1927 |
Traduit de la Pravda, publié (tronqué) en français, par l'Humanité du 2.11.1927, puis, in extenso, par Contre le Courant, le 2.12.1927. |
Téléchargement fichier : cliquer sur le format de contenu désiré |
|
23 octobre 1927
[*] Tout d'abord, deux mots sur ce qu'on appelle le « trotskysme ». Par ce terme, tout opportuniste cherche à couvrir sa nudité. Pour fabriquer le « trotskysme », une usine de falsification travaille à fond avec trois équipes de rechange. A ce propos, j'ai écrit récemment, à l'Institut Historique du Parti, une lettre qui renferme une cinquantaine de citations et de documents, et qui prend l'école théorique et historique qui prédomine en ce moment, en flagrant délit de tripotage, de déformation, de dissimulation de documents et de faits, de défiguration de la pensée de Lénine – le tout dans le but de combattre ledit « trotskysme ». J'ai demandé qu'on envoyât cette lettre aux membres du Plenum réuni. Cela n'a pas été fait. Cependant, la lettre ne renferme, pour ainsi dire, que des documents et des citations. J'enverrai cette lettre à la « Feuille de discussion ». Je crois que, là aussi, on la cachera au Parti, car les faits et les documents que j'y produis sont trop accablants pour l'école stalinienne.
Trotsky (lisant). – Ma proposition de discuter séparément la question de l'officier Wrangélien et du complot militaire a été rejetée.
Skvortzov-Stépanov. – Encore ! Aïe-aïe-aïe ! Quelle honte !
Trotsky. – J'ai posé la question fondamentale, à savoir : Pourquoi, comment et par qui fut trompé le Parti auquel on avait dit que des communistes de l'opposition participeraient à des organisations contre-révolutionnaires. Car ce bruit a été répandu dans le pays. Demain, c'est inévitable, le monde entier en parlera. Pour démontrer une fois de plus comment vous comprenez la discussion, vous avez décidé de couper dans le sténogramme, c'est-à-dire de cacher au Parti mon bref discours, sur le faux officier de Wrangel. Boukharine nous a sorti ici une philosophie de l'amalgame thermidorien, basé sur les documents de Menjinski, documents qui n'ont rien à voir avec l'imprimerie, ni avec l'Opposition.
Skrypnik. – Et maintenant, Stcherbakov. Pas mal !
Trotsky. – Or, nous n'avons pas besoin de la philosophie à bon marché de Boukharine...
Unschlicht. – Mais de la philosophie de Trotsky !
Trotsky. – ...Mais il nous faut des faits. Et des faits il n'y en a pas.
Skrypnik. – Et Stcherbakov ?
Trotsky. – Voilà pourquoi la question est introduite dans la discussion sur l'opposition. Les documents lus par Menjinsky sont tous contre la politique actuelle. Il faut seulement éclairer ces documents par une analyse marxiste. C'est de cela qu'a parlé Zinoviev. II me reste à poser la question principale : comment et pourquoi la fraction qui gouverne...
Trotsky. – s'est vu obligée de tromper le parti, en présentant un agent du Guépéou comme un officier de Wrangel, et de dévoiler des petits fragments d'une instruction inachevée, afin d'effrayer le Parti par une fausse information sur la participation des opposants à une organisation contre-révolutionnaire. Où cela conduit-il ? Ce n'est que cette question a une valeur politique. Tout le reste s'efface au deuxième, et même au dixième plan.
Tchoubar. – Au premier plan est l'imprimerie.
Trotsky. – Dans notre déclaration de juillet de l'année dernière, nous avons prédit avec exactitude complète toutes les phases que traversera la destruction de la direction léniniste du parti et son remplacement provisoire par la direction stalinienne.
Skrypnik. – C'est-à-dire que vous aviez tracé d'avance votre conduite ?
Trotsky. – Je parle du remplacement provisoire; car plus le groupe dirigeant remporte de « victoires », plus il s'affaiblit. Nos prévisions de juillet de l'année dernière, nous pouvons les compléter à présent par la conclusion suivante : la victoire actuelle de Staline dans le cadre du parti précède sa chute politique. Celle-ci est inévitable.
Tchoubar. – C'est tiré du Messager Socialiste.
Trotsky. – ...Et étant donné le régime stalinien, elle se produira brusquement. Aussi la tache primordiale de l'opposition consiste-t-elle en ceci : faire en sorte que les conséquences de la politique néfaste des dirigeants actuels soient le moins nuisibles au parti et à sa liaison avec les masses.
Vous voulez nous exclure du Comité Central. Nous reconnaissons que cette mesure découle du cours de la direction dans la phase actuelle de son développement, pour dire plus exactement : de son écroulement. La fraction dirigeante qui exclut du parti des centaines et des centaines des meilleurs membres du parti, des ouvriers bolcheviks inébranlables ; la fraction de l'appareil qui ose exclure des bolcheviks tels que Mratchkovsky, Sérébriakov, Préobajensky, Charov, Sarkis, Vouyovitch, c'est-à-dire des camarades qui, à eux seuls, auraient été capables de former le secrétariat du parti, ayant beaucoup plus d'autorité, incomparablement plus de préparation, étant incomparablement plus léninistes (Bruit)...
Vorochilov. – C'est le secrétariat, votre Parti.
Petrovsky. – Un discours mencheviste !
Trotsky. – ...que notre secrétariat actuel (Bruit). La fraction de Staline-Boukharine, qui jette dans la prison préventive du Guépéou, de parfaits militants, tels que Netchaev, Chtykgold, Vassiliev, Schmidt, Fichelev et beaucoup d'autres : la fraction de l'appareil qui s'impose au Parti par des moyens violents, en étouffant la pensée du Parti, par la désorganisation de l'avant-garde du prolétariat, non seulement dans l'U.R.S.S., mais aussi dans le monde entier ; la fraction entièrement opportuniste derrière laquelle se traînaient et se traînent au cours de la dernière année les Chang Kaï Chek, les Feng You Sian, les Wan Tin Veï, les Purcell, les Highs, les Ben Tillett, les Koussinen, les Smeral (Bruit), les Pepper, les Heinz-Neuman, les Rafes, les Martynov, les Kondraticz et les Oustrialov.
Petrovsy. – Un discours révoltant, un discours menchéviste, – c'est vraiment horrible !
Skrypnik. – Quelles infâmies vous dites, Trotsky !
Vorochilov. – Ça, c'est l'amalgame.
Trotsky – ...cette fraction ne peut pas nous tolérer au sein du Comité central même un mois avant le Congrès. Nous le comprenons. On a caché notre programme d'action. Ou plutôt, on a essayé de le cacher (Bruit).
Babouchkine. – C'est vous qu'il faut cacher.
Skrypnik. – A quoi bon l'écouter, ce n'est qu'une insulte continuelle au C.C. !
Golotschekine. – Il s'amuse !
Trotsky. – (ses paroles se perdent dans le bruit et les cris de protestation). Que signifie la peur du programme ? C'est clair. La peur du programme, c'est la peur des masses.
Le 8 septembre, nous vous avons déclaré que malgré toutes les interdictions nous ferions connaître au Parti notre programme. Nous l'avons fait. Ce travail, nous le mènerons jusqu'au bout. Les camarades Mratchkovsky, Fichelev et tous les autres qui ont imprimé, qui diffusent notre programme, ont agi et agissent en plein accord avec nous, membres opposants du Comité Central et de la Commission Centrale de Contrôle, sous notre entière responsabilité politique et organisatoire (Bruit).
Lomov. – Et Stcherbakov, est-il aussi solidaire de vous ?
Trotsky. – La brutalité et la déloyauté dont parlait Lénine ne sont plus des défauts personnels : elles sont devenues les défauts de la fraction dirigeante, de sa politique, de son régime. Il ne s'agit pas des moyens en eux-mêmes. Le trait caractéristique du cours actuel est qu'il croit en la toute puissance de la violence même à l'égard de son propre Parti (Bruit).
Babouchkine. – Il lit le Messager Socialiste. Petit bourgeois dans l'Etat prolétarien !
Skrypnik. – Encore un article du Messager Socialiste !
Exclamations. – Menchevik !
Trotsky. – Grâce à la Révolution d'Octobre, notre Parti a reçu entre ses mains un instrument puissant de contrainte, sans lequel la dictature prolétarienne n'est pas possible. L'expression de la dictature est le Comité central de notre Parti. (Bruit.)
Au temps de Lénine, au temps du C.C. léniniste, l'appareil du Parti était subordonné à la politique révolutionnaire de classe sur une échelle mondiale. Certes, Staline, en tant que Secrétaire Général, a causé à Lénine de vives inquiétudes dès le début !
« Ce cuisinier ne préparera que des mets poivrés » disait Lénine entre amis, lors du Xe Congrès (Bruit.)
Exclamations. – Menchevik ! Assez !
Trotsky. – Mais, sous la direction de Lénine, lors de la composition léniniste du Bureau politique, le secrétariat général jouait un rôle absolument subalterne (Bruit). La situation a commencé à changer depuis la maladie de Lénine. Le choix des hommes par le secrétariat, le groupement des staliniens dans l'appareil, ont pris un caractère indépendant de la ligne politique. C'est pourquoi Lénine, envisageant sa retraite, donna au Parti son conseil suprême « Ecartez Staline, qui peut mener le Parti à la scission et à sa perte ». (Bruit.)
Skvortzov-Stépanov. – Vieille calomnie !
Thalberg. – Ah ! quel bavard, quel hâbleur !
Exclamations. – Quelle honte !
Thalberg. – Et vous, vous avez une politique juste ?
Skrypnik. – Jusqu'où il est tombé ! Quelle infâmie !
Exclamations. – C'est un mensonge !
Petrovski. – Vous êtes un méprisable menchevik !
Kalinine. – Petit bourgeois, radical !
Une voix. – Martov !
Trotsky. – (les mots se perdent dans le bruit et les cris de protestation)... Le parti n'a pas eu connaissance de ce conseil à temps. L'appareil, trié sur le volet, l'a caché. Les conséquences sont maintenant évidentes pour nous tous. (Bruit.)
La fraction dirigeante pense qu'au moyen de la violence, on peut arriver à tout.
Une voix. – C'est du Messager Socialiste.
Trotsky. – C'est une erreur fondamentale. La violence peut jouer un rôle révolutionnaire énorme. Mais à la condition d'être subordonnée à une politique de classe juste. (Bruit.) La violence que les bolcheviks ont exercée contre la bourgeoisie, contre les mencheviks contre les socialistes révolutionnaires, a donné – dans des conditions historiques déterminées – des résultats gigantesques. La violence de Kerensky et de Tseretelli contre les bolcheviks n'a fait qu'accélérer la défaite du régime de collaboration avec la bourgeoisie. En excluant, en privant de travail, en emprisonnant, la fraction dirigeante agit par l'argent et par la matraque contre son propre Parti. (Bruit.)
Cris. – A bas ! Quelle infamie ! Menchevik ! Traître ! Il ne faut pas l'écouter ! Quelle calomnie contre le Comité Central !
Trotsky. – Le militant ouvrier a peur de dire dans sa propre cellule ce qu'il pense, il a peur de voter selon sa conscience. La dictature de l'appareil (Bruit) terrorise le parti qui, doit être l'expression suprême de la dictature du prolétariat. En terrorisant le parti, la fraction dirigeante...
Cris. – A bas ! Mensonge !
Lomov. – Beaucoup d'artifice, mais le contenu est vide. (Bruit.)
Trotsky. – ...diminue sa possibilité de tenir en respect les ennemis de classe. Mais le régime du Parti n'existe pas isolément. Dans le régime du Parti, toute la politique de la direction du Parti trouve son expression. Cette politique a déplacé au cours des dernières années son axe de classe de la gauche vers la droite : du prolétariat vers la petite bourgeoisie, de l'ouvrier vers le « spécialiste », du militant du rang, vers le bureaucrate du Parti, de l'ouvrier agricole et du paysan pauvre, vers le Koulak, de l'ouvrier de Shanghai vers Chan Kaï Chek, du paysan chinois vers les officiers bourgeois, du prolétaire anglais vers Purcell, Highs, le Conseil général, etc. C'est là l'essence même du stalinisme.
Vorochilov. – Dans le Roul c'est mieux dit, mon vieux !
Trotsky. – A première vue, le courant stalinien paraît être victorieux. La fraction stalinienne frappe à gauche : Moscou, Léningrad, à droite : Caucase du Nord. En réalité, toute la politique de la fraction du centre se fait sous les coups des deux knouts : de droite et de gauche. (Bruit.)
Sans base de classe, la fraction bureaucratique du centre se balance entre deux politiques de classe...
Voix. – Mensonge ! A bas !
Trotsky. – ...en glissant toutefois systématiquement de la ligne prolétarienne vers celle de la petite bourgeoisie. Ce glissement ne se fait pas en ligne droite, mais en zigzags très raides.
Skrypnik. – Menchevik ! (Bruit.)
Trotsky. – Dans le passé nous avons eu pas mal de ces zigzags. Le plus éclatant et le plus mémorable a été l'extension des droits électoraux sous la pression des Koulaks : coups de knout de droite. (Bruit.)
Ensuite, son annulation sous la pression de l'Opposition : coup de knout de gauche (Bruit). Il y a eu pas mal de zigzags dans le domaine de la législation ouvrière, des salaires, de la politique des impôts, de l'attitude envers les commerçants privés, etc. Mais, entre temps, le cours général se déplaçait vers la droite. Le dernier Manifeste est certainement un zigzag à gauche. Mais nous ne nous trompons pas un instant : ce n'est qu'un zigzag...
Yaroslavski. – Une messe pour le repos de l'âme de Trotsky !
Voix. – Marche funèbre !
Trotsky. – ...qui à lui seul ne modifiera pas la direction générale de la politique et qui doit même déjà dans l'avenir le plus proche – accélérer le glissement ultérieur du centre dirigeant vers la droite.
Voix. – Fripouille ! Menchevik ! (Bruit.)
Trotsky. – Les clameurs d'aujourd'hui sur l'offensive accélérée contre le Koulak auquel on à dit encore hier : « Enrichis-toi ! » ne peuvent pas modifier cette politique, comme ne peut pas la modifier un don du jubilé tel que la journée de sept heures. (Bruit, sifflets.) La ligne politique de la direction actuelle ne se détermine pas seulement par des zigzags aventurés...
Tchoubar. – Il ne peut pas y avoir plus d'aventurisme que chez toi.
Skrypnik. – Menchevik, va-t-en du parti !
Trotsky. – ...mais par l'appui social que cette politique a groupé autour d'elle dans sa lutte contre l'Opposition. A travers l'appareil actuel, à travers le régime actuel, l'avant-garde prolétarienne subit la pression... (le bruit augmente de plus en plus, on n'entend presque plus les paroles de Trotsky) ...des bureaucrates arrivés, y compris des bureaucrates ouvriers... (le bruit et les sifflets deviennent plus forts)... des administrateurs, des petits industriels, des nouveaux propriétaires, des intellectuels privilégiés de la ville et de la campagne...
Vorochilov. – Zinoviev, écoute cette ignominie !
Skrypnik. – La tribune du C. C. n'est pas faite pour ces abominations !
Skvortzov-Stépanov. – C'est Dan qui est parti en tournée !
Trotsky. – ...de tous ces éléments qui commencent à montrer le poing au prolétariat en disant : « Ce n'est plus l'année 1918. »
Ce n'est pas le zigzag à gauche qui décide, mais la ligne politique fondamentale. C'est le choix des cadres qui décide. Ce sont les cadres qui décident. C'est l'appui social qui décide. Il est impossible d'étouffer les cellules ouvrières et de serrer de près le Koulak. L'un n'est pas compatible avec l'autre... (Bruit, coups de sifflet.)
Des voix. – Fossoyeur de la Révolution ! Honte ! A bas ! A bas, canaille ! A bas le renégat !
Trotsky. – Le zigzag à gauche lors du jubilé, dès qu'il commencera à être réalisé, se heurtera à une résistance violente dans les rangs mêmes de la majorité. Aujourd'hui, « Enrichissez-vous », mais demain... (Bruit)... on n'obtiendra rien des Koulaks... derrière les bureaucrates se tient la bourgeoisie renaissante... (Bruit. Cris : A bas !)
Vorochilov. – Ça suffit ! Honte !
Coups de sifflets. Le bruit va croissant. Tumulte. On n'entend plus rien. Le président sonne. Coups de sifflets. Des voix crient : « A bas de la tribune ! » Le président annonce une suspension de séance. Le camarade Trotsky continue à lire, mais on ne peut pas distinguer un seul mot. Les membres du Plenum quittent leur place et commencent à se disperser.
[**] Aujourd'hui : «Enrichissez-vous » et, demain : « « Dékoulakisez-vous » Pour Boukharine, c'est chose facile. Un trait de plume, et c'est fait. Mais le koulak, mais l'administrateur, mais le bureaucrate endurci, mais l'oustrialoviste ont là-dessus une autre idée. Ils ne sont pas enclins à de tels coups de barre d'anniversaire, et ils diront leur mot.
Le camarade Tomsky, qui s'est empêtré plus que les autres, s'est élevé, comme l'on sait, contre le zigzag de l'anniversaire. Tomsky a le pressentiment que les ouvriers demanderont des comptes aux syndicats. C'est lui qui devra répondre. Demain, les ouvriers exigeront de Tomsky qu'il arrête en fait, tout au moins, le cours à droite appelé dans le manifeste cours à gauche, ce qui, dans le bloc dirigeant, rendra la lutte inévitable. Dans l'aile droite de notre parti, il y a la ligne de l'administrateur et la ligne du syndicaliste. Ils font bloc, comme cela est arrivé plus d'une fois dans l'histoire du mouvement ouvrier international. Le zigzag gauche de l'anniversaire dressera une barrière entre l'administrateur et le syndicaliste. L'homme de l'appareil, qui balance entre les deux, perdra son point d'appui. Le zigzag de l'anniversaire est l'aveu le plus indéniable et le plus éclatant que l'opposition a raison dans toutes les questions essentielles de la vie intérieure des villes et des campagnes. D'autre part, il est le propre désaveu politique de la fraction dirigeante, son certificat d'indigence. Un désaveu en paroles, puisqu'elle est incapable de lui donner suite pratiquement. Le zigzag de l'anniversaire ne retardera pas, il accélérera la banqueroute politique du cours actuel.
Le régime du Parti découle de toute la politique de la direction. Derrière les extrémistes de l'Appareil, se tient la bourgeoisie intérieure qui renaît. Derrière elle, se tient le bourgeoisie mondiale. Toutes ces forces pèsent sur l'avant-garde prolétarienne, l'empêchent de lever la tête, d'ouvrir la bouche. Plus la politique du Comité Central s'écarte de la ligne de classe, plus elle est obligée d'imposer, d'en haut, cette politique à l'avant-garde prolétarienne, par des mesures de coercition. C'est là qu'est l'origine du révoltant régime qui règne dans le Parti. Lorsque Martynov, Smeral, Rafès et Peper dirigent la Révolution chinoise et que Mratchkovsky, Sérébriakov, Préobrajensky, Charov et Sarkis sont exclus du Parti pour avoir imprimé et diffusé une plate-forme bolchéviste destinée au Congrès, ces faits ne sont pas seulement d'ordre intérieur du Parti. Non, dans ces faits, la mouvante influence politique des classes trouve déjà son expression.
Il est certain que la bourgeoisie intérieure fait pression sur la dictature du prolétariat et sur son avant-garde prolétarienne, sans doute moins hardiment, moins ouvertement, moins astucieusement que la bourgeoisie mondiale. Mais ces deux pressions vont de pair et s'exercent simultanément. Les éléments de la classe ouvrière et de notre Parti qui ont, les premiers, pressenti l'approche du danger, qui ont été, les premiers, à en parler, c'est-à-dire les représentants de la classe ouvrière les plus révolutionnaires, les plus stoïques, les plus perspicaces, les plus irréductibles, forment, aujourd'hui, les cadres de l'Opposition. Ces cadres se développent dans notre parti comme sur le plan international.
Les événements les plus considérables et les faits nous donnent raison. La répression affermit nos cadres, rassemble dans nos rangs les meilleurs des « vieux » du Parti, trempe les jeunes en groupant autour de l'Opposition les véritables bolchéviks de la nouvelle génération. Exclus du Parti, les opposants constituent les meilleurs hommes du Parti. Ceux qui les excluent et les arrêtent sont – sans s'en rendre compte encore – l'instrument de pression des autres classes sur le prolétariat. En essayant de piétiner notre plate-forme, la fraction dirigeante exécute un ordre social donné par Oustrialov, c'est-à-dire par la petite et moyenne bourgeoisie qui rélève la tête. A l'encontre des politiques de la vieille bourgeoisie émigrée au déclin, Oustrialov, politique intelligent et clairvoyant de la nouvelle bourgeoisie, n'aspire pas à la Révolution, aux grandes secousses, il ne veut pas non plus « sauter les étapes ». La marche oustrialoviste actuelle, c'est le cours stalinien. Oustrialov mise ouvertement sur Staline. Il exige de Staline le châtiment de l'Opposition. En excluant et en arrêtant les opposants, en lançant contre nous une accusation essentiellement thermidorienne au sujet de l'officier de Wrangel et du complot militaire, Staline exécute l'ordre social d'Oustrialov.
Le but immédiat de Staline : scinder le Parti, scinder l'Opposition, habituer le Parti aux méthodes d'anéantissement physique, constituer des équipes de siffleurs fascistes, d'hommes travaillant à coups de poings, à coups de bouquins, à coups de pierres, mettre les gens sous les verrous, voilà sur quoi le cours stalinien s'est momentanément arrêté avant d'aller plus loin. Sa route est déjà tracée. Pourquoi les Yaroslavsky, les Chvernik, les Golochékine et autres discuteraient-ils au sujet des chiffres de contrôle, puisqu'ils peuvent lancer à la tête d'un opposant un gros bouquin de chiffres de contrôle ? [1] Le stalinisme trouve son expression effrénée en se laissant aller à de véritables actes de voyous. Or, nous le répétons, ces méthodes fascistes ne sont que l'accomplissement aveugle, inconscient d'un ordre social émanant des autres classes. Le but : amputer l'Opposition du Parti et l'anéantir physiquement.
Déjà, des voix se font entendre : « Nous en excluerons un millier, nous en fusillerons une centaine, et, tout deviendra calme dans le Parti ». Ainsi parlent de malheureux aveugles, apeurés et déchaînés en même temps. C'est la voix de Thermidor. Les bureaucrates les plus mauvais, corrompus par le pouvoir, aveuglés de haine, le préparent de toutes leurs forces. Il leur faut, pour cela, deux partis. Mais la violence se brisera contre une ligne politique juste qui a, pour la servir, le courage révolutionnaire des cadres d'opposants. Staline ne créera pas deux partis. Nous disons ouvertement au Parti : la dictature du prolétariat est en danger. Et nous croyons fermement que le Parti – son noyau prolétarien – entendra, comprendra, rectifiera. Le Parti est déjà profondément remué, demain il sera remué jusque dans son tréfonds.
Derrière les quelques milliers d'opposants appartenant aux cadres du Parti, suit une double, une triple couche (d'adhérents à l'Opposition), puis une couche encore plus large d'ouvriers membres du Parti qui ont déjà commencé à prêter une oreille attentive à l'opposition et à se rapprocher d'elle. Ce processus est inévitable. L'ouvrier sans parti ne s'est pas laissé prendre aux attaques et aux calomnies dirigées contre nous. Son mécontentement légitime devant le développement du bureaucratisme et du régime du bâillon, la classe ouvrière de Léningrad l'a exprimé dans l'éclatante démonstration du 17 octobre. Inébranlablement, le prolétariat est pour le pouvoir des Soviets, mais il veut une autre politique. Tous ces processus sont inévitables. L'appareil est impuissant à les combattre. Plus les répressions seront violentes, plus elles affermiront l'autorité des cadres d'opposants aux yeux des communistes du rang et de la classe ouvrière dans son ensemble. Pour chaque centaines d'opposants exclus du Parti, il y aura un nouveau millier d'opposants dans le Parti. L'opposant exclu se sent membre du Parti et le restera. On peut, par la violence, arracher la carte du Parti au véritable bolchevik léniniste, on peut, momentanément, lui retirer ses droits de membre du Parti, il n'abandonnera jamais ses obligations de membre du Parti. Lorsque Janson demanda, au camarade Mrachkovsky, à la séance de la Commission Centrale de Contrôle, ce qu'il ferait lorsqu'il serait exclu du Parti, le camarade Mratchkovsky répondit : « Je continuerai comme par le passé. »
C'est ce que dira tout opposant, quel que soit le lieu d'où l'on puisse exclure : du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, du Comité Central, du Parti Communiste de l'Union ou du Parti. Chacun de nous dit avec Mratchkvosky : « Je continuerai comme par le passé ».
Nous tenons la manette du bolchevisme. Vous ne nous en arracherez pas. Nous la ferons marcher. Vous ne nous amputerez pas du Parti, vous ne nous couperez pas de la classe ouvrière. Nous connaissons les répressions, nous sommes habitués aux coups. Nous ne livrerons pas la Révolution d'Octobre à la politique de Staline dont l'essence peut s'exprimer en quelques mots. Bâillonnement du noyau prolétarien, fraternisation avec les conciliateurs de tous les pays, capitulation devant la bourgeoisie mondiale.
Excluez-nous donc du Comité Central un mois avant le Congrès que vous avez déjà transformé en étroite réunion des gens de la fraction Staline ! Le 15e Congrès sera, au point de vue extérieur, une espèce de triomphe supérieur de la mécanique de l'Appareil. En réalité, il en marquera le complet effondrement politique. Les victoires de la fraction Staline sont les victoires des forces de classes étrangères sur l'avant-garde prolétarienne. Les défaites du Parti dirigé par Staline sont les défaites de la dictature du prolétariat. Le Parti le sent déjà. Nous lui viendrons en aide. La plate-forme de l'Opposition est sur la table du Parti ! Après le 15e Congrès, l'Opposition sera, dans le Parti, incomparablement plus forte qu'en ce moment. Le calendrier de la classe ouvrière et le calendrier du Parti ne coïncident pas avec le calendrier bureaucratique de Staline. Le prolétariat pense lentement, mais sûrement. Notre plate-forme accélérera ce processus. En dernière analyse, c'est la ligne politique qui décide, et non pas la main de fer bureaucratique.
L'Opposition est invincible. Excluez-nous aujourd'hui du Comité Central, comme hier vous avez exclu Sérébriakov et Préobrajensky du Parti, comme vous avez arrêté Fichelev et les autres. Notre plate-forme se frayera sa voie. Déjà, les ouvriers de tous les pays se demandent, avec la plus grande inquiétude, pour quelle raison, à l'occasion du 10e anniversaire de la Révolution d'Octobre, on exclut, on arrête les meilleurs combattants de cette Révolution. A qui la faute ? A quelle classe ? A celle qui a a vaincu en Octobre, ou à celle qui appesantit sa pression tout en sapant la victoire d'Octobre ? Même les ouvriers retardataires de tous les pays, réveillés par vos répressions, prendront en mains notre plate-forme pour vérifier l'ignoble calomnie répandue au sujet de l'officier de Wrangel et du complot militaire.
Les poursuites, les exclusions, les arrestations feront de notre plate-forme le document le plus populaire, le plus près du cœur, le plus cher du mouvement ouvrier international. Excluez-nous, vous n'arrêterez pas les victoires de l'Opposition : elles seront les victoires de l'unité révolutionnaire de notre Parti et de l'Internationale Communiste.
Note
[1] Au cours d'une discussion, Yaroslavsky, perdant tout sang-froid, avait jeté à la tête de Trotsky le gros volume du Plan d'État.
Notes MIA
[*] Paragraphe omis par l'Humanité.
[**] Toute la fin de l'intervention avait été omise par l'Humanité.
|