1925

Source: Cahiers du bolchévisme n°22 (1 er juillet 1925), pages 1410-1412.

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Les chefs réformistes dans l'embarras

Andreu Nin

1° juillet 1925


L'attitude résolue prise par les trade‑unions anglaises dans la question de l'unité syndicale met les réformistes de tout accabit dans une position embarrassée. Il ne leur est plus possible maintenant de répéter que les propositions d'unité syndicale ne sont qu'une manoeuvre de Moscou, que les dirigeants des organisations anglaises ont été trompés par ces diables de bolcheviks, que nous sommes des diviseurs du mouvement syndical, etc., etc. Les ouvriers de tous les pays commencent à se rendre parfaitement compte que notre lutte pour l'unité n'est pas du tout une manoeuvre, que les véritables scissionnistes du mouvement syndical sont les réformistes et qu'il est plutôt naïf, pour ne pas employer un mot plus fort, de supposer que des militants responsables comme les membres de; la délégation anglaise ayant un stage de plusieurs dizaines d'années dans le mouvement ouvrier, se soient laissé tromper par les communistes lors de leur séjour en Russie Soviétiste.

Les décisions prises par la conférence anglo‑russe du mois d'avril ont encore augmenté la confusion dans les rangs des réformistes. Les dirigeants de l'Internationale d'Amsterdam, qui ont toujours proclamé le droit des sections nationales à agir librement, s'étonnent maintenant de l'audace inouïe des trade­-unions agissant de leur propre initiative et se mettant d'accord avec les organisations syndicales russes. Et pour quel but ? Pour déclencher la révolution mondiale à un jour et une heure précises, d'après prikaz de Moscou, comme la presse bourgeoise semble le supposer ? Mais non, le but poursuivi est beaucoup plus modeste ; il s'agit de grouper les ouvriers syndiqués de tous les pays dans une seule Internationale de combat capable de faire face à l'offensive capitaliste. Et voilà pourquoi la droite d'Armsterdam combat avec tant d'acharnement cette initiative, la réalisation devant porter un coup mortel au réformisme international. Celui‑ci étant lié étroitement au capitalisme, qui a besoin de la scission ouvrière, il est tout naturel que les réformistes soient des ennemis de l'unité, et emploient tous les moyens pour la saboter. Jusqu'à présent ils se sont servis, pour combattre les partisans décidés de 1'unité,d'un procédé expéditif : ils excluaient les ouvriers révolutionnaires des organisations syndicales. Ce moyen, pour ainsi dire classique, devient maintenant inefficace. Le mouvement pour l'unité est un mouvement de masse ayant à sa tête deux des plus grandes organisations syndicales du monde : les syndicats russes et anglais. Peut‑on combattre ce mouvement par les moyens traditionnels ? Il serait naïf de le croire. Peut‑on le faire dévier par l'emploi de la "diplomatie" dans laquelle les chefs rusés de la social‑démocratie sont devenus des maîtres ? Ils seraient débordés par le mouvement lui‑même, qu'aucune diplomatie n'est plus capable de contenir.

Les leaders social‑barmatistes se rendent, parfaitement compte que la solution de la question de l'unité ne peut pas être ajournée indéfiniment et que l'adoption de résolutions plus ou moins diplomatiques ne solutionne pas le problème, ces résolutions n'étant pas appliquées par les affiliées. Ils se trouvent donc dans une impasse. Ils devront se prononcer et dire nettement s'ils sont disposés à travailler pour l'unité en faisant le premier pas indispensable, c'est‑à‑dire la convocation d'une conférence comprenant des délégués des syndicats russes. Pas d'autre issue. Ainsi les chefs amsterdamiens, qui ne souhaitaient nullement l'unité, se trouvent dans une position des plus critiques.

Le Bureau de I'Internationale d'Amsterdam n'a pas encore répondu officiellement à la dernière lettre de la Centrale syndicale russe. Mais deux leaders en vue, Oudegeest et Mertens, secrétaire et vice‑président de l'Internationale ont fait quelques déclarations. Il fut un temps où Oudegeest avait une certaine réputation de diplomate. Le secrétaire de l'Internationale d'Amsterdam est en train de perdre cette réputation, Depuis que l'accord syndical anglo‑russe, est réalisé, il ne fait qu'écrire des sottises.

On se souvient de l'article qu'il écrivit lors du séjour de la délégation anglaise en Russie, article commenté en son temps. Dans un nouvel article à propos de la dernière conférence anglo‑rasse, publié par le Bulletin de l'Internationale d'Amsterdam, Oudegeest nous fait part de sa grande découverte. D'après lui, les dirigeants des syndicats ruses seraient de bons garçons, d'honnêtes militants, avec lesquels Amsterdam pourrait s'entendre parfaitement. Mais il y a un obstacle, c'est le parti communiste, qui lie les mains de Tomski "(qui est notre ami») et d'autres partisans de l'indépendance du mouvement syndical, et surtout Zinoviev et Lozovski qui terrorisent les syndicats russes, les contraignent à rester dans le Profintern et à se soumettre aux directives du Parti Communiste ! Aussi, tant que les syndicats russes ne rompront ces liens, ‑ dit à peu près Oudegeest, nous ne pourrons pas, « par instinct de conservation » nous entendre avec eux. Voilà qui se passe de commentaires ! On ne peut s'imaginer plus grande indigence mentale. Est‑ce ignorance ou mauvaise foi ?

Non seulement les ouvriers russes, mais aussi ceux des autres pays connaissent les liens étroits qui unissent les syndicats russes, base la plus solide de la dictature du prolétariat, au parti communiste, avant‑garde du mouvement ouvrier et guide de la révolution. Les dirigeants réforrmistes n'ignorent pas qu'il est impossible de séparer les syndicats russes du parti communiste et savent très bien que Tomski, ce prétendu défenseur de l'indépendance syndicale, cette pauvre «victime de la tyrannie communiste»), est un des membres les plus influents du parti et du Bureau Politique.

Mertens, le scissioniste bien connu, auteur, en Belgique, d'une sorte de loi d'exception syndicale contre les communistes, perd moins facilement la tête, mais laisse cependant transpirer toute son inquiétude. Il comprend toute l'énorme importance des accords conclus entre les syndicats russes et anglais. D'où ses lamentations et protestations contre l'audace des trade‑unions. « Où les camarades anglais prennent‑ils le droit de s'immiscer dans la vie intérieure des syndicats des autres pays ? écrit‑il dans Le Mouvement Syndical Belge, du 9 mai. Pourquoi veulent‑ils imposer leurs conceptions, leur manière de voir aux autres organisations ? Ne comprennent‑ils pas que cela constitue précisément un des nombreux obstacles qui nous séparent des Russes, qui, eux aussi, sous le prétexte d'avoir réalisé chez eux l'Etat de l'avenir, veulent imposer aux autres pays leur politique, leur façon d'agir et même leur mentalité ? » Mertens veut détourner la question de sa voie réelle.. Qui a parlé jusqu'ici d'imposer aux autres pays les conceptions particulières russes ou anglaises ? Nous l'avons déjà dit plue haut : notre but est bien limité, il ne s'agit que d'établir l'unité du mouvement syndical international et pour obtenir ce but, nous ne posons aucune condition préalable. Nous sommes prêts à nous soumettre à la volonté de la majorité des ouvriers. Ce que les réformistes ne semblent pas être prêts à faire.

Voilà pourquoi ils se révoltent contre l'idée d'un congrès mondial qui pourrait réaliser l'unité. Cependant, nous ne cesserons de propager ce mot dordre, convaincus que nous interprétons de désir de l'immense majorité des ouvriers.

Le mouvement en faveur de l'unité fait son chemin malgré le sabotage réformiste. Le rapport de la délégation anglaise eut une énorme repercussion dans tous les pays, même parmi les ouvriers réformistes, la cause de l'unité gagne chaque jour du terrain. En Allemagne, des délégations des syndicats adhérant à la C. G. T. réformiste s'apprêtent à entreprendre un voyage en Russie soviétiste, de nombreuses organisations locales se prononcent en faveur de l'unité ; en France, plus d'une centaine de syndicats adhérents à la C. G. T. réformiste ont adopté pareille position ; en Italie, des ouvriers de tous les partis se solidarisent avec les communistes exclus par les réformistes ; en Belgique, qui fut jusqu'à maintenant la forteresse du réformisme, une gauche syndicale vient d'être constituée, gauche qui est prête à lutter pour l'unité sous l'initiative de rnilitants du parti socialiste. Et nous ne faisons là que signaler quelques‑uns des laits les plus importants.

Le mouvement pour l'unité deviendra de jour en jour plus important ! Nous sommes certains, que les masses ouvrières de tous les pays finiront par imposer leur volonté, malgré le sabotage des réformistes.


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