1932 |
Source : numéro 22-23-24 de Quatrième Internationale, septembre 1945. Publié pour la première fois dans le Bulletin de l'Opposition, n° 28, juillet 1932. Corrections de la MIA d'après le texte russe. |
Plus près des prolétaires des races « de
couleur »
Lettre au Secrétariat International (Copie au
Comité National de la Ligue Américaine)
J'ai reçu une copie de la lettre datée du 16 avril 1932, adressée par une organisation de camarades noirs de Johannesburg. Il me semble que cette lettre est d'une grande et symptomatique signification. L'opposition de gauche (bolchevik-léniniste) peut et doit devenir le drapeau de la partie la plus opprimée du prolétariat mondial, et par conséquence, en premier lieu, pour les ouvriers nègres. Sur quoi est-ce que je base cette affirmation ?
L'opposition de gauche représente actuellement la tendance la plus conséquente et la plus révolutionnaire du monde. Son attitude critique vis-à-vis de chacune et de toutes les variétés d'arrogance bureaucratique dans le mouvement ouvrier, lui donne la possibilité de faire particulièrement attention à la voix de la partie la plus opprimée de la classe ouvrière et de ceux qui peinent en général.
L'opposition de gauche est la cible pour les coups non seulement de l'appareil stalinien, mais aussi de tous les gouvernements bourgeois du monde. Ce fait qui, malgré toutes les calomnies, entre peu à peu dans la conscience des masses, est forcé d'attirer encore plus vers l'opposition de gauche les chaudes sympathies de la partie la plus opprimée de la classe ouvrière internationale. De ce point de vue, la communication qui nous est adressée, par les camarades sud-africains ne me semble pas du tout être un hasard, mais d'une signification profonde.
Dans leur lettre, portant 24 signatures (avec la note « et d'autres »), les camarades sud-africains témoignent un intérêt particulier à la révolution chinoise. Cet intérêt, il faut le savoir, est entièrement justifié. Les masses ouvrières des peuples opprimés, qui doivent mener la lutte pour des droits nationaux élémentaires et pour la dignité humaine, sont justement ceux qui encourent les plus grands risques de subir les conséquences de l'enseignement confus de la part des bureaucrates staliniens au sujet de la « dictature démocratique ». Sous ce drapeau mensonger, la politique à la Kuomintang, c'est-à-dire l'abjecte tromperie et l'écrasement impuni des masses laborieuses par leur propre bourgeoisie « nationale », peut encore faire le plus grand tort à la cause de la libération des travailleurs. Le programme de la révolution permanente basé sur l'incontestable expérience historique d'un certain nombre de pays peut et doit assumer une signification primordiale pour le mouvement de libération du prolétariat noir.
Les camarades de Johannesburg peuvent ne pas avoir eu jusqu'à présent l'occasion de se familiariser avec les points de vue de l'opposition de gauche sur les questions les plus importantes. Mais ceci ne doit pas être un obstacle à notre rencontre commune et à notre rapprochement justement à cet instant, et de les aider fraternellement à rentrer dans l'orbite de notre programme et de notre tactique.
Si dix intellectuels à Paris, Berlin ou New-York ayant déjà appartenu à différentes organisations, s'adressaient à nous avec la demande d'être admis dans nos rangs, je donnerai l'avis suivant : faites leur subir une série d'épreuves sur toutes les questions programmatiques, mouillez-les dans la pluie, séchez-les au soleil, et ensuite après un nouvel examen attentif, acceptez-en peut-être un ou deux.
Le cas est entièrement différent lorsque dix ouvriers liés aux masses se tournent vers nous. La différence de notre attitude vis-à-vis d'un groupe petit-bourgeois et vis-à-vis d'un groupe prolétarien ne demande pas d'explications. Mais si un groupe prolétarien fonctionne dans un milieu comprenant des ouvriers de différentes races, et malgré cela, reste composé uniquement d'ouvriers de nationalité privilégiée, alors je suis incliné à les regarder avec méfiance. Ne sommes-nous peut-être pas en train de nous occuper de l'aristocratie ouvrière ? Le groupe n'est-il pas infecté de préjugés de négriers, activement ou passivement ?
Le cas est tout à fait différent lorsque nous sommes abordés par un groupe d'ouvriers nègres. Ici je suis prêt à considérer d'avance que nous sommes certains d'arriver à un accord avec eux, même si un tel accord n'est pas tout à fait actuel. Car les ouvriers nègres, en vertu de leur position générale ne s'efforcent pas et ne peuvent le faire, à dégrader qui que ce soit, à l'opprimer ou le priver de ses droits. Ils ne recherchent pas des privilèges, et ne peuvent pas arriver au sommet, sinon par la voie de la révolution internationale.
Nous pouvons et nous devons trouver le chemin vers la prise de conscience des travailleurs noirs, travailleurs chinois, travailleurs hindous, et de tous les opprimés de l'océan humain des races de couleur, à qui appartient le mot décisif du développement du genre humain.
Prinkipo, 13 juin 1932. Léon TROTSKY.