1937 |
Compte-rendu d'une conférence donnée à Barcelone. |
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25 avril 1937
Le problème du pouvoir, a commencé par dire le camarade Nin, est fondamental dans toutes les révolutions, lesquelles ne sont que des luttes pour le pouvoir. De l'attitude qu'on adopte face à cela dépendra le fait que la révolution triomphe ou échoue. Le marxisme a une conception théorique du problème du pouvoir, mais ce serait une erreur de la réduire à un point de vue trop schématique, car le marxisme n'est pas un dogme, c'est une méthode d'action. La tactique varie car la réalité aussi.
L'application mécanique des formules de la Révolution russe nous mènerait à l'échec. Il faut retenir l'esprit et non la lettre du marxisme de la Révolution russe, recueillir son expérience. Sans l'expérience de la Commune, Lénine n'aurait pas triomphé.
Entre la Révolution russe et la nôtre il y a des analogies et des différences qu'il faut identifier. La principale analogie c'est que tant en Russie qu'en Espagne on n'avait pas accompli de révolution démocratique. L'expérience a démontré qu'aujourd'hui cette révolution peut être réalisée que par le prolétariat, la bourgeoisie étant incapable d'effectuer sa propre révolution.
Une autre analogie c'est la lutte que nous devons, tout comme les bolcheviques russes, développer contre le réformisme. Dans certains secteurs primaires du mouvement ouvrier fleurit le mythe sentimental et abstrait de l'unité. Pourquoi - se demandent-ils ingénument - ne combattrions-nous pas ensemble ? Nos réformistes le demandent aussi, qui oublient que le léninisme a été précisément forgé en lutte à mort contre le réformisme. Il est facile de combattre de front la bourgeoisie. Mais la bourgeoisie s'infiltre dans le mouvement ouvrier pour l'attaquer dans le dos. En combattant le réformisme, nous ne faisons pas autre chose que combattre la bourgeoisie.
Cette lutte contre le réformisme est nécessaire, inévitable.
L'unité, en renonçant à la lutte contre le réformisme, serait une unité régressive.
L'ennemi, en Russie comme en Espagne, c'est le réformisme, mais les réformistes russes de 1917 étaient plus révolutionnaires que nos réformistes. On n'est jamais arrivé à une défense aussi effrontée des intérêts de la bourgeoisie que celle qu'effectuent le PSUC et le Parti Communiste. Aujourd'hui nous devons lutter contre un réformisme plus puissant que celui des mencheviks et celui des socialistes-révolutionnaires. Parce que dans une situation éminemment révolutionnaire nos réformistes sont soutenus par l'État qui a vaincu en 1917 les réformistes russes.
Les bolcheviques combattaient les réformistes pour leur attitude face à la guerre, dans laquelle ils soutenaient la nécessité de continuer la guerre au service d'un groupe impérialiste. Les réformistes de notre pays, dans la problématique de la guerre, veulent de même faire triompher les intérêts de l'impérialisme franco-anglais. Mais sur ce point il y a une différence fondamentale entre les situations russe et espagnole. Alors que la guerre impérialiste s'est transformée en guerre civile, on veut aujourd'hui transformer la guerre civile en guerre impérialiste. Autre différence par ailleurs: en 1917 il y avait une situation révolutionnaire dans toute l'Europe. Nous sommes aujourd'hui entourés de régimes fascistes déjà consolidés. Cela impose des méthodes différentes.
En Russie, les bolcheviques ont dû combattre contre les réformistes, mais aussi contre les partis de la grande bourgeoisie : les "cadets". Ici, en revanche, les partis de la grande bourgeoisie ont disparu le 19 juillet,. Mais est-ce que pour autant les classes représentées par ces partis ont renoncé à défendre leurs intérêts ?
Quand une classe ne trouve pas l'organe d'expression qui lui est propre, elle le cherche dans d'autres organismes. Les classes ne disparaissent pas d'un trait de plume. Et c'est pour ça que ceux de la Lliga, de la CEDA, les radicaux, n'ont pas la carte du PSUC et ce n'est pas un propos démagogique, mais c'est une réalité. Les programmes du PSUC et du PC traduisent les intérêts des classes exploiteuses, dans la situation actuelle.
En Russie il n'y avait pas de tradition démocratique. Il n'existait pas une tradition d'organisation et de lutte dans le prolétariat. Nous comptons avec celle-ci, nous avons des syndicats, des partis, des publications : un système de démocratie ouvrière.
On comprend donc qu'en Russie les soviets aient atteint l'importance qu'ils ont eue. Le prolétariat n'avait pas ses propres organisations. Les soviets ont été une création spontanée qui en 1905 et en 1917 ont pris un caractère politique.
Notre prolétariat avait déjà ses syndicats, ses partis, ses propres organisations. C'est pourquoi les soviets ne sont pas apparus parmi nous.
En Russie, et c'est une autre différence à signaler, l'anarchisme n'était pas enraciné dans les masses. Il a ici une influence énorme. L'anarchisme en Russie était un mouvement d'intellectuels petit- bourgeois. Ici, l'anarchisme, est un mouvement de masses.
L'anarchisme est la punition dont souffre le mouvement ouvrier pour les péchés opportunistes. Les travailleurs ont suivi les anarchistes parce qu'ils les voyaient porteurs de l'esprit révolutionnaire de leur classe, qu'ils ne retrouvaient pas, en revanche, dans le socialisme réformiste. Si au lieu du Parti Socialiste il y avait eu en Espagne un parti bolchevique, l'anarchisme ne se serait pas enraciné.
L'existence d'un mouvement ouvrier sous influence anarchiste pose des problèmes nouveaux, nécessite des tactiques différentes de celles menées en Russie. La CNT est une organisation potentiellement révolutionnaire, malgré ses préjugés, ses conceptions erronées. Nous sommes mille fois plus près des militants de la FAI, qui ne sont pas marxistes mais qui sont révolutionnaires, que de ceux du PSUC qui se disent marxistes mais qui ne sont pas révolutionnaires. Le problème est que l'instinct révolutionnaire de la CNT puisse se transformer en conscience révolutionnaire, que l'héroïsme de ses masses se transforme en une politique cohérente.
Les hésitations de la CNT sont dues au fait qu'il lui manque une théorie du pouvoir. Face à la réalité révolutionnaire, sa doctrine mène à l'échec. Ils n'ont pas su quoi faire quand le prolétariat était dans la rue les armes à la main. L'anarchisme dirige, mais il n'a pas le pouvoir.
En Catalogne, le 19 juillet, le pouvoir bourgeois s'est effondré, on a dissout l'appareil d'état de la bourgeoisie. Le seul pouvoir était celui du prolétariat en armes. Face cette situation, nous avons alors dit : Qu'est-ce si ce n'est la dictature du prolétariat ? C'était la tendance générale du mouvement. Le prolétariat était alors le seul pouvoir. Mais il fallait tirer les conclusions de cette situation. Cette situation dans la rue avait besoin d'une base juridique. Il existait les conditions objectives pour le pouvoir ouvrier. Il suffisait que le prolétariat dise : je veux gouverner, et il aurait gouverné.
Nous avons toujours cette possibilité, bien qu'on ait perdu des positions. Le problème fondamental du pouvoir est celui des armes. Et les armes sont encore aux mains des masses travailleuses. C'est pour cela que certains veulent désarmer le prolétariat. La bourgeoisie française, après chaque révolution, qui mettait le prolétariat à son service, n'avait qu'une obsession : celle de le désarmer. Engels l'a déjà montré. Comorera ne représente donc pas une nouveauté.
La bourgeoisie ne peut pas demander directement le désarmement de la classe ouvrière. C'est pour cela que les réformistes le demandent et le préconisent pour son compte. Le pouvoir est l'organisation armée d'une classe. Les armes ne peuvent donc pas être abandonnées par les travailleurs.
Il ne suffit pas que le prolétariat ait entre ses mains les organes économiques, les terres, les usines, etc.. Nous ne devons pas oublier l'expérience de l'Italie en septembre 1920. Les travailleurs ont pris le contrôle des usines. Selon le point de vue anarchiste, la révolution était déjà faite. Mais la bourgeoisie avait toujours le pouvoir. Le mouvement ouvrier a été vaincu et cette défaite a permis le triomphe du fascisme. Le prolétariat n'a pas détruit l'État bourgeois et ses instruments de coercition.
Nous sommes aussi antiétatiques. Mais nous estimons que si la classe ouvrière veut s'émanciper elle doit créer son propre mécanisme étatique contre la bourgeoisie. l'État sert pour opprimer quelqu'un. Quand la bourgeoisie aura cessé d'exister, l'État disparaîtra de lui-même parce qu'il ne sera plus nécessaire. Le gouvernement des hommes sera remplacé par l'administration des choses. Les anarchistes ont transigé et ont collaboré aux gouvernements. S'ils ont déjà collaboré dans un gouvernement, qu'ils ne collaborent pas avec la bourgeoisie, mais avec le prolétariat révolutionnaire. S'ils vont au gouvernement, que ce soit un gouvernement ouvrier et paysan.
Il faut créer les nouveaux organes du pouvoir. La révolution ne peut pas encore se conclure dans la république bourgeoise. Nous lançons depuis le début notre consigne : Dissolution du Parlement. Convocation d'une assemblée des ouvriers, paysans et combattants. C'est à travers les syndicats ouvriers existants qu'on devait élire la nouvelle assemblée.
Ça n'était pas en contradiction avec notre collaboration au Conseil de la Généralité. Nous y collaborions en conservant notre indépendance de parti révolutionnaire. Cela nous a permis de propager nos positions et ne pas nous couper des masses, qui n'auraient pas compris une attitude de non-collaboration. Ce gouvernement avait une majorité ouvrière et un programme socialiste.
La crise ultérieure a démontré que nous étions un élément étranger dans ce gouvernement. La CNT n'a pas compris la portée politique contre-révolutionnaire de notre élimination. Nous étions un obstacle à la contre-révolution. Nous disions aux camarades de la FAI : "Ce qui a germé aujourd'hui contre nous sera demain contre vous ". Les faits, une fois de plus, nous ont donné raison.
Les crises se succèdent, sans trouver de solution. Il faut un gouvernement qui gouverne. Pourquoi les gouvernements ne gouvernent-ils pas ? Voilà ce qu'il faut leur demander. Seul le gouvernement de la classe travailleuse sera un gouvernement fort. Si la CNT continue de faire des concessions, il viendra un jour un gouvernement qui gouvernera, mais ce sera le gouvernement de la bourgeoisie. Les gouvernements ne gouvernent pas parce qu'ils ne répondent pas aux aspirations des masses.
La crise de la Généralité, qui a duré dix-huit jours, a été officiellement réglée. Mais la crise perdure. La veille de former le nouveau gouvernement, les organisations adoptaient des positions intransigeantes. Personne ne sait à quel prix s'est formé le nouveau gouvernement. Solidaridad Obrera n'a pas dit dans quelles conditions a été formé le nouveau gouvernement, ni quelle serait sa politique. Les ouvriers ne peuvent pas tolérer la diplomatie secrète. Les dirigeants de la CNT ne peuvent agir pour leur propre compte. Les divergences qui existent sur la politique de l'ordre public, de l'Armée, de la purification des corps d'armée, du fonctionnement des bureaux de conseillers: Qu'en est-il de ces questions ? On n'en sait rien. Des conseils formels ont lieu et rien ne se dit sur la politique à suivre. Et ça ne peut pas continuer. Il faut parler clairement aux travailleurs. Si on a fait des concessions, qu'on le dise, mais ce qui ce passe n'est pas une sortie de crise de la sorte. Ce n'était pas un problème de portefeuilles ce qui était posé. Ce qui l'était, et est encore posé, c'est une lutte à mort entre la révolution et la contre-révolution. Il faut décider quelle classe doit gouverner : si c'est la bourgeoisie ou le prolétariat.
La classe ouvrière peut encore prendre le pouvoir sans recourir à la violence, en donnant un coup de pied aux conseillers bourgeois. Que la classe ouvrière ne sous-estime pas son potentiel. Si elle veut, elle peut être tout. Elle ne doit pas perdre confiance en elle-même. Mais les circonstances ne se répètent pas. La contre-révolution progresse. Et alors, la classe ouvrière devra prendre violemment le pouvoir.
Un document signé par la CNT et l'UGT sur le premier mai a été publié. C'est un document plein d'imprécisions, sans aucune affirmation révolutionnaire concrète. La CNT bouge sous l'influence de l'extérieur. On considère l'Alliance Ouvrière Révolutionnaire comme une alliance entre l'UGT et la CNT. Mais le problème fondamental réside dans l'orientation de l'unité ouvrière, dans ce pourquoi nous nous unissons. Et ce qui nous intéresse n'est pas une unité pleine d'imprécisions et de clichés réformistes, mais le front ouvrier révolutionnaire. Qu'on unisse les éléments révolutionnaires : le POUM, la CNT et la FAI.
Le prolétariat international, empoisonné par le Front Populaire, montre qu'il a perdu la foi dans son propre destin. Si la classe ouvrière triomphe en Espagne, le mouvement ouvrier international sera remis sur pied. Mais pour cela, il faut que nous menions à son terme notre Révolution prolétarienne.
Quel doit être la tâche fondamentale du Front Ouvrier révolutionnaire ? Convoquer et réunir le Congrès des délégués des syndicats, des paysans et des unités combattantes, afin qu'ils établissent les bases de la nouvelle société, et qu'il en sorte le nouveau gouvernement ouvrier et paysan, le gouvernement de la victoire et de la révolution. Non pas un gouvernement bureaucratique, non pas le gouvernement d'un parti, mais le gouvernement de la démocratie ouvrière. Comme dans la "Commune" de Paris, qui était l'idéal de Lénine, qui n'a rien de commun avec la monstruosité bureaucratique créée après sa mort. Un gouvernement choisi par les masses laborieuses dans lequel tous les fonctionnaires sont révocables et perçoivent des salaires égaux à ceux des travailleurs. Un gouvernement qui supprime l'armée bourgeoise, la police bourgeoise. Qui réalise la socialisation. Qui unisse dans ses mains les fonctions législatives et exécutives. Seul ce gouvernement créera la morale révolutionnaire qui nous emmènera à la victoire militaire, cette morale qui encourageait les armées de la révolution française, la morale de l'Armée Rouge.
Ces jours-ci nous célébrons divers anniversaires. En 1848, le prolétariat français, écoutant la démagogie démocratique, s'est laissé désarmer. Au mois de juin les travailleurs de Paris furent écrasés par la bourgeoisie. Il y a vingt ans Lénine retournait en Russie, avec là aussi son propre parti en pleine idylle démocratique. Lénine s'est élevé contre cela et a dit : Tout aux Soviets. Le chemin suivi par le prolétariat français en 1848 l'a conduit à la défaite de juin. Lénine a conduit le prolétariat russe à la victoire d'octobre. Suivons leur exemple. Ne désarmons pas le prolétariat, ni matériellement ni politiquement. Suivons le chemin de Lénine, le chemin de ses thèses d'avril.
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