1923 |
Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste. |
Moscou sous Lénine
1923
II : Hambourg : Fusion de la II°Internationale et de lInternationale de Vienne
Fidèle à sa tactique, lInternationale communiste adressa un appel à la 2e Internationale et à lUnion internationale des partis socialistes dans le but de mobiliser le maximum de forces ouvrières contre lenvahissement de la Ruhr, contre le traité de Versailles et contre lactivité dangereuse des nationalistes. Ni lune ni lautre ne répondirent. Il est important et de haute signification de constater que dans cette période la 2e Internationale et ses sections se renforçaient : des éléments de gauche qui les avaient quittées y retournaient après avoir affirmé que jamais plus ils naccepteraient de collaborer avec les hommes qui avaient trahi le socialisme pendant la guerre. Leur hésitation devant les actes décisifs, les actes conformes aux paroles, les conduisait à verser finalement du côté de la 2e Internationale. Déjà les Indépendants dAllemagne avaient rejoint la social-démocratie de Scheidemann et de Noske. Des conférences avaient préparé la fusion des deux Internationales que devait consacrer un congrès convoqué à Hambourg.
Pour faire une ultime tentative, lInternationale communiste avait décidé denvoyer à Hambourg une délégation qui demanderait à être entendue au congrès. Le communiste polonais Waletski en reçut la direction ; Losovsky représentait lInternationale syndicale rouge ; A. Andréiev, la C.G.T. russe ; Heckert le Parti communiste allemand ; Tom Bell, les Britanniques ; je fus désigné pour y représenter le Parti communiste français.
Nous avions gagné Hambourg par divers chemins. La délégation tint une première réunion pour organiser son travail : revoir le texte de lappel, celui de la lettre à transmettre au secrétariat du Congrès, coordonner les interventions des représentants des diverses organisations au cas où ils seraient autorisés à sadresser au congrès. Ce travail était à peine commencé que des envoyés de la Jeunesse communiste me firent appeler. Un meeting convoqué par la Jeunesse communiste avait lieu en ce moment ; la participation dun communiste français en cette période de tension entre les gouvernements français et allemands serait dun intérêt exceptionnel. Le meeting se tenait dans une salle de théâtre assez éloignée de lendroit où notre délégation était réunie. Le métro qui nous y conduisit enjambait les bassins, longeait des quais bruyants, traversait des quartiers affairés ; on était à la tombée du jour, cette randonnée avait quelque chose de fantastique. La réunion était moins vibrante quon aurait pu limaginer, la salle nétait que partiellement occupée, il y avait des vides dans les galeries. Les organisateurs convinrent que ce nétait quun demi-succès ; il nen fallait pas conclure cependant à une passivité de la population ; le courant nationaliste était déjà puissant et grandissait à mesure que se prolongeait loccupation, et les ouvriers avaient, à plusieurs reprises, déclenché dimportants mouvements de protestation à la fois contre les chauvins et contre le gouvernement de Cuno, lhomme de la Hamburg Amerika Linie. Les événements ultérieurs prouvèrent en effet quon ne pouvait les accuser de passivité.
Notre délégation se rendit vite compte que tous ses efforts resteraient vains. La 2e Internationale avait sa position fermement arrêtée ; ses succès la rendaient plus intransigeante que jamais, et lUnion de Vienne nétait plus en mesure dexercer la moindre pression sur elle. Venant en repentante, elle devait tout accepter : ce quelle fit. Au cours des débats une seule voix discordante se fit entendre, celle du socialiste-révolutionnaire de gauche Steinberg ; il était maintenant hostile au communisme, mais peu disposé à rejoindre les dirigeants discrédités de la 2e Internationale. Réfutant un à un les arguments avancés pour justifier la fusion, il déclara : On dit que nous devons nous unir à la 2e Internationale parce que les grandes masses de la classe ouvrière sont avec elle. Navons-nous pas vu pendant la guerre de grandes masses passer de la social-démocratie au social-patriotisme ? Y avait-il, à Zimmerwald et à Kienthal, plus dune poignée de militants ? Vous nêtes tous ici que des partis du réformisme légal. Ceux qui nont pas le courage de commencer la révolution dans leur propre pays devraient être un peu plus prudents dans leurs critiques. Quant au péril réactionnaire, je répondrai : certes, ce péril existe, la réaction existe, mais il faut la chercher dabord dans nos propres partis. Les partis social-démocrates constituent le facteur essentiel de la réaction actuelle ; en Allemagne, cest le Vorwaerts qui défend le plus énergiquement les intérêts de la bourgeoisie. Savez-vous ce quest la 2e Internationale ? Elle a été et reste lInternationale des nationalistes. Ces paroles furent accueillies par des cris et provoquèrent un vif tumulte, mais elles restèrent sans écho ; les décisions finales étaient déjà prises.
Lattente de la réponse que le secrétariat du congrès ne se pressait pas de nous donner nous laissait des loisirs. Un après-midi Losovsky proposa la visite du port. Andréiev était avec nous ; cétait alors un compagnon modeste et cordial, il acceptait quon le plaisantât à cause de son nom : Andréi Andréiévitch Andréiev. Membre de la direction de la C.G.T., il avait fait bloc avec Trotsky lors de la grande discussion sur les syndicats. À notre retour dans la ville nous entrâmes dans un café ; les amis qui me précédaient me montrèrent dun clin dil une pancarte fixée à la porte : Entrée rigoureusement interdite aux chiens français et belges , chiens était écrit en capitales. Ce nétait pas un vain avertissement ; Vandervelde et ses amis avaient été, la veille, invités plutôt rudement à sortir. Et ce nétait pas le seul ; sur nombre détablissements on en voyait de semblables. Lenvahissement de la Ruhr et les misères quil provoquait avaient porté à son comble la haine des Français et des Belges.
Vers le mois daoût, les événements se précipitèrent. Une puissante grève, à laquelle participèrent les imprimeurs de la Reichsbank, obligea le cabinet Cuno à démissionner. Stresemann prit le pouvoir, formant un gouvernement de grande coalition , où entrèrent des représentants des quatre partis. Son programme était : à lintérieur lutte sans merci contre le communisme ; au dehors, orientation sur lAngleterre pour faire bloc contre la France et obtenir un aménagement avantageux du paiement des réparations, bien que, de ce côté, on ait été très déçu ; lAngleterre condamnait loccupation, mais était incapable dentreprendre quoi que ce soit pour y mettre fin.