1938

Le manifeste du marxisme révolutionnaire à l'époque de l'impérialisme - celle des guerres et des révolutions.


Programme de Transition

Léon Trotsky

L'U.R.S.S. et les tâches de l'époque de transition

L'UNION SOVIÉTIQUE est sortie de la révolution d'Octobre comme un État ouvrier. L'étatisation des moyens de production, condition nécessaire du développement socialiste, a ouvert la possibilité d'une croissance rapide des forces productives. Mais l'appareil d'État ouvrier a subi entre-temps une dégénérescence complète, se transformant d'instrument de la classe ouvrière en instrument de violence bureaucratique contre la classe ouvrière et, de plus en plus, en instrument de sabotage de l'économie. La bureaucratisation d'un État ouvrier arriéré et isolé et la transformation de la bureaucratie en caste privilégiée toute-puissante sont la réfutation la plus convaincante - non seulement théorique, mais pratique - de la théorie du socialisme dans un seul pays.

Ainsi, le régime de URSS renferme en soi des contradictions menaçantes. Mais il continue à rester un ÉTAT OUVRIER DÉGÉNÉRÉ. Tel est le diagnostic social.

Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l'organe de la bourgeoisie mondiale dans l'État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme.

Pour les sections de la IV° Internationale, les procès de Moscou n'ont pas été une surprise ni le résultat de la démence personnelle du dictateur du Kremlin, mais les produits légitimes de Thermidor. Ils sont nés des frictions intolérables au sein de la bureaucratie soviétique, qui, à leur tour, reflètent les contradictions entre la bureaucratie et le peuple et, aussi, les antagonismes qui s'approfondissent à l'intérieur du "peuple" lui-même. Le "fantastique" sanglant des procès montre qu'elle est la force de tension des contradictions et annonce ainsi l'approche du dénouement.

Les déclarations publiques d'anciens agents du Kremlin à l'étranger, qui ont refusé de rentrer à Moscou, ont irréfutablement confirmé, à leur manière, qu'au sein de la bureaucratie il y a toutes les nuances de la pensée politique : depuis le véritable bolchevisme (I. Reiss) jusqu'au fascisme achevé (Th. Boutenko). Les éléments révolutionnaires de la bureaucratie, qui constituent une infime minorité, reflètent, passivement il est vrai, les intérêts socialistes du prolétariat. Les éléments fascistes, et en général contre-révolutionnaires, dont le nombre augmente sans cesse, expriment de façon de plus en plus conséquente les intérêts de l'impérialisme mondial. Ces candidats au rôle de compradores pensent, non sans raison, que la nouvelle couche dirigeante ne peut assurer ses positions privilégiées qu'en renonçant à la nationalisation, à la collectivisation et au monopole du commerce extérieur, au nom de l'assimilation de la "civilisation occidentale", c'est-à-dire du capitalisme. Entre ces deux pôles, se répartissent des tendances intermédiaires et floues, de caractère menchevique, socialistes-révolutionnaire ou libéral, qui gravitent vers la démocratie bourgeoise.

Dans la société dite "sans classes" elle-même, il y a, sans aucun doute, les mêmes groupements que dans la bureaucratie, mais avec une expression moins claire et dans une proportion inverse : les tendances capitalistes conscientes, propres surtout à la couche prospère des kolkhoziens, ne caractérisent qu'une infime minorité de la population. Mais elles se trouvent une large base dans les tendances petites-bourgeoises à l'accumulation privée qui naissent de la misère générale et que la bureaucratie encourage consciemment.

Sur la base de ce système d'antagonismes croissants, qui détruisent de plus en plus l'équilibre social, se maintient, par des méthodes de terreur, une oligarchie thermidorienne qui, maintenant, se réduit surtout à la clique bonapartiste de Staline.

Les derniers procès ont été un coup contre la gauche. Cela est vrai aussi de la répression contre les chefs de l'opposition de droite, car, du point de vue des intérêts et des tendances de la bureaucratie, le groupe de droite du vieux parti bolchevik représentait un danger de gauche. Le fait que la clique bonapartiste, qui craint aussi ses alliés de droite, du genre de Boutenko, se soit trouvée contrainte, pour assurer son maintien, de recourir à l'extermination presque générale de la génération des vieux bolcheviks, est la preuve indiscutable de la vitalité des traditions révolutionnaires dans les masses, comme du mécontentement croissant de ces dernières.

Les démocrates petits-bourgeois de l'Occident, qui acceptaient, hier encore, les procès de Moscou pour argent comptant, répètent aujourd'hui avec insistance qu' "en URSS, il n'y a ni trotskysme ni trotskystes". Ils n'expliquent cependant pas pourquoi toute l'épuration se fait précisément sous le signe de la lutte contre ce danger. Si l'on prend le "trotskysme" comme un programme achevé, à plus forte raison comme une organisation, le "trostkysme" est sans doute extrêmement faible en URSS. Cependant, sa force invincible est d'exprimer, non seulement la tradition révolutionnaire, mais aussi l'opposition présente de la classe ouvrière elle-même. La haine sociale des ouvriers pour la bureaucratie - c'est précisément cela qui constitue, aux yeux de la clique du Kremlin, le "trotskysme". Elle craint mortellement, et avec pleine raison, la rencontre de la sourde révolte des ouvriers et de l'organisation de la IV° Internationale.

L'extermination de la génération des vieux bolcheviks et des représentants révolutionnaires de la génération intermédiaire et de la jeune génération a détruit encore davantage l'équilibre politique en faveur de l'aile droite, bourgeoise, de la bureaucratie et de ses alliés dans le pays. C'est de là, c'est-à-dire de la droite, qu'on peut s'attendre, dans la prochaine période, à des tentatives de plus en plus résolues de réviser le régime social de l'URSS, en le rapprochant de la "civilisation occidentale", avant tout de sa forme fasciste.

Cette perspective rend fort concrète la question de la "défense de l'URSS". Si demain la tendance bourgeoise-fasciste, bref la "fraction Boutenko", entre en lutte pour la conquête du pouvoir, la "fraction Reiss" prendra inévitablement sa place de l'autre côté de la barricade. Se trouvant momentanément l'alliée de Staline, elle défendra, bien entendu, non pas la clique bonapartiste de celui-ci, mais les bases sociales de l'URSS, c'est-à-dire la propriété arrachée aux capitalistes et étatisée. Si la "fraction Boutenko" se trouve en alliance militaire avec Hitler, la "fraction Reiss" défendra l'URSS contre l'intervention militaire, à l'intérieur de l'URSS, aussi bien que sur l'arène mondiale. Toute autre conduite serait une trahison.

Ainsi, s'il n'est pas possible de nier par avance la possibilité, dans des cas strictement déterminés, d'un "front unique" avec la partie thermidorienne de la bureaucratie contre l'offensive ouverte de la contre-révolution capitaliste, la principale tâche politique en URSS reste, malgré tout, le RENVERSEMENT DE LA BUREAUCRATIE THERMIDORIENNE ELLE-MÊME. Le prolongement de sa domination ébranle chaque jour davantage les éléments socialistes de l'économie et accroît les chances de restauration capitaliste. C'est dans le même sens qu'agit aussi l'Internationale communiste, agent et complice de la clique stalinienne dans l'étranglement de la révolution espagnole et dans la démoralisation du prolétariat international.

De même que dans les pays fascistes, la principale force de la bureaucratie n'est pas en elle-même, mais dans le découragement des masses, dans leur manque d'une perspective nouvelle. De même que dans les pays fascistes, dont l'appareil politique de Staline ne se distingue en rien, sinon par une plus grande frénésie, seul un travail préparatoire de propagande est actuellement possible en URSS. De même que dans les pays fascistes, ce sont les événements extérieurs qui donneront vraisemblablement l'impulsion au mouvement révolutionnaire des ouvriers soviétiques. La lutte contre l'I.C. sur l'arène mondiale est actuellement la plus importante partie de la lutte contre la dictature stalinienne. Bien des choses permettent de croire que la désagrégation de l'I.C., qui n'a pas d'appui direct dans la Guépéou, précédera la chute de la clique bonapartiste et de toute la bureaucratie thermidorienne en général.

La nouvelle montée de la révolution en URSS commencera, sans aucun doute, sous le drapeau de la LUTTE CONTRE L'INÉGALITÉ SOCIALE ET L'OPPRESSION POLITIQUE.

A bas les privilèges de la bureaucratie !
A bas le stakhanovisme !
A bas l'aristocratie soviétique avec ses grades et ses décorations !
Plus d'égalité dans le salaire de toutes les formes de travail !

La lutte pour la liberté des syndicats et des comités d'usine, pour la liberté de réunion et de la presse, se développera en lutte pour la renaissance et l'épanouissement de la DEMOCRATIE SOVIÉTIQUE.

La bureaucratie a remplacé les soviets, en tant qu'organes de classe, par la fiction du suffrage universel, dans le style de Hitler-Goebbels. Il faut rendre aux soviets, non seulement leur libre forme démocratique, mais aussi leur contenu de classe. De même qu'auparavant la bourgeoisie et les Koulaks n'étaient pas admis dans les soviets, de même maintenant LA BUREAUCRATIE ET LA NOUVELLE ARISTOCRATIE DOIVENT ÊTRE CHASSÉES DES SOVIETS. Dans les soviets, il n'y a place que pour les représentants des ouvriers, des travailleurs des kolkhozes, des paysans et des soldats rouges.

La démocratisation des soviets est inconcevable sans la LÉGALISATION DES PARTIS SOVIETIQUES. Les ouvriers et les paysans eux-mêmes, par leurs libres suffrages, montreront quels partis sont soviétiques.

- RÉVISION DE L'ÉCONOMIE PLANIFIÉE du haut en bas, dans l'intérêt des producteurs et des consommateurs ! Les comités d'usine doivent reprendre le droit de contrôle sur la production. Les coopératives de consommation, démocratiquement organisées, doivent contrôler la qualité des produits et leurs prix.

- RÉORGANISATION DES KOLKHOZES en accord avec la volonté des kolkhoziens et selon leurs intérêts !

La politique internationale conservatrice de la bureaucratie doit faire place à la politique de l'internationalisme prolétarien. Toute la correspondance diplomatique du Kremlin doit être publiée. A BAS LA DIPLOMATIE SECRÈTE !

Tous les procès politiques montés par la bureaucratie thermidorienne doivent être révisés, dans les conditions d'une publicité complète et d'un libre examen. Les organisateurs des falsifications doivent en supporter le châtiment mérité.

Il est impossible de réaliser ce programme sans le renversement de la bureaucratie, qui se maintient par la violence et la falsification. Seul, le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses opprimées peut régénérer le régime soviétique et assurer sa marche en avant vers le socialisme. Seul, le parti de la IV° Internationale est capable de mener les masses soviétiques à l'insurrection.

A bas la clique bonapartiste de Caïn-Staline !
Vive la démocratie soviétique !
Vive la révolution socialiste internationale !


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