1923 |
Article rédigé le 27.01.1923, paru en russe dans les Izvestia 28-01-1923, puis en français dans Le Bulletin Communiste 5e année n°9 01-03-1923 et La Correspondance Internationale 3e année n°6 16-02-1923 |
La Nouvelle Politique Economique
27 janvier 1923
Présentation du Bulletin Communiste :
Notre Camarade Trotsky a écrit ce court article pour servir de préface à un livre de Mme Anna-Louise Strong. Nous croyons bien faire en donnant ici cette forte page consacrée à la Nep (Nouvelle politique économique)
Une vaste littérature existe déjà sur la Révolution d'Octobre et la Russie des Soviets. Conformément au caractère même de l'époque révolutionnaire, chaque nouveau livre définit avec sympathie ou avec hostilité, quelqu'une des étapes d'un rapide développement révolutionnaire.
Bien des livres ont été consacrés à notre guerre civile. Les uns dépeignent notre cruauté, les autres décrivent l'héroïsme de notre avant-garde révolutionnaire et l'inoubliable abnégation des travailleurs russes dans leur lutte pour des buts élevés et nouveaux. L'ampleur de la bataille révolutionnaire et l'ampleur de ses sacrifices ont indéniablement valu à la révolution russe, en même temps que les sympathies des masses ouvrières du monde, celles des meilleurs éléments intellectuels. Il faut pourtant dire que ces derniers n'ont pas toujours été bien fermes. Il nous est souvent arrivé d'observer que les mêmes intellectuels ou les mêmes groupes intellectuels qui, tout en acceptant la révolution, déploraient naguère ses cruautés et son influence destructrice sur la culture, se sont sentis nous seulement peinés, mais presque offensés, lorsque la révolution a passé au travail opiniâtre et minutieux de l'édification quotidienne : nous les avons voyez-vous, fait dégringoler des hauteurs de la poésie tragique dans les vallées prosaïques de la Nep.
Le malheur c'est que les critériums éthico-esthétiques, dont se sert habituellement une partie importante et non la moins intéressante des intellectuels, sont vains pour l'appréciation de grands événements historiques. L'histoire n'obéit pas aux règles de la morale ou de l'éthique. Elle obéit à la logique de ses forces intérieures, aux classes et aux facteurs matériels qui sont à la base des sociétés. L'éthique et l'esthétique sont des phénomènes de deuxième et de troisième ordre. Une classe nouvelle, luttant âprement pour un nouveau régime historique, fait, par là même, le chemin vers une éthique et une esthétique nouvelles.
«Hélas ! Hélas» s'exclament certains «amis», navrés de la Russie des Soviets, le tsar Nep règne aujourd'hui sans conteste sur la Russie. «Où est la Russie tragique et sanglante de 1918-1920 ?»
Mme Anna-Louise Strong, elle, a su voir peut-être l'a-t-elle seulement ressenti, au début dans la «prose» de la Nep comme sous les aspects dramatiques de la guerre civile, la bataille résolue, obstinée, sans merci contre l'esclavage séculaire, l'ignorance, la barbarie, pour des formes nouvelles et plus hautes de la vie. Mme Strong est venue en Russie, alors que la famine et les épidémies ravageaient le pays de la Volga. Elle-même a passé par le typhus. Son labeur d'écrivain a inlassablement contribué à ouvrir une brèche dans la muraille de mensonge réactionnaires qui été un des éléments les plus importants du blocus impérialiste de la révolution. Cela ne veut évidemment pas dire que Mme Strong ait dissimulé le côté sombre des choses ; non ; mais elle a cherché à comprendre et à expliquer comment ils résultaient du passé en lutte avec l'avenir.
Grâce à cette façon de faire la seule correcte et juste la Nep n'est pas apparue à Mme Strong comme une prose grossière ou comme une liquidation de la révolution, mais comme une des étapes nécessaires de celle-ci. Les hommes mêmes qui ont combattu sur tous les fronts de la guerre civile à l'exception bien entendu de ces dizaines de milliers d'entre eux tombés sous les coups de l'impérialisme français, anglais, américain travaillent aujourd'hui au rétablissement économique du pays, au nom des mêmes buts, avec la même énergie, avec la même abnégation totale. Les difficultés auxquelles ils se heurtent sont, en vérité, énormes. Dans les domaines de l'Economie et de la Culture, nous sommes infiniment arriérés. Mais la compréhension de ce fait, si elle pénètre les grandes masses populaires, devient elle-même la plus grande puissance de culture. Cette force, la révolution l'a éveillée, nous l'avons, nous bâtissons avec son aide. Notre édification est souvent tâtonnante, souvent maladroite, mais historiquement invincible.
27 janvier 1923