1941

Maurice Lime

Cellule 8 – 14e rayon
chapitre 7

1941

7

 

Sans qu'il y ait eu de convocation spéciale, tous les copains actifs du rayon arrivent l'un après l'autre. On savait qu'il allait y avoir une lutte sérieuse.

Assis près de la table, Lucien prend des notes d'après « le matériel » envoyé par le comité régional de Paris ; Gabriel, comme d'habitude assis à son côté, lit un journal du soir déplié en grand.

Un peu à l'écart, les jambes croisées, Serge, le trotskyste, lit lui aussi, ou fait semblant Les camarades en arrivant, lui serrent la main comme aux autres, mais évitent de rester avec lui.

Un seul, l'ouvrier polonais travaillant dans la grande tôle l'entreprend en polonais. Il a toujours été dans « la ligne » lui, et ne risque pas de se compromettre. Les copains savent que c'est sa femme, une stalinienne fanatisée, qui y veille.

Serge, un peu méprisant, l'arrête court en lui répondant en français :

– Si tu veux bien, on verra cela dans la discussion toute à l'heure. Et sans plus il se remet à lire.

Un peu déçu, le « lignard » va rejoindre les autres. Pourtant, il avait des arguments infaillibles à lui opposer ; mais avec un buté, il n'y a rien à faire.

Le « couple » arrive ; mari et femme, ils saluent gentiment les camarades, s'assoient gentiment l'un à côté de l'autre. Ils écouteront avec égale attention tous les orateurs et repartiront après avoir dit gentiment « bonne nuit » à tous.

En les voyant, les copains échangent des sourires; des agneaux égarés. Peu après le responsable de la région, la serviette sous le bras, arrive accompagné d'un des secrétaires du comité régional.

– Oh là  ! Voilà du renfort  ! s'exclame Lucien ironiquement en lui serrant la main. Alors ça va barder  ? Mais je vous avertis, il n'y en aura pas que pour vous. On a un président énergique… Limitation du temps de parole comme pour les autres.

Le secrétaire de la R.P. sourit. On lui avait décrit le responsable de ce rayon comme un « dur » qui ne se laisserait pas faire et en qui les gars avaient une confiance illimitée. L'accueil. était prometteur.

Au nom du bureau, Lucien propose Gabriel comme président de séance ; accepté à l'unanimité, évidemment ; i1 lui passe un papier de ronéo sur lequel est griffonnée d'une large écriture l'ordre du jour :

I.  Situation politique et le 1er août.

II. Le cas Serge.

– Comme nous avons la chance d'avoir aujourd'hui deux responsables du comité régional d'un seul coup avec nous, je demande que l'un d'eux nous fasse le rapport politique, propose Lucien sans sourciller, alors que les copains se poussent du coude. Ça a l'air bon garçon de lui céder la place, mais ça permet d'éviter qu'on vous « tortille » pour un mot malheureux. Il vaut mieux parler après et attaquer sur des choses que l'autre vient de dire, au besoin relever certaines lacunes en leur attribuant un certain sens, que de foncer de l'avant contre un adversaire qui peut se dérober. A force d'avoir été échaudé, Lucien connaît la musique.

D'abord, les responsables de la R.P. se récusent, puis se renvoient la balle; mais pressé par les copains qui s'en font un malin plaisir, le gros est forcé d'y passer.

Il se lève et déballe son dossier. Gabriel sèche ment l'avertit :

– Limitation du temps de parole à vingt minutes.

– Bien, je tâcherai d'être court, mais je demande aux camarades d'être plus sérieux; ce n'est pas en vingt minutes qu'on peut développer les résultats d'un congrès qui a duré plusieurs semaines.

– Une demi-heure alors, accorde Gabriel, parce que tu ne dois pas oublier que nous ne sommes pas des sympathisants. Ici ces questions ont déjà été discutées en plusieurs séances et chacun de nous a le matériel.

Il parle plutôt pour lui, car peu nombreux sont ceux qui, en dehors du journal, lisent quelque chose.

Le gros a un geste de protestation désespérée, mais n'insiste pas. Son exposé est construit sur le type classique « des deux mondes » ; d'une part, le monde capitaliste qui pourrit, d'autre part le monde socialiste qui grandit en U.R.S.S. ; ici la crise qui s'aggrave, là-bas, à travers la réalisation du plan quinquennal en quatre ans, la marche vers plus de bien-être et de liberté.

Pendant que le permanent parle, Lucien s'est installé comme on le fait pour un assez long parcours en métro. Tout ça, il le sait par cœur et l'admet de confiance ; mais il attend le gros aux points autour desquels la bagarre s'est engagée entre l'opposition ouvrière qui s'ignore encore, mais qui sourdement gronde dans la région parisienne, et la direction du parti figée au garde-à-vous devant Moscou; à savoir la soi-disant « radicalisation des masses » par laquelle ils veulent justifier des manifestations de rue et des grèves politiques à jet continu.

L'orateur en arrive au « socialisme dans un seul pays », théorie apparue depuis 2 ou 3 ans à peine et s'attaque vivement à ceux qui, comme le camarade Serge, en nient la possibilité ; même quand ce pays, comme l'U.R.S.S. est pourvu de tout.

Serge, étant mis en cause, l'interrompt et s'adressant à Gabriel :

– Une motion d'ordre ; comme le camarade m'attaque, je demande qu'il aille au fond de la question et que la discussion de mon cas se fasse avec le rapport général ; nous gagnerons du temps.

Tout le monde est d'accord, sauf les permanents. L'attaque ne fait que redoubler. Visiblement, l'orateur veut enfoncer Serge le plus possible, pour que personne n'ose ensuite se servir de ses arguments… Des murmures se font entendre. Si Serge venait de faire une boulette, ce n'était pas une raison pour le mettre plus bas que terre. Le gros, sentant le vent, se hâte de demander l'exclusion, et en arrive enfin à la fameuse « radicalisation ».

Pour démontrer que les masses sont « radicalisées », prêtes à se battre, il fait le tour du monde, parle des grèves en Pologne, des manifestations de chômeurs dans une Allemagne qui se trouve dans une situation prérévolutionnaire, des mutineries anglaises, des mouvements aux Indes.

– Et en France  ? lui lance Bernard.

En France, il y a eu de nombreux débrayages ; les masses marchent en avant vers la révolution et les militants trop timides sont à leur remorque.

Dans l'assemblée courent des sourires moqueurs. Quelqu'un raille :

– Eh  ! Change de disque  !

Bernard, mauvais caractère, explose :

– On attend encore les six orateurs du centre qui devaient venir le 1er Mai prendre la parole devant la grande tôle.

Le responsable s'énerve ; l'autre représentant du comité régional le laisse se débattre sans broncher. A mesure qu'il sent l'auditoire lui échapper, le gros se monte de plus en plus.

– Ce rayon s'est laissé contaminer ; face aux préparatifs de guerre de l'impérialisme français contre la Russie des Soviets, les camarades restés sains doivent profiter de l'effervescence des masses pour préparer la grève politique du 1er août, plutôt que d'écouter ceux qui les démoralisent.

– Personne n'applaudit; ce n'est pas l'habitude dans ce rayon.

– La parole est au camarade Serge.

La figure tragique du petit juif polonais est impassible ; à travers les pogromes, ce type d'homme s'est forgé le courage tenace des oppositions.

« Quel coupeur de cheveux en quatre » pense Lucien ; et à l'expression de la plupart des copains, il voit qu'eux non plus n'ont pas pardonné la mystification du tract ; surtout de la part d'un intellectuel, un type qui ne fout rien, quoi  !

Serge reconnaît volontiers avoir commis un acte déloyal, et demande aux camarades de ne pas lui en vouloir, quelle que soit la position qu'ils prendront vis-à-vis de lui. Sachant que la direction du parti préparait son exclusion pour des propos tenus à la fraction des étudiants, il avait pris les devants et, puisqu'on ne permettait pas une discussion libre dans le parti, il avait considéré comme son devoir de poser devant les ouvriers les problèmes tels que lui et ses amis les voyaient.

La théorie du socialisme dans un seul pays  ? C'est du bluff  ! Du bluff aussi les communiqués sur la réussite du plan quinquennal. Longuement, il cite des chiffres et encore des chiffres. C'est de cette fausse théorie que découle la fausse politique en zigzag, parce qu'au lieu de rechercher la révolution mondiale, la bureaucratie russe ne cherche qu'à protéger ses intérêts extérieurs.

Il sait par expérience qu'il ne convaincra personne ; ces hommes veulent croire, par opposition à ce qu'ils nient ici. Aussi parle-t-il sans entrain, du ton monotone de celui qui accomplirait un rite. Son accent étranger ne fait qu'accentuer le malaise que produit son intervention.

– En Pologne, c'est la police qui fait éditer les œuvres de Trotsky, lui lance le « lignard » indigné d'avoir un pareil compatriote.

– Ce n'est pas prouvé et même cela ne prouverait rien, puisque Lénine s'est bien fait transporter, en pleine guerre, de la Suisse en Russie par les soins de l'impérialisme allemand.

La réponse n'est pas au goût des copains; les interruptions se font de plus en plus fréquentes, et bientôt Serge doit conclure dans le brouhaha général.

– Qui demande la parole  ?

Personne ne bouge. Ils n'osent pas affronter les deux jongleurs de phrases du centre qui sont là à l'affût du moindre mot mal placé. Tous attendent que leur chef de file prenne position. Il sait bien ce qu'ils pensent et le dira mieux qu'eux. Surtout qu'il connaît toutes les ficelles ; mieux vaut le laisser marcher en avant pour indiquer la voie.

Le gros permanent guette ; ce faiseur d'embarras lui a glissé entre les mains en le forçant à faire le rapport, mais maintenant il l'attend au virage.

Pour marquer le coup, et enlever aux bureaucrates la possibilité de l'avoir de ce côté-là, Lucien commence par attaquer Serge. Il s'indigne du manque de loyauté dans l'affaire du tract ; pourtant, dans leur rayon, il y a encore la possibilité de défendre son point de vue sans être immédiatement « classé » comme cela se fait ailleurs. – Et d'un  ! en regardant le permanent –Tout en parlant il s'étonne de sa propre éloquence quand, au nom de la discipline nécessaire, il se déclare d'accord avec l'exclusion de Serge.

Mais ceci dit, il ne faudrait pas nous « faire ça à l'intimidation », en brandissant l'épouvantail trotskyste, vouloir nous empêcher de donner notre point de vue.

Sans avoir la prétention de faire de la haute politique internationale, on peut quand même encore dire ce qu'on pense de la situation en France.

La crise vient, à peine de commencer et les ouvriers ne croient pas que cela durera.. Evidemment, il y a du mécontentement, mais pas suffisamment pour décréter comme ça, assis dans un bureau, que les ouvriers doivent faire la grève politique.

Le gros triomphe :

– Tu défends là la position trotskyste  !

– Trotskyste ou pas trotskyste, je m'en fous ; je regarde si c'est juste ; un point c'est tout  ! pare hargneusement Lucien.

Bernard, content que ça commence à chauffer, tapote le gros sur l'épaule  :

– Mets ça dans ta poche et ton mouchoir par-dessus.

Sentant l'ambiance favorable, Lucien pousse l'attaque :

– Alors tu crois que les ouvriers vont risquer leur place pour une chose à laquelle ils ne croient pas ; l'attaque de l'U.R.S.S. par la France  ?

Mais, camarade Dubois, tu es affecté à une cellule de notre rayon. Qu'as-tu donc réussi à faire dans cette usine  ? Si mes renseignements sont exacts, vous étiez trois à la dernière réunion. Nous verrons pour le 1er août comment sera le débrayage.

Bernard se frotte les mains ; on entend de petits rires étouffés.

Dubois, mouché, proteste contre les attaques personnelles. Lucien termine en disant que, par discipline, ils feront le travail, mais qu'au congrès du parti, il faudra bien tirer la leçon de tous les revers subis.

La parole passe au camarade polonais de la « grande tôle ».

De nouveau il raconte l'histoire des œuvres complètes de Trotsky publiées en Pologne par la police, il demande l'exclusion de Serge, puis conclut qu'au lieu de faire de grandes discussions sur la politique internationale, on ferait mieux de s'atteler un peu plus au travail pratique de propagande et de lutte journalière.

Le camarade Dubois, très digne, opine démonstrativement du bonnet.

– Tiens bon la « ligne » lui lance Bernard gonflé à bloc.

L'autre secrétaire continue à observer. Lucien, intrigué, constate qu'il a gardé, malgré son poste au Centre, une allure prolétarienne. Hommage rendu à contrecœur.

A son tour, Citard part en guerre contre le trotskyste et insinue que, pour pouvoir tirer le tract à sa façon, Serge pourrait bien être pour quelque chose dans le vol de la machine. Sans grand succès.

Voilà que la camarade Yvonne intervient. Son attitude trahit qu'elle n'arrive pas à oublier d'être une femme parmi tant d'hommes.

Néanmoins elle proteste énergiquement contre la qualification de trotskiste appliquée au camarade Lucien; cette méthode de classification arbitraire fait du tort au parti et risque de dégoûter de bons copains. Lucien aurait préféré que ce soit quelqu'un d'autre qui marque ce point.

Une fois de plus, Dubois bat en retraite.

– Je n'ai pas dit qu'il était trotskiste ; j'ai simplement dit qu'il défendait une position trotskiste.

Il perd nettement du terrain. Bernard, qui ne manque pas une occasion, l'apostrophe :

– C'est du « kif ».

Et comme Dubois veut répondre :

– Tu parles toujours, lui reproche-t-il sérieusement.

Enfin le secrétaire de la R.P. se lève.

« C'est pour me faire le coup du père François qu'il a attendu jusqu'à présent » pense Lucien qui se ramasse prêt aux interruptions violentes. Quitte à indisposer certains copains contre lui, il ne laissera pas se créer cette espèce d'envoûtement des militants de base quand un responsable du centre parle. A force d'agressivité et de sarcasmes, il rétablira l'équilibre et forcera l'esprit critique des copains à rester en éveil. Mais, à son grand étonnement, l'autre, après avoir indiqué qu'il n'intervenait qu'en son nom, se contente de faire un « jus » général : la rationalisation qui amène la surproduction et le chômage ; le régime capitaliste moribond veut se sauver par la guerre ; en conclusion : renforcement du travail anti-militariste.

Il bégaie un peu, mais sa voix est prenante ce militant de la première heure regarde d'un bon œil la lutte de ces jeunes contre la bureaucratie qui est en train d'envahir et de pourrir le parti. Loin de se sentir visé, il souhaite vivement que cette opposition s'élargisse et se développe pour pouvoir s'appuyer sur elle. Malheureusement lié par le centralisme, ne pouvant pas dire son opinion, il avait préféré parler à côté du sujet.

Lucien, resté sur ses gardes, se détend ; le gars lui devient subitement sympathique ; il devine vaguement qu'au comité régional aussi la lutte doit être dure et que tous ne sont pas des « béni-oui-oui ».

Se penchant vers Gabriel, il lui glisse à l'oreille :

– L'autre espèce de casserole va le moucharder en haut parce qu'il ne nous a pas sonnés.

L'exclusion de Serge est votée pour indiscipline, et Dubois qui avait voulu glisser dans le vote la motion d'approbation de la « ligne » en est pour ses frais. Serge se lève, et, dans le silence général, s'en va. C'est triste de perdre aussi bêtement un bon copain.


La séance est levée. Les copains s'attardent à discuter, la camarade Yvonne a entrepris le secrétaire de la R.P. Deux autres copains écoutent la discussion, en y mêlant de temps en temps des objections ou des précisions.

Le gros Dubois prend Lucien à part :

– Tu devrais venir nous parler au Centre.

– Pourquoi  ? Encore le tract  ?

– Non, pour une meilleure liaison.

– Oh, tu sais, je n'aime pas beaucoup me frotter aux huiles.

– T'as tort de te buter contre le parti ; tu n'y changeras rien, laisse courir.

– Le parti  ? C'est nous, le parti  ! s'insurge Lucien. La direction, c'est nous qui la nommons, ou plutôt devrions la nommer.

Le gros, devenu conciliant dans la conversation personnelle, concède :

– Mais oui, mais enfin ils ont leurs raisons d'agir ainsi, crois-moi ; t'aurais tout intérêt à te soumettre.

Voulant lui donner une marque de confiance, il ajoute en baissant la voix  :

– Regarde, moi, tu crois que je suis dupe de toutes leurs histoires de radicalisation des masses ; mais mon pauvre vieux, ils n'y croient pas eux-mêmes. Comme ce n'est pas mon affaire de tracer la « ligne », je laisse courir.

Lucien s'indigne d'un pareil cynisme :

– Alors de tout ton beau discours de tout à l'heure, tu n'en crois pas un mot  ?

Regrettant de s'être laissé aller à parler si franchement, Dubois se défend  :

– Alors quoi  ! C'est le boulot  !

Entre futurs collègues, il avait cru inutile de cacher ce que tout le monde savait, convaincu qu'il était que Lucien déclenchait tout ce bruit simplement pour se faire remarquer ; et, en récompense d'une pirouette exécutée au bon moment, se faire agréer plus vite dans l'appareil du parti. Mais maintenant, il lui était devenu évident que cet imbécile mal dégrossi se prenait au sérieux et voulait jouer au « redresseur de torts ».

Connaissant tous les rouages de la machine, il a un sourire compatissant et, comme Lucien continue à s'indigner de son manque de sens des responsabilités, il répond souriant mollement :

– Tu en reviendras.

Lucien hausse les épaules : il souffre de voir des individus pareils responsables du parti ; vivement que vienne la révolution pour les balayer.

Près de l'escalier, Marthe, arrivée vers la fin de la réunion, plaisante avec Gabriel. Lucien se dirige vers eux. Au passage la camarade Yvonne l'arrête par le bras et lui dit, tout animée :

– Notre secrétaire régional cherche du travail comme tourneur  !

– Sans blague.

Après la conversation qu'il vient d'avoir avec Dubois, Lucien est agréablement surpris. Amusé de son étonnement, Werter plaisante :

– Eh oui  ! tu vois qu'il y a des bureaucrates qui n'ont pas peur de reprendre les manivelles.

– Oh  ! ils sont rares  ! Mais pourquoi lâches tu  ? Tu n'es pas d'accord  ?

– Ça ne date pas d'aujourd'hui  ! je veux retourner à la base pour être libre de défendre mon point de vue.

– Très bien ; on va tâcher de te trouver du boulot dans notre coin ; on formera une équipe imbattable.

Ils se serrent la main, deux grosses pattes de bons copains.

Aussitôt que Lucien eut quitté le permanent, Citard était venu trouver ce dernier. Bientôt Lecomte s'était joint à eux. De part et d'autre, les équipes s'organisent : la lutte sera dure.


Au moment de partir, Lucien s'aperçoit que Marthe a disparu avec Gabriel.

« Ils auraient bien pu m'attendre » pense-t-il.

La réunion de ce soir l'avait troublé ; ce n'est pas la coalition Dubois-Citard qui l'inquiétait ; il les méprisait tous deux ; des lavettes. Ce Citard voudrait le dégommer. Qu'il essaye  ! Non que Lucien tienne beaucoup à son poste, mais il ne peut voir le travail du parti à l'abandon ; c'est plus fort que lui, il fonce dedans. Et cela sans la moindre visée personnelle Il veut être un homme, un vrai ; c'est tout. Demain il sera prêt à céder sa place à un plus capable que lui ; mais à ce Citard, jamais  ! Ce serait trahir la cause que la livrer à des mains pareilles.

Pendant qu'il ferme la porte de la cour, la camarade Yvonne, qu'il n'avait pas reconnue dans l'obscurité, l'interpelle :

– Tu m'accompagnes au métro, camarade Lucien  ?

– Si tu veux, c'est presque mon chemin.

Tous deux se dirigent vers la porte de Saint-Cloud, et comme une chose naturelle, elle lui prend le bras. En copains, c'est régulier. Mais enfin, cela lui fait drôle de se balader comme un vulgaire petit-bourgeois, sa légitime au bras. Avec Marthe même, il ne le fait pas.

– Si ça ne te fait rien, je préfère marcher seul, lui dit-il après un moment.

– Oh bien sûr  ! Tu m'excuseras, je ne savais pas que tu craignais de te compromettre.

Elle ne lui est pas antipathique, mais son petit air de toujours vous rappeler qu'elle est femelle, pour ensuite l'oublier trop, l'irrite. Et puis, bien que ce soir elle l'ait défendu, c'est une « lignarde ». Dans un autre rayon, elle filerait le train à la majorité comme ici chez nous. Sans doute s'imagine-t-elle, pour calmer sa conscience, que notre façon de voir est la meilleure façon d'appliquer la « ligne », pense-t-il, railleur.

Malgré sa déclaration de modestie à la réunion, la haute politique le préoccupe, et beaucoup. De plus en plus, il vit cette immense lutte dans laquelle il est, avec orgueil, une molécule agissante.

Si Serge avait raison  ?

Ce n'est pas possible  ! Tous ces vieux révolutionnaires qui dirigent l'Internationale communiste ne peuvent trahir, ce serait la négation de toute leur vie.

La théorie du socialisme dans un seul pays, c'est évidemment une « coupure » ; ils disent cela pour grouper toutes les énergies, jusqu'au moment où il sera possible de déclencher la révolution mondiale.

Mais si l'expérience faisait faillite  ? Les chiffres étaient impressionnants et le petit copain avait bien le courage froid des convictions profondes  !

Eh non, ce n'est pas possible  ? En voilà assez : toutes ces discussions ne servent à rien, sinon à décourager les militants.

Après un court silence, la camarade Yvonne s'était remise à parler ; faisant à elle seule les frais de la conversation. Elle repassait toute la réunion de ce soir. Il se contentait d'approuver distraitement par-ci, par-là.

« Oui, les trotskystes vont trop loin. »

Pourquoi Marthe et Gabriel l'ont-ils laissé seul, ce soir  ? Il aurait tant aimé discuter à cœur ouvert.

Si Serge avait raison  ?

Au carrefour, Lucien s'arrête ; un peu plus loin, les lumières rouges du métro.

– Mon nouvel hôtel est là, à gauche, dit-il.

Elle semble hésiter.

Un taxi tourne ; un moment, ses phares les éclairent. Il distingue son sourire engageant et sa poitrine provocante ; une odeur de femelle monte vers lui.

– T'as encore le temps ? Si tu veux, monte boire une tasse de thé.

C'est en fréquentant les copains de l'émigration bessarabienne, dont toute une colonie s'était fixée dans son ancien hôtel, qu'il avait pris l'habitude de ce breuvage.

Pendant qu'il s'occupe à faire bouillir l'eau, elle inspecte la chambre. Lucien habite seul maintenant. La nécessité de brouiller leur piste, pour se mettre à l'abri d'une arrestation préventive, avait hâté la séparation d'avec Gabriel.

Un peu partout s'empilent des livres, brochures et journaux.

Voyant qu'elle ne sait où mettre sa jaquette, il lui désigne un portemanteau déjà surchargé.

– Accroche ça là-bas.

Elle obéit, un peu suffoquée, rejetant d'un mouvement sec ses cheveux dans la nuque. Malgré la rupture avec son ancien milieu elle garde un penchant pour certaines prévenances, « dues à la femme ». A ses yeux, Lucien vient de manquer aux lois élémentaires de l'hospitalité ; peut-être même, ignorant la liberté d'allures du Quartier Latin, la méprise-t-il d'être venue aussi facilement chez lui la nuit.

L'observant du coin de l'œil, Lucien avait enregistré sa réaction. Il sourit. Pour lui un copain, mâle ou femelle, reste un copain ; pas de raison de faire une place à part à celle-ci. Ce serait retomber dans la galanterie bourgeoise, façon hypocrite de rappeler à la femme qu'elle est la plus faible. La solidarité exige bien l'aide aux faibles, mais cela s'applique aux deux sexes et pour ne pas être humiliante, cette aide doit garder son caractère de solidarité, donc rester limitée au nécessaire. A moins qu'il ne s'agisse d'un service rendu entre copains, à charge de revanche. Pour accrocher sa jaquette, elle n'avait pas besoin de lui.

– Le thé est prêt.

Assis au bord du lit, ils boivent leur thé, elle en levant le petit doigt. La faible clarté de la lampe de travail crée une atmosphère d'intimité.

Elle le regarde à la dérobée. Après tout ce n'est pas de sa faute s'il n'a pas appris les bonnes manières ; il n'est qu'un ouvrier ; et c'est un peu pour permettre à des types aussi sympathiques que lui de se cultiver qu'elle est révolutionnaire.

– Tu le fais bien, approuve-t-elle, parlant du thé, ayant envie de lui dire quelque chose de gentil. Son regard trahit plus qu'elle ne voudrait le trouble qui monte de cette nuit silencieuse vers elle.

Il ne répond pas, mais, après avoir posé leurs tasses, l'attire à lui ; elle cède à moitié.

Sans plus de façons, sa main presse ses seins alors que ses lèvres cherchent les siennes. Un sentiment amer, mêlé de cafard et de rancune, le pousse à la prendre. « Tu veux jouer à la copine, pense-t-il, et tu n'es encore qu'une petite bourgeoise. »

Abrégeant, sa main veut remonter à l'entrejambe, mais là elle lui oppose subitement une résistance tenace. Ayant la force pour lui, il progresse, quand affolée, elle se dégage complètement et se lève avec un cri rauque :

– Non, je ne veux pas  !

Elle va vers la fenêtre et regarde dehors pendant que lui, un peu bête, reste assis sur le lit.

Est-ce du chiqué  ? Appartient-elle à cette faune malfaisante de demi affranchies qui s'amusent à exciter les mâles par des refus  ? Ou bien ne veut-elle réellement pas  ? Si elle n'est venue qu'en camarade chez toi, tu t'es conduit comme un nigaud.

– Excuse-moi, fait-il.

Tournée vers la nuit, Yvonne reste muette. Elle devrait dire dignement, comme les héroïnes de certains romans féministes, offensées dans leur sensibilité : « Je pars », mais il ne la retiendrait même pas. Elle en a assez de sa dignité ; que celles qui y trouvent leur bonheur s'y enferment ; elle voudrait un homme qui la domine, qu'elle pourrait aider dans ses travaux, qui lui donne des gosses et même qui la protège. Pourtant elle n'arrive pas à abdiquer. Elle ne pouvait tout de même pas se laisser culbuter ainsi qu'une boniche. Et puis, il ne l'aime pas.

Une rancune l'envahit contre Lucien pour n'avoir pas su lui rendre possible l'abandon; ou bien ne pas l'avoir imposé par une étreinte brutale. Souvent déjà, elle avait ainsi joué avec un homme, mais cette fois-ci, le fleuve trouble de ses désirs inassouvis qui avait roulé en elle pendant tant de soirées solitaires, vient de déborder. Elle a vingt-cinq ans et n'a pas encore connu l'étreinte de l'homme. A quoi cela lui sert-il d'avoir couru les universités de trois capitales, d'avoir remporté des diplômes, si c'est pour retomber toujours de nouveau dans cette grise et étouffante solitude, clôturée par les convenances  ? Elle s'en veut de s'être effrayée au seuil de l'affranchissement, mais rien ne l'avait préparée au contact de cette sensualité directe et brutale.

Romantiques, fades rêveurs, pourquoi idéaliser l'insatisfaction de votre vie, pourquoi vous raidir en attitudes tragiques, alors que cela peut être si simple.

Elle voudrait pouvoir se retourner et dire à ce Stenka Razine prolétarien de la prendre, d'user de sa force pour résoudre la contradiction entre ses instincts de femelle et sa formation intellectuelle. N'est-ce pas ce qu'elle cherchait, alors qu'elle croyait suivre l'exemple de Vera Figner, l'indomptable nihiliste, luttant pour un idéal social  ?

– Excuse-moi, répète Lucien. La prenant par les épaules, il la fait pivoter lentement. Se méprenant sur l'étrange lueur qui traîne dans ses yeux verdâtres, il ajoute :

– Je ne voulais pas te vexer.

La lumière de la chambre ramène brusquement les choses à leurs proportions mesquines. Voyant Lucien, bon copain, s'empêtrer dans ses excuses, elle rit :

– Ce n'est rien.

« T'en es une drôle » pense celui-ci.

Son orgueil de mâle est égratigné ; craignant en plus de cela d'avoir manqué à l'un de ses principes, le respect de la liberté féminine, il décide de rester sur la réserve. Si elle veut quelque chose, elle le demandera ; comme ça, pas d'histoires. Lucien Levasseur a mieux à faire que de se compliquer l'existence avec les réactions baroques d'une petite femelle déformée par son milieu bourgeois.

– Le pire, c'est que j'ai manqué mon dernier métro, s'exclame-t-elle.

Lucien regarde la montre, ce serait juste pour y arriver. Décidément, elle en veut.

– Dors ici. Parole d'honneur, je ne te toucherai pas, s'empresse-t-il d'ajouter.

– Parole d'honneur  ? demande-t-elle incrédule.

Lucien s'était couché le premier ; la lumière est éteinte ; au contre-jour des becs de gaz de la rue, il voit la camarade Yvonne se dévêtir. Sa chemise formant un voile transparent laisse voir sa croupe dodue et ses seins déjà un peu ballottants. Quand elle se glisse près de lui, elle a la respiration oppressée Résolument, Lucien lui tourne le dos :

– Dormons, il est tard.

La fatigue aidant, il s'endort peu après. Une ou deux fois dans la nuit, il sent dans un demi-sommeil des approches suivies de brusques retraits quand nonchalamment il veut en prendre acte.

Au petit matin, il est debout. En vitesse, il se lave et s'habille pour une distribution de tracts à faire. Elle, encore étendue et fumant une cigarette :

– On entend les voitures toute la nuit, chez toi.

Malicieux, il répond  :

– C'est ta faute. Puis il lui explique où déposer la clef.


– Pour un jour de grève générale, il y a bien monde dehors, grommelle Lucien.

Ses prévisions d'échec se réalisent. Quand il s'agira d'en discuter avec ce Dubois qui défendait le mot d'ordre à fond, Lucien triomphera ; mais pour le moment, il enrage.

– La vie est dure, réplique Gabriel, en se retournant pour voir passer une jeune mère emportant hâtivement son bébé vers la crèche municipale. L'ouvrière presse son trésor contre elle, lui parle, lui sourit et l'embrasse pour toute une longue matinée de séparation. Comprend-elle seulement leur lutte  ?

– La vie sera encore plus dure si tous se soumettent, s'irrite Lucien contre la sentimentalité de son ami ; pourtant il est d'accord avec lui.

Ils vont faire une dernière distribution de tracts ; aujourd'hui personne ne voulait plus s'y risquer.

En arrivant près de l'usine, les tracts dissimulés sous leur veston, ils voient briller de loin les casques de la garde mobile. De l'autre côté de l'entrée, un groupe de sergents de ville. Deux cars et une voiture de police stationnent au coin, alors que les « en civil » dévisagent insolemment les passants, prêts à les faire embarquer. Visiblement, tout l'appareil de répression est mobilisé pour intimider.

Seuls quelques rares ouvriers restent aujourd'hui devant la porte pour prendre un dernier bol d'air avant de s'engouffrer dans les ateliers. Les autres rentrent aussitôt, la présence des mousquetons menaçants les incommode. D'ailleurs, dès qu'ils forment un petit groupe, les agents les invitent brutalement à circuler.

Impossible de faire une distribution de tracts dans de telles conditions. Et demain le matériel sera périme.

Au point où ils en sont, ce serait dangereux pour les deux de retourner ou même d'hésiter. Un tramway s'arrête ; les ouvriers et ouvrières se dirigent vers l'usine. Ils emboîtent le pas.

– Tiens, Mary  !

– Lucien, toi, pas possible  !

Gabriel assiste, un peu éberlué, à la rencontre de ces deux anciens « béguins », comme il s'en lie dans toutes les usines et qui, généralement, se dénouent sans douleur.

– Tu retravailles ici  ?

– Oui, depuis aujourd'hui.

– Pas possible  ! s'exclame-t-elle ravie et étonnée.

Lucien ne lui avait pas dévoilé son activité révolutionnaire ; elle était trop bavarde. Aussi le samedi après-midi, quand sur l'oreiller d'une chambre d'hôtel qu'ils payaient à tour de rôle, elle lui racontait ses misères de l'atelier, l'augmentation de la cadence, l'insolence des chefs, les accidents, elle lui fournissait sans le savoir de la copie pour le journal d'usine. Jamais le moindre scrupule n'avait effleuré Lucien pour l'utilisation de ses confidences ; c'était sa lutte à elle aussi qu'il menait.

Grande fut la stupeur de Mary le jour où dénoncé par un mouchard, son amant fut mis à la porte.

Elle crut à la vengeance d'un chef éconduit, d'autant plus qu'elle ne fut pas inquiétée. Lucien, habitué par son travail de militant à prendre d'infinies précautions, avait réussi à tenir leur liaison secrète.

Gabriel marche à côté d'eux, sans mot dire. Pas moyen de discuter, il faut qu'il suive Lucien dont il a deviné le dessein. Elle l'a déjà mesuré d'un regard, ayant l'air de dire : il pourrait bien nous laisser un peu seuls ton copain  ! Le pauvre Gabriel ne sait plus d'où lui vient son malaise, des flics, ou bien de sa situation fausse d'indiscret forcé vis-à-vis de ce couple.

Arrivés à l'usine, ils s'y engagent sans plus de façon avec la foule des ouvriers de plus en plus dense. Les inspecteurs scrutent au loin; le portier ne les remarque même pas.

– Quand même, t'as été rosse, Lucien ; t'aurais pu me donner de tes nouvelles, depuis.

Souvent il avait pensé à cette jeune femme fraîche et candide, mais pris par son travail de militant, il ne lui avait été guère possible d'en distraire une soirée.

– Ce n'était pas facile.

Coupant court il sort ses tracts, lui en met un en mains.

– A plus tard  !

Sans plus se soucier de Mary qui reste figée d'étonnement, il entraîne Gabriel avec lui. Les ateliers sont encore déserts ; ils déposent des tracts partout, aux étaux, aux tours, à l'intérieur des grands flotteurs d'hydravions en chantier. Après avoir parcouru tout un bâtiment, ils traversent en hâte la cour. Dans l'autre atelier, des carcasses partiellement entoilées d'immenses avions de bombardement voisinent avec de petits modèles de chasse.

Toujours plus nombreux, les ouvriers arrivent des vestiaires ; au passage, ils leur distribuent des tracts. Muets, ceux-ci acceptent. Quelques-uns refusent ; crainte de se compromettre  ? Hostilité  ? Mais personne ne leur barre le chemin. Un gars qui était sans doute venu travailler à contrecœur, lâche une exclamation admirative :

– Ceux-là au moins en ont dans le ventre  !

Dans un subit accès d'espièglerie, Gabriel va déposer le dernier papier sur le bureau d'un chef.

– Vite, presse Lucien, on a juste le temps.

L'usine est située entre deux rues. Ils arrivent à la porte auxiliaire au moment où le portier s'apprête à en fermer le battant.

– Le copain vient me chercher, ma femme est en couches, lui jette Lucien en passant. Ils sont déjà dehors quand l'employé s'avise : « Et le bon de sortie  ? »

– Je n'ai pas encore pointé.

– Ah bon  !

Devant le service d'ordre indifférent, ils disparaissent dans une rue oblique, heureux comme des gosses de l'exploit accompli.


Toute la journée les camarades actifs du rayon avaient assuré une permanence dans l'arrière boutique d'un cordonnier, membre du parti. Des différentes usines, les cellules avaient délégué un des leurs pour faire un rapport. A l'une des entrées de la grande usine, un orateur du Centre avait essayé de prendre la parole ; il avait été aussitôt matraqué et embarqué avec les quelques ouvriers qui tentèrent de le défendre. Sauf cette bagarre, rien ne s'était produit ; le travail avait marché comme les autres jours.

Etat-major sans troupes, le comité maintenait quand même la manifestation « spontanée » fixée pour ce soir dans une fête foraine. Ainsi le parti n'aurait rien à leur reprocher.

Les manèges de la fête tournent, débitant leurs refrains usés. Paisibles, les habitants du quartier viennent faire un tour après la soupe. Trois jeunes filles en robe claire, bras dessus, bras dessous, se promènent comme elles le font chaque soir, dans l'espoir d'être bientôt « embêtées » par les jeunes voyous qui, casquette sur l'oreille, feront semblant de ne pas les voir pour buter contre elles et laisser les mains, par mégarde, à des endroits « qu'il ne faut pas ».

– Papa, je voudrais voir la chenille, insiste un moutard qui ne comprend pas ce que son père peut bien avoir à raconter si longuement à cet homme.

– Oui, on va y aller ; puis, s'adressant de nouveau au copain rencontré par hasard.

– Combien que tu te fais là-bas  ? T'es aux pièces  ?

– Ça va, on se défend ; on arrive à gagner à peu près la même chose qu'au L.M.T. et la cadence est beaucoup moins forte. T'as le temps d'aller de temps en temps aux chiottes en gril1er une.

– Papa, la chenille, revendique de nouveau le moutard d'un ton pleurnichard. Le père s'impatiente :

– Oui, ne sois pas si pressé.

Se tournant vers les femmes qui parlent cuisine, il dit à la sienne : « Tiens, prends-le un peu  ! »

Une fillette, qui, d'un air entendu écoutait la conversation de sa mère, accourt :

– Viens, Cécel, on va aller voir la loterie de sucre. Regarde comme c'est beau. Oh comme c'est beau  ! fait-elle, le soulevant péniblement pour qu'il puisse voir par-dessus des joueurs qui se pressent, la boutique violemment éclairée. « Oh  ! que c'est beau » répète-t-elle, exagérément admirative pour entraîner son adhésion. Mais Cécel boude, il veut que ce soit son papa qui s'occupe de lui.

– Ne te perds pas, crie celui-ci, inquiet, à sa fille.

– Non, papa, on reste ici.

Un groupe de cinq hommes passe ; l'un d'eux s'arrête devant une boutique de tir.

– On est en avance. Si on faisait un carton; ça peut toujours servir de se faire la main.

– Carabines, Messieurs.

– Un pistolet pour moi.

– Pour moi une carabine, vous retournerez le carton, s'il vous plaît.

Les coups claquent ; les autres regardent ; bons tireurs tous les deux.

– A qui le tour  ? encore un, messieurs.

En partant les copains examinent les cartons.

– Pas mal.

– Je fais mieux d'habitude.

– Tu trembles, carcasse, ironise l'un d'eux.

Un autre groupe de cinq les croise. C'est Gabriel et les siens. Ils échangent des coups d'œil complices. Lucien reconnaît Marthe qui semble s'intéresser vivement à un jeune camarade ; c'est Robert, le frère d'Aline. Quand même elle exagère ; à moins que ce soit pour donner le change aux flics.

Le troisième groupe, avec Bernard qui avait échappé de justesse à une rafle faite au restaurant, doit être plus loin. Dans le plan minutieusement établi par le comité, il y en avait dix de prévus ; mais au rendez-vous, à part quelques isolés, seuls les copains désignés comme responsables de groupes étaient venus, sans grande conviction d'ailleurs.

– T'as vu, le service d'ordre est renforcé  !

– Il doit y en avoir un qui en croque parmi nous.

– C'est foutu d'avance.

Quand les trois groupes se retrouvent au grand manège, ils ont en cours de route perdu des copains. Les agents, très nombreux maintenant, échangent des plaisanteries, leur matraque blanche au ceinturon, de l'autre côté le revolver.

Allait-on manifester quand même  ? Lucien se sent la gorge serrée ; c'est pourtant à lui de commencer.

C'est fixé pour 10 heures tapant. Encore une minute. Subitement des tracts fusent en l'air et retombent comme des feuilles mortes sur la foule. C'est Gabriel qui les a lancés à toute volée.

Lucien hurle :

– A bas la guerre  !

Aussitôt les autres reprennent le cri à une cadence nerveuse.

Coups de sifflet stridents ; la police charge. Sans distinction, les matraques s'abattent sur les promeneurs et les manifestants ; la foule prise de panique se disperse en tous sens, se réfugie dans les baraques et dans les cafés. Quelques passants mécontents d'être bousculés résistent. Ils sont assommés et jetés dans l'autocar de la police.

Une femme qui voulait défendre son mari, écroulé sur le pavé entre deux flics, est à son tour abattue d'un coup de matraque et les brutes s'acharnent sur elle à coups de pied.

La charge est passée et les arrêtés s'entassent dans l'autocar. Lucien, qu'un remous des fuyards avait entraîné entre deux roulottes, voit trois flics emmener Bernard, les bras tordus derrière le dos, la veste déchirée; un coup de matraque lui a fendu le cuir chevelu, sa figure est inondée de sang. Au moment où on le pousse dans l'autocar, il se dresse et hurle :

– A bas les gueules de vaches  !

Fou de rage, c'est tout ce qu'il a trouvé à leur jeter à la face. Un forain, furieux de voir la recette de la soirée compromise, se plaint aigrement :

– Qu'est-ce qu'ils ont besoin de venir nous emmerder ici avec leur manifestation  ? On paye notre place, nous; on a besoin de gagner notre vie comme tout le monde. Déjà que les affaires ne vont plus... Bravo la police  !

C'est Félix que l'on emmène.

Lucien, exaspéré, a un réflexe pour se porter au secours de son ami. Comme chaque fois en pareille circonstance, il ressent la honte brûlante de la défaite. Reculer devant ces salauds. Demain le combat souterrain doit continuer. Jusqu'à quand  ? En finir une fois pour toutes avec cette honteuse oppression. Quand enfin viendra-t-on les armes à la main  ?

Brusquement, il se sent empoigné et avant qu'il ait pu esquisser la moindre défense, on lui tord les bras derrière le dos et on le pousse vers l'autocar.

– Faites attention, je suis blessé.

Un des inspecteurs en civil qui viennent de l'arrêter lui donne un coup de pied :

– T'en fais pas, on te soignera.

Quand l'autocar démarre et que le manège recommence à égrener son refrain un moment interrompu, un nouvel arrivé demande :

– Qu'est-ce qu'il y a eu  ?

Une femme en haussant les épaules lui répond :

– Les communistes ont encore provoqué une bagarre.


A travers la lourde porte ferrée, les six prisonniers entassés dans l'étroite cellule entendent le vacarme du poste de police ; les commandements alternent avec les cris stridents et les implorations de ceux qu'on passe à tabac, accompagnés du gros rire excité des flics.

Et chacun des six de se tapir au plus profond de la cellule pour ne pas tomber le premier sous les pattes des tortionnaires qui ouvriraient la porte. Le dos au mur, Lucien se ronge de honte à se sentir trembler. Il a entrevu Bernard assommé, traîné tel une charogne par les pieds et jeté dans une cellule voisine. Quel gars courageux. Quand les flics avaient voulu s'amuser à le tabasser, il avait frappé dans le tas. Ce fut la ruée. Affaissé sans connaissance par terre, les flics s'acharnaient encore sur lui, en visant les parties.

Pourvu qu'il n'en reste pas infirme.

Lucien avait fait le dos rond aux coups reçus en arrivant ; son rôle était de sortir au plus tôt d'ici, pour reprendre son travail dangereux de militant.

« Mais n'est-ce pas ta peur qui te cherche des excuses  ? » Non, pourtant ; il sent qu'il aurait préféré l'attitude de fière résistance, en exemple devant les copains, plutôt que cette soumission humiliante. Par elle, la terreur se décuple et ne le lâche plus. C'est une oppression intolérable de se sentir ainsi livré sans défense à la merci d'ennemis sadiques. Un bandit de droit commun peut au moins avoir l'impression d'être aux mains de la justice ; lui non. Les histoires de la « répression blanche » lui reviennent en mémoire ; tout leur est permis, personne ne leur demandera des comptes. Dans l'obscurité, traversée de cris et de rires, sa peur grandit, fantastique.

Aura-t-il la force de résister à la torture, de ne pas donner les copains  ? Angoisse. S'il faiblissait, il n'aurait plus qu'à se tuer ; jamais plus il ne pourrait regarder en face les camarades. Pourtant il y en a qui ont résisté. Si ceux-là l'ont pu, lui aussi tiendra. Après tout, cela ne peut aller plus loin que la mort. Et les nerfs n'enregistrent la douleur que jusqu'à une certaine limite. Tu tiendras.

Des pas s'arrêtent devant la porte de leur cellule. On vient les chercher pour s'amuser avec eux. Les mâchoires claquent.

Un grincement et la lumière les aveugle. Lucien entend son nom, celui de Félix, et d'un inconnu. Rien à faire, il faut y aller.

– Allons, un peu plus vite là-dedans, gueule le flic et, d'un coup de clef dans le dos, il frappe Félix qui sort le dernier.

– Asseyez-vous là, bande de cons.

Sur le banc d'autres attendent déjà, tête basse. Lucien reconnaît deux copains, mais fait mine de ne pas les voir. Dans les couloirs, les flics stationnent par paquets et se racontent, vantards, leurs exploits du soir.

Assis devant un registre, un brigadier inscrit le résultat des fouilles. Lucien reconnaît parmi les portefeuilles qu'un flic passe au gradé, le sien.

– Tu peux toujours chercher, ma vache, pense-t-il en voyant le brigadier examiner avec minutie le contenu. Comme chaque fois avant une manifestation, il a trié soigneusement le contenu de ses poches.

Un des flics vient s'arrêter devant eux et les provoque :

– Ah  ! Vous vouliez manifester, bande de couillons ; on va vous apprendre à venir nous emmerder.

Il arpente devant eux, cherchant une victime ; pour ne pas exciter la bête, Lucien garde les yeux baissés.

– Vous croyez qu'on n'a rien d'autre à faire que de s'occuper de vous  ?

Et subitement, en rage :

– On travaille, nous aussi.

Et faisant voir ses grosses pattes calleuses, il gueule :

– Regardez ces mains, est-ce que ce sont des mains de fainéants  ?

Fils de paysans, il doit avoir comme passe-temps la culture d'un jardin.

– Mais regardez donc, s'emporte-t-il en fourrant ses mains sous le nez d'un copain qui a un recul peureux.

Il lui lance une gifle.

Troublé dans son travail, le brigadier s'énerve :

– Foutez-moi la paix : vous vous expliquerez après.

Aussitôt, chien couchant, l'agent se retire vers le couloir :

– Bien, chef, je voulais simplement leur donner une petite leçon de savoir-vivre.

De l'étage supérieur on ramène trois prisonniers.

– Alors, qu'est-ce qu'on en fait  ? demande le brigadier.

Deux à relâcher, répond un des flics qui les accompagne, et celui-ci au dépôt pour rébellion.

Lucien ne connaît aucun des trois. L'agent lance avec une hargne moqueuse :

– Aux prochains de ces messieurs.

C'est leur tour ; ils vont leur extorquer des aveux. Lucien serre les dents.

Le commissaire de police, homme très poli, reçoit Lucien, assis derrière un grand bureau, et le fait asseoir en face de lui dans un fauteuil. Au mur, des peintures représentent des paysages ; le commissaire doit être peintre à ses heures.

La transition brusque entre l'atmosphère d'hostilité cruelle du poste et l'allure avenante de cet homme grisonnant dispose Lucien favorablement à son égard. Sa haine du flic se transforme en sympathie d'une intimité presque charnelle. Il a envie de parler à cet homme, auquel il prête, il ne sait trop pourquoi, toutes les qualités, voire même une sympathie avec ses idées.

Mais par la lecture des souvenirs de révolutionnaires, Lucien connaît ce phénomène bizarre. Il sait aussi que de la part du policier, ce n'est qu'une tactique habile pour arriver à surprendre des aveux. La présence d'un scribe enregistrant les questions et les réponses renforce encore sa méfiance.

En vain, sous prétexte de le questionner sur son travail, le commissaire cherche à l'entraîner dans une discussion sur la rationalisation ; Lucien n'y connaît rien. Il avait rendez-vous avec une amie à la fête, ce n'est pas sa faute s'il y a eu des bagarres.

Quand ils redescendent au quart, il entend un des flics qui les accompagne dire à mi-voix à Félix comme pour s'excuser :

– Nous, on est forcé de faire notre métier ; quand vous serez au pouvoir, nous vous servirons de la même façon.

Félix ne répond pas.

– Deux à libérer et celui-ci - il montre l'inconnu - à maintenir pour couteau à cran d'arrêt.

– Aux prochains de ces messieurs.


Tous les cafés sont déjà fermés, on doit être en pleine nuit. Pourtant, ils auraient tant envie de voir des gens civilisés, de discuter avec des amis, de se laver à leur contact des affronts de cette nuit.

Les deux copains s'arrêtent près d'un bec de gaz pour lacer leurs souliers que, pressés par la crainte d'un contrordre, ils n'avaient passés que hâtivement. Leurs affaires empochées pêle-mêle, leur ceinture bouclée, ils avaient signé le registre et pris la porte sans demander leur reste. Félix s'était bien tenu, sans forfanterie, mais aussi sans bassesse. Il rit :

– C'est la première fois que j'y vais pour une raison politique. Devant le commissaire, j'ai fait l'idiot.

– Moi aussi, répond Lucien. C'était la meilleure tactique.

La première joie de la libération passée, la honte de la défaite revient à la surface. Ils s'en veulent de ne pas s'être battus, bien qu'ils sachent que cela aurait été de la folie. Demain le journal du parti aura beau chanter victoire, aussi longtemps qu'ils ne réussiront pas à tenir les flics en échec, ils se sentiront humiliés.

– Pauvre vieux, dit Lucien, en pensant à Bernard.

– Faudrait les faire sauter avec leur sale baraque, propose froidement Félix, et voyant que son ami veut objecter quelque chose, il ajoute flegmatique :

– C'est faisable ; une bonne cartouche de dynamite suffirait ; je sais où en avoir.

Lucien ne répond pas ; il ne les plaindrait pas les salauds, si cela leur arrivait ; mais ce n'est pas une solution. Les gouvernants en trouveront autant qu'ils en voudront pour les remplacer.

Silencieux, ils marchent côte à côte. Maintenant seulement, Lucien s'étonne de ne pas avoir été repéré comme responsable du rayon. Peut-être n'est-ce qu'une mauvaise coordination de la police judiciaire et de la police politique  ? Le faux nom qu'il a pris dès son arrivée dans ce rayon les a peut-être dépistés ; le commissaire se sera contenté d'une vérification de domicile à son nouvel hôtel et de l'interrogatoire ; l'ayant ainsi jugé inoffensif, il l'aura fait relâcher.

Mais cela peut aussi être une manigance de grande envergure dont il ne détermine pas encore le but. Un guet-apens  ? Lucien a l'impression d'être aux prises avec une force invisible qui voudrait jouer avec lui au chat et à la souris. Piano. Il n'est qu'un petit grain ; mais un grain assez dur peut faire gripper la plus puissante machine.

– Tu ne crois pas qu'on était donné, demande Félix, les flics étaient là avant nous.

– Ça se pourrait, répond Lucien, plein de dégoût. Je n'arrive pas à comprendre qu'il y ait des hommes assez salauds pour faire ça.

Après une courte hésitation, Félix se tourne vers lui :

– Je ne voudrais pas que tu croies que je moucharde ; mais ton Citard est une donneuse. J'ai eu affaire à lui dans un musette à cause d'une poule. Il faisait son caïd, tout le monde savait qu'il était « interdit de séjour », mais la police ne lui disait rien. Alors, personne n'osait s'y frotter. Avec moi, il est tombé sur un bec. C'est pour ça que l'autre jour, au restaurant, il a hésité avant de me reconnaître.

– Tu es sûr de ce que tu dis  ?

– Alors, tu vas dire que je divague.

– Bien, écoute : Es-tu prêt à en témoigner devant le bureau du rayon  ?

Lucien s'est animé ; cette fois, il ne lui échappera pas. Et pourtant, est-ce sûr qu'il trahit  ? Combien de fois Citard a passé ses soirées à travailler avec lui pour le parti.

– Qu'est-ce qu'il y fera, ton bureau  ? Si tu veux le souffler, le mieux c'est que ça reste entre nous deux.

– Mon vieux, dans notre parti, un camarade tout seul n'a pas le droit de prendre une pareille responsabilité.

– Comme tu veux, mais je te préviens. Si tu t'attaques de front à la « rousse », tu n'auras pas le dernier mot.


Arrivés dans une petite rue, Lucien s'arrête.

– Je te quitte ici. C'est plus prudent pour moi de ne pas rentrer à mon hôtel pendant quelques jours.

Sans demander d'explications, Félix lui tend la main ; leur amitié est scellée.

– Tu sais où me trouver, fait-il ; enfin après une dernière hésitation : « Prépare ma feuille d'adhésion ».

– C'est entendu, s'empresse d'enregistrer Lucien, tu verras qu'on s'entendra bien.

Ils se séparent à regret.

Après avoir traversé à tâtons un couloir, Lucien arrive dans une cour encombrée de vieilles machines. Un faible rayon de lumière semble filtrer à travers les stores épais d'une fenêtre du premier étage. Est-ce que Marthe serait encore levée  ?

Pour ne pas réveiller les voisins, il approche sur la pointe des pieds, tâte le long du chambranle, trouve la clef et ouvre une petite porte d'arrière-boutique. Soigneusement, il referme en laissant la clef dans la serrure.

Subitement, venant d'en haut, il lui semble entendre une conversation hâtive à voix basse.

Son ancien mari serait-il venu la voir  ? Ce serait désagréable de jouer le trouble-fête. Lucien veut repartir sans plus. « A ma place, pense-t-il en souriant, un petit-bourgeois se serait cru obligé de faire un drame, ou du moins se serait cru blessé dans son honneur, comme si une affection entre un homme et une femme condamnait toutes les autres. » Il n'éprouve même pas la morsure de la jalousie tant il est content d'en être maître.

Mais si elle l'attend  ? Peut-être s'est-il trompé au sujet des voix.

Arrêté au bas de l'escalier, il siffle tout bas le signal convenu. Silence. Ce n'est pas normal. Marthe aurait répondu ; ce ne doit pas être elle qui est là-haut.

A pas de chat, les nerfs tendus, il gravit deux à deux les marches, traverse la cuisine et se trouve en face de Marthe vêtue simplement de son peignoir.

Elle se jette dans ses bras et pleure.

– Allons bon. Qu'est-ce qu'il y a  ? Mais répond donc  !

– Je ne suis pas seule.

– Eh bien, en voilà une affaire  ! Je pars, mais t'aurais pu me répondre quand j'ai sifflé.

– Non, mon Lucien, reste, je t'en prie.

– Pas possible, voyons. Et ton copain, on ne se connaît même pas.

– Oh  ! C'est Gabriel, fait-elle un peu hésitante, pas bien rassurée sur l'effet qu'auront ses paroles.

– Sans blague  !

Il part d'un éclat de rire et, se dégageant d'elle qui tente de le retenir, se dirige vers la chambre d'où vient la lumière.

Dans le grand lit, tenant plus de la moitié de la pièce, Gabriel accoudé, son corps bronzé tranchant sur les draps blancs, attend l'issue de l'explication.

Lucien lui lance un oreiller en riant :

– Tu consolais déjà ma « veuve »  ?

– J'ai fait de mon mieux, riposte Gabriel de même, mais tu lui manquais ; elle n'a fait que parler de toi.

– Eh bien  ! C'est de la fidélité ou je ne m'y connais pas.

– Ne faites pas tant de bruit, gronde Marthe, complètement rassurée. Puis enlaçant Lucien :

– Tu ne m'as pas encore embrassée. Elle ajoute tout bas : Tu n'es pas fâché  ?

Bientôt, couchés tous les trois dans le grand lit, les petites rivalités des mâles dissoutes dans une chaude fraternité, ils se racontent leurs aventures de cette nuit mouvementée.

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