1913

Un ouvrage qui est encore discuté aujourd'hui...


L'accumulation du capital

Rosa Luxemburg

I: Le problème de la reproduction


4: Le schéma de la simple reproduction de Marx

Considérons la formule c + v + pl, expression du produit social. Avons-nous là une simple construction théorique, un schéma abstrait, ou cette formule a-t-elle, dans son application à la société tout entière, un sens concret, une existence sociale objective ?

C'est Marx qui a, le premier, montré l'importance fondamentale, en tant que caté­gorie, de c, le capital constant. Mais déjà Smith lui-même, qui ne travaille exclusive­ment qu'avec les catégories capital fixe et capital circulant, transforme en fait et inconsciemment le capital fixe en capital constant, englobant dans cette catégorie non seulement les moyens de production qui s'usent en plusieurs années, mais aussi ceux qui passent entièrement chaque année dans la production  [1]. Son affirmation elle-même, selon laquelle la valeur se résout en v + pl, et les arguments à l'aide desquels il en fait la preuve l'amènent à séparer les deux catégories de conditions de la production, à savoir le travail vivant et tous les moyens de production figés. D'autre part, en essayant de construire le processus de reproduction sociale au moyen des capitaux et revenus privés, ce qui lui reste en qualité de capital « fixe », c'est en réalité, du capital constant.

Chaque capitaliste individuel emploie, pour la fabrication de ses marchandises, un certain nombre de moyens de production : bâtiments, matières premières, instru­ments. Pour la fabrication de la totalité des marchandises, la totalité des moyens de production matériels employés par les différents capitalistes individuels est évidem­ment nécessaire dans la société donnée. L'existence de ces moyens de production dans la société est un fait tout à fait réel, quoiqu'ils n'existent que sous forme de capitaux privés. Ici se manifeste la condition générale absolue de toute production sociale, quelle que soit sa forme historique. Ce qui caractérise la forme capitaliste particulière de cette production, c'est le fait que les moyens de production matériels fonctionnent précisément en tant que c, en tant que capital, c'est-à-dire en tant que propriété de non-travailleurs, en tant que pôle opposé aux forces de travail prolé­tariennes, que contrepartie du travail salarié. Le v, capital variable, est la somme des salaires réellement payés dans la société au cours de la production annuelle. Ce fait, lui aussi, a une importance objective, réelle, quoique celle-ci se manifeste sous forme d'une multitude de salaires individuels. Dans toute société, quelle qu'elle soit, le nombre de forces de travail réellement employées à la production et leur entretien annuel sont des questions d'une importance primordiale. La forme capitaliste particu­lière de cette catégorie, en tant que v, que capital variable, fait que les moyens d'exis­tence des travailleurs leur sont accordés : 1º en tant que salaires, c'est-à-dire en tant que prix de leur force de travail, qu'ils ont vendue, et en tant que capital appartenant à d'autres, aux non-travailleurs, aux possesseurs de moyens de production matériels ; 2º en tant que forme de valeur de leurs moyens d'existence. Le v exprime à la fois que les travailleurs sont « libres », au double sens du mot, c'est-à-dire libres personnelle­ment, et libres de tous moyens de production, et que la production de marchandises est la forme générale de la production dans la société donnée.

Enfin, le pl, plus-value, représente la somme totale de toutes les plus-values obtenues par les différents capitalistes individuels. Dans toute société, on fait du surtravail, et l'on devra en faire également dans la société socialiste. Et cela dans un triple sens : 1º en tant qu'un certain quantum de travail, pour l'entretien des non-travailleurs (éléments inaptes, enfants, vieillards, malades, fonctionnaires, membres des professions dites libérales, qui ne participent pas directement au procès de la production  [2]) ; 2º en tant que fonds d'assurance de la société pour tous les accidents élémentaires qui peuvent avoir pour résultat de réduire la production annuelle (mau­vai­ses récoltes, incendies de forêts, inondations) ; 3º en tant que fonds pour l'élargis­sement de la production, déterminé soit par l'augmentation de la population, soit par l'accroissement culturel des besoins. La forme capitaliste du surtravail se manifeste de deux façons : 1º en ce qu'il a pour but la plus-value, sous la forme de marchandises, et réalisable en argent ; 2º en ce qu'il fait son apparition en tant que propriété de non-travailleurs possesseurs des moyens de production.

Enfin, les deux termes v + pl représentent également une grandeur objective d'une valeur générale : la somme totale de travail vivant réalisée dans la société au cours d'une année. Toute société humaine, quelle qu'elle soit, doit s'intéresser à ce fait, tant par rapport aux résultats obtenus que par rapport aux forces de travail existantes et disponibles. La division en v + pl est, elle aussi, une division générale, indépendante des formes historiques particulières de la société. La forme capitaliste de cette divi­sion ne se manifeste pas seulement dans leurs particularités qualitatives, que nous avons déjà soulignées, mais aussi dans leur rapport qualitatif, en ceci que v a tendance à être réduit au minimum physiologique et social nécessaire à l'existence des travailleurs et que pl a tendance à croître constamment aux dépens de v et par rapport à lui.

Ce dernier fait exprime enfin la caractéristique dominante de la production capi­taliste : le fait que la création et l'appropriation de la plus-value sont le véritable but et le moteur déterminant de cette production.

On voit donc que les rapports qui sont à la base de la formule capitaliste du pro­duit total ont une valeur générale et seront dans tout régime économique organisé l'objet d'une réglementation consciente de la part de la société - de la collectivité des travailleurs et de ses organes démocratiques dans une société communiste, de la clas­se dominante et de son pouvoir despotique dans une société reposant sur la domina­tion de classe. Dans la société capitaliste, il n'y a pas d'organisation méthodique de la production. La totalité des capitaux, comme des marchandises de la société, n'est composée en réalité que d'une somme d'innombrables capitaux et de postes-marchan­dises individuels.

La question se pose donc de savoir si ces sommes, même dans la société capita­liste, n'ont d'autre sens que celui d'une simple énumération statistique, et encore d'un caractère très approximatif. Dans le cadre de la société, il apparaît cependant que l'existence souveraine, indépendante, des entreprises capitalistes privées n'est que la forme historique déterminée, tandis que la liaison sociale est la base. Quoique les capitaux individuels agissent d'une façon complètement indépendante les uns des autres et qu'une réglementation sociale fasse complètement défaut, le mouvement général de tous les capitaux se poursuit comme un seul tout. Ce mouvement général, lui aussi, se manifeste sous des formes spécifiquement capitalistes. Tandis que, dans tout régime de production organisée, la réglementation concerne avant tout le rapport entre l'ensemble du travail réalisé et à réaliser et les moyens de production (c'est-à-dire entre (v + pl) et c) ou entre la somme des moyens de consommation et des moyens de production nécessaires (dans la formule, le même (v + pl) à c), le travail social nécessaire à l'entretien des moyens de production figés comme des forces de travail vivantes est considéré, dans les conditions capitalistes, comme un tout, en tant que capital, auquel s'oppose le surtravail réalisé, la plus-value, pl. Le rapport de ces deux sortes de grandeurs, pl et (c + v), est un rapport réel, objectif, concret, de la société capitaliste, à savoir le taux de profit moyen, pour lequel chaque capital privé n'est effectivement qu'une partie d'un tout commun, le capital social, auquel celui-ci alloue le profit comme la part qui lui revient, conformément à sa grandeur, de la plus-value extorquée dans la société, sans égard à la quantité réellement obtenue par lui. Le capital social et sa contrepartie, la plus-value sociale ne sont donc pas seulement des grandeurs réelles, objectives, mais leur rapport, le profit moyen, dirige et oriente - au moyen du mécanisme de la loi de la valeur - tout le processus de l'échange, c'est-à-dire les rapports d'échange quantitatifs des différentes sortes de marchandises, indé­pendamment de leurs rapports de valeur particuliers, ainsi que la division du travail social, c'est-à-dire la répartition des capitaux et des forces de travail correspondantes entre les différentes branches de production, le développement de la productivité du travail, d'une part, en poussant les capitaux à entreprendre des travaux de pionniers pour s'élever au-dessus du profit moyen, et, d'autre part, en étendant les progrès obtenus par les unes à l'ensemble de la production. En un mot : le capital social domine entièrement, par l'intermédiaire du taux de profit moyen, les mouvements, en apparence indépendants, des capitaux individuels  [3].

La formule c + v + pl concorde par conséquent, non seulement avec la compo­sition de valeur de chaque marchandise, mais aussi avec l'ensemble des marchandises produites dans la société capitaliste. Mais elle se rapporte seulement à la composition de valeur. Au-delà cesse l'analogie.

Cette formule est entièrement exacte si nous voulons analyser en ses différents éléments le produit total d'une société produisant dans des conditions capitalistes en tant que totalité, que produit du travail d'une année. Le terme c nous indique quelle est la quantité de travail passé, réalisé au cours des années précédentes, sous forme de moyens de production, qui a été incorporée au produit de cette année. Les termes v + pl nous indiquent quelle est la partie de valeur du produit qui a été créée exclusi­vement au cours de la dernière année, grâce à un travail nouveau. Enfin, le rapport de v à pl nous indique de quelle façon la quantité du travail annuel de la société se répartit entre I'entretien des travailleurs et celui des non-travailleurs. Cette analyse vaut également pour la reproduction du capital individuel, sans égard à la forme matérielle du produit créé par lui. Pour le capitaliste de l'industrie mécanique, c comme v, comme pl, reviennent indistinctement sous forme de machines ou de parties de machines. Pour son collègue de l'industrie du sucre, c comme v et pl sortent du processus de production sous forme de sucre. Pour le propriétaire d'un café chantant, ils sont représentés par les appâts physiques des danseuses et les « attrac­tions ». Ils ne se différencient l'un de l'autre au sein du produit indistinct qu'en tant que ses différentes parties de valeur. Et cela suffit entièrement pour la reproduction du capital individuel. Car la reproduction du capital individuel commence avec la forme de valeur du capital ; son point de départ est une certaine somme d'argent, provenant de la réalisation du produit fabriqué. La formule c + v + pl est alors la base donnée pour la division de cette somme d'argent en une partie pour l'achat de moyens de production matériels, une autre pour l'achat de la force de travail, et une troisième destinée à la consommation personnelle du capitaliste, au cas où, ainsi que nous le supposons ici, il y a seulement reproduction simple, ou seulement en partie destinée à la consommation et en partie à l'accroissement du capital en cas de reproduction élargie. Il va de soi que pour la reproduction effective, il doit retourner au marché avec le capital argent ainsi partagé, pour y acheter les moyens matériels de production : matières premières, instruments, ainsi que les forces de travail nécessaires. Qu'il trouve effectivement sur le marché les moyens de production et les forces de travail dont il a besoin, cela apparaît tout aussi naturel au capitaliste individuel et à son idéologue, l'économiste vulgaire.

Il en est tout autrement de la production sociale. Du point de vue de la société tout entière, l'échange des marchandises ne peut réaliser qu'un transfert, un déplacement des différentes parties du produit total ; il ne peut modifier en rien sa composition matérielle. Après comme avant ce déplacement, la reproduction du capital social ne peut avoir lieu que s'il y a, dans le produit total sorti de la dernière période de pro­duc­tion : 1º des moyens de production en quantité suffisante ; 2º des moyens de consom­mation suffisants pour l'entretien de l'ancienne quantité de forces de travail ; 3º last not least, les moyens de consommation nécessaires à l'entretien « convenable » de la classe capitaliste et de sa suite. Ici, nous pénétrons dans un domaine nouveau : des purs rapports de valeur nous passons aux points de vue matériels. Il s'agit maintenant de la forme d'usage du produit social. Ce qui est au capitaliste individuel tout à fait indifférent devient, pour l'ensemble des capitalistes, quelque chose d'extrêmement important. Tandis que le capitaliste individuel se moque totalement de la question de savoir si la marchandise qu'il a fabriquée est une machine, du sucre, des engrais arti­ficiels ou une gazette libérale, pourvu qu'il puisse l'écouler afin de retrouver son capital, plus la plus-value, il est d'une énorme importance pour la classe des capita­listes que son produit ait une forme d'usage bien déterminée, et notamment qu'il con­tienne trois choses : 1º des moyens de production pour le renouvellement du proces­sus du travail ; 2º des moyens de consommation simples pour l'entretien de la classe ouvrière ; 3º des moyens de consommation de qualité supérieure, avec le luxe nécessaire, pour l'entretien de la classe capitaliste elle-même. Et même ce désir n'est pas formulé d'une façon générale et vague, mais d'une façon tout à fait précise. Si nous considérons maintenant quelle est l'importance des quantités d'objets de ces trois catégories dont la classe capitaliste a besoin, nous obtenons une évaluation précise - en supposant toujours la reproduction simple que nous prenons comme point de départ - dans la composition de valeur du produit total de la dernière année. La formule c + v + pl, que nous avons considérée jusqu'ici, tant en ce qui concerne l'ensemble du capital social que le capital individuel, comme une simple division quantitative de la valeur totale, c'est-à-dire de la quantité de travail contenue dans le produit annuel de la société, apparaît maintenant également comme la base donnée de la division matérielle du produit. Il est clair que, pour reprendre la production dans les mêmes dimensions que jusqu'alors, la classe capitaliste doit trouver dans son nouveau produit total une quantité de moyens de production correspondant à la grandeur c, une quantité de moyens de consommation simples pour les ouvriers correspondant à la somme des salaires v et une quantité de moyens de consommation de qualité supéri­eure pour elle-même et pour sa suite correspondant à la grandeur pl. La composition de valeur du produit social annuel se traduit par conséquent dans la forme matérielle de ce produit de la façon suivante : pour que la reproduction simple devienne possi­ble, tout le c de la société doit réapparaître sous forme d'une quantité équivalente de moyens de consommation pour les ouvriers, et pl sous forme de moyens de consommation pour les capitalistes.

Nous arrivons ici à une différence manifeste entre les capitalistes individuels et l'ensemble des capitalistes. Le premier reproduit chaque fois son capital constant et variable, ainsi que sa plus-value : 1º les trois parties dans un produit unique de la même forme matérielle; 2º sous une forme quelconque, mais qui diffère chez chaque capitaliste. L'ensemble des capitalistes, par contre, reproduisent chaque partie de valeur de leur produit annuel sous une forme matérielle différente, à savoir : le c en tant que moyens de production, le v en tant que moyens de consommation pour les ouvriers, et le pl en tant que moyens de consommation pour les capitalistes. Pour la reproduction du capital individuel, seuls comptaient les rapports de valeur, en supposant les conditions matérielles comme expression naturelle de l'échange des marchandises. Pour la reproduction du capital social, les rapports de valeur s'unissent aux points de vue matériels. Il est d'ailleurs évident que le capital individuel ne peut avoir de purs points de vue de valeur et considérer les conditions matérielles comme une loi du ciel que dans la mesure où, réciproquement, le capital social tient compte des points de vue matériels. Si tout le c de la société n'était pas reproduit chaque année sous forme de la même quantité de moyens de production, chaque capitaliste individuel aurait beau fouiller le marché avec son c réalisé sous forme d'argent, il ne trouverait pas les conditions matérielles nécessaires à sa reproduction individuelle. Du point de vue de la reproduction, nous n'arrivons par conséquent à rien avec la formule générale c + v + pl pour l'ensemble du capital social, ce qui prouve d'ailleurs une fois de plus que la notion de reproduction représente quelque chose de réel et plus qu'une simple façon différente d'exprimer la notion de production. Nous devons plutôt faire des distinctions de caractère matériel et représenter le capital social, au lieu d'un seul tout, dans ses trois parties principales, ou encore, pour simplifier les choses, étant donné que, théoriquement, cela ne présente aucun inconvénient, en deux sections : en tant que production de moyens de production et en tant que production de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes. Chaque section devra être considérée à part, en observant pour chacune d'elles les conditions fonda­mentales de la production capitaliste. Mais, en même temps, nous devons, du point de vue de la reproduction, souligner les rapports réciproques des deux sections. Car ce n'est, précisément, que considérées dans leurs rapports l'une avec l'autre qu'elles fournissent les bases de la reproduction du capital social, en tant que tout.

C'est ainsi que dans la représentation du capital social et son produit nous consta­tons une certaine modification par rapport au capital individuel. Quantitativement, en tant que grandeur, le c de la société se compose exactement de la somme des capitaux constants individuels. Il en est de même en ce qui concerne les deux autres termes v et pl. Mais la forme sous laquelle ils apparaissent est différente. Tandis que le c des capitaux individuels ressort du procès de production en tant que particule de valeur d'une variété infinie d'objets de consommation, il apparaît dans le produit total pour ainsi dire condensé dans une certaine quantité de moyens de production. Et de même v et pl, lesquels, dans les capitaux individuels réapparaissent en tant que fragments d'un « vrac de marchandises » de la forme la plus variée, sont, dans le produit total, condensés en une quantité déterminée de moyens de consommation pour les ouvriers et les capitalistes. C'est à peu près à cette constatation que s'est heurté Smith dans ses considérations sur la non-concordance des catégories de capital fixe, capital circulant et revenu, suivant qu'on considère le capitaliste individuel et l'ensemble de la société.

Nous sommes donc arrivés aux résultats suivants :

  1. La production de la société, considérée en tant que tout, peut, tout comme celle du capitalisme individuel, être exprimée dans la formule c + v + pl;
  2. La production sociale se divise en deux sections : production de moyens de production et production de moyens de consommation ;
  3. Ces deux sortes de production sont réalisées dans des conditions capitalistes, c'est-à-dire en tant que production de plus-value. Par conséquent, la formule c + v + pl s'applique également à chacune d'elles ;
  4. Ces deux sections s'appuient l'une sur l'autre et doivent par conséquent présenter certains rapports quantitatifs, en ce sens que l'une doit fabriquer tous les moyens de production des deux sections, l'autre tous les moyens de consommation destinés aux ouvriers et aux capitalistes des deux sections.

C'est en partant de ces deux considérations que Marx établit la formule suivante de la reproduction capitaliste  [4] :

I : 4 000 c + 1 000 v + 1 000 pl = 6 000 moyens de production.
II : 2 000 c + 500 v + 500 pl = 3 000 moyens de consommation.

Les chiffres de cette formule expriment des grandeurs de valeur, par conséquent des quantités d'argent qui, quoique arbitraires en soi, sont cependant exactes en ce qui concerne leurs rapports. Les deux sections se distinguent l'une de l'autre par la forme d'usage des marchandises fabriquées. Leur circulation réciproque se fait de la manière suivante : la première section fournit des moyens de production pour toute la produc­tion, par conséquent pour elle-même comme pour la seconde section - d'où il résulte déjà que, pour que la reproduction puisse se poursuivre sans heurts (on suppose toujours la reproduction simple - dans les anciennes dimensions), le produit total de la première section (6 000) doit être égal en valeur à la somme des capitaux constants dans les deux sections (I- 4 000 c + II- 2 000 c) ; la deuxième section fournit des moyens de consommation pour toute la société, par conséquent tant pour ses propres ouvriers et capitalistes que pour ceux de la première section - d'où il résulte que, pour que la consommation et la production et leur renouvellement puissent se poursuivre sans difficultés dans les anciennes dimensions, il est nécessaire que la quantité totale de moyens de consommation fournis par la seconde section soit égale en valeur à la somme des revenus de tous les ouvriers occupés et de tous les capitalistes de la société (ici 3 000 II- = (1000 v + 1000 pl) I- + (500 v + 500 pl) II-).

Nous avons en effet exprimé ici, en rapports de valeur, uniquement ce qui est la base, non seulement de la reproduction capitaliste, mais de toute reproduction, dans quelque société que ce soit. Dans toute société productrice, quelle que soit sa forme sociale - que ce soit dans la petite communauté villageoise primitive des Bakaïris du Brésil, dans la grande exploitation esclavagiste d'un Timon d'Athènes ou dans les domaines impériaux d'un Charlemagne - la quantité de travail disponible de la société doit être répartie de telle sorte que moyens de production et moyens de consommation soient fabriqués en quantité suffisante. Les premiers doivent suffire tant à la fabrica­tion directe de moyens de consommation qu'au renouvellement futur des moyens de production eux-mêmes, et les seconds, à l'entretien des ouvriers occupés à leur fabrication, ainsi qu'à celle des moyens de production, et en plus à l'entretien de tous les non-travailleurs. En ce sens le schéma établi par Marx est, dans ses proportions générales, la base générale absolue de la reproduction sociale, avec cette seule réserve qu'ici le travail socialement nécessaire apparaît comme valeur, les moyens de production comme capital constant, le travail nécessaire à l'entretien des travailleurs comme capital variable, et celui nécessaire à l'entretien des non-travailleurs comme plus-value.

Mais, dans la société capitaliste, la circulation entre les deux grandes sections re­po­se sur l'échange des marchandises, sur l'échange d'équivalents. Les ouvriers et les capitalistes de la section I ne peuvent recevoir de la section II qu'autant de moyens de consommation qu'ils peuvent eux-mêmes lui fournir de leurs propres marchandises, les moyens de production. Mais les besoins en moyens de production de la section Il sont mesurés par l'importance de son capital constant - d'où il résulte, par conséquent, que la somme du capital variable et de la plus-value dans la production des moyens de production [ici (1000 v + 1000 pl) I-] doit être égale au capital constant dans la production des moyens de consommation (ici 2 000 c II-).

Il faut encore faire une remarque importante au sujet du schéma ci-dessus. Le capital constant indiqué de ces deux sections ne représente en réalité qu'une partie du capital constant employé par la société. Ce dernier se divise en capital fixe – bâti­ments, machines, bêtes de somme - qui sert pour plusieurs périodes de production, mais qui, dans chacune, ne s'incorpore dans la production que pour une partie seule­ment de sa valeur (en rapport avec sa propre usure), et en capital circulant - matières premières, combustible, éclairage - qui, dans chaque période de production, s'incor­pore avec toute sa valeur dans le nouveau produit. Mais, pour la reproduction, seule entre en ligne de compte la partie des moyens de production qui s'incorpore vérita­blement dans la production de valeur. L'autre partie du capital fixe, restée en dehors du produit et continuant à fonctionner, doit être assurément tenue en considération, mais peut cependant être laissée de côté dans la représentation exacte de la circulation sociale sans diminuer en quoi que ce soit la justesse de cette représentation. C'est ce qu'il est facile de démontrer.

Posons, par exemple, le capital constant 6 000 c des sections I et II, qui s'incor­pore en fait dans la production annuelle de cette section, comme étant composé de 1 500 c fixe et de 4 500 c circulant, les 1 500 c fixe représentant l'usure annuelle des bâtiments, machines, bêtes de travail, etc. Cette usure annuelle est, disons, égale à 10 % de la valeur totale du capital fixe employé. Nous aurions alors en réalité dans les deux sections, 15 000 c de capital fixe et 4 500 c de capital circulant, soit en tout, par conséquent, 19 500 c + 1 500 v de capital social. Cependant, tout le capital fixe, dont la durée d'existence (en supposant une usure annuelle de 10 %) est de dix ans, ne devra être renouvelé qu'au bout de dix ans. Entre-temps, tous les ans, un dixième de sa valeur s'incorpore dans la production sociale. Si tout le capital fixe de la société s'usait dans la même proportion et avait une même durée d'existence, il devrait - toujours d'après notre supposition - être renouvelé entièrement une fois tous les dix ans. Mais ce n'est pas le cas. Des différentes formes d'usage et parties du capital fixe, les unes durent moins longtemps, les autres plus longtemps ; l'usure et la durée d'existence sont tout à fait différentes suivant les espèces et les formes différentes du capital fixe. Il en résulte que même le renouvellement, la reproduction du capital fixe dans sa forme d'usage concrète n'a pas du tout besoin d'être réalisé en une seule fois dans sa totalité, mais que, constamment, en différents points de la production sociale, un renouvellement de certaines parties du capital fixe a lieu, tandis que d'autres parties continuent à fonctionner sous leur ancienne forme. L'usure de 10 % du capital fixe, que nous avons supposée dans notre exemple, ne signifie donc pas que tous les dix ans une reproduction en une seule fois du capital fixe pour une valeur de 15 000 c doit avoir lieu, mais que tous les ans, en moyenne, le renouvellement et le rempla­cement d'une partie du capital fixe de la société correspondant au dixième de la valeur de ce capital doit avoir lieu, c'est-à-dire que dans la section I, qui doit couvrir les besoins totaux de la société en moyens de production, doit avoir lieu, tous les ans, outre la reproduction de toutes les matières premières du capital circulant, pour une valeur de 4 500, la fabrication des formes d'usage du capital fixe, par conséquent des bâtiments, machines, etc., pour une valeur de 1500, correspondant à l'usure effective du capital fixe, soit en tout 6 000 c, qui ont d'ailleurs été supposées dans le schéma. Si la section I continue à renouveler ainsi tous les ans un dixième du capital fixe, sous sa forme d'usage, il en résultera que, tous les dix ans, tout le capital fixe de la société aura été remplacé entièrement dans toutes ses parties, que, par conséquent, la repro­duction aussi de celles de ses parties que nous avons, d'après leur valeur, laissées de côté, aura été complètement réalisée dans le schéma ci-dessus.

Pratiquement, cela se passe ainsi : chaque capitaliste met de côté sur sa production annuelle, après avoir vendu ses marchandises, une certaine somme d'argent pour l'amortissement du capital fixe. Ces différents décomptes annuels doivent atteindre une certaine hauteur avant que le capitaliste ait effectivement renouvelé son capital, ou l'ait remplacé par d'autres modèles d'un rendement supérieur. Mais cette activité changeante de réserves annuelles de sommes d'argent pour le renouvellement du capi­tal fixe et d'utilisation périodique des sommes ainsi accumulées en vue du renouvelle­ment effectif du capital fixe ne se poursuit pas de la même façon chez tous les capitalistes individuels, de telle sorte que les uns font encore des réserves alors que d'autres procèdent déjà au renouvellement. De cette manière se réalise chaque année le renouvellement d'une partie du capital fixe. Les petites opérations d'argent ne font que masquer ici le phénomène véritable qui caractérise le procès de la reproduction du capital fixe.

Et d'ailleurs, quand on examine les choses de près, c'est tout à fait dans l'ordre. Le capital fixe participe bien dans sa totalité au procès de la production, mais seulement comme une masse d'objets de consommation. Des bâtiments, des machines, des bêtes de somme, sont utilisés, avec toute leur structure matérielle, dans le processus du travail. Cependant ils n'entrent dans la production de valeur - et c'est précisément en cela que consiste leur particularité en tant que capital fixe - que pour une partie seulement de leur valeur. Étant donné que dans le procès de la reproduction (en sup­po­sant toujours la reproduction simple) ce qui importe uniquement, c'est de remplacer dans leur forme naturelle les valeurs effectivement consommées dans la production annuelle, tant en moyens de consommation qu'en moyens de production, le capital fixe n'entre en ligne de compte pour la reproduction que dans la mesure où il est passé effectivement dans les marchandises produites. L'autre partie de valeur incorporée dans toute la forme d'usage du capital fixe a une importance décisive pour la produc­tion, en tant que processus du travail, mais n'existe pas pour la reproduction annuelle de la société en tant que procès de création de valeur.

D'ailleurs, le phénomène qui s'exprime en rapports de valeur vaut également pour toute société, même non productrice de marchandises. Quand, par exemple, pour construire le célèbre lac Mœris, dans l'ancienne Égypte, avec les canaux du Nil s'y rattachant, ce lac merveilleux, dont Hérodote nous dit qu'il a été « creusé avec les mains », il a fallu, disons, dix années de travail de 1 000 fellahs, et pour l'entretien de cette installation d'irrigation, la plus grandiose du monde entier, tous les ans le travail de 100 fellahs (ces chiffres sont, bien entendu, arbitraires), on peut dire que ce lac, avec les canaux, a été refait entièrement tous les cent ans, quoiqu'en réalité il ne l'ait pas été en une seule fois, dans sa totalité. C'est si vrai que lorsqu'à la suite des violentes péripéties de l'histoire politique et des invasions étrangères on assista à cet abandon barbare des vieux travaux d'art (comme celui, par exemple, dont se rendirent coupables les Anglais dans l'Inde), lorsqu'eut disparu toute compréhension pour les besoins de reproduction de la culture antique, alors avec le temps disparut également le lac Mœris, avec l'eau, les digues, les canaux, les deux pyramides au milieu, le colosse pardessus, et autres merveilles, sans laisser la moindre trace, comme s'il n'avait jamais existé. Dix lignes seulement dans Hérodote, une tache sur la carte de Ptolémée, ainsi que quelques traces d'anciennes civilisations et de grandes villes et bourgades témoignent qu'autrefois une vie abondante coulait de cette magnifique ins­tal­lation hydraulique, là où s'étendent aujourd'hui un vaste désert de sable au centre de la Libye et des marais stagnants le long de la côte.

Il y a un cas cependant où le schéma de la reproduction simple de Marx pourrait nous paraître insuffisant ou défectueux du point de vue du capital fixe. C'est quand nous nous reportons à la période de production où tout le capital fixe a été créé pour la première fois. En effet, la société possède, en travail réalisé, plus que la partie du capital fixe qui passe chaque fois dans la valeur du produit annuel et est de nouveau remplacée par lui. Dans les chiffres que nous avons supposés, le capital social se compose, non pas de 6 000 c + 1 500 v, comme dans le schéma, mais de 19 500 c + 1 500 v. Annuellement, sur les 15 000 c, qui, d'après notre supposition, constituent le capital fixe, 1 500 sont bien reproduits sous forme de moyens de production corres­pondants. Mais, chaque année aussi, une quantité égale est consommée dans la même production. Au bout de dix ans, tout le capital fixe est bien renouvelé entièrement en tant que forme d'usage, en tant que somme d'objets. Mais, au bout de dix ans, comme chaque année, la société possède 15 000 c de capital fixe, tandis qu'elle ne produit annuellement que 1 500 c, ou ne possède en tout que 19 500 de capital constant, tan­dis qu'elle ne produit que 6 000 c. Il est évident que cet excédent de 13 500 de capital fixe, elle doit l'avoir créé par son travail ; elle possède en travail passé accumulé plus qu'il ne ressort de notre schéma de reproduction. Chaque journée de travail social annuel s'appuie déjà ici, comme sur une base donnée, sur plusieurs journées annuelles de travail accumulé. Mais cette question du travail passé, base de tout travail actuel, nous transporte au « commencement de tous les commencements », qui ne vaut pas davantage dans le développement économique de l'humanité que dans le développe­ment naturel de la matière. Le schéma de la reproduction n'a pas pour objet de représenter le début du processus social, in statu nascendi; il le prend au milieu même de son cours, comme un anneau dans « la chaîne infinie de l'être ». Le travail passé est toujours la condition du procès de la reproduction sociale, qu'on remonte aussi loin qu'on voudra. Pas plus qu'il n'a de fin, le travail social n'a de commencement. Les origines des bases du procès de la reproduction se perdent dans ces ténèbres légen­daires de l'histoire de la civilisation où se perd également l'histoire de la construction du lac Mœris dont parle Hérodote. Au fur et à mesure du développement technique et du progrès de la civilisation, la forme des moyens de production se modifie : les paléolithes grossiers sont remplacés par des outils de pierre taillée, ces derniers par d'élégants instruments de bronze et de fer, l'outil de l'artisan par la machine à vapeur. Mais, à travers toutes ces transformations dans la forme des moyens de production et des modes de production, la société possède toujours, comme base de son processus de travail, une certaine quantité de travail passé, matérialisé, qui lui sert de base pour la reproduction annuelle.

Dans le mode de production capitaliste, le travail passé de la société, accumulé dans les moyens de production, reçoit la forme de capital, et la question de l'origine du travail passé, qui constitue la base du procès de la reproduction, se transforme en la question de la genèse du capital. Celle-ci est assurément beaucoup moins légen­daire ; elle est inscrite en lettres de sang dans l'histoire des temps modernes, comme constituant le chapitre dit de l'accumulation primitive. Mais le fait même que nous ne pouvons pas nous représenter la reproduction simple autrement que sous condition de travail passé accumulé, dépassant en dimensions le travail réalisé tous les ans pour l'entretien de la société, ce fait touche au point faible de la reproduction simple et montre qu'elle n'est qu'une fiction, non seulement pour la production capitaliste, mais pour le développement culturel en général. Pour pouvoir nous représenter seulement cette fiction même, d'une façon exacte - en schéma -, nous sommes obligés de suppo­ser comme sa condition les résultats d'un processus de production passé, qui lui-même ne pouvait pas être restreint à la reproduction simple, mais tendait déjà à la reproduction élargie. Pour illustrer ce fait à l'aide d'un exemple, nous pouvons compa­rer tout le capital fixe de la société à un chemin de fer. La durée et par conséquent aussi l'usure annuelle des différentes parties du chemin de fer sont très variables. Des parties telles que les viaducs, les tunnels, peuvent durer des siècles, les locomotives des décennies, mais tout le reste du matériel roulant s'usera en très peu de temps, parfois même au bout de quelques mois. Il en résulte une certaine usure moyenne, qui sera, disons, de 30 ans ; autrement dit, il y aura tous les ans une perte de valeur de 1/30 du tout. Cette perte de valeur sera remplacée d'une façon permanente par une reproduction partielle du chemin de fer (qui peut figurer au titre de réparations), en ce sens qu'on renouvellera aujourd'hui un wagon, demain une partie de locomotive, après-demain une certaine longueur de rails. Ainsi, au bout de 30 ans, d'après notre supposition, le vieux chemin de fer sera remplacé par un nouveau, la société effec­tuant bon an mal an la même quantité de travail, ce qui signifie par conséquent qu'il y a reproduction simple. Mais, de cette manière, on peut seulement reproduire le che­min de fer, on ne peut pas le produire. Pour pouvoir l'utiliser et remplacer peu à peu l'usure progressive résultant de l'usage qu'on en fait, il faut que le chemin de fer ait été d'abord entièrement construit en une fois. On peut le réparer, morceau par morceau, mais on ne peut pas le rendre capable de servir morceau par morceau : aujourd'hui un essieu, demain un wagon. Car ce qui caractérise précisément le capital fixe, c'est qu'il passe chaque fois matériellement, en tant que valeur d'usage et dans sa totalité, dans le procès du travail. Par conséquent, pour pouvoir constituer en une fois sa forme d'usage, la société doit concentrer en une fois une grande quantité de travail en vue de sa fabrication. Elle doit - pour employer les chiffres de notre exemple - concentrer, disons, en deux ou trois ans, en vue de la construction du chemin de fer, la quantité de travail dépensée en trente ans pour les réparations. Dans cette période de construction, elle doit par conséquent réaliser une quantité de travail dépassant la moyenne, autrement dit faire appel à la reproduction élargie, après quoi elle pourra - quand le chemin de fer aura été construit - revenir à la reproduction simple. Certes, il ne faut pas se représenter tout le capital fixe de la société comme un vaste objet de consom­mation, ou comme une complexe d'objets de consommation, qui doit toujours être produit en une fois. Mais tous les instruments de travail importants : bâtiments, moyens de transport, installations agricoles, nécessitent pour leur construction une grande dépense de travail concentré, ce qui est aussi vrai du chemin de fer moderne et de l'avion que de la hache de silex et du moulin à bras. D'où il résulte que la reproduc­tion simple en soi ne peut se concevoir autrement que succédant périodiquement à la reproduction élargie, ce qui n'est pas seulement imposé par le progrès de la culture et l'accroissement de la population, en général, mais aussi par la forme économique du capital fixe ou des moyens de production correspondant dans chaque société au capital fixe.

Marx ne s'occupe pas directement de cette contradiction entre la forme du capital fixe et la reproduction simple. Il ne fait que souligner la nécessité d'une «  surproduc­tion » constante, par conséquent d'une reproduction élargie en rapport avec la part d'usure irrégulière du capital fixe, plus ou moins considérable selon les années, ce qui devrait entraîner périodiquement un déficit dans la reproduction, si l'on observait strictement la reproduction simple.

Il considère donc ici la reproduction élargie du point de vue du fonds d'assurance de la société pour le capital fixe, et non pas du point de vue de sa production même  [5].

Sous un tout autre rapport, Marx confirme entièrement, nous semble-t-il, et d'une façon indirecte la conception ci-dessus exposée. En analysant la transformation du revenu en capital, dans le tome Il, 2º partie, des Théories sur la plus-value (Histoire des doctrines économiques), il traite la question de la reproduction particulière du capital fixe, dont le simple remplacement fournit déjà un fonds d'accumulation, et tire les conclusions suivantes .

« Si le capital total employé dans la construction des machines était juste suffisant pour remplacer l'usure annuelle de la machinerie, il produirait beaucoup plus de machines qu'il n'en faut chaque année, parce qu'une partie de l'usure n'existe que théoriquement et ne demande à être remplacée effectivement qu'au bout d'un certain nombre d'années. Le capital employé de la sorte fournit donc chaque année une masse de machines qui rendent possible le placement de nouveaux capitaux et anticipent ces placements. Mettons que le constructeur commence sa fabrication cette année et qu'il produise 12 000 ₤ de machines dans l'année. Pour chacune des onze années qui restent il n'aurait donc, en reproduisant simplement la machinerie qu'il a créée, qu'à produire pour 1 000 ₤, et cette production annuelle ne serait pas même consommée chaque année. Elle le serait encore moins s'il employait tout son capital. Celui-ci ne peut se reproduire annuellement que si la fabrication, qui a besoin de ces machines, s'élargit constamment. A fortiori, quand il accumule lui-même. Même s'il n'y a que simple reproduction du capital placé dans cette sphère de production, il faut donc une accumulation continuelle dans les autres sphères de production  [6]. »

Le constructeur de machines dont parle ici Marx, nous pouvons nous le repré­senter comme la sphère de production du capital fixe de la société. Il en résulte que si l'on observe dans cette sphère la reproduction simple, c'est-à-dire si la société consa­cre annuellement la même quantité de travail à la production du capital fixe (ce qui est pratiquement impossible), elle doit, dans toutes les autres sphères de la produc­tion, procéder chaque année à un élargissement de la production. Mais si elle ne fait qu'observer ici la simple reproduction, elle ne doit dépenser, pour le simple renouvel­le­ment du capital fixe une fois créé, qu'une petite partie du travail employé à sa création. Or, pour employer une formule toute différente, la société doit, de temps en temps, pour pouvoir se procurer de grands investissements de capital fixe, même en supposant la reproduction simple, faire appel à la reproduction élargie.

Au fur et à mesure du progrès de la civilisation se modifient non seulement la forme, mais aussi les dimensions de valeur des moyens de production - ou, plus exactement, le travail social accumulé en eux. La société, en dehors du travail néces­saire à son entretien immédiat, épargne toujours plus de temps et de forces de travail, qu'elle emploie à la production de moyens de production, et cela en quantités de plus en plus considérables. Comment cela se manifeste-t-il dans le procès de la reproduc­tion ? Comment la société crée-t-elle - dans les conditions capitalistes - au moyen de son travail annuel plus de capital qu'elle n'en possédait jusqu'alors ? Cette question nous transporte dans le domaine de la reproduction élargie, dont il nous reste à nous occuper maintenant.


Notes

[1] C'est pour simplifier les choses et dans le sens du langage courant que nous parlons continuellement ici de production annuelle, ce qui n'est exact en réalité que pour l'agriculture. La période de production industrielle et le cycle de transformation du capital n'ont pas du tout besoin de correspondre aux changements d'année.

[2] Dans une société organisée rationnellement, et reposant sur la propriété collective des moyens de production, la division du travail entre travail intellectuel et travail manuel n'a pas besoin d'être liée à des catégories spéciales de la population. Mais elle se manifestera en tout temps par l'existence d'un certain nombre d'hommes occupés à un travail purement intellectuel, et qui devront être entretenus matériellement, ces dIfférentes fonctions pouvant d'ailleurs être remplies à tour de rôle par tous les membres de la société.

[3] « Quand on considère, au point de vue social, le produit total, qui comprend la reproduction du capital social aussi bien que la consommation individuelle, il ne faut pas tomber dans le travers des économistes bourgeois et de Proudhon et croire qu'une société de production capitaliste perd ce caractère économique particulier et historique, du moment qu'on la prend en bloc, comme un tout. C'est tout le contraire. On se trouve alors aux prises avec le capitaliste total. Le capital total apparaît comme le capital par actions de tous les capitalistes individuels réunis. Cette société par actions a ceci de commun avec beaucoup d'autres sociétés par actions que chacun sait ce qu'il apporte à l'association, mais non pas ce qu'il en retire. » (Le Capital, Il. p. 409. Trait. Molitor, VIII, pp. 56-57.)

[4] Le Capital, II, p. 371. Trad. Molitor, VII, pp. 243-244.

[5] Le Capital, Il, p. 443-445. Trad. Molitor, VIII, p. 111 et sq. Voir également sur la nécessité de la reproduction élargie du point de vue du fonds d'assurance en général, I. c., p. 148. Trad. Molitor, VI, p. 47 et suiv.

[6] Trad. Molitor : Histoire des doctrines économiques, tome V, pp. 19-20.


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