1920 |
Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste. |
Moscou sous Lénine
1920
XIX : Congrès du Parti socialiste français - Majorité pour ladhésion à lInternationale communiste
Dans un des paragraphes consacrés au 2e Congrès de lInternationale communiste, jai parlé du Parti socialiste indépendant dAllemagne, de son importance numérique, des tendances qui sy manifestaient ; ladhésion à la 3e Internationale y était défendue par Däumig et Stöcker, tandis que Dittmann et Crispien exigeaient certains apaisements . Les rapports quils firent à leur tour en Allemagne provoquèrent de vives discussions à lintérieur du Parti ; il apparut quil ny avait plus de compromis possible, que la scission était inévitable. Un congrès extraordinaire fut convoqué. Il se tint à Halle, du 12 au 17 octobre. Les partisans de ladhésion demandèrent à Zinoviev de venir y parler au nom de lInternationale. Le gouvernement allemand accorda le visa pour un bref séjour ; Zinoviev emmena avec lui le secrétaire de lInternationale des Jeunesses communistes, et Losovsky pour les syndicats ; cétait la première fois que des membres de lInternationale communiste pouvaient sortir de Russie pour participer à un congrès socialiste, il fallait profiter au maximum de cette exceptionnelle opportunité.
Grands et passionnés débats ! Hilferding conduisant la bataille contre ladhésion, reçut lappui de Martov et dAbramovitch ; Zinoviev y fut brillant, lemporta ; il savait et sentait que la grande majorité du Parti voulait aller à la 3e Internationale ; elle supportait mal lattitude louvoyante et expectante de la direction. Au vote, il y eut 236 voix pour ladhésion ; les opposants nen recueillirent que 156. Zinoviev revint à Moscou couvert de lauriers ; lInternationale communiste fit en hâte, avec son discours, une substantielle brochure, Douze jours en Allemagne.
Durant son bref séjour à Halle, Zinoviev avait pu soccuper aussi du Parti socialiste français. Ce parti se trouvait dans une situation analogue à celle des Indépendants dAllemagne : forte poussée den-bas pour ladhésion à lInternationale communiste ; résistance procédurière et tenace des sommets. Son sort, lié au sort des Indépendants, devait le suivre. Dès quils avaient été informés du voyage de Zinoviev, les longuettistes avaient envoyé une délégation en Allemagne pour se concerter avec lui. Les vingt et une conditions posées par le 2e Congrès pour lentrée dans lInternationale communiste étaient, à leurs yeux, trop rigides, elles empêcheraient un vote massif pour ladhésion. Zinoviev consentit quelques accommodements, un accord fut signé.
Le congrès du Parti socialiste se réunit à Tours, du 25 au 31 décembre ; Zinoviev ne pouvait songer cette fois à faire le voyage ; les gouvernants français perdaient la raison quand il sagissait du bolchévisme. Mais lInternationale communiste trouva un excellent porte-parole en Clara Zetkin, qui alla clandestinement à Tours ; son apparition à la tribune du congrès souleva lenthousiasme de la grande majorité des délégués. Le vote répéta celui de Dresde : 285 délégués disposaient de 4.575 mandats. La motion dadhésion en recueillit 3.028 ; ses adversaires nen eurent que 1.022. Lopposition à ladhésion fut importante, surtout parmi les élus parlementaires ; après beaucoup dhésitation, Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, se sépara de la plupart de ses amis, qui votèrent ladhésion.
Vu de Moscou, le résultat parut encore plus favorable ; on était très satisfait bien quon nattachât pas la même importance au Parti français et à la France, quau Parti allemand et à lAllemagne - il sen fallait de beaucoup. Pour moi, qui connaissais bien quelques-uns des hommes qui avaient défendu ladhésion, je ne pouvais pas ne pas demeurer sceptique quant à leur sincérité ; ils suivaient le courant pour rester à la direction du Parti. Cependant, allégé des trois quarts de ses parlementaires, de la plupart de ceux qui sétaient compromis à fond dans la guerre impérialiste, le nouveau parti offrait des possibilités : les éléments nouveaux, les jeunes portés à la direction avaient la voie libre ; il ne leur restait plus quà faire preuve de leur capacité.
En conséquence de la formation dun Parti communiste français, section de lInternationale communiste, lExécutif de lInternationale décida de mappeler au petit bureau , où siégeaient Zinoviev, Boukharine, Radek et Béla Kun (en écrivant aujourdhui ces noms, je maperçois que je suis le seul survivant de ce comité restreint). Ce petit bureau devait être, au 3e Congrès, lobjet de vives critiques, particulièrement en ce qui touchait le mouvement malheureux de Mars en Allemagne ; on le dénonçait comme une officine où se tramaient dans lombre des complots dirigés pas seulement contre les gouvernements capitalistes mais, à loccasion, contre des sections de lInternationale. Mais il nétait rien de tel. Sa tâche principale était de préparer le travail du Comité exécutif. Zinoviev résidait habituellement à Petrograd et il ne venait quirrégulièrement à Moscou, de sorte que lordre du jour des séances était toujours chargé. Dès que Zinoviev était annoncé, cétait le grand branle-bas : réunion du petit bureau, réunion de lExécutif, discussions, décisions ; on siégeait alors sans arrêt.
Au petit bureau comme au Comité exécutif, le ton des discussions était très amical, mais au petit bureau il y avait plus dintimité et les heures quon y passait étaient particulièrement agréables. Radek était convenable comme toujours lorsquil se trouvait avec des hommes quil devait considérer comme ses égaux ; chez Boukharine cétait toujours la même gentillesse ; il dessinait avec esprit et au cours de nos séances, il fit dinnombrables Radek en tutu ; pour qui a jamais vu Radek il est possible dimaginer ce que ça donnait... Nous avions tenu séance tout un après-midi à Lux, et nous devions nous retrouver au Kremlin après dîner, dans le logement de Zinoviev, pour achever notre ordre du jour. Quand jy arrivai, je trouvai Zinoviev allongé sur un divan ; Boukharine, couché sur le parquet, disparaissait presque entièrement dans sa chouba. Comme beaucoup de leaders communistes ils attrapaient du sommeil quand ils pouvaient. Les vies de Lénine et de Trotsky étaient mieux réglées, sauf bien entendu pendant la guerre civile. Même quand jétais en désaccord avec les thèses défendues et les résolutions prises, je trouvais toujours grand profit à ces débats ; cest à Moscou quon avait alors la meilleure information sur le mouvement ouvrier à travers le monde et sur la politique générale des gouvernants, par les rapports, par les journaux, par les communications verbales des visiteurs, assez nombreux maintenant, et venant de tous les points dEurope et du monde.