1920 |
Cette traduction est tirée du numéro 30/31 du Bulletin communiste, 16 septembre 1920, avec comme titre « Le congrès de la 3e Internationale ». L'article avait paru en russe dans la Pravda N°160, 22 juillet 1920. Corrections d'après le texte russe. |
Sur le parti socialiste français
Les social-patriotes et leurs inspirateurs bourgeois font remarquer que les guides de la 3e Internationale, appelés quelquefois « Moscou », ou « les bolcheviks », posent des exigences dictatoriales aux autres partis concernant l'exclusion de leurs membres, les changements dans la tactique, etc., comme conditions à l'admission dans la, 3e internationale.
Les socialistes du centre (les Kautskiens, les Longuettistes) y répètent ces accusations, dans une forme un peu délayée, en essayant de piquer au vif les sentiments nationaux des ouvriers de tel ou tel pays, en éveillant chez eux le soupçon que quelqu'un tâche de les commander « du dehors ».
En réalité, les accusations et les insinuations de cette sorte expriment l'altération, due à la mauvaise foi bourgeoise, ou bien la non-compréhension, bourgeoisement bête, de l'essence même de l'Internationale Communiste, qui ne présente nullement un ensemble des associations ouvrières et socialistes existant en différents pays, mais forme une organisation internationale intégrale et autonome poursuivant des buts définis et exactement formulés par des moyens révolutionnaires également définis.
L'organisation de chaque pays, en adhérant à la 3e Internationale, non seulement se soumet à sa direction générale, vigilante et exigeante, mais elle acquiert elle-même le droit de prendre une part active dans la direction de toutes les autres parties de l'Internationale Communiste.
L'adhésion à l'Internationale poursuit non les buts d'une étiquette internationale, mais les tâches de combat révolutionnaires. Par conséquent, elle ne peut en aucun cas se baser sur des omissions, des malentendus ou des obscurités du langage. L'Internationale Communiste rejette avec mépris les conventions qui paralysaient de haut en bas les relations à l'intérieur de la 2e Internationale et qui étaient basées sur le fait que les chefs de chaque parti national faisaient semblant de ne pas s'apercevoir des déclarations et des actions opportunistes et chauvines des chefs des autres partis nationaux, dans l'espoir que ces derniers leur rendront la pareille.
Les relations entre les partis « socialistes » nationaux n'étaient qu'une misérable reproduction des relations entre les diplomaties bourgeoises à l'époque de la paix armée. C'est justement grâce à cela que, au moment où les généraux, capitalistes ont rejeté la diplomatie capitaliste, le mensonge conventionnel diplomatique des partis « fraternels » de la 2e Internationale a été remplacé par le militarisme ouvert de ses chefs.
La 3e Internationale est une organisation de l'action révolutionnaire de l'insurrection prolétarienne internationale. Les éléments qui se déclarent prêts à entrer dans la 3e Internationale, mais s'insurgent, en même temps, contre l'imposition, « du dehors », des conditions de cette entrée, démontrent par cela même leur entière inutilité et leur incapacité du point de vue des principes et des méthodes d'action de la 3e Internationale. La création d'une organisation de la lutte pour la dictature du prolétariat n'est possible qu'à la condition que, dans la 2e Internationale, ne seront admises que les collectivités qui sont pénétrées du véritable esprit de l'insurrection prolétarienne contre la domination de la bourgeoisie et qui, par conséquent, sont intéressées elles-mêmes à ce que, dans leur milieu aussi bien que dans le milieu des autres collectivités politiques et professionnelles qui travaillent avec elles, soient absents non seulement les traîtres et les délateurs, mais aussi les sceptiques sans volonté, ces éléments des éternelles hésitations, ces semeurs de panique et de confusion dans les idées. Et on ne peut y arriver que par un nettoyage continuel et obstiné de ses rangs des fausses idées, des fausses méthodes d'action, et de leurs porteurs.
Les conditions que la 3e Internationale pose et continuera à poser à toute organisation qui entre dans ses rangs sont justement destinées à servir ce but.
Je le répète : l'Internationale Communiste n'est pas un ensemble des partis ouvriers nationaux. Elle est le parti communiste du prolétariat international. Les communistes allemands ont le droit et sont obligés de demander carrément la raison pour laquelle Turati se trouve dans leur parti. Les communistes russes ont le droit et sont obligés, en examinant la question, de l'admission dans la 3e Internationale des social-démocrates indépendants d'Allemagne et du parti socialiste français, de poser les mêmes conditions qui, de leur point de vue, garantiront notre parti international contre la liquéfaction et la décomposition. Mais toute organisation qui entre dans l'Internationale Communiste acquiert, à son tour, le droit et la possibilité d'une influence active sur la théorie et la pratique des bolcheviks russes, spartakistes allemands, etc., etc.
Dans sa réponse, qui épuise la matière, adressée au parti indépendant allemand, le Comité exécutif de l'Internationale Communiste identifie, en principe, les indépendants allemands avec les longuettistes français. C'est absolument vrai. Mais, lorsque la question touchant le parti socialiste français est posée d'une façon plus pratique, il est nécessaire, à côté des traits fondamentaux de ressemblance, d'établir également les différences.
Le fait que le parti socialiste français a marqué, dans son ensemble, des aspirations vers la 3e Internationale, amène par lui-même, de prime abord, des craintes naturelles. Ces craintes ne peuvent qu'augmenter, si l'on compare, d'une façon plus positive, la situation du socialisme en France avec sa situation en Allemagne.
La vieille social-démocratie allemande s'est divisée actuellement en trois branches : 1° la social-démocratie ouvertement gouvernementale et chauvine d'Ebert-Scheidemann ; 2° le parti « indépendant » dont les chefs officiels essaient de rester dans les cadres de l'opposition parlementaire, pendant que les masses brûlent de se jeter dans une insurrection ouverte contre la société bourgeoise, et 3° le Parti Communiste faisant partie de la 3e Internationale.
En examinant la question de l'entrée du parti indépendant dans la 3e Internationale nous constatons d'abord la non-conformité susmentionnée entre la conduite des chefs officiels et les aspirations des masses. Cette non-conformité est le point d'application de notre levier. En ce qui concerne la social-démocratie de Scheidemann, qui passe actuellement, avec la formation d'un gouvernement purement bourgeois, à la semi-opposition, il n'est pas même question, pour nous, d'admettre ce parti dans la 3e Internationale ou d'entrer, dans une mesure quelconque, en pourparlers avec lui. Cependant, le parti socialiste français n'est nullement une organisation équivalente au parti indépendant allemand dans son état actuel, car aucune scission ne s'est produite dans le parti socialiste français, et les Ebert, Scheidemann et Noske français y conservent tous leurs postes responsables.
Pendant la guerre, la conduite des chefs du parti socialiste français n'a pas été pour un iota au-dessus de la conduite des social-traîtres allemands les plus patentés. La trahison de classe a été ici, comme de l'autre côté, également profonde. Quant aux formes de son expression, du côté français elles ont été encore plus criardes et vulgaires que dans le camp de Scheidemann. Mais alors que la social-démocratie indépendante allemande avait rompu, sous la pression des masses, avec ses Scheidemann, — MM. Thomas, Renaudel, Varenne, Sembat, etc..., restent, comme par le passé dans les rangs du parti socialiste français. Ce qui est pourtant le plus essentiel, c'est la manière véritable, effective, pratique des guides officiels du parti socialiste français de considérer la lutte révolutionnaire pour la prise du pouvoir. Guidé par des longuettistes, le Parti socialiste non seulement ne se prépare pas à cette lutte par tous les moyens d'agitation et d'organisation, ouvertement ou clandestinement, mais au contraire, en la personne de ses représentants, il suggère aux masses la pensée que l'époque actuelle de désorganisation et de ruine économiques n'est pas favorable à la domination de la classe ouvrière. En d'autres termes, le parti socialiste français, sous l'impulsion des longuettistes, impose aux masses ouvrières une tactique de passivité et d'attente, leur inculque la pensée que la bourgeoisie, aux époques des catastrophes impérialistes, est capable de sortir le pays de l'état du chaos économique et de la misère, et de préparer de cette façon, les conditions « favorables » pour la dictature du prolétariat. Il est inutile de dire que si la bourgeoisie réussissait ce qu'elle ne peut réussir en aucun cas, c'est-à-dire la renaissance économique de la France et de l'Europe, le parti socialiste français aurait encore moins de raisons, de possibilités et d'intérêt qu'il n'en a aujourd'hui, pour appeler le prolétariat au renversement révolutionnaire de la domination bourgeoise.
En d'autres termes, dans sa tactique capitale, le parti socialiste français guidé par des longuettistes, joue un rôle contre-révolutionnaire. Il est vrai que, contrairement à l'exemple du parti de Scheidemann, le parti socialiste français est sorti de la 2e Internationale. Mais si l'on prend en considération que cette sortie a été entreprise sans aucun préjudice à l'union avec Renaudel, Thomas et tous les autres serviteurs de la guerre impérialiste, ils devient parfaitement clair que pour une partie très considérable des représentants du socialisme officiel français, la sortie de la 2e Internationale n'a rien de commun avec le reniement de ses méthodes, mais n'est qu'une simple manœuvre faite pour continuer à tromper les masses des travailleurs.
Pendant la guerre, le parti socialiste français s'opposait avec une telle obstination au socialisme kaiserien de Scheidemann, qu'à l'heure qu'il est, il est devenu très malaisé, non seulement pour Longuet, Mistral, Pressemane et autres partisans du centre, mais même pour Renaudel, Thomas, Varenne, de rester dans le cercle de la 2e Internationale, face à face avec Ebert, Scheidemann et Noske, comme s'ils étaient dans une communion d'idées très étroite avec ces derniers. De cette manière, la sortie de la cuisine de Huysmans était dictée au socialisme officiel français par les suites de sa position patriotique. Il est vrai qu'il a fait tout son possible pour donner à son refus patriotique d'une collaboration immédiate avec Noske et Scheidemann l'air d'un geste dicté également par l'internationalisme. Mais la phraséologie des résolutions de Strasbourg ne saurait non seulement abolir, mais même atténuer la valeur du fait que dans les rangs de la majorité de parti de Strasbourg ne figurent pas les communistes français, mais que tous les chauvins connus s'y trouvent. Le parti indépendant d'Allemagne, opposé comme organisation à la social-démocratie patriote, est forcé de mener contre cette dernière une lutte ouverte idéologique et politique dans la presse et dans les réunions et par cela même, malgré le caractère archi-opportuniste de ses journaux et de ses chefs, il collabore à rendre révolutionnaires les masses des travailleurs ; en France, au contraire, nous observons ces derniers temps un rapprochement croissant entre l'ancienne majorité et l'ancienne minorité longuettiste et la suppression, entre elles, de toute lutte idéologico-politique et organisationnelle.
Dans ces conditions, la question de l'adhésion du parti socialiste français à la 3e Internationale présente encore plus de difficultés et de dangers que celle de la social-démocratie indépendante allemande.
Nous devons poser au parti socialiste français, en tant qu'il soulève actuellement, sur un terrain pratique, la question de son entrée dans la 3e Internationale, des questions absolument claires et nettes, définies par les considérations exposées ci-dessus. Il n'y a que les réponses franches et nettes, confirmées par le « parti », c'est-à-dire, en fait, par la partie responsables de celui-ci, qui peuvent prêter un contenu réel à la question de l'entrée du parti des socialistes français dans l'organisation communiste internationale.
Ces questions pourraient être, par exemple, les suivantes :
Reconnaissez-vous toujours, comme par le passé, pour le parti socialiste, le devoir de la défense nationale à l'égard de l'État bourgeois ? Considérez-vous comme admissible de soutenir la république bourgeoise française dans ses conflits militaires possibles avec d'autres États ? Trouvez-vous admissible le vote de crédits militaires aussi bien actuellement, que dans le cas d'une nouvelle guerre mondiale ? Renoncez-vous catégoriquement au mot d'ordre si traître de la défense nationale. Oui ou non ?
Considérez-vous comme admissible la participation des Socialistes, aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, au gouvernement bourgeois ? Considérez-vous comme admissible un appui, direct ou indirect, prêté au gouvernement bourgeois par la fraction socialiste du parlement ? Trouvez-vous possible de souffrir plus longtemps dans les rangs de votre parti les gens indignes qui vendent leurs services politiques aux gouvernements capitalistes, aux organisations du capital, à la presse capitaliste, en qualité d'agents responsables de la ligue de brigands, appelée la Ligue des Nations (Albert Thomas), de rédacteurs de la presse bourgeoise (A. Varenne), d'avocats ou de défenseurs parlementaires des intérêts capitalistes (Paul-Boncour), etc., etc. ? Oui ou non ?
Vu la violence exercée par l'impérialisme français sur une série de peuples faibles, et surtout sur les peuples coloniaux arriérés de l'Afrique et de l'Asie ; considérez-vous comme votre devoir une lutte irréconciliable avec la bourgeoisie française, son parlement, son armée, dans les questions du pillage mondial ? Vous engagez-vous à soutenir, par tous les moyens à votre disposition, cette lutte partout où elle surgit, et avant tout dans la forme d'une insurrection ouverte des peuples coloniaux opprimés contre l'impérialisme français ? Oui ou non ?
Considérez-vous comme nécessaire l'ouverture immédiate d'une lutte systématique et sans merci contre le syndicalisme officiel français, qui s'est orienté entièrement du côté de la concorde économique, de la collaboration des classes, du patriotisme, etc., et qui remplace systématiquement la lutte pour l'expropriation révolutionnaire des capitalistes au moyen de la dictature du prolétariat par un programme de la nationalisation des chemins de fer et des mines par l'État capitaliste ? Considérez-vous comme un devoir pour le parti socialiste de soulever — dans une liaison étroite avec Loriot, avec Monatte, avec Rosmer — dans les masses ouvrières une agitation énergique dans le but de nettoyer le mouvement professionnel français de Jouhaux, Dumoulin, Merrheim et autres traîtres à la classe ouvrière ? Oui ou non ?
Trouvez-vous possible de souffrir dans les rangs du parti socialiste les prédicateurs de la passivité qui paralysent la volonté révolutionnaire du prolétariat, en lui inculquant la pensée que le « mouvement actuel » n'est pas favorable pour la dictature ? Considérez-vous, au contraire, comme de votre devoir de dénoncer aux masses ouvrières la tromperie d'après laquelle le « mouvement actuel », dans l'interprétation des agents de la bourgeoisie, convient toujours uniquement à la domination de la bourgeoisie ; avant-hier, parce que l'Europe traversait la période d'une puissante montée industrielle qui faisait baisser le nombre des mécontents ; hier, parce qu'il s'agissait de la défense nationale ; aujourd'hui, parce qu'il faut guérir les plaies causées par les exploits de la défense nationale ; demain, parce que le travail reconstructeur de la bourgeoisie aura amené une nouvelle guerre, et, avec elle, le devoir de la défense nationale. Pensez-vous que le parti socialiste doit commencer sans retard une véritable préparation, sociologique et organisatrice, de la poussée révolutionnaire contre la société bourgeoise, dans le but de s'emparer, dans le temps le plus court, du pouvoir d'État ? Oui ou non ?
A l'époque précédant la guerre, le parti socialiste français se présentait, sur ses sommets directeurs, comme l'expression la plus complète et la plus achevée de tous les côtés négatifs de la 2e Internationale : l'aspiration continuelle vers la collaboration des classes (le nationalisme, la participation à la presse bourgeoise, les votes de crédits et de confiance à des ministères bourgeois, etc.) ; attitude dédaigneuse ou indifférente à l'égard de la théorie socialiste, c'est-à-dire des tâches fondamentales sociales-révolutionnaires de la classe ouvrière ; le respect superstitieux à l'égard des idoles de la démocratie bourgeoise (la république, le parlement, le suffrage universel, la responsabilité du ministère, etc., etc.) ; l'internationalisme ostentatoire et purement décoratif, allié à une extrême médiocrité nationale, au patriotisme petit-bourgeois et, souvent, à un grossier chauvinisme.
La forme la plus éclatante de protestation contre ces côtés du parti socialiste fut le syndicalisme révolutionnaire français. Comme la pratique du réformisme et du patriotisme parlementaires se dissimulaient derrière les débris d'un faux marxisme, le syndicalisme tâchait d'opposer son opposition au réformiste parlementaire par une théorie anarchiste, adaptée aux méthodes et aux formes du mouvement professionnel de la classe ouvrière.
La lutte contre le réformisme parlementaire se transformait en lutte non seulement contre le parlementarisme, mais aussi contre la « politique » en général, en la pure négation de l'État comme tel. Les syndicats ont été proclamés la seule forme révolutionnaire légitime et véritable du mouvement ouvrier. A la représentation à la substitution parlementaire de la classe ouvrière, opérée dans les coulisses, on opposait l'action directe des masses ouvrières, et le rôle décisif était attribué à la minorité capable d'initiative, en qualité d'organe de cette action directe.
Cette brève caractéristique du syndicalisme montre qu'il s'efforçait à donner l'expression aux besoins de l'époque révolutionnaire qui s'approchait. Mais les erreurs théoriques fondamentales (celles de l'anarchisme) rendaient impossible la création d'un solide noyau révolutionnaire, bien soudé au point de vue idéologique et capable de résister effectivement aux tendances patriotiques et réformistes.
La chute social-patriotique du socialisme français se produisit tout à fait parallèlement à la chute du parti socialiste. Si, à l'extrême-gauche du parti, le drapeau de l'insurrection contre le social-patriotisme fut déployé par un petit groupe ayant à sa tête Loriot, à l'extrême-gauche du socialisme le même rôle échut au petit (à son début) groupe Monatte-Rosmer : entre ces deux groupes s'établit bientôt le lien nécessaire idéologique et organisateur.
Nous avons indiqué ci-dessus que la majorité longuettiste, sans force et sans moelle, se confond avec sa minorité renaudelienne.
En ce qui concerne ce qu'on appelle la minorité syndicaliste, qui, au dernier congrès des syndicats à Lyon, atteignait, pour certaines questions, un tiers des délégués présents, elle représente un courant encore très peu formé, dans lequel les communistes révolutionnaires se trouvent à côté des anarchistes, qui n'ont pas encore rompu avec les vieilles superstitions, et des « longuettistes » du socialisme français, les « réconciliateurs ». Dans cette minorité sont encore très fortes les superstitions anarchistes contre la prise du pouvoir d'État, et chez beaucoup se cachent, sous de pauvres superstitions, tout simplement la peur devant l'initiative révolutionnaire et l'absence de la volonté d'agir. C'est du milieu de cette minorité syndicaliste qu'est sortie l'idée de la grève générale comme moyen pour la réalisation de la nationalisation des chemins de fer. Le programme de la nationalisation, mis en avant, d'accord avec les réformistes, comme mot d'ordre de la collaboration avec les classes bourgeoises, s'oppose essentiellement comme un problème concernant toute la nation au pur programme de classe, c'est-à-dire à l'expropriation révolutionnaire des capitaux des chemins de fer et autres par la classe ouvrière. Mais justement le caractère réconciliateur et opportuniste du mot d'ordre imposé à la grève générale paralyse l'élan révolutionnaire du prolétariat, amène le manque d'assurance et les hésitations dans son milieu et le force de reculer, indécis, devant l'application d'un des moyens aussi extrêmes que la grève générale, qui lui demande les plus grands sacrifices, au nom de buts purement réformistes, propres au radicalisme bourgeois.
Il n'y a que la manière claire et nette employée par les communistes pour poser les problèmes révolutionnaires qui pourra apporter la clarté nécessaire à la minorité syndicaliste elle-même, la nettoyer des superstitions et des compagnons de hasard, et, ce qui est le principal, fournir un programme précis d'action aux masses révolutionnaires prolétariennes.
Des groupements purement intellectuels semblables à « Clarté » apparaissent comme très symptomatiques pour une époque pré-révolutionnaire, quand une petite et la meilleure partie des intellectuels bourgeois, pressentant l'approche d'une très profonde crise révolutionnaire, se détache des classes dominantes entièrement pourries et se met à la recherche d'une autre orientation idéologique. Conformément à leur nature intellectuelle, les éléments de cette sorte, naturellement enclins à l'individualisme, à la division en groupements séparés fondés sur les sympathies et les opinions personnelles, sont incapables de créer, et encore moins d'appliquer un système précis d'opinions révolutionnaires, et, par conséquent, ramènent leur travail à une propagande abstraite et purement idéaliste, teintée d'un communisme délayé par des tendances purement humanitaires. Sincèrement sympathiques au mouvement communiste de la classe ouvrière, les éléments de ce genre se détachent néanmoins souvent du prolétariat au moment te plus aigu, lorsque les armes de la critique sont remplacées par la critique des armes, pour restituer ensuite au prolétariat leurs sympathies, quand il aura la possibilité, ayant pris le pouvoir dans ses mains, de développer son génie créateur dans le domaine de la culture. La tâche du communisme révolutionnaire est l'explication aux ouvriers avancés de la valeur purement symptomatique des groupements de cette sorte, et la critique de leur passivité idéaliste et de leur médiocrité. Les ouvriers avancés ne peuvent en aucun cas se grouper en qualité de chœur attaché aux solistes intellectuels, — ils doivent créer une organisation autonome, qui fera son travail indépendamment du flux et du reflux des sympathies même de la meilleure partie des intellectuels bourgeois
Actuellement en France est nécessaire, de pair avec une révision radicale de la théorie et de la politique du socialisme parlementaire français, une révision décisive de la théorie et de la pratique du syndicalisme français, afin que ses superstitions survivantes n'entravent pas le développement du mouvement communiste révolutionnaire.
Il est manifeste que la « négation » continue de la politique et de l'État de la part du syndicalisme français serait une capitulation devant la politique bourgeoise et l'État capitaliste. Il ne suffit pas de renier l'État, il faut s'en emparer pour le surmonter. La lutte pour la possession de l'appareil de l'Etat est la politique révolutionnaire. Renoncer à elle, c'est renoncer aux tâches fondamentales de la classe révolutionnaire.
La minorité possédant l'initiative, à qui la théorie syndicaliste abandonnait la direction, en la mettant, en fait, au-dessus des organisations professionnelles des masses de la classe ouvrière, ne saurait exister sans prendre une forme. Mais si l'on organise régulièrement cette minorité, capable d'initiative, de la classe ouvrière ; si on la lie ensemble par une discipline intérieure répondant aux besoins inexorables de l'époque révolutionnaire ; si on l'arme d'une juste doctrine, d'un programme, construit scientifiquement, de la révolution prolétarienne, — on n'obtiendra rien d'autre que le parti communiste, se trouvant au-dessus des syndicats aussi bien que de toutes les autres formes du mouvement ouvrier, les fécondant au point de vue des idées et donnant la direction à tout leur travail.
Les syndicats qui groupent les ouvriers d'après les branches de l'industrie ne peuvent pas devenir les organes de la domination révolutionnaire du prolétariat. La minorité possédant l'initiative (le parti communiste) ne peut trouver cet appareil que dans les soviets embrassant les ouvriers de toutes les localités, de toutes les branches de l'industrie, de toutes les professions, et par là-même mettant au premier plan les intérêts fondamentaux, communs, c'est-à-dire social-révolutionnaires, du prolétariat.
De là vient une nécessité de fer de créer un parti communiste français qui doit dissoudre entièrement en lui-même aussi bien l'aide révolutionnaire du parti socialiste actuel que le détachement révolutionnaire du syndicalisme français. Le parti doit créer son propre appareil parfaitement autonome, rigoureusement centralisé, indépendant aussi bien du parti socialiste actuel que de la C. G. T. et des syndicats locaux.
La situation actuelle des communistes français qui représentent, d'un côté, une opposition intérieure de la C. G. T., et, d'un autre côté, du parti socialiste, transforme le communisme français en une sorte de facteur privé d'autonomie, en une sorte de complément négatif des organes fondamentaux existants (du parti et des syndicats) et le prive de la force combative nécessaire, de la liaison immédiate avec les masses et de l'autorité directrice.
De cette période préparatoire, le communisme français doit sortir à tout prix.
Le moyen d'en sortir est le commencement immédiat de la construction d'un parti communiste centralisé et, avant tout, la création sans retard, dans les centres principaux du mouvement ouvrier, de journaux qui, à la différence des publications hebdomadaires actuelles, seraient non des organes d'une critique de l'organisation intérieure et d'une propagande abstraite, mais ceux de l'agitation révolutionnaire directe et de la direction politique de la lutte des masses prolétariennes.
La création d'un parti communiste militant en France est aujourd'hui une question de vie et de mort pour le mouvement révolutionnaire du prolétariat français.