1928-31

La théorie de la révolution prolétarienne à l'époque de l'impérialisme


La révolution permanente

Léon Trotsky

VIII - DU MARXISME AU PACIFISME

Un passage de l'article de Radek nous semble très inquiétant. Bien qu'il soit en dehors du thème central qui nous intéresse, il y touche, néanmoins, car il démontre la persévérance de Radek à s'orienter vers les théoriciens actuels du centrisme. Il s'agit des avances légèrement voilées que Radek fait à l'adresse de la théorie du socialisme dans un seul pays. Il faut s'y arrêter parce que cette erreur accessoire peut, en se développant de plus en plus, absorber toutes les autres divergences et démontrer que de quantitatives elles sont définitivement devenues qualitatives.

Il s'agit des dangers qui menacent la révolution de l'extérieur: Radek écrit que

Lénine se rendait parfaitement compte qu'étant donné le niveau du développement économique de la Russie en 1905, la dictature prolétarienne ne pourrait s'y maintenir que si le prolétariat occidental venait à son secours. [C'est moi qui souligne. L. T.]

Tout cela n'est qu'un amas d'erreurs et, avant tout, une grossière violation de la perspective historique. En réalité, Lénine a dit à plusieurs reprises que la dictature démocratique (et non la dictature prolétarienne) ne pourrait se maintenir en Russie sans la révolution socialiste, en Europe. Cette idée est présente dans tous les articles et discours de Lénine de l'époque du congrès de Stockholm, en 1906 (polémique contre Plekhanov, problème de la nationalisation de la terre, dangers de la restauration, etc.). Pendant cette période, Lénine n'a pas du tout soulevé la question de la dictature prolétarienne en Russie avant la révolution socialiste en Europe occidentale. Mais, pour le moment, ce n'est pas essentiel.

Que veut dire: "Etant donné le niveau du développement économique de la Russie en 1905?" Et où en sommes-nous en ce qui concerne le niveau de 1917? La théorie du socialisme dans un seul pays est fondée sur cette différence de niveaux. Le programme de l'Internationale communiste a divisé le monde entier en carreaux "suffisants" ou "insuffisants" pour la construction indépendante du socialisme, créant de cette manière toute une série de culs-de-sac désespérants pour la stratégie révolutionnaire.

La différence des niveaux économiques peut certainement avoir une influence décisive dans la force politique de la classe ouvrière. En 1905, nous ne nous sommes pas élevés jusqu'à la dictature du prolétariat, ni même jusqu'à la dictature démocratique. En 1917, nous avons instauré la dictature du prolétariat, qui a enseveli la dictature démocratique. Mais, que ce soit au niveau économique de 1917 ou à celui de 1905, la dictature ne peut se maintenir et aboutir au socialisme que si le prolétariat occidental vient à son aide en temps opportun. Evidemment, on ne peut pas définir a priori ce "temps opportun": il dépend du cours du développement et de la lutte. Par rapport à cette question fondamentale, qui est déterminée par le rapport mondial des forces et qui décide de tout en dernière instance, la différence des niveaux de développement de 1905 et de 1917, en Russie, quelle que soit son importance, apparaît comme un facteur secondaire.

Mais Radek ne se borne pas à cette référence ambiguë sur la différence des niveaux. Après avoir relevé que Lénine avait saisi le lien qui unissait les problèmes intérieurs de la révolution aux problèmes mondiaux (je pense bien!), Radek ajoute:

Cette idée d'une connexion entre le maintien de la dictature socialiste en Russie et l'aide du prolétariat de l'Europe occidentale, Lénine ne la soulignait pas comme la soulignait à l'excès la formule de Trotsky qui prétendait que cette aide devait être une aide d'Etat, c'est-à-dire l'aide d'un prolétariat qui aurait déjà triomphé. [souligné par moi. L.T.].

J'avoue que, lisant ces lignes, je n'en crus pas mes yeux. Pourquoi donc Radek a-t-il eu recours à une aussi mauvaise arme, empruntée à l'arsenal des épigones? Ce n'est là qu'une timide répétition des banalités de Staline dont nous nous sommes toujours moqués. Entre autres choses, cette citation prouve que Radek se représente assez mal tous les jalons posés sur le chemin de Lénine. Lénine n'a jamais opposé, comme le fait Staline, la pression du prolétariat européen sur les gouvernements bourgeois à la conquête du pouvoir par le prolétariat; au contraire, il a posé la question de l'aide révolutionnaire extérieure d'une façon beaucoup plus nette que moi. A l'époque de la première révolution, il n'a sans cesse répété que nous ne saurions maintenir la démocratie (même la démocratie!) sans la révolution socialiste en Europe. En 1917-1918, et pendant les années qui suivirent, Lénine a toujours évalué et envisagé le sort de notre révolution en liaison avec la révolution socialiste qui avait déjà commencé en Europe. Il disait carrément, par exemple: "Notre perte est inévitable si la révolution n'est pas victorieuse en Allemagne". Et il l'a affirmé en 1918, non pas à l'époque du "niveau économique" de 1905, ayant en vue non pas les décennies à venir mais une échéance plus proche, qu'on pouvait estimer à quelques années, sinon à quelques mois.

Lénine a expliqué des dizaines de fois que si nous avons tenu bon, "c'est uniquement à cause d'une combinaison de conditions spéciales qui nous ont défendus pour un court moment [un court moment! L.T.] contre l'impérialisme mondial". Et plus loin: "L'impérialisme mondial... ne peut, en aucun cas, à aucune condition, coexister avec la République soviétique... Le conflit apparaît ici inévitable." Et sa conclusion? Est-ce l'espoir pacifiste de la "pression" du prolétariat et de la "neutralisation" de la bourgeoisie? Non, sa conclusion est la suivante: "C'est la plus grande difficulté pour la Révolution russe... que la nécessité de susciter la révolution mondiale" (Tome XV, p. 126). Quand cela a-t-il été dit et écrit? Pas en 1905, lorsque Nicolas II s'entendit avec Guillaume II pour anéantir la révolution et lorsque j'exprimai ma "formule excessive", mais bien en 1918 et en 1919 et pendant les années qui suivirent.

Voici ce que Lénine, jetant un regard en arrière, exposait au III° congrès de l'Internationale communiste:

Nous comprenions parfaitement que, sans le soutien de la révolution internationale et mondiale, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible [chez nous. L.T.]. Avant et même après la révolution, nous pensions: ou bien la révolution éclatera immédiatement ou, du moins, très prochainement dans les autres pays plus développés au point de vue capitaliste, ou bien nous sommes condamnés à périr. En dépit de cette conviction, nous faisions tout pour conserver, à tout prix et en toutes conditions, le système soviétique, car nous étions certains de travailler non seulement pour nous, mais aussi pour la révolution mondiale. Nous en étions certains et nous avons souvent exprimé cette conviction, aussi bien avant la révolution d'Octobre qu'immédiatement après et pendant la conclusion de la paix de Brest-Litovsk. Et, en somme, c'était juste. Mais en réalité, le mouvement n'est pas aussi droit que nous l'avons supposé.
(Compte rendu du III° congrès de l'Internationale communiste, p. 354 de l'édition russe.)

A partir de 1921, le mouvement n'est pas allé aussi droit que nous l'avions espéré avec Lénine en 1917-1919 (et non seulement en 1905). Mais il a suivi, quand même, le chemin des contradictions irréductibles entre l'Etat ouvrier et le monde bourgeois. L'un d'eux doit périr. Seul le développement victorieux de la révolution prolétarienne en Occident pourra mettre l'Etat ouvrier à l'abri des dangers militaires et économiques. Essayer de découvrir deux points de vue sur cette question -le mien et celui de Lénine-, c'est le comble de la malpropreté théorique. Relisez du moins Lénine, ne le calomniez pas, ne nous nourrissez pas de la bouillie refroidie de Staline!

Mais la dégringolade ne s'arrête pas là. Après avoir inventé que Lénine aurait jugé suffisante une aide simple (au fond réformiste, à la Purcell) du prolétariat mondial, tandis que Trotsky exigeait, d'une "manière excessive", une aide d'Etat, c'est-à-dire une aide révolutionnaire, Radek continue:

L'expérience a prouvé que, sur ce point aussi, c'était Lénine qui avait raison. Le prolétariat européen n'a pas encore réussi à conquérir le pouvoir, mais il a été assez fort pour empêcher la bourgeoisie mondiale de jeter contre nous des effectifs considérables pendant l'intervention. Il nous a aidé, de cette manière, à défendre le pouvoir soviétique. A côté des contradictions du monde capitaliste, la peur du mouvement ouvrier a été la force principale qui nous a assuré la paix, pendant huit ans, après la fin de l'intervention.

Ce passage, bien qu'il ne brille pas par son originalité, même comparé aux exercices des écrivains fonctionnaires modernes, est quand même remarquable par son assemblage d'anachronismes historiques, de confusion politique et de grossières erreurs de principe.

Ce que dit Radek pourrait faire croire que dans sa brochure Deux tactiques (et c'est le seul ouvrage que Radek cite), Lénine prévoyait, en 1905, que les rapports de force entre les Etats et entre les classes, après 1917, seraient tels qu'ils rendraient pour longtemps impossible une grande intervention militaire contre nous. Par contre, Trotsky, en 1905, ne prévoyait pas la situation qui devait se créer après la guerre impérialiste et il ne tenait compte que de réalités contemporaines, l'armée puissante des Hohenzollern, la forte armée des Habsbourg, la formidable Bourse française, etc. C'est là un anachronisme monstrueux doublé, par-dessus le marché, d'une ridicule contradiction interne. Selon Radek, mon erreur principale était d'avoir formulé la perspective de la dictature du prolétariat à l'époque où "le niveau était celui de 1905". Maintenant, il a découvert ma seconde erreur: pourquoi n'ai-je pas lié la perspective de la dictature du prolétariat, que je formulais à la veille de la Révolution de 1905, à la situation internationale qui s'est créée après 1917 seulement? Nous ne nous étonnons pas quand ces arguments viennent de Staline; ils lui sont habituels et nous connaissons trop bien son "niveau de développement", qui était le même en 1917 qu'en 1928. Mais comment Radek a-t-il pu se mêler à cette compagnie?

Ce n'est pas encore le pire. Le pire, c'est que Radek a franchi la limite qui sépare le marxisme de l'opportunisme, et la position révolutionnaire de la position pacifiste. Au fond, il ne s'agit pas d'autre chose que de la lutte contre la guerre; autrement dit, il s'agit de savoir par quels chemins et par quelles méthodes on peut éviter ou arrêter la guerre: par la pression qu'exerce le prolétariat sur la bourgeoisie ou par la guerre civile qui a pour objet de renverser la bourgeoisie? Radek a introduit, par hasard, cette question fondamentale de la politique prolétarienne dans la sphère de nos discussions.

Radek prétendrait-il que j'"ignore", en général, non seulement la paysannerie mais aussi la pression du prolétariat sur la bourgeoisie, et que je ne tient compte que de la révolution prolétarienne? Je doute qu'il ait le courage de soutenir une pareille bêtise, digne de Thaelmann, de Sémard ou de Monmousseau. Au III° congrès de l'Internationale communiste, Zinoviev, Thalheimer, Thaelmann, Bela Kun et autres, qui étaient alors ultra-gauchistes, ont défendu une tactique "putschiste" en Occident comme étant la voie du salut pour l'U.R.S.S. Avec Lénine, je leur ai expliqué, de la manière la plus accessible, que le meilleur moyen de nous aider serait d'affermir systématiquement et régulièrement leurs positions en se préparant pour la conquête du pouvoir, et non d'improviser des aventures révolutionnaires. Malheureusement, Radek n'était pas alors du côté de Lénine et de Trotsky: il était du côté de Zinoviev et de Boukharine. Mais Radek se rappelle certainement -en tout cas les comptes rendus du III° congrès le rappellent- que le fond de l'argumentation de Lénine et de la mienne fut dirigé contre la "formule excessive" des ultra-gauchistes. Cependant, en leur démontrant que le renforcement du parti et la pression accrue du prolétariat constituaient de sérieux facteurs dans les rapports intérieurs et internationaux, nous ajoutions toujours que la "pression" n'était qu'une fonction de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et dépendait entièrement de cette dernière. Voilà pourquoi, au moment de la clôture du congrès, Lénine a prononcé, dans une grande séance privée des délégations, un discours dirigé contre les tendances à la passivité et à l'expectative. On peut à peu près résumer ce discours de la façon suivante: Ne vous lancez pas dans des aventures mais, tout de même, hâtez-vous, chers amis, car on ne peut pas tenir longtemps avec la seule "pression".

Radek signale qu'après la guerre le prolétariat européen, s'il n'a pas su prendre le pouvoir, a tout de même pu empêcher la bourgeoisie de nous écraser. Nous l'avons signalé nous-mêmes à plusieurs reprises. Le prolétariat européen, cependant, n'y est parvenu que grâce aux lourdes conséquences objectives de la guerre impérialiste et aux antagonismes mondiaux qu'elle avait accentués et qui s'ajoutèrent à la "pression". Il n'est pas possible de dire quel fut celui de ces éléments -la lutte inter-impérialiste, le désarroi économique ou la pression du prolétariat- qui joua le rôle décisif. On ne peut même pas poser la question de cette manière. Mais que la seule pression pacifique ne suffise pas, cela est parfaitement démontré par la guerre impérialiste, qui éclata en dépit de toutes les "pressions". Et, finalement, notons la chose la plus importante: si, pendant les premières années les plus critiques, les plus difficiles, de l'existence de la République soviétique, la pression du prolétariat s'est révélée efficace, c'est uniquement parce qu'il s'agissait alors, pour les ouvriers d'Europe, non de pression, mais bien d'une lutte pour le pouvoir qui prit plusieurs fois la forme d'une guerre civile.

En 1905, il n'y avait pas de guerre en Europe, il n'y avait pas non plus de désarroi économique; le capitalisme et le militarisme étaient en pleine vigueur. La "pression" de la social-démocratie n'aurait pas pu alors empêcher Guillaume II ou François-Joseph d'envoyer leurs troupes en Pologne et, en général, de venir à l'aide du tsar. Et, même en 1918, la pression du prolétariat allemand n'a pas empêché le Hohenzollern d'occuper les provinces baltiques et l'Ukraine. S'il n'arriva pas jusqu'à Moscou, ce fut uniquement par manque de forces militaires. Si les choses s'étaient présentées autrement, pourquoi aurions-nous signé la paix de Brest-Litovsk? Avec quelle facilité on oublie les événements d'hier! Ne mettant pas tous ses espoirs dans la "pression du prolétariat", Lénine disait souvent que nous aurions certainement été perdus sans la révolution allemande. Et c'était juste, au fond, bien que les échéances se soient modifiées. N'ayons pas d'illusions: nous n'avons obtenu qu'un moratoire de durée indéterminée. Nous continuons toujours à vivre sous le régime du sursis.

Une situation dans laquelle le prolétariat, sans être encore capable de s'emparer du pouvoir, peut tout de même empêcher la bourgeoisie d'utiliser celui-ci pour faire la guerre, est l'expression de la plus grande instabilité de l'équilibre de classes. Ou bien le prolétariat arrive au pouvoir, ou bien alors la bourgeoisie, par une série de coups successifs, affaiblit la pression révolutionnaire au point de regagner sa liberté d'action, dans la question de la guerre et de la paix avant tout.

Seul un réformiste peut s'imaginer que la pression du prolétariat sur l'Etat bourgeois est un facteur qui s'accroît d'une façon permanente et offre une garantie contre l'intervention. C'est cette conception qui a donné naissance à la théorie de la construction du socialisme dans un seul pays et à celle de la neutralisation de la bourgeoisie mondiale (Staline). La chouette n'apparaît qu'au crépuscule; de même, la théorie de Staline sur la neutralisation de la bourgeoisie au moyen de la pression du prolétariat ne fait son apparition qu'au moment où les conditions qui l'avaient engendrée commencent à disparaître.

Tandis que l'expérience faussement interprétée de la période d'après-guerre faisait naître l'espoir factice qu'il était possible de se passer de la révolution prolétarienne en Europe et de la remplacer par le "soutien" en général, la situation mondiale changeait radicalement. Les défaites subies par le prolétariat ont ouvert la voie à la stabilisation capitaliste. L'effondrement économique du capitalisme d'après-guerre a été surmonté. De nouvelles générations, qui n'ont pas subi les horreurs du carnage impérialiste, ont surgi. Le résultat est qu'en ce moment la bourgeoisie peut disposer de sa machine militaire beaucoup plus facilement qu'il y a cinq ou huit ans. Les masses ouvrières s'orientant de plus en plus à gauche, le développement ultérieur de ce phénomène fera certainement grandir de nouveau leur pression sur l'Etat bourgeois. Mais c'est une arme à double tranchant. La menace croissante des masses ouvrières pourrait, lors d'une étape ultérieure, pousser la bourgeoisie à prendre des mesures énergiques, pour prouver qu'elle reste toujours maîtresse chez elle, et à tenter d'écraser la République soviétique, ce principal foyer de contagion. La lutte contre la guerre ne se gagne pas au moyen de la pression exercée sur le gouvernement: elle se gagne seulement par la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Les effets "pacifistes" de la lutte de classe du prolétariat ainsi que ses effets "réformistes" ne représentent qu'un sous-produit de la lutte pour le pouvoir; ils n'ont qu'une force relative et peuvent facilement provoquer l'effet opposé, c'est-à-dire pousser la bourgeoisie sur le chemin de la guerre. La peur qu'a la bourgeoisie du mouvement ouvrier, évoquée par Radek d'une manière si unilatérale, constitue la principale espérance des social-pacifistes. Mais la peur de la révolution ne décide rien. C'est la révolution qui décide. Voilà pourquoi Lénine disait que la seule garantie contre la restauration monarchique en 1905 et contre la restauration capitaliste en 1918 résidait, non pas dans la pression du prolétariat, mais bien dans sa victoire révolutionnaire en Europe. C'est la seule manière juste de poser la question. En dépit de la longue durée du sursis, elle conserve aujourd'hui toute sa force. Je n'ai jamais posé autrement la question. En 1906, j'écrivais dans Bilan et perspectives:

C'est précisément la peur du soulèvement du prolétariat qui contraint les partis bourgeois, tout en votant de monstrueux budgets militaires, à manifester solennellement en faveur de la paix et à rêver de cours internationales d'arbitrage ou même d'une organisation des Etats-Unis d'Europe. Tout cela n'est qu'une misérable déclamation qui ne pourra certainement éviter ni les antagonismes entre les Etats ni les conflits armés.
(Notre révolution: Bilan et perspectives, p. 283.)

L'erreur fondamentale du VI° congrès de l'Internationale communiste fut de prétendre élaborer des ordonnances technico-révolutionnaires pour faire face aux menaces de guerre, après avoir séparé la lutte contre la guerre de la lutte pour le pouvoir. Il le fit pour sauver les conceptions pacifistes et national-réformistes de Staline et de Boukharine.

Les animateurs du VI° congrès, ces pacifistes apeurés, ces constructeurs angoissés du socialisme dans un seul pays, ont tenté d'éterniser la "neutralisation" de la bourgeoisie à l'aide de méthodes renforcées de "pression". Obligés de comprendre que leur direction avait jusqu'alors abouti à la défaite de la révolution dans toute une série de pays et rejeté bien en arrière l'avant-garde internationale du prolétariat, ils se sont hâtés, tout d'abord, de se débarrasser de la "formule excessive" du marxisme, qui lie indissolublement le problème de la guerre et le problème de la révolution. Ils ont fait de la lutte contre la guerre une tâche autonome particulière. Et, pour que les partis nationaux ne manquent pas l'heure décisive, ils ont déclaré permanent, imminent, immédiat, le danger de guerre. Tout ce qui se passe dans le monde ne se fait que pour la guerre. La guerre n'est plus maintenant une arme du régime bourgeois: c'est le régime bourgeois qui est une arme de la guerre. La lutte de l'Internationale communiste contre la guerre finit par devenir un code de formules rituelles répétées automatiquement et à tout propos, qui perdent, peu à peu, leur force effective.

Le socialisme national de Staline a tendance à transformer l'internationale communiste en une arme auxiliaire de la "pression" sur la bourgeoisie. C'est cette tendance, et non le marxisme, que Radek soutient de sa critique hâtive, bâclée et irréfléchie. Après avoir perdu la boussole, il se trouve dans un courant étranger qui peut l'entraîner vers des rives bien lointaines.

Alma-Ata, octobre 1928.


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