1930

Mai 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la tourmente qui s'annonce.


Œuvres - mai 1930

Léon Trotsky

Rapport à destination de l'U.R.S.S.

23 mai 1930

Chers amis,

Il ne vous a certainement pas échappé que la Pravda, le Bolchevik et tout le reste de la presse officielle a maintenant repris de toutes ses forces la campagne contre le "trotskysme". (quoique les raisons de coulisses pour ce tournant ne nous soient malheureusement pas connues, le fait même que la discussion ait été reprise après avoir été virtuellement suspendue pendant pas mal de temps est pour nous une grande victoire).

Il y a une demi-année, Molotov a spécialement recommandé aux communistes français de s'abstenir de polémiquer contre le "trotskysme" dans la mesure où, en fait, il avait été anéanti. A peu près à cette époque, j'écrivais aux camarades français que notre victoire serait à moitié assurée au moment où nous obligerions l'appareil officiel à commencer à polémiquer contre nous car ici notre supériorité dans le domaine des idées, établie depuis longtemps, se ferait inévitablement sentir avec toute sa force. Et nous commençons à récolter les fruits du travail théorique et politique de l'Opposition au cours des dernières sept années. Cela vaut avant tout bien sur pour les pays occidentaux où nous avons nos propres publications et pouvons rendre coup pour coup. En U.R.S.S., l'appareil peut, du fait du caractère unilatéral de la polémique, reporter l'issue finale de la lutte idéologique. Mais il ne peut que la reporter. Le passé a vu tant de confusions, de mensonges, de contradictions, de zigzags et d'erreurs que les conclusions générales les plus simples tombent maintenant d'elles-mêmes dans les couches larges du parti et de la classe ouvrière. Et puisque ces conclusions élémentaires sur la direction actuelle coïncident pour l'essentiel avec les idées que l'Opposition a lancées, l'appareil est obligé de recommencer à "travailler de nouveau sur le trotskysme", afin d'empêcher un lien entre la critique et le mécontentement dans le parti et les mots d'ordre de l'Opposition. Mais il ne peut y avoir de doute que le fait de servir réchauffé le même plat ancien n'apportera pas le salut. Dans des articles récents, par exemple ceux de cette pauvre âme sans espoir Pokrovsky, l'appel tardif à travailler sur le trotskysme a de toute évidence un ton de panique. L'importance de ces symptômes ne peut pas être surestimée. Bien des choses se manifestent dans le parti et avancent dans notre direction.

En Occident nous avons des succès réels surtout en France et en Italie. La presse officielle du P.C.F. a totalement rejeté le conseil de Molotov auquel il est fait référence plus haut - conseil que Molotov lui-même a réussi à répudier. Au lieu de nous attaquer avec des fabrications désespérément absurdes dans le style de "l'officier de Wrangel", la presse communiste française essaie de polémiquer sur les questions de principe. Mais c'est exactement ce que nous voulons! L'Opposition française prend de plus en plus part effectivement aux activités du P.C., les enregistrant et les critiquant, brisant ainsi graduellement le mur entre elle et le parti. L'Opposition a trouvé un soutien dans le mouvement syndical où nos camarades d'idées ont publié leur propre plate-forme et établi leur propre centre, continuant la lutte bien entendu pour une confédération unie du travail.

Dans le parti italien, de sérieux mouvements ont eu lieu récemment. Vous connaissez l'exclusion du parti, sous l'accusation de solidarité avec Trotsky, du camarade Bordiga, qui est revenu récemment d'exil. Les camarades italiens nous ont écrit que Bordiga, ayant pris connaissance de vos dernières publications, a fait en réalité, semble-t-il, une déclaration d'accord avec nos idées. En même temps, une scission qui avait été longtemps en préparation s'est produite dans le parti officiel. Plusieurs membres du comité central qui avaient occupé des places de haute responsabilité dans le travail du parti ont refusé d'accepter la théorie et la pratique de la "troisième période". On les a déclarés "déviationnistes de droite", mais ils n'ont en fait rien de commun avec Tasca, Brandler et compagnie. Leur désaccord avec la "troisième période" les a obligé à réexaminer toutes les discussions et divergences des dernières années et ils ont déclaré leur pleine solidarité avec l'Opposition de gauche internationale. C'est là un élargissement de nos rangs d'une exceptionnelle valeur.

Dans une de mes dernières lettres, je soulignais que l'année écoulée était une année de grand travail préparatoire pour l'Opposition (la gauche internationale et que nous pouvons nous attendre maintenant à des résultats politiques de ce travail que nous avons fait. 'es faits que j'ai cités, concernant deux pays, attestent que ces résultats ont déjà commencé à prendre une forme tangible. Ce n'est pas par hasard, après tout, que la presse de l'Internationale Communiste se sent obligée, dans le sillage du parti communiste soviétique, de s'engager dans la voie de polémique ouverte "de principes" contre nous, qui, naturellement, n'œuvrera qu'en notre faveur.

Le XVI° congrès ne reflètera pas ces changements évidents, indiscutables dans le parti soviétique et l'Internationale Communiste, changements qui promettent beaucoup mais qui ne sont pourtant qu'un commencement. Il sera un congrès de la bureaucratie stalinienne, comme auparavant. Mais une bureaucratie effrayée, troublée, qui réfléchit. Organisationnellement, Staline conservera ses positions au congrès, selon toute vraisemblance. Mieux, ce congrès va certainement dresser le bilan de toute la série des victoires de Staline sur ses opposants et de sanctifier le système du "gouvernement d'un seul". Mais en dépit de tout cela - ou plus précisément à cause de tout cela, on peut dire sans la moindre hésitation: le XVI° congrès sera le dernier congrès de la bureaucratie stalinienne. Exactement comme le XV° congrès, qui a scellé la victoire sur l'Opposition de gauche, a accéléré la désintégration du bloc droite-centre, de même aussi le XVI° congrès, qui couronnera probablement la défaite des droitiers, hâtera la désintégration du centrisme bureaucratique. Cette désintégration ira d'autant plus vite qu'elle a été plus longtemps retenue par les gens de cet appareil brutal et déloyal. Non seulement tout cela ouvre de nouvelles possibilités pour l'Opposition de gauche, mais lui impose aussi de grandes obligations. La route vers le parti passe par le processus de revitalisation du parti lui-même, et c'est seulement à travers cela et par conséquent le renforcement du travail théorique et politique tenace de l'Opposition dans le parti et la classe ouvrière. Tout le reste découle de sa propre décision.


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