Le 4 juillet, le Gouvernement provisoire, avec le consentement du Comité exécutif du Soviet, autorisa le général Polovtsev , commandant du district militaire de Pétrograd, à nettoyer Pétrograd des bandes armées, à désarmer le Premier Régiment de Mitrailleurs et à occuper le palais Kschéchinskaïa.
A l'aube du 5 juillet, un détachement de soldats se présenta à l'imprimerie de la Pravda. Ils arrivaient trop tard pour attraper Lénine, qui venait de partir pour sa première cachette d'avant Octobre. Les soldats dévastèrent l'atelier de la Pravda et arrêtèrent les ouvriers et les soldats qui y étaient de service.
Pendant la journée, des patrouilles d'officiers, de soldats et de Cosaques entreprirent des opérations de nettoyage. Ils confisquèrent des camions armés et désarmèrent des ouvriers, des soldats et des matelots suspects, qui furent empêchés de se barricader dans les quartiers ouvriers du fait que les ponts sur la Néva avaient été relevés ou mis sous garde renforcée.
Lors d'une réunion de nuit du conseil des ministres, le 6 juillet, il fut résolu que
quiconque, coupable d'inciter des officiers, des soldats ou d'autres rangs militaires en temps de guerre à désobéir aux lois en vigueur sous le nouveau système démocratique dans l'armée et aux ordres des autorités militaires compétentes doit être puni pour haute trahison.1
Ce décret fut suivi par des ordres pour l'arrestation de dirigeants bolcheviks tels que Lénine, Zinoviev et Kaménev , et quelques jours plus tard les dirigeants des mejraïontsy, Trotsky et Lounatcharsky .
Le 7 juillet, le Gouvernement provisoire ordonna la dissolution des unités militaires qui avaient participé aux Journées de Juillet, et leurs troupes redistribuées à la discrétion du ministère de la guerre et de la marine.
Les bolcheviks furent persécutés. Toute la presse bolchevique fut interdite. Des centaines de bolcheviks furent arrêtés, et un certain nombre d'ouvriers abattus. L'intensité de la réaction était telle que même des non-bolcheviks étaient alarmés. Ainsi le menchevik Voïtinsky se souvient :
Le balancier pencha à droite. Des forces réactionnaires qui n'avaient pas participé à la répression des émeutes essayaient désormais de capitaliser sur l'échec de la révolte. Des « comités de vigilance » hantaient la ville, pénétrant dans des appartements privés à la recherche de suspects. L'opinion publique exigeait des mesures draconiennes.2
Avant tout, le nouveau gouvernement poursuivit avec énergie les perquisitions, arrestations, désarmements, et les persécutions de toute espèce qui avaient déjà commencé. (...) Des groupes autonomes d'officiers, de cadets militaires, et, semble-t-il, y compris la jeunesse dorée également, se ruèrent au « secours » du nouveau régime, qui tentait à l'évidence de se présenter comme un « pouvoir fort ».... On ne désarma pas seulement les régiments et bataillons mutinés. Quasiment la plus grande partie de l'attention était consacrée aux districts ouvriers. On y désarma la Garde Rouge ouvrière fut désarmée. D'énormes quantités d'armes furent collectées. (...)
Tout bolchevik qu'on pouvait débusquer était arrêté et emprisonné. Kérensky et ses amis militaires étaient purement et simplement en train d'essayer de les supprimer de la surface de la terre.3
Après avoir détruit les organisations bolcheviques, les contre-révolutionnaires passèrent à l'offensive contre d'autres groupes de la classe ouvrière. Staline décrivait la situation à l'époque :
Après avoir attaqué les bolcheviks ils font maintenant la chasse à tous les partis du Soviet et aux soviets eux-mêmes. Ils brisent les organisations du district menchevik de Pétradskaïa Storona et d'Okhta. Ils brisent les sections syndicales des métallos à Nievskaïa Zastava. Ils font une descente dans une réunion du Soviet de Pétrograd et arrêtent ses membres (le député Sakharov). Ils organisent des groupes spéciaux sur la perspective Nevsky pour traquer les membres du Comité exécutif.4
Des pillages, des violences, et dans certains cas des fusillades se produisaient dans diverses parties de la ville. Ce n'était que dans les quartiers ouvriers que les bolcheviks pouvaient se déplacer en sécurité et librement.
Dans les provinces, les comités agraires subirent des arrestations massives. Le 17 juillet, Tsérételli , ministre de l'intérieur, envoya des instructions pour que soient prises des « mesures rapides et énergiques pour mettre un terme aux actions arbitraires dans le domaine des relations agraires. »5
Le 8 juillet, le général Kornilov , commandant en chef du front sud-ouest, donna l'ordre d'ouvrir le feu des mitrailleuses et de l'artillerie sur les soldats qui reculaient.6 Le 12 juillet, la peine de mort fut rétablie sur le front.7
Comme nous l'avons déjà raconté (voir chapitre 10 ), le 16 juillet Kérensky convoqua au quartier général une conférence des commandants de l'armée, au cours de laquelle une attaque généralisée contre les comités de soldats, les soviets et l'Ordre N° 1 fut lancée par tous les présents, et où Kérensky déclara que sa seule divergence avec les généraux était qu'il pensait que l'attaque devait être menée par étapes et non d'un seul coup (voir chapitre 10). Le 18 juillet, Kornilov devint commandant en chef de toute l'armée russe. Les attaques chauvines des Grands-Russes sur les Ukrainiens et les Finlandais reçurent une stimulation nouvelle (voir chapitre 13). Les directeurs d'usine lancèrent une campagne massive de dissolution des comités d'usine et de lock-outs (voir chapitre 12). Le Congrès du Commerce et de l'Industrie, l'organisation centrale des capitalistes en Russie, déclara le 19 juillet :
Le gouvernement, durant les mois écoulés, a permis l'empoisonnement du peuple russe et de l'armée russe et la destruction de toute discipline, suivant en cela les soviets de députés ouvriers et soldats, qui doivent porter la responsabilité de la honte et de l'humiliation de la Russie et de l'armée russe. Ce n'est que par une rupture radicale, de la part du gouvernement, de la dictature des soviets qui mène à la désintégration... que la Russie peut être sauvée... Si un pouvoir dictatorial est nécessaire pour sauver la patrie, ce pouvoir ne peut être qu'un pouvoir authentiquement national, au dessus des partis et au dessus des classes, issu de l'enthousiasme national.8
V.M. Pourichkévitch, le vieux dirigeant des Cent-Noirs, osa sortir de son trou et, après s'être présenté en disant, « Je suis un monarchiste convaincu, et je ne changerai pas mes convictions », déclara : « Il est nécessaire que le gouvernement soit un gouvernement ; il est nécessaire de le mettre à sa place et de dissoudre le Soviet des Députés Ouvriers et Soldats. »9
Les dirigeants mencheviks et SR rampèrent encore plus, après les Journées de Juillet, qu'ils ne l'avaient fait depuis Février. Comme Lénine l'a exprimé de façon saisissante :
De déchéance en déchéance. Une fois engagés sur la pente d'une entente avec la bourgeoisie, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks glissèrent irrésistiblement et touchèrent le fond. Le 28 février, au Soviet de Pétrograd, ils avaient promis un soutien conditionnel au gouvernement bourgeois. Le 6 mai, ils le sauvaient de la déconfiture et, en acceptant l'offensive, se laissaient transformer en valets et en défenseurs du gouvernement. Le 9 juin, ils s'unissaient à la bourgeoisie contre-révolutionnaire dans sa campagne de haine farouche, de mensonges et de calomnies contre le prolétariat révolutionnaire. Le 19 juin, ils approuvaient la reprise, devenue effective, de la guerre de rapine. Le 3 juillet, ils acceptaient que l'on fît venir les troupes réactionnaires ; ce fut le début de l'abandon définitif du pouvoir aux bonapartistes. De déchéance en déchéance.
La prosternation des conciliateurs devant les capitalistes et les chefs de l'armée n'était pas accidentelle. Après tout, cette attitude est inhérente à la nature de la petite bourgeoisie.
Tout le monde évidemment a observé que les petits patrons se mettent en quatre, font l'impossible pour « parvenir », devenir de vrais patrons, se hausser au niveau du patron « aisé », au niveau de la bourgeoisie. Tant que le capitalisme règne, les petits patrons n'ont que cette alternative : ou devenir eux-mêmes capitalistes (ce qui arrive, dans le meilleur des cas, à un petit patron sur cent), ou passer à l'état de petit patron ruiné, de semi-prolétaire, puis de prolétaire. Il en est de même en politique : la démocratie petite-bourgeoise, notamment ses chefs, s'aligne sur la bourgeoisie. Les chefs de la démocratie petite-bourgeoise bercent les masses de promesses et d'assurances sur la possibilité d'une entente avec les gros capitalistes. En mettant les choses au mieux, ils obtiennent des capitalistes, pour un temps très court et au profit d'une faible couche supérieure des masses laborieuses, de menues concessions. Mais, dans toutes les questions décisives, importantes, la démocratie petite-bourgeoise a toujours été à la remorque de la bourgeoisie dont elle était un appendice impuissant et a toujours été un instrument docile entre les mains des rois de la finance.10
Cela dit, si les conciliateurs faisaient de leur mieux pour satisfaire la droite, ils en avaient aussi une peur mortelle. Les dirigeants mencheviks et S-R auraient été prêts à permettre l'annihilation complète du Parti bolchevik s'ils n'avaient pas craint qu'après s'être occupé des bolcheviks, les officiers, les Cosaques et les héros des Cent-Noirs ne se retournent contre eux. Les cadets, comme les généraux, faisaient de moins en moins mystère de leur désir de balayer non seulement les bolcheviks, mais aussi les soviets. Il suffit de se rappeler les paroles prononcées à la conférence de Stavka le 16 juillet (voir supra). A nouveau, la Retch, le journal cadet, attaqua férocement Tchernov et Tsérételli comme « zimmerwaldistes » et comme « traîtres ». La presse S-R et menchevique avertissait de façon répétée des dangers d'une « contre-révolution ».
Le 17 juillet, tout en interdisant les manifestations de rue, une attaque contre la gauche, Tsérételli mettait également en garde le droite contre les excès : « Le gouvernement ne peut tolérer plus longtemps les démonstrations d'anarchie telles que les coups portés à la révolution pendant les journées des 3 et 5 juillet. »
Cela dit, le Gouvernement provisoire est tout-à-fait conscient du danger dont le pays est menacé du fait de la contre-révolution qui relève la tête dans une tentative de profiter de la discorde interne et des mauvaises passes au front pour ramener le pays en arrière, pour priver les gens des fruits de leur lutte révolutionnaire, et de restaurer le système sous lequel, pour le bénéfice d'une poignée, les intérêts les plus fondamentaux du pays et des larges masses populaires ont été bafoués et trahis.
La répression rigoureuse des menées anarchiques aussi bien que contre-révolutionnaires constitue l'une des tâches les plus importantes du gouvernement.11
Le résultat de l'hésitation, la vacillation des conciliateurs entre Milioukov et Lénine, fut que le travail de répression du bolchevisme fut bâclé.
« Au début de juillet, écrivait dans la suite le libéral Nabokov , il y eut un bref moment où le pouvoir sembla reprendre de l'autorité ; c'était après l'écrasement de la première offensive bolcheviste. Mais le Gouvernement provisoire ne sut pas profiter du moment, et les conditions favorables d'alors ne furent pas utilisées. Elles ne se représentèrent pas. »12
L'aboiement du Gouvernement provisoire contre la gauche révolutionnaire était bien pire que sa morsure. L'hésitation n'est pas la meilleure manière de réussir une contre-révolution.
Considérons par exemple la dissolution des unités militaires qui avaient participé aux manifestations armées de juillet. Le général C.D. Romanovsky, chef de l'état-major, suggéra le plan suivant : les régiments de la garnison de Pétrograd devaient être divisés en trois catégories en fonction de l'intensité de leur implication dans le mouvement de juillet. Dans la première catégorie étaient comprises les unités ayant participé aux manifestations dans leur totalité ou quasi-totalité. Dans ce groupe se trouvait le régiment de Grenadier, les Premier, Troisième, 176ème et 180ème régiments d'Infanterie de Réserve, et le Premier régiment de Mitrailleuses, constituant ensemble le noyau des forces de l'Organisation militaire de la garnison. Ces unités devaient être complètement et définitivement dissoutes, leur personnel (à l'exception de ceux qui étaient en prison) devant être transféré au front. La seconde catégorie comportait les unités dans lesquelles seules des compagnies isolées avaient prit part à la manifestation. Le Moskovsky, le Pavlovsky, le Troisième Fusiliers et le Second Mitrailleuses étaient dans ce cas. Seuls les éléments coupables de ces unités devaient être dissouts. Finalement, la troisième catégorie était composée des unités qui n'avaient pas été engagées activement dans les manifestations, mais qui contenaient des individus coupables. Ce groupe, qui reçut l'ordre de procéder à la purge systématique des éléments subversifs, était formé de tout le reste des régiments de la garnison. Par ce plan, Romanovsky proposait de réduire la garnison de cent mille de ses éléments les moins sûrs.13
La réalisation de ce plan par le gouvernement se fit sans conviction.
La politique de dissolution des régiments non fiables se limita apparemment à l'envoi au front de compagnies de renfort composées des éléments les plus subversifs. Cela semble avoir été en partie parce que transférer cent mille soldats particulièrement rétifs était plus facile à dire qu'à faire – et que naturellement les commandants sur le terrain étaient peu désireux d'accueillir de tels renforts. En tout état de cause, des troupes appartenant au régiment de Grenadiers et aux Premier et 180ème régiments d'Infanterie de Réserve, classés comme « première catégorie », étaient toujours dans la capitale au moment de la Révolution d'Octobre. De même, à l'exception du Premier Régiment de Mitrailleuses, du 180ème d'Infanterie de Réserve et des Grenadiers, il semble que le désarmement proposé des troupes insurgées ne fut jamais mis en œuvre. De plus, aucune mesure punitive significative ne fut prise contre les unités de Kronstadt ou les navires de la flotte de la Baltique.
Egalement non réalisés furent les plans du gouvernement en vue du désarmement des civils. La plupart des usines avaient évidemment suivi une suggestion du Comité central bolchevik en date du 7 juillet et avaient caché leurs armes au lieu de les remettre aux troupes gouvernementales. En plus, des stocks d'armes passèrent entre les mains des ouvriers en provenance de régiments menacés de dissolution.14
En France, d'après Engels, les travailleurs avaient émergé armés de toutes les révolutions : « pour les bourgeois qui se trouvaient au pouvoir, le désarmement des ouvriers était donc le premier devoir. »15 Malheureusement pour la bourgeoisie russe, le prolétariat russe était trop bien organisé et dirigé pour se laisser prendre ses armes!
Presque le même jour où Tsérételli avait fait connaître ses instructions sur les mesures énergiques à prendre contre les activités anarchistes des comités agraires, le gouvernement promulguait un décret limitant la vente des terres.16 Cette demi-mesure tardive fit grincer des dents à la droite.
La principale arme de propagande utilisée contre les bolcheviks après le 5 juillet fut l'accusation portée contre Lénine d'être un agent allemand. Des documents destinés à le « prouver » furent produits : les témoignages d'un certain Ermolenko (ancien agent des services de renseignement) et d'un négociant, Z. Burstein, selon lesquels les révolutionnaires polonais Ganetsky et Kozlovsky avaient conclu des transactions financières avec Parvus , l'ancien révolutionnaire, qui était devenu un ardent défensiste.
Lénine, Zinoviev et Kaménev rejetèrent les accusations dans une lettre publiée par le journal de Gorky , la Novaïa Jizn (la Pravda était interdite) le 11 juillet. Ils firent observer que dès 1915 le journal bolchevik Sotsial-Demokrat avait dénoncé Parvus comme un « renégat léchant les bottes de Hindenburg . » Les auteurs de la lettre proclamaient qu'ils n'avaient « pas reçu un seul kopeck [de Kozlovsky ou de Ganetsky]... ni pour nous personnellement ni pour le parti. » Lénine rejeta aussi Ganetsky comme camarade du parti dans un tract spécial distribué le 6 juillet, dans lequel il affirmait : « Ganetsky et Kozlovsky ne sont pas des bolcheviks, mais des membres du Parti Social-Démocrate Polonais. Les bolcheviks n'ont reçu d'argent ni de Ganetsky ni de Kozlovsky. »
Une des premières décisions que devait prendre Lénine était de savoir s'il devait se présenter devant un tribunal pour se défendre.
Trotsky raconte, dans son autobiographie : « Maintenant, me dit Lénine, ils vont nous fusiller tous. C'est le bon moment pour eux. »17 Après avoir hésité, il décida qu'il ne se laisserait pas emprisonner, mais irait se cacher en compagnie de Zinoviev.
La lettre de l'ancien ministre de la justice Péréverzev, publiée dimanche dans le Novoïé Vrémia, a montré de toute évidence que l' « affaire d'espionnage » visant Lénine et ses co-accusés a été montée de toutes pièces, de propos délibéré, par le parti de la contre-révolution.
Péréverzev reconnaît tout à fait ouvertement avoir formulé contre nous des accusations non vérifiées, afin d'exciter la fureur (sic) des soldats contre notre parti. Voilà ce que reconnaît l'ex-ministre de la justice, un homme qui, hier encore, se disait socialiste! Péréverzev a démissionné. Mais le nouveau ministre de la justice reculera-t-il devant les procédés de Péréverzev et d'Alexinski ? Personne ne saurait l'affirmer.
La bourgeoisie contre-révolutionnaire cherche à monter une nouvelle affaire Dreyfus. Elle ne croit pas plus à de l' « espionnage » de notre part que les chefs de la réaction russe qui montèrent autrefois l'affaire Beylis ne croyaient que les Juifs buvaient le sang des enfants. Il n'y a actuellement, en Russie, aucune garantie de justice.
… Il ne peut être question à l'heure actuelle, en Russie, ni de légalité, ni de garanties constitutionnelles analogues à celles des pays bourgeois bien organisés. Nous livrer aujourd'hui aux autorités, ce serait nous livrer aux Milioukov, aux Alexinski, aux Péréverzev, aux contre-révolutionnaires déchaînés, pour qui toutes les accusations formulées contre nous ne sont qu'un épisode de guerre civile.18
Pour comprendre le sens de l'expression « épisode de guerre civile », il suffit de se rappeler le sort de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg . Lénine savait être prémonitoire.
Beaucoup, parmi les dirigeants de gauche, considéraient que Lénine avait tort de se cacher. Trotsky pensait que la décision était malheureuse.
Il pensait que Lénine n'avait rien à cacher, qu'il avait au contraire tout intérêt à soumettre au public sa version des événements, et qu'il servirait bien mieux sa cause ainsi, qu'en prenant la fuite, puisque sa fuite ne ferait que renforcer les apparences défavorables, sur lesquelles on pourrait le juger. Kaménev partageait l'opinion de Trotsky et décida de se laisser emprisonner.19
Au Sixième Congrès du parti, les 13 et 14 juillet, un certain nombre de délégués exprimèrent le sentiment que Lénine devait sortir de sa cachette, parmi lesquels Volodarsky , Manouilsky et Lachévitch . Manouilsky déclara :
Nous devrions faire du procès de Lénine une affaire Dreyfus. Nous devrions aller au combat à visage découvert... C'est ce qu'exigent les intérêts de la révolution et le prestige de notre parti.20
Malgré tout le congrès adopta une résolution aux termes de laquelle Lénine ne devait pas comparaître devant un tribunal.21
Lénine, en tordant le bâton, était prêt à s'attendre au pire de la part de ses ennemis. Il n'était pas disposé à tomber dans le piège des « illusions constitutionnelles. »
Son attitude était très différente de la façon de penser de quelqu'un comme Soukhanov, qui était convaincu que Lénine n'était pas coupable des accusations lancées contre lui, mais qui ne comprenait pas pourquoi il évitait le tribunal :
Aussi illégitime que soit le tribunal, aussi minimes que soient les garanties de justice – malgré tout Lénine ne risquait absolument rien d'autre qu'une peine d'emprisonnement. (...)
C'était quelque chose de tout-à-fait spécial, sans précédent, et incompréhensible. Tout autre mortel aurait exigé un procès et une enquête même dans les conditions les plus défavorables. Tout autre mortel aurait fait personnellement, avec la plus grande énergie, aux yeux de tous, tout ce qui était possible pour sa réhabilitation... Dans le monde entier, seul Lénine pouvait se comporter de la sorte.22
Beaucoup d'autres auraient fait l'erreur de vouloir jouer la carte de l' « opinion publique », et risqué ainsi leur vie dans cette situation.
Du 6 juillet au 25 octobre, c'est-à-dire jusqu'au jour de la Révolution d'Octobre, Lénine resta caché. Il passa d'abord quelques semaines à faire du camping avec Zinoviev dans la région entourant Pétrograd, et dans une forêt près de Sestroresk. Ils devaient passer la nuit et s'abriter de la pluie dans des meules de paille. Déguisé en pompier, Lénine traversa ensuite la frontière finlandaise dans une locomotive, et se dissimula dans l'appartement d'un chef de police d'Helsingfors, un ancien ouvrier de Pétrograd. Puis il se rapprocha de la frontière russe, séjournant dans la ville finlandaise de Vyborg. A partir de la fin septembre, il vécut secrètement à Pétrograd, et le jour de l'insurrection il se montra au grand jour, après presque quatre mois d'absence.
Le parti bolchevik survécut aux persécutions relativement indemne. Il est exact que certains militants de base furent ébranlés par l'accusation portée contre Lénine. Ainsi, le Comité exécutif de l'organisation bolchevique de la grande usine Metallist, dans l'immense district de Vyborg, passa une résolution accordant un soutien total au soviet et plaçant l'organisation locale du parti sous son contrôle. Il demandait que le Comité central bolchevik et le Comité de Pétersbourg renoncent à toute autorité et se livrent eux-mêmes aux tribunaux pour démontrer que « cent mille ouvriers bolcheviks ne sont pas des agents allemands ». Finalement, la mesure déclarait le comité d'usine indépendant des organisation supérieures du parti jusqu'à ce qu'une conférence puisse élire un nouveau Comité central et un nouveau Comité de Pétersbourg. La résolution fut votée par seize voix contre quatre, avec quatre abstentions.23
Les bolcheviks de Tiflis exprimèrent également leur confiance dans le Comité Exécutif central du soviet, le 7 juillet, et se joignirent aux partis conciliateurs pour protester contre « toute manifestation non autorisée, armée ou non. »24
Le flux des nouvelles adhésions au parti fut sévèrement ralenti et l'humeur des ouvriers de tous les districts était à la dépression, comme le montrent les minutes de la réunion du 10 juillet du Comité de Pétersbourg.25 La calomnie contre Lénine était très efficace auprès des ouvriers n'appartenant pas au parti. Lors de la réunion, un délégué après l'autre disait que des ouvriers quittaient le parti, mais sur une assez faible échelle. Un délégué de Vyborg dit : « Pas de fuite massive du parti. » Les mêmes mots furent répétés par un délégué du Second district de Gorodsky. Un délégué du district de Nerva indiqua : « Les sorties du parti peuvent être considérées comme des cas individuels. »26
Le représentant du district de Nevsky se plaignit que la majorité des ouvriers de sa zone écoutaient les rumeurs et la « presse de boulevard », pendant qu'un délégué du district de Kolpinsky déclarait qu'à partir du moment où les manifestations avaient été brisées, « l'humeur des travailleurs s'est retournée contre nous. » Le représentant du district de Porokhovsky (il faisait partie de six bolcheviks licenciés de son usine à la suite des Journées de Juillet) se plaignit de « calomnies » contre les bolcheviks et du fait qu'ils étaient « surveillés », et caractérisa les travailleurs de son district comme un « marais stagnant. »27 Les bolcheviks firent un score désastreux aux élections municipales du district de Nevsky le 13 août : sur plus de 42.000 suffrages exprimés, ils eurent seulement 4.822 voix, alors que les S-R en obtenaient 31.980.28 Latsis écrivit dans son journal intime :
9 juillet. Dans la ville on a saccagé toutes nos imprimeries. Personne n'ose imprimer nos journaux et nos tracts. Nous recourons au montage d'une typographie clandestine. Le quartier de Vyborg est devenu un refuge pour tous. Ici se sont transportés le Comité de Pétrograd et les membres du Comité central qui sont poursuivis. Dans le local de garde de l'usine Renault le Comité est en conférence avec Lénine. On a posé la question d'une grève générale. Chez nous, au Comité, les voix se sont partagées. J'ai voté pour l'appel à la grève. Lénine, après avoir expliqué la situation, a proposé de renoncer à cette solution... 12 juillet. La contre-révolution est victorieuse. Les soviets impuissants. Les junkers déchaînés tombent déjà même sur les mencheviks. Certains éléments du parti sont hésitants. L'afflux des membres s'est interrompu... Mais, dans nos rangs, il n'y a pas encore de fuites.29
De Kolomna, il fut rapporté au Comité régional bolchevik de Moscou que « après les 3 et 5 juillet il y a eu un désarroi dans les rangs des camarades organisés. Des démissions de l'organisation se sont produites. » A Vyselki il y avait une « ambiance de pogrom. L'organisation était en flammes » ; dans la section lettone, « une scission, quelques uns ont rejoint les mencheviks. »30
A Moscou, il fut rapporté d'un district de la ville : « Nous avions 1.500 membres, dont 560 stables. La calomnie contre Lénine a affecté les travailleurs. »31 Le 15 juillet, il fut rapporté au Comité de Moscou : « Il y a des déserteurs du camp assiégé... 5 % sont partis. »32 Dans le district de Serpoukhov, « 135 membres ont quitté l'organisation. »33
Le 16 juillet, un délégué de Vassili-Ostrov rapporte à la Conférence bolcheviste de la ville que l'état d'esprit dans le district est « dans l'ensemble » plein d'entrain, à l'exception de quelques usines. « A l'usine Baltique, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks nous écrasent ; » En cet endroit, l'affaire fut poussée très loin : le comité d'usine décida que les bolcheviks suivraient les obsèques des Cosaques tués, et l'ordre fut exécuté... Les défections officielles de membres du parti sont, à vrai dire, insignifiantes : dans tout le rayon, sur quatre mille membres, il n'y en eut pas plus de cent à se retirer ouvertement. Mais un bien plus grand nombre, dans les premiers jours, se mit à l'écart sans dire mot. « Les Journées de Juillet - disait par la suite l'ouvrier Minitchev dans ses souvenirs - nous montrèrent qu'il y avait aussi dans nos rangs des individus qui, craignant pour leur peau, 'avalaient' leurs cartes du parti et reniaient celui-ci. Mais ils ne furent pas nombreux... », ajoute-t-il d'un ton rassurant. « Les événements de juillet - écrit Chliapnikov - et toute la campagne de violences et de calomnies qui s'y rattache contre nos organisations interrompirent cette montée de notre influence qui, au début de juillet, avait atteint une vigueur formidable... Notre parti lui-même était dans une demi-légalité et menait une lutte défensive, s'appuyant principalement sur les syndicats et les comités de fabriques ou d'usines. »
L'accusation lancée contre les bolcheviks d'être au service de l'Allemagne ne pouvait pas ne pas produire une impression même sur les ouvriers de Pétrograd, du moins sur une partie considérable d'entre eux. Celui qui hésitait se retira. Celui qui était prêt à adhérer fut pris d'hésitation. Même parmi ceux qui avaient déjà adhéré, un bon nombre reculèrent.34
La situation n'était pas très différente à Moscou. « Les attaques de la presse bourgeoise, » se souvient Piatnitsky , « produisirent une panique même chez certains membres du Comité de Moscou. » L'organisation s'affaiblit numériquement après les Journées de Juillet. « Jamais on n'oubliera, » écrit l'ouvrier moscovite Ratékhine,
un moment terriblement pénible. Le plénum s'assemble (celui du Soviet de Zamoskvorétchié)... Nos camarades bolcheviks, comme je vois, ne sont pas trop nombreux... Tout droit vient sur moi Stékhov, un des camarades énergiques, et, proférant à peine les mots, me demande s'il est vrai que Lénine a été amené avec Zinoviev dans un wagon plombé ; s'il est vrai qu'ils touchent de l'argent allemand ? Mon cœur se serrait douloureusement à entendre de pareilles questions. Un autre camarade s'approche, Konstantinov : « Où est Lénine ? Il s'est envolé, dit-on... Qu'est-ce qui va se passer maintenant ? » Et ainsi de suite.
Cette évocation pleine de vie reflète avec exactitude le vécu des ouvrier avancés de l'époque. « La publication des documents d'Alexinsky [« prouvant » que Lénine était un agent étranger] », écrit l'artilleur de Moscou Davidovsky, « produisit une terrible confusion dans la brigade. Même notre batterie, la plus bolchevique, vacilla sous le coup de ce lâche mensonge... Il semblait que nous eussions tous perdu la foi. »
« Après les Journées de Juillet – écrit V. Iakovléva, qui était alors membre du Comité central et dirigeait le travail dans la vaste province de Moscou – tous les rapports des localités étaient alors unanimes à signaler non seulement une brusque démoralisation dans les masses, mais même une hostilité certaine à l'égard de notre parti. En des cas assez nombreux, on assomma nos orateurs. Le nombre des membres diminua fortement, et certaines de nos organisations cessèrent même tout à fait d'exister, surtout dans le Midi. »35
Dans la période immédiatement postérieure aux Journées de Juillet, l'influence du bolchevisme fut assez gravement diminuée dans certaines localités, mais pas du tout dans d'autres. En général, la réaction parmi les ouvriers et les soldats ne fut ni profonde ni durable. Commençons par citer des faits sur les régions où les bolcheviks furent très touchés :
A Kiev, aux élections municipales du 26 juillet, sur 174.492 suffrages, les bolcheviks obtinrent seulement 9.529 voix (soit 5 %), alors que le bloc SR-mencheviks gagnaient 63.576 voix, les SR ukrainiens 35.238, et les cadets 15.078.36 Aux élections municipales de Vladimir, le 30 juillet, les SR eurent 22 sièges, les mencheviks 10, les cadets 15 et les bolcheviks seulement 6.37
Le même jour à Iaroslav, sur 103 sièges, les SR en obtinrent 35, les mencheviks 34 et les bolcheviks 12.38
Le 10 août, à Odessa, les SR gagnèrent 66 sièges, les cadets 15, le bloc juif, 14, le bloc mencheviks-Bund, 8, les socialistes ukrainiens 5, et les internationalistes et les bolcheviks 3.39 A Samara, le 15 août, dans onze circonscriptions, les SR obtinrent 13.800 voix, les bolcheviks seulement 4.900.40 A Toula, le 30 juillet, le bloc mencheviks-SR obtint 85 sièges, les cadets 7 et les bolcheviks 5.41 Deux jours plus tard, le Soviet des Députés Ouvriers et Soldats de Toula interdit l'agitation bolchevique dans la garnison.42
Cela dit, les choses étaient très différentes dans d'autres parties du pays. Le 26 juillet, à Pétrograd, six mille ouvriers de Poutilov, lors d'un meeting, votèrent à l'unanimité une résolution soutenant les bolcheviks dans leur lutte contre la politique contre-révolutionnaire des dirigeants mencheviks et SR.43 Le 8 août, un rassemblement encore plus important de plus de huit mille ouvriers de Poutilov vota une résolution unanime de soutien au Comité central bolchevik dans son opposition à la Conférence d'Etat de Moscou.44
Le 3 août, lors des élections aux fonds maladie à Novy Lessner et Stary Lessner, les bolcheviks remportèrent 80 % des sièges, les SR, 15 %, et les mencheviks 5 %. Jusque là, les mencheviks avaient eu la majorité. A l'usine téléphonique Erikson, sur 60 sièges, les bolcheviks en obtinrent 38, les SR 14, et les mencheviks 7. A l'usine de Treugolnik, les bolcheviks remportèrent 70 des 100 sièges. Jusque là, les SR y avaient eu la majorité.45
Aux élections municipales de Pétrograd, le 20 août, les bolcheviks obtinrent 184.000 voix, contre 205.000 aux SR, 114.000 aux cadets, et 24.000 aux mencheviks.46
Les SR gardèrent la première place : ils reçurent plus de 200 000 voix, ou 37 % des voix, mais en comparaison avec les élections de mai, ce n'était pas une victoire mais un recul substantiel. Les vainqueurs de Juillet, les cadets, avaient aussi tenu leur terrain depuis les élections de district ; ils obtinrent un cinquième de l'ensemble des suffrages. Notre liste menchevique obtint 23.000 misérables voix. (...) Mais qui était le principal et unique vainqueur ? (...) C'était les bolcheviks, traînés si récemment dans la boue, accusés de trahison et de vénalité, complètement mis en déroute moralement et matériellement, et remplissant encore à ce moment les prisons de la capitale. On aurait pu les croire annihilés pour toujours et qu'ils ne se redresseraient plus. (...) Alors, d'où ressurgissaient-ils ? Quelle fantasmagorie étrange, diabolique, était-ce là ?...47
Dans de nombreux autres centres, à part Pétrograd, les bolchevisme tint bon après les Journées de Juillet. Le 6 août, à Kronstadt, un meeting de 15.000 ouvriers, soldats, matelots et paysans protesta contre l'arrestation des dirigeants bolcheviks, et contre le gouvernement contre-révolutionnaire.48 Le même jour, un meeting de taille comparable, à Helsingfors, vota une résolution unanime contre la politique contre-révolutionnaire du Gouvernement provisoire et en soutien au transfert du pouvoir aux soviets, au contrôle ouvrier de l'industrie, etc.49
Le 6 août, aux élections municipales de Lougansk, les bolcheviks remportèrent 29 sièges sur un total de 75.50 A Reval, le même jour, sur 69.681 suffrages, les bolcheviks en obtinrent 21.648 (soit 31 %), les SR 15.198 (22 %), et les mencheviks 8.273 (12 %).51
A Nijni-Novgorod, à la session du Soviet des députés ouvriers des 3 et 4 août, il y avait 54 SR, 36 mencheviks, 10 bundistes et 28 bolcheviks.52
Aux élections municipales de Tver, le 20 août, sur 36.355 votants les bolcheviks eurent 10.661 voix (soit 29 %).53
Le 27 août, à Ivanovo-Voznessensk, sur 33.709 suffrages, ils en obtinrent 20.164 (60 %).54
Au Second Congrès du Soviet des Députés Ouvriers et Soldats de l'Oural, représentant 505.780 ouvriers et soldats, réuni du 17 au 21 août, la fraction bolchevique était constituée de 77 députés, contre 23 mencheviks défensistes.55
Le Parti bolchevik continuait à aller de l'avant en dépit des persécutions. Il fut raffermi par celles-ci. Lénine trouva dans la calomnie contre le bolchevisme un insigne d'honneur.
Les bolcheviks, surtout, ont eu l'honneur d'expérimenter sur eux-mêmes ces procédés de persécution employés par les impérialistes républicains. D'une façon générale, le bolchevik pourrait s'appliquer à lui-même les paroles bien connues du poète :
Ce n'est pas dans le doux murmure des louanges
Qu'il entend l'approbation,
Mais dans les sauvages cris de fureur
[Nékrassov, Le poète serein]
… car la haine exaspérée de la bourgeoisie est souvent, pour celui que l'on calomnie, traque et poursuit, la meilleure preuve d'une action honnête et juste au service du prolétariat.56
Après le grand changement dans le rapport de force et les événements des Journées de Juillet, Lénine fut prompt à redéfinir le régime politique. Dans un article intitulé Les débuts du bonapartisme, publié dans Rabotchi i Soldat le 29 juillet, il écrivait :
Le ministère Kérensky est incontestablement celui des premiers pas du bonapartisme.
Le principal caractère historique du bonapartisme s'y trouve nettement affirmé : le pouvoir d'Etat, s'appuyant sur la clique militaire (sur les pires éléments de l'armée), louvoie entre deux classes et forces sociales hostiles qui s'équilibrent plus ou moins.57
Le terreau sur lequel le bonapartisme a poussé est celui des tensions sociales extrêmes débouchant sur la guerre civile.
La lutte de classes entre la bourgeoisie et le prolétariat atteint son plus haut degré d'acuité : les 20 et 21 avril, puis du 3 au 5 juillet, le pays a été à un cheveu de la guerre civile. Ce facteur économique et social ne constitue-t-il pas la base classique du bonapartisme ? D'autres, tout à fait connexes, viennent en outre s'y ajouter : la bourgeoisie jette feu et flamme contre les soviets, mais ne peut pas encore les dissoudre d'un seul coup et les soviets, prostitués par les Tsérételli, les Tchernov et consorts, ne peuvent déjà plus opposer à la bourgeoisie une résistance sérieuse.
Les grands propriétaires fonciers et les paysans vivent aussi dans une ambiance de veille de guerre civile : les paysans exigent la terre et la liberté et ne peuvent être bridés – si seulement ils peuvent l'être! — que par un gouvernement bonapartiste capable de prodiguer sans vergogne, à toutes les classes, des promesses dont aucune ne sera tenue.
Ajoutez à cela les défaites militaires provoquées par une offensive aventureuse, avec son cortège de plus en plus nombreux de phrases sur le salut de la patrie (qui voilent en réalité le désir de sauver le programme impérialiste de la bourgeoisie), et vous obtiendrez un tableau complet de la situation politique et sociale qui caractérise le bonapartisme.58
Le bonapartisme n'est pas rendu impossible par l'existence de la démocratie. Bien au contraire :
L'erreur serait très grande de croire que les formes démocratiques excluent le bonapartisme. C'est exactement le contraire ; c'est précisément au sein de la démocratie que naît le bonapartisme (l'histoire de la France l'a confirmé à deux reprises) ; quand certains rapports s'établissent entre les classes et leurs luttes.59
Cela dit, le bonapartisme de Kérensky était très différent de celui de Napoléon 1er ou de son neveu, Napoléon III ; il était bien moins stable et durable.
Le bonapartisme russe de 1917 diffère du bonapartisme français de 1799 et de 1849 à ses débuts par divers aspects, et notamment par le fait que pas un des objectifs fondamentaux de la révolution n'est atteint. La lutte autour des questions agraire et nationale ne fait que s'allumer.60
Le bonapartisme de Kérensky est une caricature.
Kérensky et les cadets contre-révolutionnaires qui se servent de lui comme d'un pion sur l'échiquier ne peuvent ni convoquer l'Assemblée constituante à la date fixée, ni différer sa convocation sans approfondir, dans les deux cas, la révolution. Et la catastrophe provoquée par la prolongation de la guerre impérialiste continue à se rapprocher avec une force et une rapidité bien plus fortes qu'auparavant.
Les détachements d'avant-garde du prolétariat de Russie ont su sortir de nos journées de juin et de juillet sans avoir subi une grande saignée. Le parti du prolétariat a l'entière possibilité de choisir une tactique et une forme d'organisation – ou plusieurs – de telle sorte que les persécutions soudaines (soudaines en apparence) déclenchées par les bonapartistes ne puissent en aucun cas mettre en péril son existence ou l'empêcher de s'adresser directement au peuple.
Que le parti dise hautement et clairement au peuple la vérité sans réticences, qu'il dise que nous assistons aux débuts du bonapartisme ; que le « nouveau » gouvernement Kérensky ; Avksentiev et Cie n'est qu'un paravent derrière lequel se dissimulent les cadets contre-révolutionnaires et la clique militaire, véritables détenteurs du pouvoir ; que le peuple n'aura pas la paix, que les paysans n'auront pas la terre, que les ouvriers n'auront pas la journée de 8 heures, que les affamés n'auront pas de pain sans liquidation complète de la contre-révolution.61
Si l'analyse par Lénine du régime de Kérensky après les Journées de Juillet comme bonapartiste avait eu besoin d'une confirmation, celle-ci fut amplement fournie par la Conférence d'Etat de Moscou. Une démonstration de bonapartisme en un spectacle!
Pour s'assurer le soutien public à sa politique, le Gouvernement provisoire réunit une Conférence d'Etat à Moscou du 12 au 15 août. Celle-ci était conçue comme une conférence consultative à laquelle des représentants de toutes les classes et de toutes les professions étaient conviés pour exprimer leurs opinions. Parmi les 2.414 délégués qui prirent part à ses sessions, les délégations les plus importantes furent celles de membres des quatre doumas tsaristes (488), des coopératives (313), des syndicats (176), des organisations commerciales et industrielles et des banques (150), des municipalités (147), du Comité Exécutif des Soviets Unis de Députés Ouvriers, Soldats et paysans (129), de l'armée et de la marine (117), et des Soviets des Députés Ouvriers, Soldats et Paysans (chacun d'entre eux bénéficiant de 100 places). Un effort fut fait pour équilibrer soigneusement la conférence entre la droite et la gauche. Malgré tout, c'était un symptôme de la réaction d'après juillet que les organisations des classes possédantes se vissent accorder une représentation sans aucune relation avec leur poids spécifique dans la population.
Les bolcheviks décidèrent de boycotter la Conférence. Mais pour faire sentir leur présence ils appelèrent à une grève générale à Moscou, qui fut très suivie, comme les Izvestia devaient l'admettre le 13 août.
La Conférence s'ouvre dans des conditions plutôt inhabituelles. Les tramways ne circulent pas ; les cafés et les restaurants sont fermés. A la réunion d'hier du Soviet, il a été résolu de demander au prolétariat de Moscou de ne pas faire grève ; mais l'attitude du prolétariat de Moscou envers la conférence est si hostile qu'en fin de soirée il y a eu une réunion de la Centrale Syndicale, à laquelle assistaient des délégués de toutes les professions, représentant environ 400.000 prolétaires. La délégation a voté, à la quasi-unanimité, pour la grève.62
De semblables arrêts de travail eurent lieu dans d'autres villes de la province de Moscou, aussi bien que dans des endroits éloignés comme Kiev, Kostroma et Tsaritsyne.
C'était une preuve convaincante, si le besoin s'en était fait sentir, pour les délégués de la Conférence d'Etat que le bolchevisme était bien vivant, même si sa voix ne devait pas être entendue dans la salle de l'opéra où la conférence fut tenue. Le nouvel organe des bolcheviks de Pétrograd, le Prolétarii, réussit avant d'être interdit à poser une question à la conférence : « De Pétrograd à Moscou, mais de Moscou, où irez-vous ? »63
Dans son discours d'ouverture, Kérensky montra clairement qu'il essayait de créer un équilibre entre la droite et la gauche.
Sans désigner directement les bolcheviks, Kérensky commença cependant par essayer de les intimider : de nouvelles tentatives contre le pouvoir « seront nettement réprimées par le fer et dans le sang ». En une tempête d'applaudissements fusionnèrent les deux ailes de la conférence. Une menace ajoutée à l'adresse de Kornilov qui n'était pas encore arrivé. « Quels que soient les ultimatums qui me viendraient de quiconque, je saurai soumettre cet homme à la volonté du pouvoir suprême et à moi qui en suis le chef » — provoqua bien des applaudissements enthousiastes, mais déjà seulement dans la moitié gauche de la conférence.64
A la suite de Kérensky , un certain nombre de discours de l'extrême droite se firent entendre. Le général Kornilov , commandant en chef,
monte à la tribune, salué par un tonnerre prolongé d'applaudissements de toute la salle, à l'exception de l'aile gauche. Tout le public, à l'exception des représentants des Soviets de Députés Ouvriers et Soldats, se lève et applaudit le commandant suprême, qui vient de monter à la tribune. De plus en plus de cris d'indignation se font entendre de différents coins du public, adressés à ceux de la gauche qui restent assis... Des cris fusent : « Goujats! », « Debout! » Personne ne se lève sur les bancs de gauche, d'où on entend un cri : « Larbins! » Le vacarme devient une tempête.65
Kornilov décrit l'anarchie qui règne dans l'armée et les mesures disciplinaires qu'il a prises.
L'armée mène une lutte sans merci contre l'anarchie, et l'anarchie sera brisée... Par toute une série de mesures législatives appliquées après l'insurrection par des gens étrangers à l'esprit et à la compréhension de l'armée, celle-ci a été transformée en une horde démente qui n'a de cher exclusivement que sa vie... Il ne peut pas y avoir d'armée sans discipline. Seule une armée soudée par une discipline de fer, une armée menée par la volonté unique et inflexible de ses chefs, seule une telle armée est capable de remporter la victoire et mérite la victoire... Le prestige des officiers doit être valorisé... Il n'y a pas d'armée sans arrière... Les mesures adoptées au front doivent être également appliquées à l'arrière.66
Le général Kalédine se montra encore plus direct et brutal que Kornilov.
Nous avons souligné les principales mesures qui suivent pour le sauvetage de la patrie : (1) L'armée doit être tenue en dehors de la politique (applaudissements de la droite ; cris : « bravo! ») (Note : Selon Russkoïé Slovo : forte commotion sur la gauche ; cris : « C'est une contre-révolution! » ; le président agite sa clochette)... à la fois dans l'armée et à l'arrière (cris de la droite : « Très bien! » « Bravo! » ; bruits divers sur la gauche), à l'exception des (comités) des soldats de régiments, de compagnies, de batteries et de Cosaques dont les droits et devoirs doivent être strictement limités à la sphère de la routine interne (applaudissements sur la droite ; cris : « Très bien! », « Bravo! ») ; (3) la déclaration des droits des soldats doit être révisée (applaudissements de la droite ; cris « Très bien! » bruits divers à gauche) et se voir ajouter une déclaration de ses devoirs (cris : « Bravo! » « Exact! » ; applaudissements) ; (4) la discipline à l'armée doit être élevée et renforcée par les mesures les plus résolues (bruit ; cris de la droite : « Très bien! ») ; (5) l'arrière et le front sont un tout indivisible garantissant l'efficacité combattante de l'armée, et toutes les mesures nécessaires au renforcement de la discipline au front doivent être également mises en œuvre à l'arrière (cris : « Très bien! » « Bravo! ») ; (6) les droits disciplinaires du personnel de commandement doivent être rétablis (cris de la droite : « Bravo! » « Très bien! » ; tonnerre d'applaudissements, bruits et sifflets de la gauche) ; les chefs de l'armée doivent se voir accorder les pleins pouvoirs (cris de la droite : « Très bien! » ; applaudissement).
A l'heure menaçante de graves épreuves au front et d'un complet effondrement intérieur dû à la désorganisation politique et économique, le pays ne peut être sauvé de la ruine totale que par un gouvernement véritablement fort entre les mains de personnes capables et expérimentées (cris de la droite : « Bravo, bravo! ») qui ne sont pas liées par des programmes étroits de partis ou de groupes (cris de la droite : « Très bien! » ; applaudissements), qui sont libérés de la nécessité de regarder par dessus leur épaule à chaque pas en direction de je ne sais quels comités ou soviets (applaudissements à droite ; cris : « Très bien! »)... Il doit y avoir un pouvoir unique aux niveaux central et local. L'usurpation du pouvoir d'Etat par des comités centraux ou locaux et par les soviets doit immédiatement prendre fin. (Note : Dans Russkoïé Slovo on lit : tempête de protestations de la gauche. Des cris se font entendre : « Dehors! » « Contre-révolutionnaire! » Applaudissements prolongés de la droite).67
Puis vint un discours de la gauche, celui de Tchkhéidzé , président du soviet,
accueilli par les chaleureuses félicitations des gauches. Son apparition à la tribune fut saluée par des acclamations comme « Vive le chef de la révolution russe! » ; applaudissements. « Citoyens : en dépit du fait qu'il vient juste d'être proclamé que les institutions démocratiques doivent être immédiatement abolies – et l'Exécutif central des Soviets de Députés Ouvriers et Soldats et le Comité exécutif des Soviets de Députés Paysans sont de telles organisations – je dois commencer mon discours par un hommage à ces institutions. »68
On dit qu'à la fin de son discours il y eut un « tonnerre d'applaudissements. Les délégués de gauche et une partie de ceux du centre firent une ovation au camarade Tchkhéidzé. »69
Un discours du président de droite du Zemstvo du gouvernement de Moscou fut équilibré par celui d'un représentant de gauche du même Zemstvo.70 Un discours d'un représentant de droite de la marine – le commandant Kallistov71 – fut contrebalancé par celui d'un représentant du Comité central de la Marine, Abramov.72 Abramov s'appliqua à attaquer le général Kalédine :
A l'inverse de la déclaration du général Kalédine au nom des Cosaques, qui contenait les points exigeant l'abolition immédiate des soviets de députés ouvriers et soldats et la dissolution immédiate des organisations de l'armée, nous déclarons que cela ne sera possible que lorsque la marine russe aura cessé d'exister.73
Peu avant la fin de la Conférence se produisit un incident qui manifesta une profonde scission même dans le groupe considéré comme un modèle d'unité et d'esprit étatiste : celui des Cosaques. Nagaïev, jeune officier de ce corps, membre d'une délégation soviétique, déclara que les travailleurs cosaques ne suivraient pas Kalédine : les hommes du front n'avaient point confiance en leur commandement supérieur. C'était vrai et le coup portait sur le point le plus douloureux. Un compte rendu de presse décrit ensuite la plus tumultueuse de toutes les scènes de la Conférence. La gauche applaudit Nagaïev avec transports. Des cris éclatent : « Gloire à la Cosaquerie révolutionnaire! » Protestations indignées de la droite : « Vous en répondrez! » Une voix de la loge des officiers : « Les marks allemands! » Bien qu'inévitables comme dernier argument patriotique, ces mots produisirent l'effet d'une bombe. C'est dans la salle un vacarme infernal. Les délégués des soviets bondissent de leurs places, menacent du poing la loge des officiers. On crie : « Provocateurs! »... La sonnette présidentielle tinte sans arrêt. On dirait que, faute de peu, une bagarre va commencer.74
Dans son discours de clôture, Kérensky fit de son mieux pour arrondir les angles.
N'est-il pas clair pour vous, citoyens, d'après ce que vous avez entendu ici, qu'il est très difficile, parfois presque impossible, de concilier les différents points de vue, les divers intérêts, et d'établir une compréhension commune des choses ? … C'est précisément cela qui constitue l'insupportable difficulté pour ce gouvernement qui honnêtement ne se donne pour buts que cette volonté commune et ces buts communs... Je ne résumerai pas les opinions qui se sont fait entendre ici. Je dois seulement déclarer que tout ce qui a été exprimé ici sera pris en considération par le Gouvernement provisoire comme guide et coordination au nom des intérêts du pays et de sa sauvegarde. (Applaudissements bruyants)... Chacun, selon sa perception et sa conscience, n'a parlé que de l'Etat, de la terre natale, de ses malheurs, et en a appelé seulement à la cause commune, unique, qui est de sauver ce qui nous est profondément cher, qui a pour nous une valeur immense, et qui n'a pas de nom, parce qu'on parle trop souvent de la terre natale.75
« Jamais la duplicité du régime de Février ne s'était élevée à ce degré de fausseté abominable et vaine » (Trotsky). Ne réussissant pas à se maintenir sur le même ton, l'orateur, dans ses dernières périodes, éclate brusquement en un cri mélodramatique de désespoir :
Que mon cœur se pétrifie, que se dessèchent toutes ces fleurs et songeries sur la nature humaine (voix d'en haut : « Il ne faut pas! ») qu'aujourd'hui, du haut de cette tribune, l'on a foulées aux pieds. Il n'y en aura plus! (Voix d'en haut : « Vous ne pouvez pas faire ça, votre cœur ne vous le permettra pas. ») Je jetterai loin de moi les clefs d'un cœur qui aime l'humanité, je penserai seulement à l'Etat.76
Les jours immédiatement consécutifs à la Conférence d'Etat de Moscou prouvèrent à quel point Lénine avait eu raison lorsqu'il disait au début de septembre que le régime bonapartiste de Kérensky était l'instabilité incarnée.
… tous nos efforts doivent tendre, au contraire, à ne pas retarder sur les événements, de façon à pouvoir éclairer au mieux les ouvriers et les travailleurs, au fur et à mesure, sur les modifications de la situation et de la lutte des classes. Car telle est en ce moment la tâche principale du parti : expliquer aux masses que la situation est extrêmement critique, que tout action peut se terminer par une explosion, et qu'un soulèvement prématuré pourrait, par conséquent, faire le plus grand mal. En même temps, la situation critique conduit inéluctablement la classe ouvrière – et peut-être à une allure catastrophique – dans une situation où, par suite d'événements qui ne dépendent pas d'elle, elle se verra obligée d'affronter, en un combat décisif, la bourgeoisie contre-révolutionnaire et de conquérir le pouvoir.77
Notes
1 Browder et Kerensky, vol.3, p.1358.
2 Woytinsky, Stormy Passage: A Personal History Through Two Russian Revolutions to Democracy and Freedom: 1905-1960 , pp.306-07.
4 Stalin, Collected Works, vol.3, p.112.
5 Browder et Kerensky, vol.2, pp.562-63.
6 Colder, p.515.
7 Browder et Kerensky, vol.2, p.982.
8 Browder et Kerensky, vol.3, p.1404.
9 Browder et Kerensky, vol.3, p.1409.
10 Lénine, « Les enseignements de la révolution », Œuvres, vol.25, pp.260-262.
11 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1437-38.
12 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, p.130.
13 Rabinowitch, pp.221-22.
14 Rabinowitch, p.223.
15 Engels, Introduction à La guerre civile en France , de K. Marx, Editions Sociales, 1975, p.15.
16 Browder et Kerensky, vol.2, p.556.
18 Lénine, « Lettre à la rédaction du Prolétarskoïe Diélo », Œuvres, vol.25, pp.196-197.
19 I. Deutscher, Trotsky, Le prophète armé 2, Union Générale d'Editions, pp.47-48.
20 6-й съезд РСДРП(б): Протоколы , p.33.
21 Ibid., p. 270.
23 Известия, 16 juillet ; Rabinowitch, p.220.
24 Suny, p.106.
25 Kudelli, pp.210-16.
26 Sidorov, vol.4, pp.162-63.
27 Kudelli, p.210 ; Rabinowitch, p.219.
28 Koutouzov, vol.3, p.182.
29 Latsis, in Пролетарская Революция, no.5 (17), 1923. [Cité in Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, p.269.]
30 Sidorov, vol.5, pp.58-59.
31 Sidorov, vol.5, p.112.
32 Sidorov, vol.5, p.187.
33 6-й съезд РСДРП(б): Протоколы , p.330.
34 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, pp.269-270.
35 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, p.273.
36 Koutouzov, vol.3, p.16.
37 Koutouzov, vol.3, p.44.
38 Koutouzov, vol.3, p.44.
39 Koutouzov, vol.3, p.155.
40 Koutouzov, vol.3, p.207.
41 Koutouzov, vol.3, p.44.
42 Koutouzov, vol.3, p.71.
43 Koutouzov, vol.3, p.29.
44 Koutouzov, vol.3, p.127.
45 Koutouzov, vol.3, p.79.
46 Koutouzov, vol.3, p.248.
48 Koutouzov, vol.3, p.107.
49 Koutouzov, vol.3, p.107.
50 Koutouzov, vol.3, p.112.
51 Koutouzov, vol.3, p.107.
52 Koutouzov, vol.3, p.85.
53 Koutouzov, vol.3, p.252.
54 Koutouzov, vol.3, p.309.
55 Koutouzov, vol.3, p.226.
56 Lénine, « Un chantage politique », Œuvres, vol.25, pp.282-283.
57 Lénine, « Les débuts du bonapartisme », Œuvres, vol.25, p.241.
58 Ibid.
59 Ibid., p.242.
60 Ibid., p.243.
61 Ibid., p.243-244.
62 Colder, pp.489-90.
63 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, p.166.
64 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, pp.178-179
65 Browder et Kerensky, vol.3, p.1474.
66 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1475-77.
67 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1479-80.
68 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1480-81.
69 Browder et Kerensky, vol.3, p.1488.
70 Browder et Kerensky, vol.3, p.1497.
71 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1501-02.
72 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1504-05.
73 Browder et Kerensky, vol.3, p.1505.
74 Trotsky, Histoire de la révolution russe, 2. Octobre , op cit, p.199.
75 Browder et Kerensky, vol.3, pp.1511, 1514.
76 Browder et Kerensky, vol.3, p.1514.
77 Lénine, « Projet de résolution sur la situation politique actuelle », Œuvres, vol.25, p.343.