1920 |
Source : numéro 34/35 du Bulletin communiste
(première année), 7 octobre 1920. |
Le sort des travailleurs malades en Russie Soviétiste
La Russie est au nombre des pays qui sont le plus richement fournis de moyens curatifs naturels.
Elle possède les fameux bains de boue du sud : Odessa, Bardiansk, Slaviansk, Eupatoria et Saki en Crimée, Piatigorsk au Caucase, sans compter Karatchi dans la province d'Omsk. Elle a les merveilleuses plages maritimes de la Mer Noire ; les eaux minérales de Lipetsk, Serguievsk, du Caucase, de la province d'Irkoutsk et du Transbaïkal ; les cures d'air du Caucase, de Crimée, de l'Altaï, et encore du Transbaïkal ; les steppes immenses des provinces d'Orenbourg, de Samara, de Tcheliabinsk et d'Oufa, avec leur climat sec et leur koumys, etc... En outre, les richesses naturelles de la Russie, loin d'être toutes utilisées, ne sont même pas connues. On a par exemple des renseignements sur des eaux minérales dans ta province de Poltava, mais aucune station n'y a été installée. Les villes d'eau de Sibérie frappent par leur beauté et leur valeur médicale ; leur paysage ne le cède en rien à ceux de Suisse, leurs richesses sont inépuisables, mais c'est le pouvoir des Soviets qui pour la première fois a attiré l'attention sur elles.
Avant la Révolution de novembre l'énorme majorité des stations et cures de Russie se trouvaient entre les mains d'entrepreneurs privés qui les exploitaient sans vergogne. La Russie était peut-être le pays le plus riche en propriétés médicales naturelles, mais elle se distinguait aussi entre tous par la plus mauvaise organisation de ses stations. Les entrepreneurs ne pensaient qu'à augmenter leurs bénéfices, sans penser aux intérêts du public ; de là une installation et une exploitation irrationnelles, l'absence du plus élémentaire confort pour les malades... et pour cette raison les malades russes, tout en ayant sous la main de merveilleuses richesses naturelles, devaient s'en aller se soigner à l'étranger.
Si paradoxal que ce soit au premier abord, il coûtait infiniment plus cher de se soigner en Russie que d'aller à l'étranger. Seule la grosse bourgeoisie pouvait se payer ce luxe ; aux malades seulement aisés les villes d'eaux russes étaient absolument inabordables. De temps en temps seulement des sociétés de bienfaisance ouvraient des sanatoria pour les pauvres, mais comme toujours en pareille entreprise philanthropique, leur nombre était loin de répondre aux besoins.
De la sorte des malades riches qui voulaient sérieusement se soigner s'en allaient à l'étranger, de préférence en Allemagne, et les meilleures stations de Crimée, du Caucase et autres lieux de Russie étaient pleines de jouisseurs plus désireux de distraction que de traitement, fournis par la grosse bourgeoisie, les gros capitalistes, et surtout de femmes. Les nouvelles de Tchekhov, par exemple, racontent à merveille l'existence de ces villes d'eaux de Crimée, où les dames russes faisaient l'amour avec les guides tatares et où il était de bon ton pour chacune d'avoir son Ahmed.
Ainsi le pouvoir des Soviets a eu à reprendre l'édifice des cures balnéaires par la base. Ce mode de traitement est en effet de nature à produire une vraie révolution dans la médecine. La bourgeoisie n'avait pas tort d'estimer tellement les stations d'eaux. Les forces de la nature demeurent en fin de compte les agents les plus puissants de guérison. Comme dans l'antiquité, la grande règle du médecin doit être : ne pas contrarier, mais au contraire seconder la nature. Nul médicament ne saurait encore rivaliser avec les bains de boue, les sources thermales, les bains de lumière, les cures d'air, les bains de mer, les saisons de koumys, etc... La nature opère des miracles. Aussi le Commissariat de l'Hygiène a-t-il fait de l'organisation des cures naturelles une de ses tâches fondamentales, et n'a-t-il rien épargné pour cela.
Avant tout il a fallu mettre les stations balnéaires à la disposition effective des travailleurs. Des commissions spéciales, avec la participation de représentants des syndicats, choisissent les malades, en se guidant en même temps sur le diagnostic médical et la situation sociale. On n'expédie que des travailleurs et avant tout des travailleurs manuels. Sur les plages du sud, où flirtaient jadis les demoiselles, on rencontre maintenant des mineurs du Donetz, des soldats rouges blessés et des invalides qui pansent les plaies reçues sur les fronts de guerre ou du travail.
Ensuite il a fallu changer complètement les méthodes de traitement. Puisque les cures balnéaires ne sont qu'un aspect de la médecine, il convient de lui appliquer le principe général de la gratuité. L'Etat s'est donc chargé de tous les frais : secours médicaux, appareils spéciaux, entretien des malades, transport en trains sanitaires.
En Russie Soviétiste les stations balnéaires sont bien pour les travailleurs et pour eux seuls. Utiliser dans leur intérêt des immenses facultés curatives de la nature, voilà le seul but.
Les plus attrayantes perspectives sont ouvertes de cette façon. Tout médecin traitant sait combien de malades, assez remis pour n'avoir pas besoin de sanatorium, sont cependant incapables de reprendre leurs occupations ordinaires sous le climat russe normal. Ces malades, ou bien occupent inutilement des lits de sanatoriums, ou bien ruinent définitivement leur santé. C'est pour eux que nous organisons en Crimée et au Caucase des colonies spéciales où, sous un climat plus doux, ils pourront se livrer à un travail utile à la société comme à leur santé, dans les fermes, l'agriculture ou les vignes. Les circonstances nous favorisent : des émigrés estoniens, ou allemands, sont en train de repartir pour leur pays, en laissant de jolies fermes laitières avec immeubles, bétail et matériel. Rien ne saurait mieux convenir à nos convalescents. En outre, chaque ville d'eau aura son domaine soviétiste, qui lui fournira d'abord la nourriture, et ensuite un travail utile pour ses pensionnaires. Nous envisageons pour cet été :
Au Caucase | 15 000 lits |
Au Kouban-Mer Noire | 10 000 lits |
En Crimée | 25 000 lits |
En Ukraine (Odessa, Berdiansk, Slaviansk) | 7 750 lits |
Au Turkestan | 920 lits |
En Sibérie | 4 600 lits |
Stations isolées (Staraia Roussa, Sergievsk, Sernovodsk, Sestrorietsk, Lipetsk, etc.) | 5 480 lits |
Au total pour la saison prochaine 20 200 lits dans les stations balnéaires, 10 420 dans les bains de boue, 9 440 dans les stations de bains de mer, 28 270 dans dans les stations climatériques, et 3 000 dans les cures de koumys, soit dans l'ensemble 70 830. Si on estime à 3 par saison le nombre des malades qui peuvent profiter de de chaque place, nos stations desserviront ainsi environ 250 000 personnes par saison.
Au Caucase, à Piatigorsk, en Crimée, à Sébastopol, à Odessa, sont créés des Instituts balnéologiques pour exercer la direction scientifique des stations et se livrer à des recherches dans ce domaine.
La crise économique générale ne permet pas de développer ce service autant que l'exigent les besoins des masses populaires épuisées par la guerre et le blocus. Mais déjà les chiffres cités montrent que la République Soviétiste a sur les autres pays l'avantage que toutes les richesses dont le pays dispose servent à la population laborieuse et non à enrichir des entrepreneurs et des parasites.