1911

Janvier 1911 : Un article sur le dirigeant social-démocrate alemand Paul Singer à l'occasion de son décès.
Traduction de l'anglais effectuée par nos soins.


Œuvres - janvier 1911

Léon Trotsky

Paul Singer


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Singer est mort. Paul Singer n’est plus avec nous et une puissante figure de l’Internationale ouvrière a quitté la scène. Les rangs des glorieux vétérans qui avaient mis sur pied le berceau de la social-démocratie internationale s’éclaircissent.

Riche marchand juif de par son origine et démocrate de par ses opinions, le jeune Singer bientôt tourna le dos à la démocratie bourgeoise dégénérée d’Allemagne et consacra tout aussi bien ses forces que ses moyens matériels, son temps et ses talents – toute sa vie entière à la démocratie prolétarienne. Ses sympathies avec la social-démocratie commencèrent dès la fin des années soixante (1860). Mais durant une longue période il se maintint dans l’ombre. C’est seulement alors dès la fin des années quatre-vingts, durant la période de répression policière contre les socialistes, quand nombre d’entre « les compagnons de route » rompirent avec le parti ouvrier et tournèrent le dos à leur genre – comme ils le firent en Russie lors de la période de la contre-révolution – alors seulement Singer coupa ses liens avec la société bourgeoise et entra en activité dans les rangs de ses plus mortels ennemis. Main dans la main avec Bebel et Liebknecht il dirigea la travail de ceux, qui pierre après pierre, érigèrent la magnifique forteresse du prolétariat, le plus puissant parti du monde – la Social-Démocratie allemande. Il était un infatigable organisateur du parti et de sa presse, un membre du Comité Central, un membre du Conseil municipal de Berlin, un député au Reichstag, le président du groupe parlementaire social-démocrate et enfin le président permanent des congrès socialistes internationaux – le président rouge.

Il savait et avait appris d’autres pareils à lui que tout travail doit être bien fait. Pour lui il n’existe pas de vétilles là où il était question des intérêts du prolétariat : la vétille n’est rien d’autre qu’une partie du grand tout. Il a apporté dans chaque travail la gravité morale qui découle d’une conscience de l’importante de l’affaire en question. Singer a compris, comme peu d’autres, qu’afin que la classe puisse se hisse des bas fonds de la vie aux sommets de l’œuvre historique, il était important qu’elle se retranche sur chaque nouvelle position, y déploie sa bannière et s’y renforce pour un nouveau progrès ultérieur – plus en avant et plus important. En tant que député, Singer était le meilleur expert des mécanismes du parlementarisme ; en tant que conseiller municipal, il était le meilleur expert de l’administration municipale. En définitive, il était le meilleur président de toute l’Internationale, calme, attentif, impartial et ne négligeant aucun point. Avec sa profonde et diligente attention de tous les détails, de tous les engrenages et écrous du mécanismes social bourgeois, Singer n’a jamais perdu de vue les tâches générales du mouvement. Bien au contraire, il utilisait tous ces détails dans l’intérêt de l’ensemble, et pour lui cet ensemble était ce qu’il est pour chaque véritable marxiste en politique, la conquête du pouvoir d’Etat par le prolétariat au nom de la révolution sociale. Singer est toujours resté un adversaire déterminé du réformisme opportuniste, il était un révolutionnaire prolétarien jusqu’à la moelle.

L’admirable perfection dans toutes sortes de travaux du parti, l’infatigabilité dans l’exécution des obligation du parti, la maîtrise de toutes les opportunités possible sous le régime bourgeois ; toutes ces qualités, nous sociaux-démocrates russes, devons encore longtemps assidûment les apprendre du grand défunt.

Mais ce n’est pas tout Singer. Singer le révolutionnaire et le membre du parti ne savait pas seulement comment se battre pour son opinion mais aussi comment le subordonner à l’ordre suprême de l’unité de son parti. Dans n’importe quelle controverse organisationnelle chacun savait reconnaître à Singer sa compétence comme président du Comité Central. En tant que président du Congrès ou en tant que président du groupe parlementaire il n’a jamais incliné injustement, sous l’influence de la sympathie personnelle, la balance de la décision du parti. Singer a rigoureusement observé le code commun à tous de l’honnêteté et de la justice des relations dans le parti. Sur cela était bâtie son autorité morale indestructible : l’honnêteté est une force politique, elle peut soumettre. Sans autorité morale, il ne peut y avoir de dirigeant prolétarien : l’union du prolétariat n’est maintenue par une discipline mécanique, mais selon une libre obligation morale. Au fil du temps « le président rouge » est devenu l’incarnation de l’autorité de la démocratie prolétarienne et le symbole vivant de l’unité de l’armée prolétarienne. Dans cette sphère Singer restera, pour nous russes qui devons encore mettre au point notre éthique de parti, un exemple moral magnifique.

Paul Singer est mort à l’âge de soixante-sept ans et des centaines de milliers de prolétaires de Berlin ont accompagné ses cendres à son enterrement, mais la cause de son esprit vivra encore dans le cœur de millions d’hommes.

La Pravda (de Vienne) N° 18-19 – 29 janvier 1911


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