1867 |
Un chapitre du livre premier découvert ultérieurement et qui fournit des précisions cruciales pour l'analyse du mode de production capitaliste. |
Un chapitre inédit du Capital
Résultats du procès de production immédiat
Tant que le capital apparaît seulement sous ses formes élémentaires - marchandise ou argent - le capitaliste fait figure, comme nous l'avons déjà vu, de possesseur de marchandises ou d'argent. Mais, il ne s'ensuit pas pour autant que les possesseurs de marchandises ou d'argent soient, comme tels, des capitalistes. Comme tels, les marchandises ou l'argent ne sont pas davantage du capital - ils ne se transforment en capital que dans des conditions données, celles-là même qui font du possesseur de marchandises ou d'argent un capitaliste.
Bref, à l'origine, le capital apparaît comme argent qui doit encore se transformer en capital, ou mieux : comme capital en puissance.
Les économistes se trompent lorsque, d'une part, ils identifient ces formes élémentaires en tant que telles - marchandises ou argent - avec le capital et que, d'autre part, ils proclament capital ce qui n'est que son mode d'existence comme valeur d'usage, les moyens de travail.
Dans sa forme première, pour ainsi dire provisoire, d'argent (point de départ de la genèse du capital), le capital n'est encore que de l'argent, c'est-à-dire une somme de valeurs d'échange sous sa forme autonome, son expression monétaire. Mais, voilà, cet argent doit se valoriser, la valeur d'échange devant servir à créer davantage de valeurs d'échange. La somme de valeurs doit croître, autrement dit. la valeur existante ne doit pas seulement se conserver, mais encore produire un incrément-valeur ou plus-value. La valeur existante - somme d'argent donnée - apparaît donc comme fluens, et l'incrément comme fluxio.
Nous reviendrons sur l'expression monétaire autonome du capital, lorsque nous traiterons de son procès de circulation [1]. Ne devant pour l'heure nous occuper que de l'argent, point de départ du procès de production immédiat, il nous suffit de faire observer que le capital existe jusqu'ici seulement comme somme donnée de valeurs = A (argent), d'où toute trace de valeur d'usage a disparu, pour ne laisser subsister que sa forme monétaire. La grandeur de cette somme de valeurs trouve sa limite dans le montant ou la quantité de la somme d'argent devant se transformer en capital : cette somme de valeurs ne devient donc du capital que parce que sa grandeur augmente et peut varier, étant d'emblée un fluens engendrant une fluxio.
En soi - par définition - cette somme d'argent n'est capital que si on l'utilise ou la dépense en vue de l'augmenter. Ce qui, pour la somme existante de valeurs ou d'argent, est destination - tendance et impulsion intérieures - devient but et intention pour le capitaliste qui possède cette somme d'argent et assume cette fonction d'augmenter le capital.
A l'origine, le capital - ou ce qui doit devenir du capital - revêt la forme toute simple de la valeur - ou de l'argent - dans laquelle il est fait abstraction de toute relation avec la valeur, d'usage, puisque celle-ci y disparaît. De même, la définition que nous venons de donner du capital - création de valeur plus grande - fait abstraction de toutes les interférences perturbatrices et des rapports déroutants avec le procès de production réel (production de marchandises, etc.) si bien que nous y découvrons, sous une forme abstraite tout aussi simple, la spécificité du procès de production capitaliste.
Si le capital initial est une somme de valeurs égale à x, le but de cet x, en devenant du capital, est de se transformer en x + Dx, c'est-à-dire, en une somme d'argent ou de valeurs, qui non seulement correspond à la somme de valeurs initiale mais encore profite d'un excédent. Autrement dit, il se mue en une grandeur monétaire à laquelle s'ajoute une plus-value. La production de plus-value (qui implique la conservation de la valeur avancée au début) devient dès lors le but déterminant, l'intérêt moteur et le résultat final du procès de production capitaliste, ce par quoi la valeur initiale se transforme en capital.
Le mode ou procédé employé dans la pratique pour transformer x en x + Dx ne change rien au but et au résultat du processus. Si x peut être transforme en x + Dx même sans qu'il y ait procès de production capitaliste, il ne saurait l'être 1º ni dans les conditions d'une société dont les membres concurrents se font face uniquement comme possesseurs de marchandises et n'entrent qu'à ce titre en contact mutuel (ce qui exclut l'esclavagisme, etc.); 2º ni dans l'hypothèse où le produit social est créé comme marchandise (ce qui exclut toutes les formes où les producteurs immédiats ont pour but principal la valeur d'usage et convertissent, tout au plus, l'excédent du produit en marchandise).
Ce but du procès - transformation de x en x + Dx - indique aussi quelle est la voie que doit suivre notre recherche. Il s'agit d'exprimer la fonction d'une grandeur variable, ou la mutation en une grandeur variable qui s'opère au cours du procès : au début, la somme d'argent donnée x est une grandeur constante, son Incrément étant égal à zéro, au cours du procès, elle doit se transformer en une grandeur nouvelle, renfermant un élément variable. Il nous faut donc découvrir cet élément et, en même temps, montrer comment nous obtenons une variable à partir d'une grandeur initialement constante.
Comme nous le verrons lors de l'analyse du procès de production réel, étant donné qu'une partie de x se retransforme en une grandeur constante, à savoir en moyens de travail et qu'une partie seulement de la valeur de x doit avoir la forme de valeurs d'usage déterminées, et non de monnaie [ce qui ne modifie en rien la grandeur de valeur constante, ni en général cette partie pour autant qu'elle est valeur d'échange], x se présente dans ce procès, comme c (grandeur constante) + v (grandeur variable), soit : c + v. A présent la différence sera : [D(c + v)] = [c + (v + Dv)] et, comme c = 0, nous obtenons [v + Dv]. Ce qui apparaît à l'origine comme Dx est donc en réalité Dv. Le rapport entre cet incrément de la grandeur initiale x et la partie de x, dont il est réellement l'incrément, devra être (puisque Dv = Dv, Dx étant égal à Dv) :
Dx/v = Dv /v
qui est la formule du taux de plus-value.
Comme le capital total C est égal à c + v (c étant constant et v variable), C peut être considéré comme fonction de v : si v augmente de Dv, C devient C'. Nous aurons donc :
C = c + v;
C' = c + (v + Dv).
En soustrayant la première équation de la seconde, on obtient la différence C' - C, c'est-à-dire l'incrément de C, soit DC. Il s'ensuit :
C' - C = c + v + Dv - c - v.
Et comme C' - C représente la grandeur dont C a varié (DC), c'est-à-dire l'incrément de C, soit à C, nous aurons :
DC = Dv.
En d'autres termes, l'incrément du capital total correspond à l'incrément de la partie variable du capital, de sorte que DC (ou la variation de la partie constante du capital) est égal à zéro, et il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte.
La proportion dans laquelle v a augmenté est Dv/v (taux de plus-value). La proportion dans laquelle C a augmenté est Dv /C = Dc/(c+v) (taux de profit).
La fonction véritable spécifique du capital en tant que tel est donc de produire une plus-value, or comme il apparaîtra ultérieurement - ce n'est rien d'autre que produire du surtravail et s'approprier du travail non payé au sein du procès de production réel, le surtravail se présentant et se matérialisant en la plus-value.
Il en résulte, par ailleurs, que, pour transformer x en capital, c'est-à-dire en x + Dx, il faut que la valeur ou somme d'argent x se convertisse en facteurs du procès de production et - avant tout - en facteurs du procès de travail réel. Dans certaines branches d'industrie, il arrive qu'une partie des moyens de production - objet du travail - n'ait pas de valeur, n'étant pas une marchandise bien qu'ayant une valeur d'usage. Dans ce cas, une partie seulement de x se convertit en moyens de production. Si l'on considère la conversion de x, c'est-à-dire l'achat par x de marchandises destinées au procès de production, la valeur de l'objet de travail - qui n'est rien d'autre que les moyens de production achetés - est alors égale à zéro. Nous considérons, bien sûr, la question sous sa forme achevée, l'objet du travail étant marchandise. Lorsque ce n'est pas le cas, ce facteur - pour ce qui est de la valeur - se pose par définition comme égal à zéro, ceci pour rectifier le calcul.
Tout comme la marchandise est unité immédiate de valeur d'usage et de valeur d'échange, le procès de production des marchandises est unité immédiate du procès de travail et du procès de valorisation. De même, si les marchandises, unités immédiates de valeur d'usage et d'échange, sortent du procès de travail comme résultat (produit), elles y entrent, comme éléments constitutifs. Bref, il ne peut rien sortir d'un procès de production qui n'y soit entré sous forme de conditions de production.
Notes
[1] Cf. Capital, livre II, 1° section, les Métamorphoses du Capital et leur cycle, Ed. Soc., vol. IV, pp. 27-59. (N.R.)