1930

Mai 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la tourmente qui s'annonce.


Œuvres - mai 1930

Léon Trotsky

A Sobolevicius

(10 mai 1930)

Cher cam. Well,

Vous avez écrit tout récemment de Leipzig que vous alliez à Berlin à cause de la situation extrêmement pénible qui se développe au sein de la direction. Hier j'ai reçu de vous un télégramme indiquant que vous étiez à Paris. Je me hâte de vous écrire à Paris. Tout d'abord, je suis très inquiet que vous ne soyez pas à Berlin dans un moment aussi critique.

J'ai reçu d'Allemagne plusieurs lettres concernant le départ de Grylewicz, Neumann, etc.. de la direction. Je n'en ai pas reçu d'eux-mêmes. Les motifs de leur geste scissionniste ne me sont absolument pas clairs. Tout d'abord le groupe de Grylewicz, Neumann a désigné la question syndicale comme obstacle majeur à l'unification. Il s'avère à présent que l'opposition de Wedding, comme on pouvait le supposer, avait seulement besoin d'une impulsion organisationnelle pour revoir ses positions sur le problème du travail syndical. En d'autres termes, l'unique justification à la lutte fractionnelle est tombée, ou s'est tout au moins considérablement réduite. Mais c'est précisément à ce moment que Grilevicz et Neumann quittent la direction. Cela donne l'impression qu'ils ne se réjouissent pas de voir écartées les divergences politiques et qu'au contraire, ils s'effraient de cette situation qui les prive de la possibilité de poursuivre leur lutte sanglante au nom de "l'hégémonie". Le cam. Seipold a entendu dire, m'indique-t-il, que l'histoire de Mitteilungsblatt [1] et un déficit de 200 à 300 marks motivent leur geste scissionniste. S'il n'y a rien que de semblables motifs, leur sortie de la direction est non seulement scandaleuse, mais criminelle. On sait que l'histoire de Mitteilungsblatt a précédé l'unification. La question du déficit doit pouvoir être réglée par des moyens pratiques. En quoi y a-t-il matière à un geste scissionniste?

A Paris, vous verrez dans les faits combien les camarades français sont pour le cam. Landau et contre Neumann et les autres. Comment cela s'explique-t-il? Par le fait que le cam. Landau, indépendamment de telle ou telle erreur ou trait de caractère, mène une activité politique sérieuse. Il est intervenu dans la politique du Leninbund de sa propre initiative, en écrivant un article; il correspond avec la presse française; il a élaboré un projet de plate-forme; il a œuvré pour l'unification de l'opposition de Wedding et autres.

Or personne n'entend parler de Joko et Neumann qu'à l'occasion de quelque nouveau conflit de personne ou de quelque nouvelle intrigue. Lorsqu'il s'agit de lignes politiques différentes, les épisodes personnels s'effacent. Il convient de faire son choix en fonction de considérations de principes, indépendamment des qualités personnelles des dirigeants. Ce n'est pas actuellement le cas. Dans la mesure où il faut faire un choix dans un conflit de caractère personnel, tout est contre Neumann et Joko. Je vous envoie copie de mes lettres en Allemagne. Je m'y exprime avec une prudence pleinement explicable par la nécessité d'admettre la possibilité théorique qu'il existe des raisons principielles ou globalement sérieuses au conflit, que j'ignore. Mais intérieurement, j'incline à penser que le petit groupe Grilevitcz-Neumann-Joko est devenu un obstacle à l'unité de l'Opposition. A mon avis, il convient de remplacer Joko, et à l'extrême Neumann aussi, par deux travailleurs sérieux qui n'aient pas été épuisés par les chamailleries.

Il faut compléter la direction au plus tôt. Elle doit poursuivre son travail. Le journal doit paraÎtre. Ceux qui rompront sans motifs à principe suivront la carrière de Paz: celui-ci a eu beau se gonfler, il a vite rendu son dernier soupir.

Je vous prie de communiquer le contenu de cette lettre à Rosmer et Naville.

Dites, s'il vous plait, au cam. Senine, qu'ils peuvent utiliser pour Klarkheit des extraits de ma dernière lettre en allemand; je n'aurais pas pu écrire autre chose dans une lettre officielle. On peut bien sûr en retirer ce qui est superflu ou inutile pour la presse.

 

P.S.: D'après ce qu'on m'écrit de Paris, Grilevitcz et Neumann avancent comme l'une des raisons, sinon la première, de leur départ de la direction, la méfiance que j'exprimerais à leur encontre dans la lettre dans laquelle je parle d'éventuels agents staliniens chargés de désagréger l'Opposition. Ce motif les compromet encore davantage. Nieraient-ils la possibilité que les staliniens ou Urbahns envoient secrètement leurs agents dans l'organisation oppositionnelle pour se tenir au courant et semer le désordre? Urbahns n'a peut-être pas assez de forces pour cela. Mais les staliniens ont suffisamment de forces et de moyens. Il me semble ainsi avoir indiqué un danger réel et à la fois sérieux. Si ces camarades ne l'ont pas trouvé tel sur la base de leur connaissance de la situation, alors tant mieux. Si le danger est réel à leurs yeux, il faut être attentif à ses propres rangs. Il est aisé, mais tout à fait stupide de s'offenser: c'est comme si les membres d'une organisation clandestine s'offensaient si on leur disait qu'un provocateur avait pu pénétrer dans leurs rangs. Ou bien les membres de la "troïka" estiment-ils difficile pour eux de mener la politique qui leur permettrait de se distinguer des adversaires cachés de l'Opposition? Bref, ils se compromettent entièrement et plus votre groupe prendra une position dure, mieux ce sera.


NOTES

[1] Bulletin d'Information


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