1935


Source : Bulletin intérieur du G.B.L. n°10, 13.12.1935.

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Œuvres - décembre 1935

Léon Trotsky

Lettre au Comité Central du Groupe Bolchévik-Léniniste

4 décembre 1935


Chers Camarades,

Si l'on veut savoir ce qu'est l'abdication aux principes, il faut lire attentivement la lettre de P. Frank . Politiquement elle est inconsistante. Mais elle reflète, très bien l’état d'esprit d'un intellectuel (pour ne pas dire petit-bourgeois) sceptique et désorienté.

Que vous répond un petit bourgeois français « avancé », « très gauche », « très révolutionnaire » (« la patrie ? On s'en fout.. grève générale, insurrection »), qu'est-ce qu'il vous répond à votre objection : il vous répond immédiatement : « On ne veut pas votre « prépondérance d'organisation », « Un nouveau parti ? Une nouvelle Internationale ? Non, on en a eu assez ». Voila la réponse typique.

Et Frank, qu'est-ce qu’il fait ? Il traduit servilement cette mentalité. « Aucun ultimatisme d'organisation . » « Aucun groupe actuellement existant ne peut prétendre à la prépondérance d'organisation . » C'est humiliant, même pour un marxiste, de répondre à des arguments pareils. Est-ce que nous nous sommes jamais préoccupés de la « prépondérance » d'organisation ? Il s'agit pour nous d'un programme, qui correspond à la situation objective. Si une autre organisation plus large que la nôtre accepte ce programme (non en paroles, mais dans les actes), nous sommes prêts à fusionner sans la moindre prétention de prépondérance. Voyez les Etats-Unis et la Hollande [1] .

Mais dans la lettre de P. Frank, dans toute sa pensée (comme dans-le fameux appel de la « Commune ») il n'y à aucune mention du programme, et non sans raison : le programme, c'est un obstacle sérieux pour la fraternisation générale des petits-bourgeois, des intellectuels, des pessimistes, des sceptiques et des aventuriers, et nous autres croyons que le programme détermine tout.

« Pas d'ultimatisme d'organisation . » Quel abus révoltant de la formule léniniste, pas d'ultimatisme envers les masses, envers les syndicats, envers le mouvement ouvrier, mais l’ultimatisme le plus intransigeant envers chaque groupement qui prétend diriger la masse. Cet ultimatisme-là, il s'appelle le programme marxiste. Comment le faire accepter par la masse ? C'est une question naturellement très grave. Mais si l'on veut créer un organe de masse, il faut que la rédaction elle-même possède un programme et que ce programme soit marxiste. Or; à la place de ce programme on met un je m'en fichisme aventurier. Rien de plus.

Milice ouvrière et défaitisme révolutionnaire, ce n'est pas un programme. « Tout le monde » les accepte maintenant avec telle ou telle réserve. Le programme maintenant, c'est la lutte pour le nouveau parti contre les deux Internationales et contre Marceau Pivert (S.A.P ., I.A.G .), le valet de l’unité des réformistes et des staliniens. Se gargariser maintenant de « l'unité organique » et même de « l'unité organique révolutionnaire », signifie tromper les masses avec Marceau Pivert et les autres valets du social-patriotisme. Comités d'action, parti révolutionnaire et IV° internationale, c'est ici que commence le programme adéquat a l'étape actuelle. Se borner aux formules insuffisantes ou périmées signifie jouer un rôle réactionnaire. Et il est difficile de s’imaginer un document plus réactionnaire que l'appel de la « Commune  » si ce n’est lettre de P. Frank. Le gros argument dans cette lettre : « Pourquoi les B.L. sont restés faibles en Allemagne et puis en France ?  » n'est qu'un écho des objections centristes : pourquoi êtes-vous battus par la bureaucratie stalinienne, par la réaction coalisée chinoise, etc. ? Nous avons donné l'explication depuis longtemps et nous n'avons jamais promis de faire des miracles. Notre travail international n'a commencé qu'en 1929 et non sur un terrain vierge, mais sur un terrain extrêmement obstrué par de vielles organisations glissantes et des nouvelles organisations confuses et souvent traîtresses, qui se réclamaient de nos principes Nous étions en lutte constante contre les Pierre Frank en Allemagne et en Espagne contre les sceptiques et aussi contre les aventuriers; qui ont voulu faire des miracles (en se cassant le cou). Le fait même que Frank emploie des arguments si sommaires et si confus, démontre qu'il se sent étranger à notre organisation. Mais malgré tous les sceptiques et tous les aventuriers, c'est la seule organisation qui connaît son chemin et qui fait des progrès et qui porte dans son sein l’avenir de la classe ouvrière.

Il n’y a. que les petits enfant qui puissent croire qu’il s'agit entre nous et le groupe de la « Commune  » de la question d'un « journal de masse ». Il s'agit au vrai de la question du programme, de l'orientation historique de la tendance. Il s'agit d'un nouvel épisode de la lutte entre le marxisme et le centrisme – d'une lutte qui caractérisé toute notre époque.

L. Trotsky.

PS — Je voudrais encore attirer votre attention sur les procédés absolument intolérables du groupe de la « Commune ».Voilà comment Frank les décrit lui-même : « La décision de créer la « Commune » prise, les premiers pas faits, nous nous sommes tournés vers les organisations existantes (groupe B.L., J.S., Minorité du Front Social, Groupes d'Action Révolutionnaires [2] , leur disant: vos discussions se prolongent dangereusement, nous avons mis pour vous un journal sur pied; prenez-le; allez-y. » Or ce sont les soi-disant B.L. qui créent la « Commune » et qui s’adressent après cela de la hauteur de cette nouvelle position acquise, aux simples mortels des «diverses tendances et organisations »... « Allez-y.» Qu'est-ce qu'ils ont donc créé, ces initiateurs audacieux ? La « Commune  ». Et qu'est ce que la «Commune  ». Une doctrine ; un programme, des mots d'ordre, un drapeau ? Non, rien de tout cela. C'est un local, des affiches et... la caisse. Il s’agit, d'une certaine somme d'argent. Voilà la vérité. Et c'est de la hauteur de cette position purement matérielle que les initiateurs font la tentative de diriger et même de commander la tendance B.L. Voilà où on tombe, quand on perd la boussole. Non, ce n'est pas notre organisation qu’on peut diriger par des méthodes pareilles. Dans les marais centristes on est beaucoup plus conciliant. Essayez vos méthodes là-bas. «Allez-y.»


Notes

[1] Aux U.S.A. et en Hollande, les organisations trotskystes avaient fusionné avec des organisations plus importantes. La présidence des nouveaux partis était revenue dans les deux cas au groupe le plus nombreux.

[2] Les G.A.R. étaient des groupes animés par les militants de La Commune et visaient à regrouper toutes les obédiences révolutionnaires.


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