1918

Ce texte est tiré de la brochure : Les Gouvernements Alliés contre les Soviets — publié en octobre 1918 : La brochure contient 4 textes :

  1. Manifeste de Lénine — co-signé Lénine, Trotsky, Tchitchérine
  2. Lettre de Litvinof
  3. Appel de Zinoviev
  4. Lettre du Capitaine Sadoul à Romain Rolland


Œuvres – octobre 1918

Lénine, Tchitcherine, Trotsky

Manifeste : «Aux Masses laborieuses de France, d'Angleterre, d'Amérique et d'Italie»

Les Gouvernements Alliés contre les Soviets

octobre 1918


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Ouvriers ! Comme un chien féroce détaché de sa chaîne, la presse capitaliste de vos pays tout entière hurle à l'intervention de vos gouvernements dans les affaires de la Russie, et crie d'une voix enrouée : «Maintenant ou jamais !». Mais en ce moment où les mercenaires de vos exploiteurs ont rejeté toute espèce de masque et réclament ouvertement une campagne contre les ouvriers et les paysans de Russie, même en ce moment ils mentent effrontément, ils vous trompent d'une façon éhontée. Car, au moment où ils menacent d'une intervention dans les affaires russes, ils mènent déjà des opérations contre la Russie Ouvrière et Paysanne. Ils fusillent déjà les travailleurs des Soviets sur le chemin de fer de Mourman dont ils se sont emparés. Sur l'Oural ils détruisent les conseils ouvriers, ils fusillent leurs représentants par l'intermédiaire des détachements Tchéco-Slovaques entretenus avec l'argent du peuple français, dirigés par des officiers français. Sur l'ordre de vos gouvernements, ils coupent le peuple russe des arrivages de blé, afin de forcer les ouvriers et les paysans de se mettre de nouveau autour du cou le nœud coulant des Bourses de Paris et de Londres.

L'agression directe entreprise actuellement par le capital anglo-français contre les ouvriers de Russie ne fait que parachever la lutte souterraine menée depuis huit mois contre la Russie Sovietiste. Dès le premier jour de la Révolution d'octobre, dès le premier moment où les ouvriers de Russie ont renversé leurs exploiteurs et où ils vous ont appelés à suivre leur exemple et à en finir avec la boucherie internationale, à en finir avec l'exploitation, dès ce moment vos exploiteurs se sont juré d'en finir avec ce pays, dont la classe ouvrière a, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, osé rejetée le joug capitaliste, osé se libérer de l'étreinte de la guerre.

Vos gouvernements ont soutenu contre les ouvriers et les paysans de Russie, cette même Rada ukrainienne qui s'est vendue à l'impérialisme allemand et qui a appelé les baïonnettes allemandes à son secours contre les paysans et les ouvriers d'Ukraine ; ils ont soutenu l'oligarchie roumaine, cette même oligarchie qui, par ses attaques contre le front Sud-Ouest a aidé à tuer la capacité de défense de la Russie ; leurs représentants ont acheté argent comptant ce même général Krasnoff qui, maintenant, de concert avec le militarisme allemand, essaie de couper la Russie du charbon du Donetz et du blé du Kouban, pour en faire la victime sans défense du capital allemand et russe ; ils ont soutenu financièrement et moralement le parti des socialistes-révolutionnaires de droite — ce parti de traîtres à la Révolution — qui, les armes à la main, se soulève contre le pouvoir des Ouvriers et des Paysans.

Mais lorsque tous leurs efforts n'eurent mené à rien, lorsqu'il est devenu évident que les bandits mercenaires sont une force insuffisante, ils n'ont pas hésité à sacrifier votre sang et ils entreprennent ouvertement une offensive contre la Russie, jetant au feu les forces des ouvriers et des paysans de France et d'Angleterre. Vous, qui versez le sang pour les intérêts des capitalistes sur la Marne et sur l'Aisne, dans les Balkans, dans la Syrie et la Mésopotamie, vous devez encore mourir dans les neiges de la Finlande septentrionale et sur les crêtes de l'Oural. Dans l'intérêt des capitalistes, vous devez être les bourreaux de la Révolution Ouvrière russe et masquer la croisade entreprise contre le prolétariat russe.

Vos capitalistes vous assurent que cette campagne n'est pas dirigée contre la Révolution russe, que c'est une lutte contre l'impérialisme allemand, auquel nous nous serions vendus. La fausseté et l'hypocrisie de cette assertion deviendront claires pour chacun de vous si seulement vous considérez les faits suivants : Nous avons été forcés de signer la paix de Brest-Litovsk qui démembre la Russie, précisément parce que vos gouvernements, sachant fort que la Russie n'était pas en état de poursuivre la guerre, se refusèrent à des pourparlers de paix internationaux, dans lesquels leur force eût sauvée la Russie et vous eût donné une paix acceptable. Ce n'est pas la Russie saignée aux quatre veines depuis trois ans et demie, qui a vendu votre cause : ce sont vos gouvernements qui ont jeté la Russie sous les pieds de l'impérialisme allemand. Quand nous avons été forcés de conclure la paix de Brest-Litovsk, les masses de notre peuple n'étaient pas en état de poursuivre la guerre. Et lorsque les agents de vos gouvernements tâchaient de nous entraîner dans la guerre, en nous assurant que l'Allemagne ne nous permettrait pas de rester en état de paix avec elle, notre presse leur répondait : Si l'Allemagne rompt la paix que nous avons acheté par de si grands sacrifices, si elle lève la main contre la Révolution russe, nous nous défendrons ; si les Alliés veulent aider dans la cause sainte de notre défense, qu'ils nous aident à réparer nos chemins de fer, à rétablir notre production ; car une Russie faible économiquement n'est pas en état de se défendre.

Mais les Alliés ne répondaient rien à ces appels de notre part, ils ne pensaient qu'à nous extorquer les intérêts des vieux emprunts que le capital français avait consentis au tsarisme pour l'entraîner dans la guerre et que le peuple russe depuis longtemps a payés par une mer de sang, des montagnes de cadavres. Non seulement les Alliés ne nous ont aidé en rien dans le rétablissement de notre capacité de défense, mais ainsi que nous l'avons prouvé plus haut, ils ont tenté par tous les moyens de détruire cette capacité de défense, en augmentant notre désorganisation intérieure, en nous coupant de nos dernières réserves de blé.

Les Alliés nous prévenaient que les Allemands allaient s'emparer des chemins de fer de Sibérie et du Mourman — ces deux dernières lignes directes qui nous relient au monde extérieur en dehors du contrôle allemand. Mais en fait, ce ne sont pas les Allemands qui se sont emparés de ces lignes — ils n'étaient pas en état de s'en emparer, car ils s'en trouvent trop loin — ce sont nos valeureux Alliés qui s'en sont eux-mêmes emparés. Sur le Mourman et en Sibérie, ils mènent la lutte non contre les Allemands, qui ne s'y trouvent pas, mais contre les ouvriers russes, dont ils détruisent partout les Soviets. Tout ce que la presse de vos capitalistes, tout ce que les agents de ceux-ci disent pour justifier leur attaque barbare contre la Russie, tout cela sans exception n'est qu'hypocrisie destinée à vous cacher le fond de la question. C'est dans d'autres buts qu'ils préparent leur campagne contre la Russie.

Ils poursuivent trois buts : le premier c'est l'occupation du plus grand territoire possible de la Russie, dont les richesses naturelles et ferroviaires assureraient au capital français et anglais les intérêts des emprunts. Leur second but, c'est l'écrasement de la Révolution russe, afin qu'elle ne vous inspire pas, afin qu'elle ne vous montre pas comment il est possible de secouer le joug du capitalisme. Leur troisième but, c'est la création d'un nouveau front oriental, qui distraie les Allemands du front occidental vers le territoire russe.

Les agents de vos capitalistes vous assurent que de cette façon, ils diminueront la pression que les hordes allemandes exercent sur vous et hâteront le moment de la victoire sur l'impérialisme allemand. Ils mentent. Ils n'ont pu vaincre l'Allemagne alors que combattait encore la grande armée russe qui assurait aux Alliés l'avantage du nombre ; d'autant plus ne sont-ils pas en état de vaincre sur le champ de bataille, maintenant que la nouvelle armée russe vient de naître seulement.

L'impérialisme allemand ne sera vaincu que lorsque l'impérialisme de tous les pays sera vaincu par l'offensive coordonnée du prolétariat mondial. Le chemin de cette victoire, ce n'est pas la continuation de cette guerre, mais sa cessation, ce qui ôtera à vous et aux ouvriers allemands la crainte d'une bourgeoisie étrangère avec ses buts d'usurpation ; la fin de la guerre des peuples, pour que la guerre civile internationale — guerre des exploités contre les exploiteurs — mette fin à toute injustice sociale aussi bien que nationale.

Les tentatives d'entraîner la Russie dans la guerre ne vous sauveront pas de la boucherie ; elles ne peuvent que placer sous le couperet les ouvriers russes, la Révolution ouvrière-paysanne russe, ce que personne ne désire plus que les chefs du parti militaire allemand qui, comme les plus proches voisins de la République russe, ont plus que tous autres, raison de craindre ses étincelles incendiaires.

En devenant l'instrument docile de vos gouvernements, dans leur criminelle conspiration contre la Russie, vous, les ouvriers de France et d'Angleterre, d'Amérique et d'Italie, vous devenez les bourreaux de la Révolution Ouvrière. Les descendants des Communards, dans le rôle des aides de Galliffet [1], voilà le rôle de la France ! Voilà le rôle que prescrivent vos maîtres.

Fils d'ouvriers anglais qui se sont levés d'un seul élan quand les gros propriétaires des filatures d'Angleterre voulurent aller à l'aide des esclavagistes américains, vous, dans le rôle des bourreaux de la Révolution russe, telle est la dégradation où veulent vous amener vos gouvernements.

Vous qui avez toujours haï le despotisme tsariste, vous devez, sur l'ordre des rois des trusts, aider à la création d'un nouveau tsarisme en Russie. Voilà de quoi il est question, ouvriers d'Amérique.

Vous, qui avez suivi avec enthousiasme toute manifestation de la guerre libératrice du Prolétariat, c'est vous, ouvriers d'Italie, que l'on veut faire les complices de la campagne anti-révolutionnaire contre la Russie ouvrière.

La Russie ouvrière vous tend la main, prolétaires des pays alliés. Ces gens, dont les mains sont empourprées du sang des victimes fusillées à Kern, à Samara, à Tomsk, sur l'ordre des chefs du corps expéditionnaire du Mourman et des directeurs de la mutinerie Tchéco-Slovaque, ces hommes osent crier que, sur l'ordre de l'Allemagne, nous rompons notre lien avec les peuples de France, d'Angleterre, d'Italie, d'Amérique et de Belgique. Trop longtemps nous avons supporté sans nous émouvoir les outrages des représentants de l'impérialisme à la Russie Sovietiste. Nous avons permis de rester en Russie à ceux qui jadis léchaient les bottes du tsarisme, bien qu'ils n'aient pas reconnu le Gouvernement Ouvrier, nous n'avons pas eu recours à des répressions contre eux, bien que la main de leurs missions militaires fut visible dans chaque complot contre-révolutionnaire dirigé contre nous, et maintenant encore, lorsque les officiers français se sont trouvés à la tête des Tchéco-Slovaques, lorsque les britanniques du Mourman ont commencé, maintenant encore nous n'avons pas élevé un mot de protestation contre la présence de vos diplomates sur le territoire de la Russie Soviétiste , exigeant seulement leur venue de Vologda à Moscou, où nous pouvions mieux les défendre contre les attentats possibles de gens indignés jusqu'au fond de l'âme par leur façon d'agir.

Tout cela nous l'avons fait parce que nous ne voulions pas leur donner la possibilité de vous dire que nous rompions avec vous. Et même maintenant, après le départ des Ambassadeurs alliés, il ne tombera pas un cheveu de la tête des citoyens paisibles de vos pays vivant chez nous et obéissant aux lois de la République Ouvrière et Paysanne. Nous somme convaincus que si nous rendons coup pour coup aux usurpateurs «alliés», non seulement vous regarderez cela comme une action de légitime défense de vos propres intérêts, car le salut de la Révolution russe est dans l'intérêt commun des prolétaires de tous les pays. Nous sommes convaincus que toute mesure prise contre vous aussi bien que contre nous, sera approuvé par le prolétariat de tous les pays.

Obligés de lutter contre le capital alliés qui veut ajouter des chaînes nouvelles aux chaînes que nous impose déjà l'Impérialisme allemand, nous nous adressons à vous avec cet appel : Vive la solidarité des ouvriers du monde entier ! Vive la solidarité du prolétariat de France, d'Angleterre, d'Amérique et d'Italie avec celui de Russie ! A bas les bandits de l'Impérialisme international ! Vive la Révolution Internationale ! Vive la paix entre les peuples !

Au nom des Commissaires du Peuple :
Le Président des Commissaires du Peuple : V. Oulianov (Lénine). — Le Commissaire du Peuple pour l'Etranger : G. Tchitcherine. — Le Commissaire du Peuple à la Guerre : L. Trotsky.


note

[1] — Galliffet, Gaston Alexandre 1830-1909 - Général ; fit carrière en Crimée en Algérie et au Mexique ; officier d'ordonnance de Louis Bonaparte et courtisan complaisant du régime ; combattit à Sedan - 1870 - fait prisonnier à la capitulation, de retour en France il prend le commandement d'une brigade de cavalerie dans l'armée versaillaise ; se glorifia de massacrer les prisonniers de la Commune ; ensuite fut nommé général de division - 1875 - ; commandant de corps d'armée -1879 - s'opposa au nom de l'armée à l'amnistie, au retour des exilés de la Commune, nommé gouverneur de Paris -1880 - ministre de la guerre en 1899 dans le cabinet Waldeck-Rousseau avec le socialiste Millerand.


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