1924

En 1924, Trotsky publie ce texte, qui tire les premiers enseignements d'Octobre. Sa publication est évidemment liée au combat qui s'est engagé en Russie face à la montée de la bureaucratie. Ces "leçons" seront d'ailleurs à l'origine de la première campagne anti-trotskyste menée en URSS.


Les leçons d'Octobre

Léon Trotsky

Deux mots sur ce livre

La première phase de la révolution "démocratique" va de la Révolution de février à la crise d'avril et à sa solution, le 6 mai, par la création d'un gouvernement de coalition auquel partici­paient les mencheviks et les narodnikis. L'auteur du présent ouvrage n' a pas pris part aux événements de cette première phase, car il n'est arrivé à Petrograd que le 5 mai, la veille de la constitution du gouvernement de coalition. La première étape de la révolution et ses perspectives sont mises en lumière dans les articles écrits en Amérique. Je crois que, dans tout ce qu'ils ont d'essentiel, ces articles concordent avec l'analyse que Lénine a donnée de la révolution dans ses Lettres de loin.

Dès le premier jour de mon arrivée à Petrograd, je travaillais en complet accord avec le Comité Central des bolcheviks. Il va de soi que je soutenais entièrement la théorie de Lénine sur la conquête du pouvoir par le prolétariat. En ce qui concerne la paysannerie, je n'avais pas l'ombre d'une divergence de vues avec Lénine, qui terminait alors la première étape de sa lutte contre les bolcheviks de droite, arborant le mot d'ordre de la "Dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie". Jusqu'à mon adhésion formelle au Parti, je pris part à l'élabo­ration d'une série de décisions et de documents portant l'estam­pille du Parti. Le seul motif qui me fit retarder de trois mois mon adhésion au Parti fut le désir d'accélérer la fusion des bol­cheviks avec les meilleurs éléments de l'organisation interrayonniste et, en général, avec les internationalistes révolutionnaires. Je menais cette politique avec l'entier assentiment de Lénine.

La rédaction de cet ouvrage a attiré mon attention sur une phrase d'un de mes articles d'alors en faveur de l'unification, phrase dans laquelle je signalais, en matière d'organisation, "l'étroit esprit de cercle" des bolcheviks. Certes, des penseurs profonds comme Sorine ne manqueront pas de rattacher direc­tement cette phrase aux divergences de vues sur le paragraphe I° du statut. Je ne vois pas la nécessité d'engager là-dessus une discussion, maintenant que, verbalement et effectivement, j'ai reconnu mes grandes fautes en matière d'organisation. Mais le lecteur moins prévenu trouvera une explication beaucoup plus simple et plus directe de l'expression précitée dans les condi­tions concrètes du moment. Les ouvriers interrayonnistes gar­daient encore une très grande méfiance à l'égard de la politique d'organisation du Comité de Petrograd. Voici ce que j 'avais répliqué dans mon article : "L'esprit de cercle, héritage du passé, existe encore; mais, pour qu'il diminue, les interrayon­nistes doivent cesser de mener un existence isolée, à part".

Ma "proposition" purement polémique, au I° Congrès des Soviets, de former un gouvernement avec une douzaine de Piéchékhanov fut interprétée - par Soukhanov, je crois - comme la manifestation d'une inclination personnelle pour Piéchékhanov et, en même temps, comme une tactique différente de celle de Lénine. C'est là évidemment une absurdité. Quand notre Parti exigeait que les Soviets, dirigés par les mencheviks et les socia­listes-révolutionnaires, prissent le pouvoir, il "exigeait" par là même un ministère composé de gens comme Piéchékhanov. Entre Piéchékhanov, Tchernov et Dan, il n'y avait, en dernière analyse, aucune différence fondamentale; tous, ils pouvaient également servir à faciliter la transmission du pouvoir de la bour­geoisie au prolétariat. Peut-être Piéchékhanov connaissait-il un peu mieux la statistique et donnait-il l'impression d'un homme un peu plus pratique que Tsérételli ou Tchernov. Une douzaine de Piéchékhanov, c'était un gouvernement composé de repré­sentants ordinaires de la démocratie petite-bourgeoise, au lieu de la coalition. Quand les masses pétersbourgeolses dirigées par notre Parti arborèrent le mot d'ordre : "A bas les dix ministres capitalistes !", elles exigeaient par là même que les mencheviks et les narodnikis occupassent les places de ces derniers. "Débarquez les cadets, prenez le pouvoir, Messieurs les démocrates bourgeois; mettez au gouvernement douze Piéchékhanov, et nous vous promettons de vous déloger le plus "pacifique­ment" possible de vos postes quand l'heure sonnera. Or, elle ne doit pas tarder à sonner." On ne saurait parler ici d'une ligne spéciale; ma ligne était celle que Lénine avait formulée à maintes reprises...

Kislovodsk, 15 septembre 1924.


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