1926 |
Ce livre ne concerne pas que l'Angleterre, même s'il aurait pu s'appeler "L'Angleterre et la Révolution". Il contient des leçons pour bien des pays, surtout sur les illusions du passage "démocratique" au socialisme et sur le "crétinisme parlementaire", comme aurait dit Lénine. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Cromwell, le chartisme, les trade-unions, le Labour Party... |
Où va l'Angleterre ?
I. La décadence de l'Angleterre
L'Angleterre capitaliste fut préparée par la Révolution politique du milieu du XVIIe siècle et par la Révolution industrielle de la fin du XVIIIe [1]. L'Angleterre sortit de son époque de guerre civile et de la dictature de Cromwell [2], petit peuple comptant à peine 1 million 1/2 de familles. Elle entra dans la guerre impérialiste de 1914, en empire embrassant dans ses limites la cinquième partie de l'humanité.
La Révolution anglaise du XVIIe siècle, école du puritanisme [3], école sévère de Cromwell, prépara le peuple anglais, plus exactement ses classes moyennes, à son rôle mondial ultérieur. A partir du milieu du XVIIIe siècle, la puissance mondiale de l'Angleterre devint indiscutable. L'Angleterre domine sur les mers et sur le marché mondial, qu'elle crée.
En 1826, un publiciste conservateur anglais décrivait en ces termes imagés le siècle de l'industrie : " L'époque qui s'ouvre sous nos yeux promet d'être le siècle de l'industrie L'industrie dictera dorénavant les alliances internationales et nouera les amitiés internationales. Les perspectives qui s'ouvrent maintenant devant les Britanniques dépassent presque les limites de la pensée humaine. L'histoire ne leur offre pas de point de comparaison L'industrie des fabriques anglaises produit vraisemblablement quatre fois plus d'articles que tous les continents pris ensemble, et celle des filatures de coton en produit seize fois plus que celles de l'Europe continentale. " (Beer, Histoire du socialisme en Angleterre, page 303). La colossale supériorité industrielle de l'Angleterre sur le reste de l'Europe et sur le monde entier formait la base de sa richesse et de son incomparable situation mondiale. Le siècle de l'industrie fut aussi le siècle de l'hégémonie mondiale de la Grande-Bretagne.
De 1850 à 1880, l'Angleterre devint l'école industrielle de l'Europe et de l'Amérique. Son monopole était, de ce fait, compromis. A partir de 1870 et des années suivantes, l'Angleterre commence visiblement à faiblir. De nouveaux Etats, l'Allemagne en premier lieu, entrent dans l'arène mondiale. En même temps, la priorité capitaliste de l'Angleterre manifeste pour la première fois ses mauvais côtés conservateurs. La concurrence allemande porte des coups terribles à la doctrine du libre-échange.
L'élimination de l'Angleterre de ses positions de domination mondiale s'attesta donc dès le dernier quart du siècle passé et engendra, au début de notre siècle, un sentiment d'insécurité intérieure et une certaine fermentation dans les couches supérieures de la société, et de profonds processus moléculaires, d'un caractère au fond révolutionnaire, au sein de la classe ouvrière. Les puissants conflits du travail et du capital tenaient dans ces processus la place la plus importante. La situation aristocratique de l'industrie anglaise dans le monde ne fut pas la seule ébranlée ; la situation privilégiée de l'aristocratie ouvrière en Angleterre même le fut aussi. Les années 1911-1913 furent marquées par les grandes batailles, sans analogie dans le passé, livrées par les mineurs, les cheminots et les travailleurs des transports, en général. En août 1911, la grève nationale, c'est-à-dire générale, des chemins de fer, se déployait. Ces jours-là, le spectre confus de la Révolution plana sur l'Angleterre. Les chefs consacrèrent toutes leurs forces à paralyser le mouvement. Le patriotisme fut leur mobile : cela se passait au moment où l'incident d'Agadir menaçait de provoquer une guerre avec l'Allemagne [4]. Le Premier [5] invita, comme on l'a su depuis, les leaders ouvriers à une conférence secrète, où il les adjura de sauver la patrie ; et les chefs ouvriers firent tout ce qu'ils purent, affermissant la bourgeoisie et préparant, par là-même, le massacre impérialiste.
La guerre de 1914-1918 parut interrompre ce processus révolutionnaire. Elle arrêta le développement des luttes grévistes. Terminée par la débâcle de l'Allemagne, elle restitua, semble-t-il, à l'Angleterre, l'hégémonie mondiale. Mais il ne tarda pas à se révéler que la guerre, en enrayant momentanément la décadence de l'Angleterre, n'avait fait en réalité que l'approfondir.
En 1917-1920, le mouvement ouvrier anglais entrait de nouveau dans une phase extrêmement orageuse. Les grèves revêtirent un caractère grandiose. Macdonald signa des manifestes. dont il se détournerait aujourd'hui avec horreur. Ce ne fut qu'à la fin de 1920, après le " vendredi noir ", où la Triple Alliance des leaders des mineurs, des cheminots et des travailleurs des transports trahit la grève générale, que le mouvement rentra dans ses digues. L'énergie des masses, paralysée dans la sphère de l'action économique, s'orienta vers le plan politique. Le parti ouvrier (Labour Party) sembla sortir de terre.
En quoi consiste le changement qui s'est accompli dans la situation intérieure et extérieure de la Grande-Bretagne ?
L'énorme supériorité économique des Etats-Unis s'est développée et manifestée pleinement, intégralement, pendant la guerre. La sortie des États-Unis de leur phase de provincialisme transocéanien remisa du coup la Grande-Bretagne au second plan.
La collaboration de l'Amérique avec la Grande-Bretagne est la forme, pour l'instant pacifique, sous laquelle se continue la retraite de plus en plus profonde de l'Angleterre devant l'Amérique.
Cette collaboration peut être dirigée à un moment ou à un autre contre une tierce partie ; il n'en est pas moins vrai que l'antagonisme mondial essentiel, c'est l'antagonisme anglo-américain, et que tous les autres, plus âpres au moment donné et plus immédiatement menaçants, ne peuvent être compris et appréciés que sur le fond de l'antagonisme anglo-américain.
La collaboration anglo-américaine prépare la guerre, de même qu'une époque de réformes prépare une époque de Révolutions. Le fait précis que l'Angleterre devra, dans la voie des réformes, c'est-à-dire des marchés forcés avec l'Amérique, évacuer une position après l'autre, l'obligera, en fin de compte, à résister.
Les forces productives de l'Angleterre et, avant tout, sa force productive vivante, le prolétariat, ne correspondent plus à la place de l'Angleterre sur le marché mondial. D'où le chômage chronique.
L'hégémonie industrielle-commerciale et militaire-navale de l'Angleterre assurait presque automatiquement par le passé la liaison des différentes parties de l'Empire. Le ministre néo-zélandais Reeves écrivait dès la fin du siècle dernier : " Deux facteurs entretiennent l'attitude actuelle des colonies envers l'Angleterre : 1° leur croyance que la politique de l'Angleterre est surtout une politique de paix, et 2° leur croyance que l'Angleterre règne sur les mers. " Le deuxième facteur avait naturellement une importance décisive. La perte de l'hégémonie maritime est parallèle au développement des forces centrifuges à l'intérieur de l'Empire. Le maintien de l'unité de l'Empire est rendu de plus en plus difficile par les intérêts divergents des Dominions et par la lutte économique.
Le développement de la technique militaire a été contraire à la sécurité de la Grande-Bretagne. L'importance prise par l'aviation et par l'arme chimique réduit à néant les plus grands avantages historiques de la situation insulaire. L'Amérique - cette île immense, gardée des deux côtés par des océans - demeure invulnérable. Au contraire, les centres les plus vitaux de l'Angleterre, Londres avant tout, peuvent être l'objet en quelques heures d'une mortelle attaque aérienne partie du continent.
Les avantages d'un isolement inaccessible perdus, le gouvernement anglais se voit contraint de participer de plus en plus directement aux affaires purement européennes et aux conventions militaires du continent, Les possessions transocéaniennes de l'Angleterre, ses Dominions, ne sont nullement intéressés à cette politique. L'Océan Pacifique et l'Océan Indien les intéressent, l'Atlantique aussi, dans une certaine mesure, mais la Manche ne les intéresse à aucun titre. Cette divergence d'intérêts creusera, au premier ébranlement mondial, un abîme béant où disparaîtront les liens de l'Empire. La politique de la Grande-Bretagne est, dans l'attente de cette issue, paralysée par les frottements intérieurs, condamnée en réalité à la passivité et, par conséquent, à l'aggravation de la situation mondiale de l'Empire.
Les dépenses militaires doivent au même moment absorber une partie de plus en plus grande du revenu national en voie de diminution.
Le remboursement de l'énorme créance américaine, sans le moindre espoir d'être à son tour payée par les Etats continentaux, constitue pour l'Angleterre une des conditions de sa " collaboration " avec l'Amérique. La corrélation économique des forces en est encore modifiée en faveur de l'Amérique. Le 5 mars dernier [1925, NdT], la Banque d'Angleterre portait le taux de l'escompte de 4 à 5%, la Banque Fédérale de New-York ayant porté le sien de 3 à 3,5%. A la Cité [6] de Londres, on ressentit très douloureusement ce rappel brutal de la dépendance financière vis-à-vis du cousin d'outre-Atlantique. Mais qu'y faire ? La réserve d'or de l'Amérique est à peu prés de 4 milliards et demi de dollars, tandis que la réserve anglaise ne dépasse pas 750 millions de dollars, étant six fois moindre. L'Amérique a une monnaie-or, tandis que l'Angleterre ne fait encore que des efforts désespérés pour rétablir la sienne. Et c'est bien naturel si, à une élévation du taux de l'escompte de 3 à 3,5% en Amérique, l'Angleterre doit réagir par une élévation de 4 à 5%. Cette mesure atteint le commerce et l'industrie du pays, en augmentant le prix des produits qui leur sont nécessaires. De sorte que l'Amérique remet à chaque instant l'Angleterre à sa place, tantôt par des pressions diplomatiques, tantôt à l'aide de mesures bancaires, partout et toujours, grâce à la pression de sa formidable supériorité économique [7].
Par ailleurs, la presse anglaise note avec inquiétude le progrès surprenant de certaines branches de l'industrie allemande et en particulier de la construction navale. Le Times du 10 mars écrivait au sujet de cette dernière : " Il se peut que la réalisation d'un trust complet, embrassant tous les matériaux - de la mine à la dalle métallique, de l'établissement financier au commerce de détail - soit l'un des facteurs qui donnent aux chantiers allemands la possibilité de soutenir victorieusement la concurrence. Ce système n'est pas sans conséquence quant au salaire et au coût de la vie. Toutes ces forces s'orientant dans un sens unique, le champ ouvert à la diminution des frais devient très vaste. "
En d'autres termes, le Times constate ici que la supériorité organique de l'industrie allemande, plus moderne, se manifeste de nouveau avec toute sa vigueur, dès que l'économie allemande a obtenu la possibilité extérieure de manifester sa vitalité.
Des indices montrent, il est vrai, que les commandes de vaisseaux faites aux chantiers de Hambourg ont pour fin spéciale d'intimider les Trade-Unions et de préparer ainsi une pression sur elles, tendant à diminuer les salaires et à prolonger la journée de travail. Point n'est besoin de dire que cette manuvre est plus que probable. Mais elle n'affaiblit en rien les considérations générales sur l'organisation irrationnelle de l'industrie anglaise et les frais généraux qui en découlent.
Depuis déjà quatre années, le nombre des chômeurs officiellement inscrits en Angleterre n'est pas tombé au-dessous de 1.135.000, oscillant en réalité entre 1.250.000 et 1.500.000. Le chômage chronique est la plus criante révélation de l'inconsistance du régime et, en même temps, son talon d'Achille. L'assurance contre le chômage, établie en 1920, comptait avec des circonstances exceptionnelles, destinées à disparaître promptement. Mais le chômage est devenu permanent, l'assurance a cessé d'être une assurance, la dépense n'est nullement couverte par les versements des intéressés. Les chômeurs anglais ne forment déjà plus une armée normale de réserve, qui tantôt diminue, tantôt s'élargit, changeant constamment de composition, mais forment une sorte de couche sociale permanente, engendrée par l'industrie au temps de son essor, et éliminée par elle au temps de sa décadence. C'est une tumeur de podagre [maladie de la goutte NdTotal] dans un organisme où les fonctions d'assimilation et de désassimilation s'accomplissent mal.
Le colonel Willey, président de la Fédération des Industries Britanniques (F. B. I.), déclarait, au début d'avril, qu'en raison de l'insignifiance du revenu du capital industriel dans les deux dernières années, les patrons n'avaient pas été encouragés à développer la production. Les entreprises ne rapportent pas plus que les valeurs à revenu fixe (emprunts d'État, etc.). " Notre problème national n'est pas un problème de production, mais un problème d'écoulement de marchandises. " Comment le résoudre ? Il faut produire à meilleur compte que les autres. Mais il doit pour cela, ou réorganiser de fond en comble la production, ou diminuer les impôts, ou diminuer les salaires, ou accorder ces trois moyens. La diminution des salaires, susceptible de donner un résultat insignifiant au point de vue de la diminution des frais de la production, se heurterait à une résistance énergique, les ouvriers luttant en ce moment pour l'augmentation des salaires. La diminution des impôts est impossible, du moment qu'il faut payer les dettes, rétablir la monnaie or, entretenir l'appareil de l'Empire et en outre 1 million l/2 de chômeurs. Toutes ces charges pèsent sur le coût du produit. La production ne pourrait être réorganisée que grâce à l'investissement de nouveaux capitaux. Or, la faiblesse des revenus dirige les capitaux disponibles vers les emprunts gouvernementaux et autres.
Le président de l'Association britannique des Chambres de Commerce Stanley Machin déclarait au même moment que la solution du chômage est dans l'émigration. L'aimable patrie dit ainsi à plus d'un million de travailleurs, représentant, avec leurs familles, plusieurs millions de citoyens : " Descendez à fond de cale et décampez au diable, outremer ! " La banqueroute complète du régime capitaliste est ici reconnue sans la moindre équivoque.
La vie intérieure de l'Angleterre doit être considérée sous la perspective esquissée plus haut d'une diminution brutale et croissante du rôle mondial de la Grande-Bretagne qui, conservant encore toutes ses possessions, son appareil gouvernemental et ses traditions de domination mondiale, se retire en réalité, de plus en plus, sur des positions de seconde ligne.
L'effondrement. du parti libéral achève un siècle d'économie capitaliste et de société bourgeoise. La perte de l'hégémonie mondiale amène des branches entières de l'industrie anglaise dans une impasse et porte un coup mortel aux capitaux industriels et commerciaux indépendants d'importance moyenne, cette base du libéralisme. La liberté du commerce aboutit à une impasse.
La stabilité intérieure du régime capitaliste était cependant déterminée dans une large mesure par la division du travail et des responsabilités entre le conservatisme et le libéralisme. L'effondrement du libéralisme est la révélation de toutes les autres contradictions de la situation mondiale de l'Angleterre bourgeoise et, simultanément, une cause d'instabilité intérieure du régime. Le Labour Party est politiquement très proche, dans ses milieux dirigeants, des libéraux, mais il est incapable de restituer au parlementarisme anglais sa stabilité intérieure, parce qu'il n'est lui-même, sous son aspect actuel, qu'une courte étape du développement révolutionnaire de la classe ouvrière. La situation de Macdonald est plus précaire encore que celle de Lloyd George.
Marx pensait, dans les premières années de la décade 1840-1850, que le parti conservateur disparaîtrait bientôt de la scène, et que tout le développement politique suivrait la ligne des luttes du libéralisme et du socialisme. Cette prévision supposait un développement révolutionnaire rapide en Angleterre et en Europe. De même que le parti cadet devint chez nous, sous la poussée de la Révolution, le seul parti de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, le libéralisme anglais se serait dissous en un parti conservateur, devenu le seul parti de la propriété, si l'offensive révolutionnaire du prolétariat s'était développée dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais la prédiction de Marx était précisément formulée à la veille d'une nouvelle époque de tumultueux essor du capitalisme (1851-1873). Le chartisme perdit définitivement toute influence [8]. Le mouvement ouvrier suivit les voies du trade-unionisme. Les classes dominantes eurent la possibilité de manifester extérieurement leurs contradictions, sous la forme de la lutte des partis libéral et conservateur. Le jeu de bascules parlementaire, tantôt orienté à gauche, tantôt orienté à droite, était pour la bourgeoisie un exutoire offert à l'esprit d'opposition des masses ouvrières.
La concurrence allemande fut le premier avertissement menaçant donné à l'hégémonie mondiale de la Grande-Bretagne et lui porta les premiers coups graves. La liberté du commerce se heurta à la supériorité de la technique et de l'organisation allemandes. Le libéralisme anglais n'était qu'une généralisation politique du libre-échange.
L'école manchestérienne [9] jouissait d'une position dominante depuis la réforme électorale bourgeoise censitaire de 1832 et l'abolition des droits sur le blé en 1846 [10]. Pendant un demi-siècle après ces événements, la doctrine du libre-échange parut un programme inébranlable. Le rôle dirigeant appartint naturellement aux libéraux. Les ouvriers venaient à leur remorque. A partir de 1865, à peu près, commence un fléchissement des affaires. Le libre-échange se discrédite, le mouvement protectionniste débute [11]. Les tendances impérialistes s'emparent de plus en plus de la bourgeoisie. Des symptômes de décomposition s'étaient manifestés dans le parti libéral dès Gladstone [12], lorsqu'un groupe de libéraux et de radicaux, dirigés par Chamberlain [13], éleva le drapeau du protectionnisme et rallia les conservateurs. A partir de 1888 à peu prés, les affaires commerciales furent meilleures. La transformation politique de l'Angleterre en fut retardée. Mais, vers le début du XXe siècle, le libéralisme apparaît, en tant que parti de la moyenne bourgeoisie, dépassé Son leader, Roseberry, se rangeait ouvertement sous le drapeau de l'impérialisme. Pourtant, le parti libéral devait, avant de disparaître de la scène, connaître encore une fois une phase d'essor. Sous l'influence de la décadence manifeste de l'hégémonie du capital britannique, d'une part, et du puissant mouvement révolutionnaire de la Russie, de l'autre, l'Angleterre vit sa classe ouvrière développer une activité accrue qui, tendant à la création d'un parti ouvrier parlementaire, apporta dans les premiers temps des eaux abondantes au moulin de l'opposition libérale. Le libéralisme revient au pouvoir en 1906. Mais cet essor ne peut pas être durable pour lui. La ligne politique du développement du prolétariat tend à la croissance du parti ouvrier (Labour Party) [14]. Jusqu'en 1906, la représentation parlementaire de ce dernier s'était accrue plus ou moins parallèlement avec celle du parti libéral. A partir de 1906, le parti ouvrier grandit manifestement au détriment des libéraux.
Formellement, c'est le parti libéral qui, représenté par Lloyd George, préside à la guerre. En réalité, la guerre impérialiste, dont le régime sacré du libre-échange n'avait pas préservé l'Angleterre, devait infailliblement affermir les conservateurs, parti plus conséquent de l'impérialisme. Ainsi, furent définitivement préparées les conditions de l'entrée en scène du parti ouvrier.
Agitant sans cesse avec impuissance la question du chômage, l'hebdomadaire du Labour Party, le Dailg Herald, tire des aveux de capitalistes que nous avons cités plus haut, la conclusion générale que, les capitalistes anglais préférant prêter leur argent aux gouvernements étrangers plutôt que d'élargir la production, il ne reste aux ouvriers anglais qu'à produire sans capitalistes. Conclusion juste dans l'ensemble, mais énoncée non pour inciter les ouvriers à chasser les capitalistes, mais pour pousser les capitalistes dans la voie des " efforts progressifs ". C'est, nous le verrons, sur cette tentative que repose toute la politique du parti ouvrier. Les Webb écrivent des livres à cette fin, Macdonald prononce des discours, les rédacteurs du Herald fournissent leurs articles quotidiens. Mais si ces tristes manuvres d'intimidation agissent sur les capitalistes, c'est dans un sens diamétralement opposé. Tout bourgeois anglais sérieux comprend que les menaces grandiloquentes des chefs des partis ouvriers cachent un danger réel du côté des masses prolétariennes profondément troublées. Et c'est justement de quoi le bourgeois intelligent déduit qu'il ne faut pas placer de nouveaux fonds dans l'industrie.
La peur inspirée à la bourgeoisie par la Révolution n'est ni toujours ni dans toutes les conditions un facteur de " progrès ". Il ne peut faire de doute que l'économie anglaise tirerait d'immenses avantages de la collaboration de l'Angleterre avec la Russie. La peur de la bourgeoisie devant la Révolution, et l'insécurité du lendemain des capitalistes y sont des obstacles.
La peur de la Révolution incita les capitalistes anglais à des concessions et à des transformations, tant que les possibilités matérielles du capitalisme anglais furent ou parurent illimitées. Les impulsions des révolutions européennes se firent toujours sentir très nettement sur le développement social de l'Angleterre ; elles provoquèrent des réformes tant que la bourgeoisie anglaise garda entre ses mains, grâce à sa situation mondiale, de prodigieuses ressources permettant de manuvrer. La bourgeoisie put légaliser les Trade-Unions, abolir les taxes sur le blé, augmenter les salaires, élargir les droits électoraux, accomplir des réformes sociales, etc., etc Dans la situation actuelle, radicalement modifiée, de l'Angleterre dans le monde, la menace de la Révolution n'est déjà plus capable de pousser la bourgeoisie en avant, paralysant au contraire les derniers restes de son initiative industrielle. Il faut, maintenant, non la menace de la Révolution, mais la Révolution elle-même.
Tous les facteurs et toutes les circonstances dont nous avons fait mention ne sont ni fortuites ni transitoires. Ils se développent dans un sens unique, aggravant systématiquement la situation internationale et intérieure de la Grande-Bretagne et lui donnant le caractère d'une situation historique ne comportant pas d'issue.
Les contradictions qui minent l'organisme social de l'Angleterre s'aggraveront inévitablement. Nous ne nous chargeons pas de prédire quelle sera l'allure de ce processus, qui mettra à s'accomplir des années, à la rigueur, des lustres, mais en aucun cas des décades. La perspective générale est telle que l'on doit avant tout se poser la question suivante : " Un parti communiste assez fort, assez lié aux masses pour tirer au moment voulu toutes les conclusions pratiques nécessitées par la crise en voie d'aggravation, aura-t-il le temps de se former en Angleterre ? " Les destinées de l'Angleterre se résument en ce moment dans cette question.
Notes
[1] La Révolution politique du XVIIe siècle et la Révolution industrielle du XVIIIe. - Dès le début du XVIIe siècle, les rapports entre le Parlement anglais et le pouvoir royal commencèrent à se tendre. Des frottements se produisaient surtout par suite du refus des députés de sanctionner les dépenses de guerres incessantes. Le gouvernement tenta de trouver des ressources en dehors du Parlement, ce qui suscita de la part de la majorité des députés une vive opposition. En 1629, le roi Charles Ier dissout le Parlement qui n'est plus réuni jusqu'à 1640. Cette période est marquée par de cruelles persécutions dirigées contre les adversaires du roi, par la répression du soulèvement irlandais et par d'autres faits analogues. En 1640, un soulèvement éclate en Écosse, dont la répression exige de grandes ressources, ce qui oblige le roi à convoquer le Parlement. Celui-ci - le Long Parlement - adopte vis-à-vis du roi une attitude de nette opposition. En 1642, le roi tente un coup d'État, et exige du Parlement la livraison de cinq députés. Cette exigence fait naître des troubles à Londres, surtout dans la population commerçante, et le roi fuit sa capitale. Dans la lutte qui s'engage entre le roi et le Parlement, le premier étant soutenu par la noblesse et par le haut clergé, tandis que le second l'est par la population commerçante et industrielle des villes, la victoire devait rester au Parlement. Olivier Cromwell, appuyé sur la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, joua dans cette lutte un rôle immense. Après la mort de Cromwell et une courte période de gouvernement de son fils Richard, le Parlement nouvellement élu décide la restauration de la monarchie (1660). Le Parlement réactionnaire continue pourtant à combattre le pouvoir absolu de la royauté. En 1688, les whigs prennent les armes, et le roi passe en France sans même leur avoir résisté. Ainsi s'accomplit la seconde Révolution, appelée " glorieuse " par les historiens bourgeois, à la différence de la première qu'ils qualifient de " grande sédition ". Le nouveau monarque, Guillaume III, dut souscrire au fameux bill des droits qui établit la validité inconditionnelle des lois promulguées par le Parlement ; le roi ne fut autorisé à entretenir d'armée qu'avec la sanction du Parlement : la liberté de parole et de pétition fut garantie, etc. Ce bill, attestant à l'époque une victoire de l'aristocratie et de la noblesse, marqua aussi la fin de l'absolutisme, et ouvrit les voies au développement ultérieur de la bourgeoisie anglaise. Si la " glorieuse " Révolution de 1688 put établir sans effusion de sang un régime libéral, ce ne fut naturellement que grâce à la " grande sédition ".
Les conséquences politiques de la grande Révolution ne se firent pas attendre longtemps.
" Le compromis entre la bourgeoisie en voie de développement et la grande propriété foncière, naguère féodale, fut un nouveau point de départ. Bien que les grands propriétaires fonciers s'appelassent alors comme aujourd'hui des aristocrates, ils s'acheminaient déjà, depuis longtemps, vers la situation que Louis-Philippe occupa beaucoup plus tard en France : celle des premiers bourgeois de la nation. Par bonheur pour l'Angleterre les vieux barons féodaux s'étaient mutuellement exterminés dans la guerre des Deux-Roses. Leurs héritiers, quoiqu'ils fussent le plus souvent les rejetons des mêmes vieilles familles - descendaient de branches collatérales tellement éloignées qu'ils formaient une corporation entièrement nouvelle ; leurs habitudes et leurs aspirations étaient beaucoup plus bourgeoises que féodales : ils connaissaient parfaitement le prix de l'argent et se mirent à augmenter rapidement la rente foncière, chassant devant leurs moutons des centaines de petits fermiers
" - " Il y avait aussi, en tout temps, des grands ropriétaires disposés, pour des raisons économiques ou politiques, à collaborer avec les dirigeants de la bourgeoisie financière et industrielle. " (Engels, Le Matérialisme Historique).
La Révolution industrielle du XVIIIe siècle, qui transforma l'Angleterre agricole en un pays industriel, fut préparée par la croissance rapide du commerce extérieur et l'augmentation générale de la production de marchandises dans les villes et les campagnes. Le travail manuel, les réglementations corporatives, le système féodal entravaient le développement des forces de la production. Parallèlement au progrès de l'industrie urbaine, se poursuivait dans l'agriculture le processus rapide de la transformation des terres labourées en âturage. Les propriétaires fonciers s'adonnaient avec énergie à l'élevage qui leur rapportait gros, et au commerce de la laine. Diverses inventions, dont la plus importante est celle de la machine à vapeur (inventée par James Watt en 1776), donnèrent une puissante impulsion à la création des fabriques. La révolution économique fit passer au premier plan la bourgeoisie industrielle et commerçante.
[2] Cromwell (1599-1658), lord-protecteur d'Angleterre, fut l'homme politique le plus remarquable de l'époque de la grande Révolution anglaise (1640-1659). Au Long Parlement, Cromwell se plaça au premier rang de l'opposition. Ennemi irréconciliable de la monarchie des Stuart, il devint l'un des chefs du parti religieux révolutionnaire des " Indépendants ", et se révéla dans la guerre civile un chef de guerre remarquable. Les victoires de son armée rendirent son nom extraordinairement populaire. Chef principal de l'armée révolutionnaire, il réprima impitoyablement tous les mouvements monarchistes. Après l'exécution de Charles Ier, Cromwell dissout en 1653 le Long Parlement, qui protestait contre la continuation des mesures révolutionnaires. Devenu " lord-protecteur ", il convoque un nouveau parlement et le dissout bientôt, cette fois pour avoir présenté des exigences trop radicales Exerçant en fait la dictature, Cromwell irrita les partisans de la monarchie des Stuart et aussi les éléments d'extrême gauche, mécontents de sa politique personnelle. Il soutint contre les uns et les autres une lutte acharnée. Sous sa domination, l'Angleterre étendit ses possessions et se plaça au premier rang des puissances européennes. La mort de Cromwell ferma la période de la grande Révolution anglaise. Son fils Richard exerça le pouvoir pendant un an ; la dynastie des Stuart fut ensuite restaurée.
[3] Le puritanisme fut un mouvement à la fois religieux et politique. Il naquit en Angleterre au milieu du XVIe siècle, et engagea la lutte contre l'Église anglicane, officielle, pour libérer entièrement la religion chrétienne des survivances du catholicisme. Le puritanisme combattit les rites religieux et exigea la séparation de l'Église et de l'État. Le gouvernement anglais persécuta systématiquement les puritains. Ceux-ci étaient pour la plupart des marchands, des artisans, des petits bourgeois. Ils jouèrent dans la Révolution du XVIIe siècle un rôle décisif. Ils formèrent le noyau principal de l'armée révolutionnaire qui se battit pour fonder la République. Le rôle politique du puritanisme se termine à la restauration de la monarchie, il ne subsiste plus que comme une secte religieuse.
[4] L'incident d'Agadir signala en juillet 1911 le heurt des intérêts allemands et français au Maroc. La France, dont l'influence s'était fortifiée au Maroc, avait résolu d'établir, malgré
les accords antérieurs avec l'Allemagne, son protectorat sur l'empire chérifien. Des troupes françaises y furent envoyées, qui occupèrent diverses villes importantes.
L'a1lemagne, dont les intérêts économiques au Maroc, étaient considérables, envoya à Agadir sur la côte sud-ouest du Maroc un vaisseau de guerre, officiellement chargé de la protection des sujets allemands. C'était en réalité une manifestation navale contre la France. La guerre faillit en résulter. L'Angleterre et la Russie se montrèrent disposées à soutenir la France en cas de guerre. L'action de l'Angleterre détermina l'Allemagne, à ce moment en proie à une crise financière et insuffisamment préparée aux hostilités, à renoncer à ses exigences territoriales au Maroc et à se contenter de concessions économiques et de compensations dans d'autres régions de l'Afrique. La crise se termina par le traité du 4 novembre 1911 qui accordait à la France le protectorat du Maroc et une partie du Cameroun supérieur et attribuait à l'Allemagne une partie du Congo français, et, sur le Maroc, des droits économiques égaux à ceux de la France.
Les négociations avec l'Allemagne avaient été dirigées, du côté français, par M.Caillaux.
[5] Le Premier (le premier ministre), terme consacré en Angleterre pour désigner le Président du Conseil. (Note du trad.)
[6] La Cité (City) est le quartier central de Londres, où se trouvent la Bourse, les banques les plus importantes et les grandes firmes commerciales de l'Angleterre. La Cité de Londres était avant la guerre, le centre du marché financier de l'univers.
[7] Note de Trotsky. Depuis
que ce travail a été écrit, le ministère anglais a adopté une série de mesures
législatives et financières bancaires assurant le retour à la monnaie d'or. Il semble
que nous soyons ici en présence d'une " éclatante victoire " du capitalisme
anglais. En réalité, rien n'exprime de façon plus frappante la décadence de
l'Angleterre que ce succès financier. L'Angleterre a dû effectuer cette opération
coûteuse sous la pression du lourd dollar américain et de la politique financière de
ses propres Dominions qui, tournant le dos à la livre sterling, s'orientaient chaque jour
davantage, vers le dollar. L'Angleterre n'a pas pu faire un dernier bond vers l'or sans
une importante " aide " financière des États-Unis. Mais cela veut dire que le
sort de la livre sterling est désormais, dans la dépendance directe de New-York. Les
États-Unis reçoivent un puissant moyen de coercition financière. Cette dépendance,
l'Angleterre est obligée de la payer d'un intérêt élevé. Le paiement de cet intérêt
accable son industrie, déjà malade. Pour s'opposer à l'exportation de son or,
l'Angleterre est tenue d'entraver l'exportation de ses marchandises. Elle ne peut
cependant renoncer à la transition à la monnaie-or sans hâter sa décadence sur le
marché mondial des capitaux. Cet ensemble fatal de circonstances fait naître dans les
milieux dirigeants anglais un sentiment très net de leur impuissance et suscite les
récriminations méchantes, mais inefficaces de la presse la plus conservatrice. Le Daily
Mail écrit : " En adoptant la base or, le gouvernement anglais donne aux banques
fédérales pratiquement placées sous l'influence du gouvernement des États-Unis, la
possibilité de susciter à tout moment une crise monétaire en Angleterre
Le
gouvernement anglais assujettit toute la politique financière de son pays à une nation
étrangère
L'Empire britannique est hypothéqué aux États-Unis.
" Grâce à Churchill, écrit le Daily Express,
conservateur, l'Angleterre tombe sous la coupe des "banquiers américains ". Le Daily
Chronicle s'exprime avec plus d'énergie encore : " L'Angleterre tombe en
réalité au rang d'un 49e Etat d'Amérique ". On ne peut mieux dire ! A
toute cette amère autocritique, sans conclusions ni perspectives, le ministre des
finances Churchill répond en somme qu'il ne reste plus à l'Angleterre qu'à accorder son
système financier avec la réalité (with reality). Ces mots de M. Churchill
signifient : " Nous nous sommes infiniment appauvris, alors que les États-Unis se
sont infiniment enrichis ; nous devons ou nous battre avec l'Amérique ou nous soumettre
à elle ; en plaçant le sort de la livre sterling dans la dépendance des banques
américaines, nous ne faisons que traduire notre décadence économique générale dans le
langage monétaire ; on ne peut pas sauter au-dessus de sa propre tète ; il faut "
s'accorder avec la réalité ".
[8] Le chartisme fut un mouvement social et politique de la classe ouvrière anglaise, immédiatement déterminé par la crise industrielle et le chômage. En 1834, le Parlement, élu à la suite de la réforme électorale de 1832, abrogeait l'ancienne loi " du temps d'Élisabeth ", qui mettait les pauvres à la charge des paroisses, et y substitua une loi créant des maisons de travail (Workhouses). Cette mesure provoqua dans les masses ouvrières un mécontentement très vif et amena en 1836 à la constitution d'une société ouvrière dont le programme (la Charte, en anglais Charter, d'où le mot chartisme) devint celui de tout le mouvement " chartiste ". La Charte comprenait les six points suivants : suffrage universel. vote secret, abolition du Cens des député", égalité des circonscriptions électorales, rémunération des députés,
élections annuelles. Le Parlement repoussa les revendications des chartistes ; les protestations, les manifestations et les grèves ouvrières lui répondirent. Par deux fois, en 1842 et 1848, le parlement refusa pourtant de souscrire à la Charte. Deux tendances se firent bientôt jour parmi les chartistes. La droite, à la tête de laquelle se trouvait l'ouvrier londonien Lowet, condamnait la violence et se prononçait en faveur d'une action commune avec la bourgeoisie radicale, qui luttait alors pour la liberté du commerce et l'abrogation des droits de douane sur les blés ; la gauche, à la tête de laquelle se trouvaient 0'Connor, Stephens et, plus tard, O'Brian préconisait l'emploi des méthodes révolutionnaires. L'influence de cette gauche grandit avec le mouvement révolutionnaire, et le chartisme, s'émancipant de l'influence de la droite, s'engagea résolument dans la voie des grèves de masses. A la fin de 1840, l'association chartiste nationale se fondait à Manchester ; ce fut l'organisation politique de la classe ouvrière anglaise. L'association compta jusqu'à 40 000 membres. Le chartisme qui n'était à ses débuts que la gauche de la démocratie bourgeoise radicale, devint ainsi
la forme révolutionnaire d'un mouvement purement prolétarien et le point de départ des futurs groupements internationaux des ouvriers, ceux des précurseurs de la Première Internationale.
Le déclin du chartisme commença à la fin de 1850, dans la période de réaction qui suivit la défaite de la Révolution continentale de 1848. Marx écrivit à ce sujet : " La défaite de la classe ouvrière sur le continent européen se fit sentir, par voie de contagion, de l'autre côté de la Manche
La défaite complète de leurs frères du continent avait découragé la classe ouvrière d'Angleterre et ruiné sa foi en sa propre cause. Les efforts tentés pour soutenir le mouvement chartiste échouaient indéniablement ; les journaux ouvriers mouraient l'un après l'autre de l'indifférence des masses ; il semblait, en réalité, que la classe ouvrière anglaise n'eût jamais été si satisfaite de son inexistence politique.
[9] L'école manchestérienne, école d'économie politique de la bourgeoisie libérale anglaise, se forma entre 1820 et 1830, à Manchester, alors le centre de l'industrie textile anglaise. Les fabricants de tissus de Manchester avaient besoin, pour réaliser de beaux bénéfices, de la liberté du commerce et de la non-intervention de l'État dans l'industrie, surtout, entre les patrons et les ouvriers. Aussi formulaient-ils les revendications libérales de liberté du commerce, d'abrogation de tarifs douaniers, etc. Les idéologues de la bourgeoisie industrielle firent de ces revendications les conditions nécessaires du développement du système capitaliste en général.
[10] La réforme électorale de 1832 et l'abrogation des droits sur les blés en 1846 eurent pour cause principale le développement accusé de la bourgeoisie industrielle et commerçante, ainsi que de son
activité politique. Mise en avant par la Révolution industrielle du XVIIIe siècle, la
bourgeoisie anglaise engage une lutte systématique contre les landlords (les tories),
pour exercer seule la domination politique et économique. La réforme électorale de 1832
et l'abolition des droits de douane sur les blés, en 1846, furent les résultats de cette
action. La Révolution française de 1830 exerça une grande influence sur l'adoption de
la réforme électorale. La réforme de 1832, votée par la Chambre des Lords après une
lutte opiniâtre, se réduisait à trois mesures essentielles :
1° une nouvelle
répartition des mandats en faveur des villes ;
2° l'égalité électorale des villes et
des comtés ;
3° l'augmentation du nombre des députés.
Cette réforme procura le droit
de vote à la petite bourgeoisie, aux tenanciers et aux fermiers. Elle fortifia surtout la
représentation Parlementaire des circonscriptions industrielles. Elle n'apporta aucune
modification importante à la représentation des ouvriers ; ceux-ci restèrent, comme par
le passé, privés du droit de vote.
La lutte pour l'abrogation des droits de douane sur les blés, droits
nécessaires à l'aristocratie foncière pour provoquer la hausse du prix au blé, avait
été engagée par la bourgeoisie industrielle dès avant 1830. Elle se poursuivit par une
agitation constante systématique parmi les commerçants, les artisans, les ouvriers, la petite et la moyenne bourgeoisie, en faveur
de l'abrogation des droits prélevés sur les blés importés de l'étranger. Le
ministère conservateur opposa une résistance opiniâtre aux libéraux, protagonistes de
cette mesure. il fallut la disette de 1845 et un vaste mouvement de l'opinion pour amener
enfin le gouvernement anglais à céder en 1846.
La réforme de 1832 et l'abrogation des droits sur les blés furent des
grandes. victoires de la bourgeoisie industrielle anglaise en marche vers la domination
politique et économique.
[11] Le mouvement protectionniste. On appelle " protectionnisme " un système de tarifs douaniers protégeant l'industrie d'un pays contre la concurrence des marchandises étrangères à meilleur marché. Le système entraîne parfois la prohibition complète de l'importation de certaines marchandises. L'Angleterre, pays d'Europe qui entra le premier dans la voie du développement industriel, vit le mouvement de la bourgeoisie libérale en faveur de la liberté du commerce et de l'abrogation des tarifs protecteurs triompher définitivement entre 1830 et 1840. Mais, à partir de 1865, au moment où les industries américaine et al1emande commencent à se développer rapidement, un large mouvement en faveur du protectionnisme naît au sein de la grosse bourgeoisie anglaise. Il est principalement dirigé par le parti conservateur.
[12] Gladstone (1809-1898) fut un des hommes politiques anglais les plus influents de la deuxième moitié du XIXe siècle. Leader des libéraux. Tory et protectionniste dans sa jeunesse, évolua à gauche et, dès 1847, tory modéré, adhéra au groupe conservateur de gauche de Robert Peel. Gladstone fit partie, en 1852, du ministère de coalition de lord Aberdeen, qui comprenait des whigs (libéraux) et des hommes politiques du groupe Peel. Gladstone y reçut le portefeuille des Finances. A partir de 1859, fut ministre des Finances du cabinet libéral Palmerstone. Se classa dès lors, définitivement, parmi les libéraux, et fit partie de tous les cabinets formés par ceux-ci jusqu'à 1983. Gladstone resta fidèle aux vieux principes du libéralisme anglais, même lorsque les éléments impérialistes s'en détachèrent en 1870-1880. Vis-à-vis de l'Irlande, sa politique de concessions et d'aumônes visait à soumettre l'île au capital anglais, par des moyens démocratiques. Le libéralisme et le pacifisme de Gladstone ne l'empêchèrent pas d'occuper l'Egypte. Son nom est resté attaché à un élargissement important du droit de vote et à la lutte pour l'autonomie (Home Rule) de l'Irlande. Le projet de loi sur le Home Rule, présenté par Gladstone; alors président du Conseil. en 1866, fut repoussé par la. Chambre des Communes. En 1893. Gladstone réussissait enfin à le faire voter par les Communes, mais la Chambre des pairs lui infligeait un échec. Ce conflit et la diminution de l'influence des libéraux de la vieille tendance, amenèrent la retraite de Gladstone.
[13] Joseph Chamberlain (1836-1914) fut un des hommes d'action les plus remarquables de l'impérialisme anglais. Membre du parti radical et l'un de ses leaders jusqu'en l885. De 1880 à 1885, ministre du Commerce dans le Cabinet libéral de Gladstone. Lorsque les libéraux se divisent en impérialistes-protectionnistes et libre-échangistes, Chamberlain Se range du côté des premiers. Il quitte, en 1885, à la suite de désaccords avec Gladstone, sur la question du Home Rule de l'Irlande, c'est-à-dire de l'octroi à ce pays d'un parlement et d'une large autonomie administrative, le ministère et le parti radical. Chamberlain devient peu après l'un des chefs du parti libéral unioniste (le parti national du gros capital), qui exprime les aspirations politiques de l'impérialisme anglais. Un peu avant 1900, il devient ministre des Colonies et le reste jusqu'en 1905. Sa nomination en cette qualité signifie l'entrée de l'Angleterre dans la voie de l'impérialisme actif. Partisan zélé de l'expansion impérialiste et ministre des Colonies, a été surnommé avec raison le père de l'impérialisme britannique.[Ne pas confondre avec Arthur Neville Chamberlain, son fils, resté célèbre pour avoir signé les accords de Munich.]
[14] Trotsky use exclusivement de l'expression de " parti ouvrier ". Il nous arrivera plus d'une fois de la remplacer par l'appellation, consacrée en France, au Labour Party qui est, en anglais, la traduction exacte. (Note du trad.)