarante-neuf maisons pour mille quatre cent soixante-treize habitants.
Ce petit comté a plus souffert de « l'esprit d'éviction » que n'importe quel autre en Angleterre. A Madby les cottages, bondés de locataires, presque tous avec deux chambres à coucher, appartiennent pour la plus grande partie aux fermiers. Ils les louent facilement trois ou quatre livres sterling par an à des gens qu'ils paient, eux, neuf shillings la semaine !
Hartford avait, en 1851, quatre‑vingt‑sept maisons; peu de temps après, dix-neuf cottages furent abattus dans cette petite paroisse de mille sept cent vingts acres. Chiffre de la population en 1831 : quatre cent cinquante‑deux, en 1852, huit cent trente-deux, et en 1861 : trois cent quarante et un. Visité quatorze cots dont chacun avec une seule chambre à coucher. Dans l'un un couple marié, trois fils et une fille adultes, quatre enfants, dix en tout; dans une autre, trois adultes et six enfants. Une de ce chambres, dans laquelle couchaient huit personnes, mesurait douze pieds dix pouces de long sur douze pieds deux pouces de large et six pieds neuf pouces de haut. En comptant les saillies, cela faisait cent trente pieds cubes par tête. Dans les quatorze chambres, trente-quatre adultes et trente-trois enfants. Ces cottages sont rarement pourvus de jardinets, mais nombre d'habitants peuvent louer de petits lopins de terre, à dix ou douze shillings par rood (environ dix-sept pieds). Ces lots sont éloignés des maisons, lesquelles n'ont point de lieux d'aisances. Il faut donc que la famille se rende à son terrain pour y déposer ses excréments, ou qu'elle en remplisse le tiroir d'une armoire. Car cela se fait ici, sauf votre respect. Dès que le tiroir est plein, on l'enlève pour le vider là où on en peut utiliser le contenu. Au Japon, les choses se font plus proprement.
Langtofft : Un homme habite ici dans la maison de Wright avec sa femme, sa mère et cinq enfants. La maison se compose d'une cuisine, d'une chambre à coucher au‑dessus et d'un évier. Les deux premières pièces ont douze pieds deux pouces de long, neuf pieds cinq pouces de large; la superficie entière a vingt et un pieds trois pouces de longueur sur neuf pieds cinq pouces de largeur. La chambre à coucher est une mansarde dont les murs se rejoignent en pain de sucre vers le toit, avec une lucarne sur le devant. Pourquoi demeure‑t‑il ici ? A cause du jardin ? il est imperceptible. A cause du bon marché ? Le loyer est cher, un shilling trois pence par semaine. Est‑il près de son travail ? Non, à six milles de distance, en sorte qu'il fait chaque jour un voyage de douze milles (aller et retour). Il demeure ici parce que ce cot était à louer et qu'il voulait avoir un cot pour lui tout seul, n'importe où, à quelque prix que ce fût et dans n'importe quelles conditions.
Voici la statistique de douze maisons de Langtofft avec douze chambres à coucher, trente-huit adultes et trente-six enfants :
12 maisons à Langtofft |
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Maisons | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Chambres à coucher | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Adultes | 3 | 4 | 4 | 5 | 2 | 5 | 3 | 8 | 2 | 3 | 3 | 2 |
Enfants | 5 | 3 | 5 | 4 | 2 | 3 | 3 | 2 | 0 | 3 | 3 | 4 |
Nombre de personnes | 8 | 7 | 8 | 9 | 4 | 8 | 7 | 5 | 2 | 5 | 6 | 6 |
Kennington était fâcheusement surchargé de population en 1859, quand la diphtérie fit son apparition et que le chirurgien de la paroisse organisa une enquête officielle sur la situation de la classe pauvre. Il trouva que dans cette localité, où il y a toujours beaucoup de travail, nombre de cots avaient été détruits sans être remplacés par de nouveaux. Dans un district se trouvaient quatre maisons surnommées les cages (birdcages); chacune d'elles avait quatre compartiments avec les dimensions suivantes, en pieds et en pouces :
Cuisine | 9,5 x 8,11 x 6,6 |
Evier | 8,6 x 4,6 x 6,6 |
Chambre à coucher | 8,5 x 5,10 x 6,3 |
Chambre à coucher | 8,3 x 8,4 x 6,3 |
Brenworth, Pickford et Floore : Dans ces villages une trentaine d'hommes, sans travail l'hiver, battent le pavé. Les fermiers ne font pas toujours suffisamment labourer les terres à blé ou à racines, et le propriétaire a jugé bon de réduire toutes ses fermes à deux ou trois. De là manque d'occupation. Tandis que d'un côté du fossé la terre semble appeler le travail, de l'autre, les travailleurs frustrés jettent sur elle des regards d'envie. Exténués de travail l'été et mourant presque de faim l'hiver, rien d'étonnant s'ils disent dans leur patois que « the parson and gentlefolks seem frit to death at them » (que « le curé et les nobles semblent s'être donné le mot pour les faire mourir »).
A Floore on a trouvé, dans des chambres à coucher de la plus petite dimension des couples avec quatre, cinq, six enfants, ou bien trois adultes avec cinq enfants, ou bien encore un couple avec le grand‑père et six malades de la fièvre scarlatine, etc. Dans deux maisons de deux chambres, deux familles de huit et neuf adultes chacune.
Stratton : Visité trente et une maisons, huit avec une seule chambre à coucher; Pentill dans la même paroisse. Un cot, loué un shilling trois pence par semaine à quatre adultes et quatre enfants, n'avait, sauf les murailles, rien de bon, depuis le plancher carrelé de pierres grossièrement taillées jusqu'à la toiture de paille pourrie.
La destruction des maisons n'a pas été aussi considérable; cependant, de 1851 à 1861, le personnel s'est augmenté par maison de quatre deux individus à quatre six.
Badsey : Ici beaucoup de cots et de jardins. Quelques fermiers déclarent que les cots sont « a great nuisance here, because they bring the poor » (« les cots font beaucoup de tort, parce que cela amène les pauvres »). « Que l'on bâtisse cinq cents cots, dit un gentleman, et les pauvres ne s'en trouveront pas mieux; en réalité, plus on en bâtit, et plus il en faut. » ‑ Pour ce Monsieur, les maisons engendrent les habitants, lesquels naturellement pressent à leur tour sur « les moyens d'habitation ». ‑ Mais ces pauvres, remarque à ce propos le docteur Hunter, « doivent pourtant venir de quelque part, et puisqu'il n'y a ni charité, ni rien qui les attire particulièrement à Badsey, il faut qu'ils soient repoussés de quelque autre localité plus défavorable encore, et qu'ils ne viennent s'établir ici que faute de mieux. Si chacun pouvait avoir un cot et un petit morceau de terre tout près du lieu de son travail, il l'aimerait assurément mieux qu'à Badsey, où la terre lui est louée deux fois plus cher qu'aux fermiers. »
L'émigration continuelle vers les villes, la formation constante d'une surpopulation relative dans les campagnes, par suite de la concentration des fermes, de l'emploi des machines, de la conversion des terres arables en pacages, etc., et l'éviction non interrompue de la population agricole, résultant de la destruction des cottages, tous ces faits marchent de front. Moins un district est peuplé, plus est considérable sa surpopulation relative, la pression que celle-ci exerce sur les moyens d'occupation, et l'excédent absolu de son chiffre sur celui des habitations; plus ce trop-plein occasionne dans les villages un entassement pestilentiel. La condensation de troupeaux d'hommes dans des villages et des bourgs correspond au vide qui s'effectue violemment à la surface du pays. L'incessante mise en disponibilité des ouvriers agricoles, malgré la diminution positive de leur nombre et l'accroissement simultané de leurs produits, est la source de leur paupérisme : ce paupérisme éventuel est lui-même un des motifs de leur éviction et la cause principale de leur misère domiciliaire, qui brise leur dernière force de résistance et fait d'eux de purs esclaves des propriétaires [32] et des fermiers. C'est ainsi que l'abaissement du salaire au minimum devient pour eux l'état normal. D'un autre côté, malgré cette surpopulation relative, les campagnes restent en même temps insuffisamment peuplées. Cela se fait sentir, non seulement d'une manière locale sur les points où s'opère un rapide écoulement d'hommes vers les villes, les mines, les chemins de fer, etc., mais encore généralement, en automne, au printemps et en été, aux moments fréquents où l'agriculture anglaise si soigneuse et si intensive, a besoin d'un supplément de bras. Il y a toujours trop d'ouvriers pour les besoins moyens, toujours trop peu pour les besoins exceptionnels et temporaires de l'agriculture [33]. Aussi les documents officiels fourmillent‑ils de plaintes contradictoires, faites par les mêmes localités, à propos du manque et de l'excès de bras. Le manque de travail temporaire ou local n'a point pour résultat de faire hausser le salaire, mais bien d'amener forcément les femmes et les enfants à la culture du sol et de les faire exploiter à un âge de plus en plus tendre. Dès que cette exploitation des femmes et des enfants s'exécute sur une plus grande échelle, elle devient, à son tour, un nouveau moyen de rendre superflu le travailleur mâle et de maintenir son salaire au plus bas. L'est de l'Angleterre nous présente un joli résultat de ce cercle vicieux, le système des bandes ambulantes (Gangsystem), sur lequel il nous faut revenir ici [34].
Ce système règne presque exclusivement dans le Lincolnshire, le Huntingdonshire, le Cambridgeshire, le Norfolkshire, le Suffolkshire et le Nottinghamshire. On le trouve employé çà et là dans les comtés voisins du Northampton, du Bedford et du Ruthland. Prenons pour exemple le Lincolnshire. Une grande partie de la superficie de ce comté est de date récente; la terre, jadis marécageuse, y a été, comme en plusieurs autres comtés de l'Est, conquise sur la mer. Le drainage à la vapeur a fait merveille, et aujourd'hui ces marais et ces sables portent l'or des belles moissons et des belles rentes foncières. Il en est de même des terrains d'alluvion, gagnés par la main de l'homme, comme ceux de l'île d'Axholme et des autres paroisses sur la rive du Trent. A mesure que les nouvelles fermes se créaient, au lieu de bâtir de nouveaux cottages, on démolissait les anciens et on faisait venir les travailleurs de plusieurs milles de distance, des villages ouverts situés le long des grandes routes qui serpentent au flanc des collines. C'est là que la population trouva longtemps son seul refuge contre les longues inondations de l'hiver. Dans les fermes de quatre cents à mille acres, les travailleurs à demeure (on les appelle confined labourers) sont employés exclusivement aux travaux agricoles permanents, pénibles et exécutés avec des chevaux. Sur cent acres environ, c'est à peine si l'on trouve en moyenne un cottage. Un fermier de marais, par exemple, s'exprime ainsi devant la Commission d'enquête : « Ma ferme s'étend sur plus de trois cent vingt acres, tout en terre à blé. Elle n'a point de cottage. A présent, je n'ai qu'un journalier à la maison. J'ai quatre conducteurs de chevaux, logés dans le voisinage. L'ouvrage facile, qui nécessite un grand nombre de bras, se fait au moyen de bandes [35]. » La terre exige certains travaux de peu de difficulté, tels que le sarclage, le houage, l'épierrement, certaines parties de la fumure, etc. On y emploie des gangs ou bandes organisées qui demeurent dans les localités ouvertes.
Une bande se compose de dix à quarante ou cinquante personnes, femmes, adolescents des deux sexes, bien que la plupart des garçons en soient éliminés vers leur treizième année, enfin, enfants de six à treize ans. Son chef, le Gangmaster, est un ouvrier de campagne ordinaire, presque toujours ce qu'on appelle un mauvais sujet, vagabond, noceur, ivrogne, mais entreprenant et doué de savoir‑faire. C'est lui qui recrute la bande, destinée à travailler sous ses ordres et non sous ceux du fermier. Comme il prend l'ouvrage à la tâche, son revenu qui, en moyenne, ne dépasse guère celui de l'ouvrier ordinaire [36], dépend presque exclusivement de l'habileté avec laquelle il sait tirer de sa troupe, dans le temps le plus court, le plus de travail possible. Les fermiers savent, par expérience, que les femmes ne font tous leurs efforts que sous le commandement des hommes, et que les jeunes filles et les enfants, une fois en train, dépensent leurs forces, ainsi que l'a remarqué Fourier, avec fougue, en prodigues, tandis que l'ouvrier mâle adulte cherche, en vrai sournois, à économiser les siennes. Le chef de bande, faisant le tour des fermes, est à même d'occuper ses gens pendant six ou huit mois de l'année. Il est donc pour les familles ouvrières une meilleure pratique que le fermier isolé, qui n'emploie les enfants que de temps à autre. Cette circonstance établit si bien son influence, que dans beaucoup de localités ouvertes on ne peut se procurer les enfants sans son intermédiaire. Il les loue aussi individuellement aux fermiers, mais c'est un accident qui n'entre pas dans le « système des bandes ».
Les vices de ce système sont l'excès de travail imposé aux enfants et aux jeunes gens, les marches énormes qu'il leur faut faire chaque jour pour se rendre à des fermes éloignées de cinq six et quelquefois sept milles, et pour en revenir, enfin, la démoralisation de la troupe ambulante. Bien que le chef de bande, qui porte en quelques endroits le nom de « driver » (piqueur, conducteur), soit armé d'un long bâton, il ne s'en sert néanmoins que rarement, et les plaintes de traitement brutal sont l'exception. Comme le preneur de rats de la légende, c'est un charmeur, un empereur démocratique. Il a besoin d'être populaire parmi ses sujets et se les attache par les attraits d'une existence de bohème ‑ vie nomade, absence de toute gêne, gaillardise bruyante, libertinage grossier. Ordinairement la paye se fait à l'auberge au milieu de libations copieuses. Puis, on se met en route pour retourner chez soi. Titubant, s'appuyant de droite et de gauche sur le bras robuste de quelque virago, le digne chef marche en tête de la colonne, tandis qu'à la queue la jeune troupe folâtre et entonne des chansons moqueuses ou obscènes. Ces voyages de retour sont le triomphe de la phanérogamie, comme l'appelle Fourier. Il n'est pas rare que des filles de treize ou quatorze ans deviennent grosses du fait de leurs compagnons du même âge. Les villages ouverts, souches et réservoirs de ces bandes, deviennent des Sodomes et des Gomorrhes [37], où le chiffre des naissances illégitimes atteint son maximum. Nous connaissons déjà la moralité des femmes mariées qui ont passé par une telle école [38]. Leurs enfants sont autant de recrues prédestinées de ces bandes, à moins pourtant que l'opium ne leur donne auparavant le coup de grâce.
La bande dans la forme classique que nous venons de décrire se nomme bande publique, commune ou ambulante (public, common or tramping gang). Il y a aussi des bandes particulières (private gangs), composées des mêmes éléments que les premières mais moins nombreuses, et fonctionnant sous les ordres, non d'un chef de bande, mais de quelque vieux valet de ferme, que son maitre ne saurait autrement employer. Là, plus de gaieté ni d'humeur bohémienne, mais, au dire de tous les témoins, les enfants y sont moins payés et plus maltraités.
Ce système qui, depuis ces dernières années, ne cesse de s'étendre [39], n'existe évidemment pas pour le bon plaisir du chef de bande. Il existe parce qu'il enrichit les gros fermiers [40] et les propriétaires [41]. Quant au fermier, il n'est pas de méthode plus ingénieuse pour maintenir son personnel de travailleurs bien au‑dessous du niveau normal ‑ tout en laissant toujours à sa disposition un supplément de bras applicable à chaque besogne extraordinaire ‑ pour obtenir beaucoup de travail avec le moins d'argent possible [42], et pour rendre « superflus » les adultes mâles. On ne s'étonnera plus, d'après les explications données, que le chômage plus ou moins long et fréquent de l'ouvrier agricole soit franchement avoué, et qu'en même temps « le système des bandes » soit déclaré « nécessaire », sous prétexte que les travailleurs mâles font défaut et qu'ils émigrent vers les villes [43].
La terre du Lincolnshire nettoyée, ses cultivateurs souillés, voilà le pôle positif et le pôle négatif de la production capitaliste [44].
Notes
[1] James E. Th. Rogers (Prof. of Polit. Econ. in the University of Oxford) : « A History of Agriculture and Prices in England. » Oxford, 1866, v. 1, p. 690. Cet ouvrage, fruit d'un travail consciencieux, ne comprend encore dans les deux volumes parus jusqu'ici que la période de 1259 à 1400. Le second volume fournit des matériaux purement statistiques. C'est la première « histoire des prix » authentique que nous possédions sur cette époque.
[2] Reasons for the late Increase of the Poorrate; or, a comparative view of the price of labour and provisions. London, 1777, p. 5, 14 et 16.
[3] Observations on Reversionary Payments. Sixth edit. By W. Morgan. Lond., 1805, v. II , p. 158, 159. Price remarque, p. 159 : « Le prix nominal de la journée de travail n'est aujourd'hui que quatre fois, ou tout au plus cinq fois plus grand qu'il n'était en 1514. Mais le prix du blé est sept fois, et celui de la viande et des vêtements environ quinze fois plus élevé. Bien loin donc que le prix du travail ait progressé en proportion de l'accroissement des dépenses nécessaires à la vie, il ne semble pas que proportionnellement il suffise aujourd'hui à acheter la moitié de ce qu'il achetait alors. »
[4] Barton, l. c., p. 26. Pour la fin du XVIII° siècle, Voy. Eden, l. c.
[5] Parry, l. c., p. 86.
[6] Id., p. 213.
[7] S. Laing.
[8] England and America. Lond., 1833, v. 1, p. 45.
[9] London Economist. 1845, p. 290.
[10] Dans ce but, l'aristocratie foncière s'avança à elle-même ‑ par voie parlementaire naturellement, ‑ sur la caisse de l'Etat, et à un taux très peu élevé, des fonds que les fermiers lui restituent au double.
[11] La catégorie du recensement national qui embrasse les « fils, petits‑fils, frère, neveu, fille, sœur, nièce, etc., du fermier », en un mot, les membres de la famille, que le fermier emploie lui-même, comptait en 1851 : deux cent seize mille huit cent cinquante et un individus, mais seulement cent soixante-seize mille cent cinquante et un en 1861. La décroissance de ce chiffre prouve la diminution des fermiers d'une fortune, moyenne. ‑ De 1851 à 1971, les petites fermes qui cultivent moins de vingt acres ont diminué de plus de neuf cents, celles qui en occupent cinquante jusqu'à soixante-quinze sont tombées de huit mille deux cent cinquante-trois à six mille trois cent soixante-dix, et le même mouvement descendant l'a emporté dans toutes les autres fermes au‑dessous de cent acres. Par contre, le chiffre des grandes fermes s'est considérablement élevé dans la même période; celles de trois cents à cinq cents acres se sont accrues de sept mille sept cent soixante et onze à huit mille quatre cent dix, celles au‑dessus de cinq cents acres, de deux mille sept cent cinquante‑cinq à trois mille neuf cent quatorze celles au‑dessus de mille acres, de quatre cent quatre-vingt-douze à cinq cent quatre‑vingt‑deux, etc.
[12] Le nombre des bergers s'est accru de douze mille cinq cent dix-sept à vingt-cinq mille cinq cent cinquante‑neuf.
[13] Census, etc., l. c., p. 36.
[14] Regers, l. c. p. 693. « The peasant has again become a serf », l. c., p. 10. M. Rogers appartient à l'école libérale; ami personnel des Cobden, des Bright, etc. il n'est certes pas suspect. de panégyrique du temps passé.
[15] Public Health. Seventh Report. Lond. 1865, p. 242. Il ne faut donc pas s'étonner que le loueur du logis en élève le prix quand il apprend que le travailleur gagne davantage, ou que le fermier diminue le salaire d'un ouvrier, « parce que sa femme vient de trouver une occupation ». (L. c.)
[16] L. c., p. 135.
[17] L. c., p. 34.
[18] Report of the Commissioners... relating to Transportation and Penal Servitude. Lond. v. I, n. 50.
[19] L. c., p. 77. Memorandum by the Lord Chief Justice.
[20] L. c., v. II, Evidence.
[21] L. c., v. I, Appendix, p. 280.
[22] Public Health. Sixth Report. 1863. Lond., 1864, p. 238, 249, 261, 262.
[23] L. c., p. 262.
[24] L. c., p. 17. L'ouvrier agricole anglais n'a que le quart du lait et que la moitié du pain que consomme l'irlandais. Au commencement de ce siècle, dans son Tour through Ireland, Arthur Young signalait déjà la meilleure alimentation de ce dernier. La raison en est tout simplement que le pauvre fermier d'Irlande est infiniment plus humain que le richard d'Angleterre. Ce qui est dit dans le texte ne se rapporte pas au sud‑ouest de la principauté de Galles. « Tous les médecins de cette partie du pays s'accordent à dire que l'accroissement des cas de mortalité par suite de tuberculose, de scrofules, etc., gagne en intensité à mesure que l'état physique de la population se détériore, et tous attribuent cette détérioration à la pauvreté. L'entretien journalier du travailleur rural y est évalué à cinq pence, et dans beaucoup de districts le fermier (misérable lui-même) donne encore moins : un morceau de viande salée, sec et dur comme de l'acajou, ne valant pas la peine qu'il donne à digérer, ou bien un morceau de lard servant d'assaisonnement à une grande quantité de sauce de farine et de poireaux, ou de bouillie d'avoine, et tous les jours c'est le même régime. La conséquence du progrès de l'industrie a été pour le travailleur, dans ce rude et sombre climat, de remplacer le drap solide tissé chez lui par des étoffes de coton à bon marché, et les boissons fortes par du thé « nominal... ». Après avoir été exposé pendant de longues heures au vent et à la pluie, le laboureur revient à son cottage, pour s'asseoir auprès d'un feu de tourbe ou de morceaux de terre et de déchets de charbon, qui répand d'épaisses vapeurs d'acide carbonique et d'acide sulfureux. Les murs de la hutte sont faits de terre et de moellons; elle a pour plancher la terre nue comme avant qu'elle fût construite et son toit est une masse de paille hachée et boursouflée. Chaque fente est bouchée pour conserver la chaleur, et c'est là, dans une atmosphère d'une puanteur infernale, les pieds dans la boue et son unique vêtement en train de sécher sur son corps, qu'il prend son repas du soir avec la femme et les enfants. Des accoucheurs, forcés de passer une partie de la nuit dans ces huttes, nous ont raconte que leurs pieds s 'enfonçaient dans le sol et que pour se procurer personnellement un peu de respiration ils étaient obligés de faire un trou dans le mur, ouvrage d'ailleurs facile. De nombreux témoins de tout rang affirment que le paysan insuffisamment nourri (underfed) est exposé chaque nuit à ces influences malsaines et à d'autres encore. Quant au résultat, une population débile et scrofuleuse, il est assurément on ne peut plus démontré... D'après les communications des employés des paroisses de Carmarthenshire et Cardiganshire, on sait que le même état de choses y règne. A tous ces maux s'en ajoute un plus grand, la contagion de l'idiotisme. Mentionnons encore les conditions climatériques. Des vents du sud‑ouest très violents soufflent à travers le pays pendant huit ou neuf mois de l'année, et à leur suite arrivent des pluies torrentielles qui inondent principalement les pentes des collines du côté de l'ouest. Les arbres sont rares, si ce n'est dans les endroits couverts; là où ils ne sont pas protégés, ils sont tellement secoués, qu'ils en perdent toute forme. Les huttes se cachent sous la terrasse d'une montagne, souvent dans un ravin ou dans une carrière, et il n'y a que les moutons lilliputiens du pays et les bêtes à cornes qui puissent trouver à vivre dans les pâturages... Les jeunes gens émigrent à l'est, vers le district minier de Clamorgan et de Monmouth. Carmarthenshire est la pépinière de la population des mines et son hôtel des Invalides... Cette population ne maintient son chiffre que difficilement. ‑ Exemple Cardiganshire :
|
1851 |
1861 |
Sexe masculin |
45 155 |
44 446 |
Sexe féminin |
52 459 |
52 955 |
|
97 614 |
97401 |
(Dr Hunter's Report. Public Health. Seventh Report, 1864. Lond., 1865, p. 498‑503, passim.)
[25] Cette loi a été quelque peu améliorée en 1865. L'expérience fera voir bientôt que tous ces replâtrages ne servent de rien.
[26] Pour faire comprendre la suite de la citation, nous remarquerons qu'on appelle close villages (villages fermés) ceux qui ont pour propriétaires un ou deux gros seigneurs terriens, et open villages (villages ouverts) ceux dont le sol est réparti entre plusieurs propriétaires. C'est dans ces derniers que des spéculateurs en bâtiments peuvent construire des cottages et des maisons.
[27] Un village de ce genre présente un assez bon aspect, mais il n'a pas plus de réalité que ceux que Catherine Il vit dans son voyage en Crimée. Dans ces derniers temps le berger a été banni, lui aussi, de ces show‑villages. A Market Harborough, par exemple, il y a une bergerie d'environ cinq cents acres, où le travail d'un seul homme suffit. Pour lui épargner des marches inutiles à travers ces vastes plaines, ces beaux pâturages de Leicester et de Northampthon, on avait ménagé au berger une chambre dans la métairie. Maintenant on lui paie un shilling de plus, pour qu'il loue un domicile à une grande distance, dans un village ouvert.
[28] « Les maisons des ouvriers (dans les localités ouvertes et naturellement toujours encombrées) sont pour l'ordinaire bâties par rangées, le derrière sur la limite extrême du lambeau de terrain que le spéculateur appelle sien. L'air et la lumière n'y peuvent donc pénétrer que sur le devant. » (Dr Hunter's Report, l. c., p. 136.) Très souvent le vendeur de bière ou l'épicier du village est loueur de maisons. Dans ce cas l'ouvrier de campagne trouve en lui un second maître à côté du fermier. Il lui faut être en même temps son locataire et sa pratique. « Avec dix shillings par semaine, moins une rente de quatre livres sterling qu'il a à payer chaque année, il est obligé d'acheter le peu qu'il consomme de thé, de sucre, de farine, de savon, de chandelle et de bière, au prix qu*il prend fantaisie au boutiquier de demander. » (L. c., p. 13 1.) Ces localités ouvertes forment en réalité les « colonies pénitentiaires » du prolétariat agricole anglais. Un grand nombre de ces cottages ne sont que des logements disponibles où passent tous les vagabonds de la contrée. L'homme des champs et sa famille, qui dans les conditions les plus répugnantes avaient souvent conservé une pureté, une intégrité de caractère vraiment étonnantes, se dépravent ici tout à fait. Il est de mode parmi les Shylocks de haute volée de lever pharisaïquement les épaules à propos des spéculateurs en cottages, des petits propriétaires et des localités ouvertes. Ils savent pourtant fort bien que sans leurs « villages fermés » et sans leurs « villages de parade » ces localités ouvertes ne pourraient exister. Sans les petits propriétaires des villages ouverts, la plus grande partie des ouvriers du soi serait contrainte de dormir sous les arbres des domaines où ils travaillent. » (L. c., p. 136.) Le système des villages « ouverts » et « fermés » existe dans toutes les provinces du centre et dans l'est de l'Angleterre.
[29] « Le loueur de maisons (fermier ou propriétaire) s'enrichit directement ou indirectement au moyen du travail d'un homme qu'il paie dix shillings par semaine, tandis qu'il extorque ensuite au pauvre diable quatre ou cinq livres sterling par an pour le loyer de maisons qui ne seraient pas vendues vingt sur le marché. Il est vrai que leur prix artificiel est maintenu par le pouvoir qu'a le propriétaire de dire: « Prends ma maison ou fais ton paquet, et cherche de quoi vivre où tu voudras, sans le moindre certificat signé de moi... » Si un homme désire améliorer sa position et aller travailler dans une carrière, ou poser des rails sur un chemin de fer, le même pouvoir est là qui lui crie : «Travaille pour moi à bas prix, ou décampe dans les huit jours. Prends ton cochon avec toi, si tu en as un, et réfléchis un peu à ce que tu feras des pommes de terre qui sont en train de pousser dans ton jardin. » Dans les cas où le propriétaire (ou le fermier) y trouve son intérêt, il exige un loyer plus fort comme punition de ce qu'on a déserté son service. » (Dr Hunter, l. c., p. 131)
[30] « Le spectacle de jeunes couples mariés n'a rien de bien édifiant pour des frères et sœurs adultes, qui couchent dans la même chambre, et, bien qu'on ne puisse enregistrer ces sortes d'exemples, il y a suffisamment de faits pour justifier la remarque que de grandes souffrances et souvent la mort sont le lot des femmes qui se rendent coupables d'inceste. » (Dr Hunter, l. c., p. 137.) Un employé de police rurale, qui a fonctionné pendant de longues années comme détective dans les plus mauvais quartiers de Londres, s'exprime ainsi sur le compte des jeunes filles de son village : « Leur grossière immoralité dans l'âge le plus tendre, leur effronterie et leur impudeur, dépassent tout ce que j'ai vu de pire à Londres, pendant tout le temps de mon service... Jeunes gens et jeunes filles adultes, pères et mères, tout cela vit comme des porcs et couche ensemble dans la même chambre. » (Child. Empl. Comm. Sixth Report. London, 1867. Appendix, p. 77, n° 155.)
[31] Public Health. Seventh Report. London, 1865, p. 9‑14, passim.
[32] « La noble occupation du hind (le journalier paysan) donne de la dignité même à sa condition. Soldat pacifique et non esclave, il mérite que le propriétaire qui s'est arrogé le droit de l'obliger à un travail semblable à celui que le pays exige du soldat lui assure sa place dans les rangs des hommes mariés. Son service, ‑ pas plus que celui du soldat, ‑ n'est payé au prix de marché. Comme le soldat, il est pris jeune, ignorant, connaissant seulement son métier et sa localité. Le mariage précoce et l'effet des diverses lois sur le domicile affectent l'un comme l'enrôlement et le mutiny act (loi sur les révoltes militaires) affectent l'autre. » (Dr Hunter, l. c., p. 132.) Parfois, quelque Landlord exceptionnel a une faiblesse, son cœur s'émeut de la solitude qu'il a créée. « C'est une chose bien triste que d'être seul dans sa terre », dit le comte de Leicester lorsqu'on vint le féliciter de l'achèvement de son château de Holkham. « Je regarde autour de moi, et ne vois point d'autre maison que la mienne. Je suis le géant de la tour des géants et j'ai mangé tous mes voisins. »
[33]
Un mouvement pareil a eu lieu en France dans les dix dernières années, à mesure
que la production capitaliste s'y emparait de l'agriculture et refoulait dans
les villes la population « surnuméraire » des campagnes. Là, également, les
conditions de logement sont devenues pires et la vie plus difficile. Au sujet du
« prolétariat foncier » proprement dit, enfanté par le système des parcelles,
consulter entre autres l'écrit déjà cité de Colins, et Karl Marx : Der
Achtzehnte, Brumaire des Louis Bonaparte. New York, 1852 (p. 56 et suiv.). En 1846, la population des villes
se représentait en France par vingt-quatre quarante-deux, celle des campagnes
par soixante-quinze cinquante‑huit; en 1861, la première s'élevait à
vingt-huit quatre-vingt‑six, la seconde n'était plus que de soixante et
onze quarante et un. Cette diminution s'est accrue encore dans ces dernières
années. En 1846, Pierre Dupont chantait déjà, dans sa chanson des « Ouvriers »:
« Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres,
Nous vivons avec les hiboux
>Et les larrons amis des ombres. »
[34] Le sixième et dernier rapport de la Child. Empl. Comm., publié fin de mars 1867, est tout entier consacré à ce système des bandes agricoles.
[35] « Child. Empl. Comm., VI Report. » Evidence, p. 173.
[36] Quelques chefs de bande cependant sont parvenus à devenir fermiers de cinq cents acres, ou propriétaires de rangées de maisons.
[37] La moitié des filles de Bidford a été perdue par le Gang, l. c. Appendix, p. 6, n. 32.
[38] V. p. 288 et 289 de cet ouvrage.
[39] « Le système s'est développé dans les dernières années. Dans quelques endroits, il n'a été introduit que depuis peu. Dans d'autres, où il est ancien, on y enrôle des enfants plus jeunes et en plus grand nombre. » (L. c., p. 79, n. 174.)
[40] « Les petits fermiers n'emploient pas les bandes. » Elles ne sont pas non plus employées sur les terres pauvres, mais sur celles qui rapportent de deux livres sterling à deux livres sterling dix shillings de rente par acre. (L. c., p. 17 et 14.)
[41] Un de ces messieurs, effrayé d'une réduction éventuelle de ses rentes, s'emporta devant la commission d'enquête. Pourquoi fait‑on tant de tapage ? s'écrie‑t‑il. Parce que le nom du système est mal sonnant. Au lieu de « Gang » dites, par exemple, « Association industrielle‑agricole‑coopérative de la jeunesse rurale », et personne n'y trouvera à redire.
[42] « Le travail par bandes est meilleur marché que tout autre travail; voilà pourquoi on l'emploie », dit un ancien chef de bande. (L. c., p. 17, n. 11.) « Le système des bandes, dit un fermier, est le moins cher pour les fermiers, et sans contredit le plus pernicieux pour les enfants. » (L. c., p. 14, n. 4.)
[43] « Il est hors de doute qu'une grande partie du travail exécuté aujourd'hui dans le système des bandes par des enfants l'était jadis par des hommes et des femmes. Là où l'on emploie les enfants et les femmes, il y a aujourd'hui beaucoup plus d'hommes inoccupés qu'autrefois (mure men are out of work). » L. c., p. 43, n. 102. D'un autre côté, on lit : « Dans beaucoup de districts agricoles, principalement dans ceux qui produisent du blé, la question du travail (labour question) est devenue si sérieuse par suite de l'émigration et des facilités que les chemins de fer offrent à ceux qui veulent s'en aller dans les grandes villes, que je considère les services rendus par les enfants comme absolument indispensables. » (Ce témoin est régisseur d'un grand propriétaire.) L. c., p. 80, n. 180. ‑ A la différence du reste du monde civilisé, la question du travail dans les districts agricoles anglais n'est pas autre chose que la question des Landlords et des fermiers. Il s'agit de savoir comment, malgré le départ toujours plus considérable des ouvriers agricoles, il sera possible d'éterniser dans les campagnes une « surpopulation relative » assez considérable pour maintenir le taux des salaires à son minimum.
[44] Le « Public Health Report », que j'ai cité dans la quatrième section de cet ouvrage, ne traite du système des bandes agricoles qu'en passant, à l'occasion de la mortalité des enfants; il est resté inconnu à la presse et conséquemment au public anglais. En revanche, le sixième rapport de la Commission du Travail des enfants a fourni aux journaux la matière, toujours bienvenue, d'articles à sensation. Tandis que la presse libérale demandait comment les nobles gentlemen et ladies, et les gros bénéficiers de l'Église anglicane, pouvaient laisser grandir sur leurs domaines et sous leurs yeux un pareil abus, eux qui organisent des missions aux antipodes pour moraliser les sauvages des îles du Sud, la presse comme il faut se bornait à des considérations filandreuses sur la dépravation de ces paysans, assez abrutis pour faire la traite de leurs propres enfants ! Et pourtant, dans les conditions maudites où ces brutes sont retenues par la classe éclairée, on s'expliquerait qu'ils les mangeassent. Ce qui étonne réellement, c'est l'intégrité de caractère qu'ils ont en grande partie conservée. Les rapporteurs officiels établissent que les parents détestent le système des bandes, même dans les districts où il règne. « Dans les témoignages que nous avons rassemblés, on trouve des preuves abondantes que les parents seraient, dans beaucoup de cas, reconnaissants d'une loi coercitive qui les mit à même de résister aux tentations et à la pression exercée sur eux. Tantôt c'est le fonctionnaire de la paroisse, tantôt leur patron, qui les force, sous menace de renvoi, à tirer profit de leurs enfants, au lieu de les envoyer à l'école. Toute perte de temps et de force, toute souffrance qu'occasionne au cultivateur et à sa famille une fatigue extraordinaire et inutile, tous les cas dans lesquels les parents peuvent attribuer la perte morale de leurs enfants à l'encombrement des cottages et à l'influence immonde des bandes, évoquent dans l'âme de ces pauvres travailleurs des sentiments faciles à comprendre et qu'il est inutile de détailler. Ils ont parfaitement conscience qu'ils sont assaillis par des tourments physiques et moraux provenant de circonstances dont ils ne sont en rien responsables, auxquelles, si cela eût été en leur pouvoir, ils n'auraient jamais donné leur assentiment, et qu'ils sont impuissants à combattre. » (L. c., p. XX, n. 82, et XXIII, n. 96.)