1940 |
Source : numéro 31 de Quatrième
Internationale, août-septembre 1946 sous le titre « Le
dernier article de Léon Trotsky », précédé de l'introduction
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Bonapartisme, fascisme et guerre
Dans son article on ne peut plus prétentieux, confus et stupide Dwight Mac Donald essaye de nous attribuer l'idée que le fascisme est simplement une répétition du bonapartisme. Il serait difficile d'inventer une plus grande stupidité. Nous avons analysé le fascisme au fur et à mesure qu'il s'est développé à travers les différentes étapes de son développement, et nous avons mis en avant tantôt l'un, tantôt l'autre de ses aspects. Il y a un élément de bonapartisme dans le fascisme. Sans cet élément, à savoir sans que le pouvoir de l'Etat s'élève au-dessus de la société par suite de l'extrême exacerbation de la lutte des classes, le fascisme n'eût pas été possible. Mais dès le début, nous avons souligné que c'était avant tout une question de bonapartisme de l'époque du déclin impérialiste qui diffère qualitativement du bonapartisme de l'époque de montée de la bourgeoisie. A une étape ultérieure, nous avons distingué le bonapartisme pur en tant que prologue du régime fasciste. Car dans le cas du bonapartisme pur le règne d'un monarque est approximatif et... en Italie...
La situation, dans l'Italie d'après-guerre, était profondément révolutionnaire. Le prolétariat avait toutes les possibilités...
Les ministères de Brüning, Schleicher et la présidence de Hindenburg en Allemagne, le gouvernement de Pétain en France, mais ils se sont tous avérés, ou doivent s'avérer instables. Dans l'époque du déclin impérialiste, un bonapartisme purement bonapartiste est absolument inadéquat ; l'impérialisme trouve indispensable de mobiliser la petite bourgeoisie et d'écraser le prolétariat sous le poids de celle-ci. L'impérialisme n'est capable d'accomplir cette tâche que lorsque le prolétariat lui-même montre son incapacité à conquérir le pouvoir, pendant que la crise sociale pousse au paroxysme la petite bourgeoisie.
L'acuité de la crise sociale provient de ce que, par suite de la concentration actuelle des moyens de production, c'est-à-dire le monopole des trusts, la loi de la valeur, le marché est déjà incapable d'équilibrer les rapports économiques. L'intervention de l'Etat devient une nécessité absolue. Dans la mesure où le prolétariat...
La guerre actuelle comme nous l'avons déclaré à plusieurs reprises, est une continuation de la dernière guerre. Mais continuation ne signifie pas répétition. En règle générale, une continuation signifie un développement, un approfondissement, une accentuation. Notre politique, la politique du prolétariat révolutionnaire vis-à-vis de la seconde guerre impérialiste, est une continuation de la politique élaborée essentiellement sous la direction de Lénine durant la dernière guerre impérialiste. Mais continuation ne signifie pas répétition. Dans ce cas également, une continuation signifie un développement, un approfondissement et une accentuation.
Pendant la dernière guerre, non seulement le prolétariat en général mais également son avant-garde et, dans une certaine mesure, l'avant-garde de cette avant-garde furent pris au dépourvu.
L'élaboration des principes d'une politique révolutionnaire vis-à-vis de la guerre commença à une époque où la guerre embrasait déjà le monde de toutes parts et où l'appareil militaire commandait sans partage. Un an après le déclenchement de la guerre, la petite minorité révolutionnaire était encore obligée de s'adapter à une majorité centriste lors de la Conférence de Zimmerwald. Avant la révolution de février et même après, les éléments révolutionnaires ne se considéraient pas comme prétendants au pouvoir, mais comme représentants de l'opposition d'extrême-gauche. Même Lénine reléguait la révolution socialiste dans un avenir plus ou moins lointain (en 1915 ou 1916), il écrivait en Suisse : (citation 1). Si Lénine envisageait ainsi la situation, il n'est alors guère nécessaire de parler des autres.
Cette position politique de l'aile d'extrême gauche s'exprimait avec le plus de relief dans la question de la défense de la patrie.
Dans ses écrits de 1915, Lénine faisait allusion aux guerres révolutionnaires que le prolétariat victorieux aurait à mener. Mais il s'agissait là d'une question de perspective historique imprécise et non de la tâche du lendemain. L'attention de l'aile révolutionnaire était dirigée sur la question de la défense de la patrie capitaliste. Évidemment, les révolutionnaires répondaient à cette question par la négative. C'était tout à fait juste. Mais cette réponse purement négative servit de base pour la propagande et l'éducation des cadres, mais elle ne pouvait gagner les masses qui ne voulaient pas d'un conquérant étranger. Dans la Russie d'avant-guerre, les bolcheviks formaient quatre-cinquièmes de l'avant-garde prolétarienne, c'est-à-dire les ouvriers qui participaient à la vie politique (journaux, élections, etc...). Après la Révolution de Février, le pouvoir illimité passa aux mains des partisans de la défense nationale, mencheviks et socialistes révolutionnaires. Il est bien vrai que dans l'espace de huit mois les bolcheviks gagnèrent l'écrasante majorité des ouvriers. Ce n'était pas le refus de défendre la patrie bourgeoise qui joua le rôle décisif dans la conquête de la majorité, mais le mot d'ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ». Et seulement ce mot d'ordre révolutionnaire ! La critique de l'impérialisme, de son militarisme, le refus de défendre la démocratie bourgeoise et ainsi de suite n'auraient jamais gagné aux bolcheviks la majorité écrasante de la population. Dans tous les autres pays belligérants, à l'exception de la Russie, l'aile révolutionnaire vers la fin de la guerre tous...
Dans la mesure où le prolétariat à une étape donnée s'avère incapable de conquérir le pouvoir, l'impérialisme commence à diriger la vie économique par ses propres méthodes ; le parti fasciste qui devient la puissance étatique en est le mécanisme politique. Les forces productives sont en contradictions inconciliables non seulement avec la propriété privée mais également avec les frontières de l'Etat national. L'impérialisme est l'expression même de cette contradiction. Le capitalisme impérialiste cherche à résoudre cette contradiction par l'extension des frontières, la conquête de nouveaux territoires, etc... L'Etat totalitaire qui soumet tous les aspects de la vie économique, politique et culturelle au capital financier, est l'instrument qui sert à créer un état super nationaliste, un empire impérialiste, le règne sur des continents, le règne sur le monde entier.
Tous ces traits du fascisme, nous les avons analysés chacun eu lui-même et tous dans leur ensemble, à mesure qu'ils se sont manifestés ou sont apparus au premier plan.
A la fois l'analyse théorique et la riche expérience historique du dernier quart de siècle ont également démontré que le fascisme est chaque fois le maillon final d'un cycle politique spécifique ainsi composé : une crise des plus graves de la société capitaliste, une radicalisation croissante de la classe ouvrière, une sympathie croissante vis-à-vis de la classe ouvrière et une aspiration à un changement de la part de la petite bourgeoisie rurale et urbaine, une confusion extrême de la grande bourgeoisie, ses manœuvres lâches et perfides visant à éviter le point culminant de la crise révolutionnaire ; un épuisement du prolétariat et une confusion et une indifférence croissantes, une aggravation de la crise sociale, un désespoir de la petite bourgeoisie, son aspiration à un changement, une névrose collective de la petite bourgeoisie, sa prédisposition à croire aux miracles et aux mesures violentes, une hostilité croissante vis-à-vis du prolétariat qui l'a déçue dans ses espérances. Telles sont les prémisses pour une rapide formation du parti fasciste et pour sa victoire.
Il est presque évident que la radicalisation de la classe ouvrière aux Etats-Unis n'a fait que passer par ses étapes initiales et ceci presque exclusivement dans le domaine du mouvement syndical (le C.I.O.). La période préliminaire à la guerre, puis la guerre elle-même, peuvent interrompre temporairement ce processus de radicalisation, surtout si un grand nombre d'ouvriers est absorbé par les industries de guerre. Mais cette interruption du processus de radicalisation ne peut pas être de longue durée. La seconde étape de la radicalisation prendra un caractère qui s'exprimera avec plus d'acuité. Le problème de la formation d'un parti ouvrier indépendant sera mis à l'ordre du jour. Nos revendications transitoires acquerront une grande popularité. D'autre part, les tendances fascistes réactionnaires se retireront à l'arrière-plan, adoptant une position défensive et attendront un moment plus favorable. C'est là la perspective la plus probable. Il n'y a pas de travail aussi vain que de spéculer si nous réussirons ou pas à créer un puissant parti révolutionnaire dirigeant. Nous avons devant nous une perspective favorable qui justifie totalement une activité révolutionnaire. Il faut utiliser les occasions qui s'ouvrent devant nous, et construire le parti révolutionnaire.
La seconde guerre mondiale pose la question du changement de régime d'une façon plus impérieuse, plus urgente que ne le fit la première guerre. C'est avant tout et surtout la question du régime politique. Les ouvriers ont conscience que la démocratie fait partout naufrage et qu'ils sont menacés du fascisme même dans les pays où le fascisme n'existe pas encore. La bourgeoisie des pays démocratiques utilisera évidemment cette crainte du fascisme de la part des ouvriers, mais d'autre part la banqueroute des démocraties, leur écroulement, leur transformation sans douleur en dictature réactionnaire force les ouvriers à se poser le problème du pouvoir, les rend plus réceptifs au problème dit pouvoir.
La réaction détient aujourd'hui une puissance comme il n'y en a peut-être jamais eu auparavant dans l'histoire moderne de l'humanité. Mais ce serait une inexcusable méprise de ne voir que la réaction. Le processus historique est un processus contradictoire. Sous le couvert de la réaction officielle, de profonds processus ont lieu parmi les masses qui accumulent les expériences et deviennent sensibles à de nouvelles perspectives politiques. La vieille tradition conservatrice de l'Etat démocratique qui était si puissante même pendant la période de la dernière guerre impérialiste n'existe aujourd'hui que comme une survivance extrêmement instable. A la veille de la dernière guerre les travailleurs européens avalent des partis numériquement puissants. Mais à l'ordre du jour se trouvaient des réformes, des conquêtes partielles, et nullement la conquête du pouvoir.
La classe ouvrière américaine est encore aujourd'hui sans un parti ouvrier de masses. Mais la situation objective, et les expériences accumulées par les ouvriers américains peuvent poser dans un très bref délai à l'ordre du jour la question de la prise du pouvoir. Il faut faire de cette perspective la base de notre agitation. Il n'est pas seulement question de prendre position vis-à-vis du militarisme capitaliste et de refuser de défendre l'Etat bourgeois, mais il s'agit d'une préparation directe pour la prise du pouvoir et la défense de la patrie prolétarienne.
N'est-il pas possible que les staliniens soient à la tête d'une nouvelle montée révolutionnaire et conduisent à la ruine la révolution comme ils le firent en Espagne et auparavant en Chine ? Il n'est évidemment pas possible d'exclure une telle possibilité, par exemple en France. La première vague de la révolution a souvent, ou plus exactement, a toujours porté au pouvoir ces partis de « gauche » qui, dans la période précédente, s'étaient arrangés pour ne pas se discréditer complètement et qui ont derrière eux une tradition politique imposante. C'est ainsi que la révolution de février mit sur le pavois les mencheviks, les socialistes révolutionnaires qui s'opposèrent à la révolution dès ses débuts. De même la révolution allemande de novembre 1918 porta au pouvoir les sociaux-démocrates qui s'opposèrent irréductiblement aux soulèvements révolutionnaires.
Il y a déjà douze ans, Trotsky écrivit dans un article publié par The New Republic :
« Il n'y a pas de période dans l'histoire de l'humanité qui ait été si saturée de contradictions que la nôtre. Sous une trop forte tension des classes et des antagonismes internationaux, les « plombs » de la démocratie « sautent ». D'où les courts-circuits de la dictature. Bien entendu les « plombs » les plus faibles sont les premiers à céder. Mais la puissance des contradictions intérieures et mondiales ne s'en affaiblit pas pour cela : au contraire, elle augmente. Il est douteux qu'elle doive s'apaiser, étant donné que le processus n'a saisi jusqu'à présent que la périphérie du monde capitaliste. La goutte commence au petit doigt de la main ou dans le gros orteil, mais une fois installée, elle se fraye la voie directement au cœur. » (The New Republic, 22 mai 1929).
Ceci fut écrit à une période où toute la démocratie bourgeoise dans chaque pays croyait que le fascisme n'était possible que dans les pays arriérés qui n'avaient pas encore été à l'école de la démocratie. Le Comité de rédaction de The New Republic, qui n'avait pas encore été à ce moment-là touché par la grâce du Guépéou, fit suivre l'article de Trotsky par un article d'elle. Celui-ci est si caractéristique du philistin américain moyen que nous en citerons les passages les plus intéressants.
« En raison de ses mésaventures personnelles, le dirigeant russe exilé montre une remarquable capacité à faire des analyses abstraites ; mais son abstraction est celle d'un marxisme rigide, et nous semble manquer d'une vue réaliste de l'histoire — la chose même dont il est fier. Sa notion selon laquelle la démocratie est une forme de gouvernement pour temps calme, incapable de résister aux lem-Dct; s Issues des contradictions internationale ou intérieures, ne peut être soutenue (comme il l'admet en partie lui-même) qu'en prenant pour exemples des pays où la démocratie n'a jamais fait que les plus faibles débuts, et des pays où, de plus, la révolution industrielle n'a fait à peine que commencer. »
Plus loin, le Comité de rédaction de The New Republic, écarte l'exemple de la démocratie de Kerensky dans la Russie des Soviets, et les raisons pour lesquelles elle ne put résister à l'épreuve des contradictions de classe et dut céder la place à une perspective révolutionnaire. Le périodique écrit d'un ton sage :
« La faiblesse de Kerensky fut un hasard historique, ce que Trotsky ne peut admettre parce qu'il n'y a pas de place pour une telle chose dans son schéma mécaniste. »
Tout comme Dwight Macdonald, The New Republic accuse les marxistes d'être incapables de comprendre l'histoire en réalistes en raison de la méthode orthodoxe ou mécaniste avec laquelle ils abordent les événements politiques. The New Republic pensait que le fascisme est le produit d'un capitalisme en retard et non d'un capitalisme trop avancé. Selon l'opinion de ce périodique, opinion qui, je le répète, était celle de l'écrasante majorité des philistins démocratiques moyens, le fascisme est le lot des pays bourgeois arriérés. Le sage Comité de rédaction ne se donne pas la peine de réfléchir à la question de savoir pourquoi la conviction générale du XIXe siècle était que les pays arriérés devaient se développer selon la voie démocratique. En tout cas, dans les vieux pays capitalistes, la démocratie entra dans ses droits à un moment où le niveau de leur développement économique n'était pas au-dessus, mais au-dessous du développement économique de l'Italie moderne. Et, qui plus est, à cette époque, la démocratie représentait la grand route du développement historique suivi par tous les pays un par un, les pays en retard suivant les plus avancés, et parfois les devançant. Notre époque est, au contraire, celle de l'effondrement de la démocratie, et, de plus, cet effondrement commence aux chaînons les plus faibles, mais s'étend graduellement à ceux qui apparaissent forts et invincibles. Ainsi, la méthode orthodoxe ou mécaniste, c'est-à-dire la méthode marxiste d'analyse des événements, nous a permis de prévoir la marche des événements plusieurs années à l'avance. Au contraire, la méthode réaliste de The New Republic est celle d'un chat aveugle. The New Republic poursuivit son attitude critique envers le marxisme en tombant sous l'influence de l'a plus révoltante caricature du marxisme, à savoir le stalinisme.
La plupart des philistins de la nouvelle fournée basent leurs attaques contre le marxisme sur le fait que, contrairement aux pronostics de Marx, le fascisme s'est établi au lieu du socialisme. Rien n'est plus stupide et plus vulgaire que cette critique. Marx a démontré et prouvé que lorsque le capitalisme atteint un certain niveau, la seule issue offerte à la société réside dans la socialisation des moyens de production, c'est-à-dire le socialisme. Il démontra aussi bien qu'en raison de la structure de classe de la société, seul le prolétariat est capable de réaliser cette tâche par une lutte révolutionnaire intransigeante contre la bourgeoisie. Il démontra en outre que, pour accomplir cette tâche, le prolétariat avait besoin d'un parti révolutionnaire. Toute sa vie Marx, et avec lui et après lui, Engels, et après eux Lénine, menèrent une lutte intransigeante contre les tendances qui, dans les partis prolétariens et dans les partis socialistes, s'opposaient à la réalisation de la tâche révolutionnaire historique. L'intransigeance de la Lutte que menèrent Marx, Engels et Lénine contre l'opportunisme, d'une part, et contre l'anarchisme, d'autre part, démontre qu'ils ne sous-estimaient pas du tout ce danger. En quoi consiste ce dernier ? En ce que l'opportunisme des sommets de la classe ouvrière, perméables à l'influence de la bourgeoisie pouvait ralentir, rendre plus difficile et retarder l'accomplissement de la tâche révolutionnaire du prolétariat. C'est précisément cette situation de la société que nous pouvons observée aujourd'hui. Le fascisme n'est pas du tout venu « à la place » du socialisme. Le fascisme est la continuation du capitalisme, une tentative de perpétuer son existence par les mesures les plus bestiales et les plus monstrueuses. Le capitalisme eut la possibilité de recourir au fascisme uniquement parce que le prolétariat n'a pas accompli la révolution socialiste à temps. Le prolétariat fut paralysé dans l'accomplissement de sa tâche par les partis opportunistes. La seule chose qui puisse être dite est qu'il s'est présenté plus d'obstacles, plus de difficultés, plus d'étapes sur la route du développement révolutionnaire du prolétariat que n'en avaient prévu les fondateurs du socialisme scientifique. Le fascisme et la série des guerres impérialistes constituent la terrible école par laquelle le prolétariat doit se libérer des traditions et des superstitions petites-bourgeoises, doit se débarrasser des partis opportunistes, démocratiques et aventuristes, doit forger et éduquer l'avant-garde révolutionnaire et, par là, préparer l'accomplissement de la tâche sans laquelle il n'y a pas et il ne peut pas y avoir de salut pour le développement de l'humanité.
Eastman, s'il vous plaît, en est venu à conclure que la concentration des moyens de production dans les mains de l'Etat met en danger sa « liberté » et, en conséquence, il a décidé de renoncer au socialisme. Cette anecdote mérite d'être incluse dans un manuel d'histoire des idéologies. La socialisation des moyens de production est la seule solution aux problèmes économiques posés au stade donné de l'évolution de l'humanité. Le retard dans l'accomplissement de cette tâche conduit à la barbarie fasciste. Toutes les solutions intermédiaires entreprises par la bourgeoisie avec l'aide de la petite bourgeoisie ont fait un misérable et honteux fiasco. Tout cela ne présente aucun intérêt pour Eastman. Il observa que sa « liberté » (liberté d'être confus, d'être indifférent, d'être passif, d'être un dilettante littéraire) était menacée de plusieurs côtés et il se décida immédiatement à prendre sa propre mesure, le renoncement au socialisme. Il est assez étonnant que cette décision n'exerça aucune influence, sur Wall Street, ou sur la politique des syndicats. La vie continua son cours propre tout comme si Eastman était resté un socialiste. On peut établir comme règle générale que plus un petit bourgeois radical, particulièrement aux États-Unis, est impuissant, plus...
En France il n'y a pas de fascisme au sens véritable du terme. Le régime du sénile maréchal Pétain représente une forme sénile du bonapartisme à l'époque de déclin de l'impérialisme. Mais ce régime lui-même ne fut possible qu'après que la radicalisation prolongée de la classe ouvrière française qui conduisit à l'explosion de juin 1936, ne parvint pas à trouver une issue révolutionnaire. La deuxième et la troisième Internationales, le charlatanisme réactionnaire du « Front Populaire » ont déçu et démoralisé la classe ouvrière. Après cinq ans de propagande en faveur d'une alliance des démocraties et de la sécurité collective, après le passage soudain de Staline dans le camp de Hitler, la classe ouvrière française se trouva prise au dépourvu. La guerre provoqua une désorientation terrible et un état d'esprit de défaitisme passif ou, pour s'exprimer plus justement, d'indifférence devant une impasse. De ce tissu de circonstances surgirent d'abord une catastrophe militaire sans précédent, puis le méprisable régime de Pétain.
Précisément parce que le régime de Pétain est du bonapartisme sénile, il ne contient aucun élément de stabilité et peut être renversé par un soulèvement révolutionnaire des masses bien plus vite qu'un régime fasciste.
Dans chaque discussion politique, inévitablement surgit la question : réussirons-nous à créer un parti fort pour le moment où éclatera la crise ? Le fascisme ne nous devancera-t-il pas ? Une étape fasciste dans l'évolution n'est elle pas chose inévitable ? Les succès du fascisme font aisément perdre toute perspective aux gens, et les conduisirent à oublier les conditions présentes qui rendirent possibles un renforcement et une victoire du fascisme. Pourtant une claire compréhension de ces conditions est de la plus grande importance pour les ouvriers des États-Unis. Nous pouvons poser comme une loi historique que le fascisme n'a pu vaincre que dans les pays où les partis ouvriers conservateurs ont empêché le prolétariat d'utiliser la situation révolutionnaire pour prendre le pouvoir. En Allemagne, deux situations révolutionnaires se présentèrent : 1918-1919 et 1923-1924. Même en 1929 une lutte directe du prolétariat pour le pouvoir était encore possible. Dans tous ces trois cas, la social-démocratie et le Comintern brisèrent criminellement ces possibilités de prise du pouvoir et par là même placèrent la société dans une impasse. C'est seulement dans ces conditions et dans cette situation que s'avérèrent possibles la montée tempétueuse du fascisme et sa conquête du pouvoir.