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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

Karl Marx

§2 : La transformation du profit en profit moyen


Chapître X: Action égalisatrice de la concurrence sur les taux généraux des profits – prix et valeurs de marché – surprofit.

Dans un certain nombre de branches de production, le capital présente en moyenne une composition identique ou à peu près identique à celle du capital social moyen ; le coût de production y est exactement ou approximativement égal à la valeur des marchandises exprimée en argent. Mais la concurrence entraîne une répartition du capital social dans des conditions telles que dans chaque branche d'industrie, les coûts de production ont pour prototype les coûts des branches de composition moyenne, c'est-à-dire k + kp', prix de revient + prix de revient multiplié par le taux moyen du profit, ce taux moyen du profit n'étant autre que le profit pour cent des branches de composition moyenne, par conséquent des branches dans lesquelles le profit et la plus-value sont égales. Le taux du profit est donc le même dans toutes les branches de production, et il est égal à celui donné par le capital de composition moyenne. Il en résulte que la somme des profits est égale à la somme des plus-values et que la somme des coûts de production de tous les produits de la société est égale à la somme de leurs valeurs. Il est clair que l'égalisation des taux dans des industries de composition différente doit toujours tendre à rapprocher celles-ci des branches de composition moyenne, que ces dernières représentent exactement ou approximativement la moyenne sociale. Ces branches, plus ou moins rapprochées les unes des autres, tendent à se confondre à leur tour, en se rapprochant davantage de la composition moyenne idéale, qu'elles n'atteignent jamais en réalité et autour de laquelle elles gravitent. C'est ainsi que l'on est inévitablement tenté de considérer le coût de production simplement comme une forme spéciale de la valeur et d'envisager le profit comme une fraction de la plus-value, calculée non d'après la plus-value effective, mais d'après le capital employé, des capitaux égaux, quelle que soit leur composition, participant dans la même mesure à la plus-value produite par l'ensemble du capital social.

Pour les capitaux de composition moyenne ou se rapprochant de la moyenne, le coût de production est égal (absolument ou à peu près) à la valeur, et le profit, à la plus-value. Sous la pression de la concurrence, tous les capitaux tendent à prendre la composition moyenne, et comme celle-ci est égale ou à peu près à celle du capital social moyen, tous les capitaux, quelle que soit la plus-value qu'ils donnent, tendent à réaliser, dans le prix des marchandises qu'ils produisent, non pas cette plus-value, mais le profit moyen, c'est-à-dire le coût de production.

D'autre part ou peut dire que chaque fois qu'un profit moyen et par conséquent un taux général du profit prend naissance, de quelque manière que ce résultat soit obtenu, ce profit ne peut être que celui du capital social moyen (la somme des profits étant égale à la somme des plus-values) et que les prix constitués par l'addition de ce profit moyen aux prix de revient ne peuvent être que les valeurs transformées en coûts de production. Cette règle est vraie même si les capitaux de certaines branches de production échappent pour une cause quelconque à la tendance vers l'uniformité de composition, auquel cas le profit moyen est déterminé d'après la partie du capital total qui est comprise dans l'égalisation. Il est clair que le profit moyen ne peut être que le résultat de la répartition de la plus-value totale entre les capitaux des différentes branches de production, proportionnellement à leur importance. Cette plus-value totale représente tout le travail non payé incorporé, au même titre que le travail payé, aux marchandises et à l'argent appartenant aux capitalistes.

La difficulté du problème consiste à déterminer comment les profits s'égalisent pour former le taux général du profit, lequel est évidemment un résultat et non un point de départ.

Tout d'abord il est certain qu'une estimation de la valeur des marchandises, en argent par ex., ne peut résulter que de leur échange, et que si nous admettons pareille estimation, nous devons la considérer comme résultant de l'échange réel de marchandises contre marchandises. Mais comment celles-ci ont-elles pu être échangées à leurs valeurs vraies ?

Supposons que dans toutes les branches de production les marchandises soient vendues à leurs valeurs réelles. Que se passera-t-il ? Les taux des profits seront très différents d'une branche à l'autre ; car dire que des marchandises sont vendues à leur valeur, c'est-à-dire sont échangées en quantités proportionnelles à la valeur qu'elles contiennent, c'est tout autre chose que dire qu'elles sont vendues à des prix tels que des profits égaux retombent sur des quantités égales de capital avancées pour les produire.

Lorsque des capitaux mettent en œuvre des quantités différentes de travail vivant et produisent des quantités inégales de plus-value, on peut admettre, au moins dans une certaine mesure, ou que les degrés d'exploitation et par suite les taux de plus-value sont les mêmes, ou que les différences entre ces éléments sont compensées pour des raisons réelles ou conventionnelles. Ce résultat suppose que les ouvriers sont en concurrence et passent continuellement d'une branche de production à l'autre. Nous admettons l'existence de ce taux général de la plus-value ou la tendance vers ce taux général, afin de simplifier notre exposé théorique et parce que nous savons qu'il est en réalité une condition de la production capitaliste. En effet sa formation n'est guère contrariée dans la pratique que par des frictions qui provoquent des différences locales plus on moins importantes, comme les settlement laws, les lois anglaises sur le domicile des journaliers agricoles, troubles qui peuvent être écartés; car nous devons admettre en théorie que les lois de la production capitaliste se manifestent dans la plénitude de leur action et ne pas perdre de vue que si la réalité ne nous fait voir que des approximations, celles-ci sont d'autant plus grandes que le régime capitaliste est plus développé et plus complètement dégagé des résidus des situations économiques antérieures.

Toute la difficulté provient de ce que les marchandises sont échangées, non pas simplement comme marchandises, mais comme produits de capitaux qui revendiquent dans la plus-value totale une part en rapport avec, leur importance. Or c'est le prix total des marchandises produites par un capital déterminé, dans un temps donné, qui doit donner satisfaction à cette revendication, et ce prix n'est que la somme des prix des différentes marchandises produites par ce capital.

Pour mieux faire ressortir le point saillant du problème, supposons que les ouvriers soient propriétaires des moyens de production et qu'ils échangent directement leurs marchandises. Celles-ci ne seront donc pas des produits du capital. Selon la nature technique des entreprises, les moyens et les objets de travail seront de valeurs différentes dans les différentes branches de production, et les quantités de moyens de production mises en œuvre par une même quantité de travail ne seront pas les mêmes. Supposons également que les ouvriers soient astreints, en moyenne, à des durées équivalentes de travail, les longueurs de celles-ci étant déterminées en tenant compte des différences d'intensité, etc.. des travaux. Deux ouvriers trouveront donc, en premier lieu, dans les marchandises représentant le produit de leur journée de travail, la contre-valeur de leurs avances, c'est-à-dire les prix de revient des moyens de production qu'ils ont mis en œuvre. Ces prix seront différents si les branches de production ne sont pas les mêmes. En second lieu, nos ouvriers auront créé la même valeur nouvelle, représentant la journée de travail qu'ils ont incorporée aux moyens de production et comprenant leur salaire avec la plus-value, c'est-à-dire avec le surtravail en excédent sur le travail nécessaire pour leurs besoins indispensables. Ce surtravail leur appartient entièrement, de sorte que si nous nous servons du langage des capitalistes, nous dirons que les deux ouvriers recueillent le même salaire avec le même profit, représentant une même valeur, par exemple le produit de 10 heures de travail.

Admettons que les valeurs des marchandises produites par les deux ouvriers ne soient pas égales ; supposons que la marchandise I ait absorbé des moyens de production d'une valeur plus grande que la marchandise Il et qu'elle ait exigé plus de travail vivant, par conséquent une plus longue durée de travail que cette dernière. Les valeurs des deux marchandises seront donc très différentes, et il en sera de même des valeurs-marchandises qui représenteront les produits du travail de chacun des deux ouvriers pendant le même temps. Si, dans ce cas, nous désignons sous le nom de taux du profit le rapport entre la plus-value et la valeur totale des moyens de production engagés, il y aura une différence très grande entre le taux du profit de l et celui de Il. Les aliments consommés journellement pendant la production et qui représentent le salaire, constitueront ici la partie de l'avance de moyens de production que nous appelons capital variable. Pour une même durée de travail, la plus-value sera la même pour I et pour Il ou, plus exactement, déduction faite de la valeur des éléments constants qui auront été avancés, I et Il recevront, dans la valeur du produit d'une journée de travail, des valeurs égales, dont une partie remplaçant les aliments qu'ils ont absorbés et l'autre formant la plus-value. Si les avances faites par I ont été plus importantes que celles de II, il y aura dans la valeur de la marchandise qu'il aura produite, une partie plus considérable pour restituer cette partie « constante » et il sera obligé de retransformer en éléments matériels une fraction plus importante de la valeur de son produit. II, au contraire, touchera moins de ce chef, mais aura également moins à reconvertir. Dans ces conditions, une différence dans les taux de profit est sans importance, de même qu'il est sans importance pour le salarié d'aujourd'hui quel est le taux de profit qui correspond à la plus-value qui lui est extorquée, de même que les différences entre les taux de profit des nations qui échangent des marchandises n'intéressent d'aucune manière le commerce international.

L'échange des marchandises à leurs valeurs ou approximativement à leurs valeurs correspond à un stade de développement économique de beaucoup inférieur à celui de l'échange aux coûts de production, qui nécessite déjà un certain progrès du capitalisme. En outre, quel que soit le procédé d'après lequel les prix des marchandises aient été fixés au début pour être opposés les uns aux autres, leur mouvement est dominé par la loi de la valeur. Lorsque le temps de travail nécessaire pour les produire diminue, leurs prix baissent, lorsque ce temps augmente, leurs prix haussent, les autres circonstances restant les mêmes. Abstraction faite de l'action décisive de la loi de la valeur sur les prix et le mouvement des prix, il est donc permis de considérer, non seulement théoriquement mais historiquement, les valeurs comme les points de départ des coûts de production. Ainsi, ce sont les valeurs qui interviennent lorsque l'ouvrier est propriétaire des moyens de production ; ce qui est le cas, dans le monde ancien comme dans le monde moderne, du paysan cultivant la terre qui lui appartient et de l'artisan. Ces faits confirment l'opinion [1] que nous avons exprimée ailleurs, que les produits deviennent marchandises lorsque l'échange, au lieu d'être limité aux membres d'une même communauté, s'étend aux communautés entre elles. Et cette règle s'applique aux sociétés basées sur l'esclavage et le servage et aux métiers organisés en corporations, aussi longtemps que les moyens de production ne sont guère transportables d'une industrie à une autre et que les différentes branches de production sont séparées les unes des autres par des frontières comme des pays étrangers ou des communautés communistes.

Les conditions suivantes doivent être remplies pour que les prix auxquels les marchandises s'échangent correspondent approximativement à leurs valeurs :

  1. L'échange doit cesser d'être un événement exceptionnel ou occasionnel ;
  2. Les marchandises, pour autant qu'elles soient échangées par troc, doivent être produites en quantités correspondant approximativement aux besoins des parties en présence (cette condition résultera de l'échange lui-même, car c'est l'expérience qui fera connaître quelles sont les quantités qui seront nécessaires) ;
  3. Aucun monopole, soit naturel, soit artificiel, ne doit permettre à l'une des parties de vendre au-dessus de la valeur, ni la contraindre de céder au-dessous (nous entendons par monopole accidentel celui dont profite l'acheteur ou le vendeur lorsque se présente un rapport exceptionnel entre l'offre et la demande).

L'hypothèse que, dans chaque branche de production, la marchandise est vendue à sa valeur, signifie que cette valeur est le point autour duquel les prix de cette marchandise oscillent et auquel s'établit l'équilibre de leurs hausses et de leurs baisses continuelles. Il existe donc une distinction entre la valeur du marché (dont nous nous occuperons plus tard) et la valeur de chaque marchandise considérée à part et variant d'un producteur à l’autre. Pour les uns, cette valeur sera inférieure à la valeur du marché (la marchandise aura nécessité moins de temps de travail que celui qui correspond à cette valeur) ; pour les autres, elle sera supérieure. La valeur du marché représentera donc, d'une part, la valeur moyenne des marchandises produites dans une branche d'industrie, d'autre part, la valeur particulière de toute marchandise qui, dans cette branche, est produite d'après les conditions moyennes (la grande masse des marchandises se trouve dans ce cas). Il faut réellement des conjonctures extraordinaires pour que les marchandises produites dans les conditions les plus favorables ou les plus défavorables déterminent la valeur du marché; celle-ci est le centre d'oscillation des prix du marché, qui sont les mêmes pour les marchandises de même nature.

Lorsque l'offre de marchandises ayant la valeur moyenne répond à la demande habituelle, il y a plus-value exceptionnelle ou surprofit pour les marchandises dont la valeur est inférieure à la valeur du marché, tandis que les marchandises dont la valeur est supérieure ne peuvent réaliser qu'une fraction de la plus-value qu'elles contiennent. Dans ce cas, il ne sert à rien d'affirmer que la vente des marchandises produites dans les conditions les moins favorables prouve qu'elles sont nécessaires pour couvrir la demande ; car si le prix avait été supérieur à la valeur moyenne du marché, l'offre aurait été plus grande. Offerte à un certain prix, une marchandise peut prendre sur le marché une importance déterminée, qui échappera à l'action de la variation des prix, à la seule condition que la hausse ou la baisse de ceux-ci coïncide avec une diminution ou une augmentation de l'offre. Lorsque la demande a une intensité telle qu'elle ne se contracte pas lorsque le prix en arrive à être réglé par la valeur des marchandises produites dans les conditions les plus défavorables, ce sont ces dernières qui déterminent la valeur du marché, ce cas ne se présente que lorsque la demande reste au-dessus ou l'offre au-dessous des conditions ordinaires. Enfin, lorsque la quantité de marchandises produites dépasse ce qui peut être écoulé à la valeur moyenne du marché, ce sont les marchandises obtenues dans les conditions les plus favorables qui règlent la valeur du marché, et elles sont vendues exactement ou approximativement à leur valeur. Dans ce cas, les marchandises produites dans les conditions les plus défavorables ne parviennent pas à réaliser leur prix de revient, et les marchandises obtenues dans des conditions moyennes ne réalisent qu'une fraction de la plus-value qu'elles contiennent.

Ce que nous venons de dire de la valeur du marché s'applique évidemment au coût de production dès qu'il se substitue à celle-ci. Chaque industrie a un coût de production qui lui est propre, qui varie selon les circonstances et qui est le point autour duquel oscillent les prix quotidiens du marché et auquel ils s'équilibrent en des périodes déterminées (Voir Ricardo sur la détermination des coûts de production par les producteurs travaillant dans les conditions les plus défavorables).

Quels que soient les facteurs qui règlent les prix :

  1. La loi de la valeur domine leur mouvement, étant donné que toute diminution ou toute augmentation du temps de travail nécessaire à la production fait hausser ou baisser le coût de production. C'est dans ce sens que Ricardo (qui sent bien que ses coûts de production s'écartent des valeurs des marchandises) dit que « la recherche sur laquelle il désire attirer l'attention du lecteur, porte sur l'effet des variations de la valeur relative, et non de la valeur absolue des marchandises ».
  2. Le profit moyen qui détermine les coûts de production doit toujours être approximativement égal à la plus-value qui échoit à un capital donné, considéré comme partie aliquote du capital total de la société. Supposons que la valeur argent du taux général du profit et par conséquent du profit moyen, soit plus élevée que la valeur-argent de la plus-value moyenne. Dans ce cas, il importe peu aux capitalistes qu'ils se portent mutuellement en compte soit 10, soit 15 % de profit ; l'un de ces taux ne représente pas plus de valeur réelle que l'autre, l'exagération de l'expression monétaire étant la même de part et d'autre. Il n'en est pas de même des ouvriers, pour autant qu'ils reçoivent leur rémunération normale, c'est-à-dire que la hausse du profit moyen, exprimant la plus-value normale du capitaliste, ne résulte pas d'une réduction réelle du salaire. Pour que leur situation ne change pas, il faut qu'à la hausse du prix des marchandises, résultant de la hausse du profit moyen, corresponde une hausse de la valeur-argent du capital variable. En effet, une hausse nominale universelle du taux du profit et du profit moyen au-dessus du taux donné par le rapport entre la plus-value réelle et le capital total, n'est possible que si elle est accompagnée d'une augmentation des salaires et des prix des marchandises qui constituent le capital constant. Et puisque c'est la valeur totale des marchandises qui détermine la plus-value totale et par suite le profit moyen et le taux général du profit, c'est bien la loi de la valeur qui règle les coûts de production. Quant a la concurrence, si on la considère dans une industrie déterminée, elle a pour effet de confondre les différentes valeurs (selon les producteurs) d'une même marchandise en une valeur du marché uniforme, un prix du marché unique. Si on l'observe dans les différentes industries, elle détermine d'abord le coût de production, qui ramène ensuite à un taux unique les taux de profit des différentes branches de production ; mais pour que ce dernier phénomène se produise, la production capitaliste doit avoir atteint un degré de développement assez élevé.

Deux conditions sont nécessaires pour que des marchandises de même genre et de qualités à peu près égales, produites par la même industrie, se vendent à leur valeur :

Primo . - Les valeurs de ces marchandises doivent être ramenées à une valeur sociale unique, la valeur du marché, ce qui exige la concurrence entre les producteurs ainsi que l'existence d'un marché. Pour que des marchandises identiques, mais produites dans des circonstances différentes, aient un prix du marché égal à la valeur du marché, il faut que la pression qu’exercent les vendeurs les uns sur les autres soit suffisante pour faire arriver au marché la quantité de marchandises que réclame le besoin social et dont la société est à même de payer la valeur du marché. Si la quantité de produits fournis dépassait ce besoin, les marchandises se vendraient au-dessous de la valeur du marché, de même qu'elles se vendraient au-dessus, si la quantité était insuffisante, ou ce qui revient au même, si la concurrence entre les vendeurs n'était pas assez énergique pour les forcer à apporter cette quantité au marché. Toute modification de la valeur du marché a pour conséquence une altération des conditions auxquelles la quantité totale de marchandises peut être vendue: si cette valeur baisse, il en résulte une extension du besoin social (des consommateurs capables de payer) et une absorption plus grande de marchandises; si elle hausse, l'effet est inverse. Donc, s'il est vrai que l'offre et la demande règlent les prix du marché ou plutôt déterminent les écarts entre ces prix et la valeur du marché, de son côté, la valeur du marché règle le rapport entre l'offre et la demande, c'est-à-dire fixe le point autour duquel gravitent les prix du marché sous l'action de l'offre et de la demande.

En regardant les choses de près, on voit que les règles qui sont vraies pour la valeur d'une marchandise sont applicables à la valeur de toutes les marchandises de même genre. Il doit en être ainsi, parce qu'il est de la nature de la production capitaliste, de produire par grandes quantités à la fois, et que dans les productions qui n'ont pas encore atteint ce stade de développement, les marchandises - du moins les articles importants - sont produites par un grand nombre de petits fabricants éparpillés et affluent aux mains de quelques commerçants, qui les portent au marché comme le produit global ou du moins une partie du produit de toute une branche de production.

N'oublions pas de dire en passant que le « besoin social » qui règle la demande résulte essentiellement des rapports qui existent entre les classes sociales et de la relativité de leur situation économique, c'est-à-dire dépend à la fois du rapport entre la plus-value totale et le salaire et du rapport entre les divers éléments de la plus-value (profit, intérêt, rente foncière, impôts, etc.). Nous voyons ainsi une fois de plus que la loi de l'offre et de la demande n'explique rien, tant que la base sur laquelle elle repose n'est pas mise en lumière.

Bien que la marchandise et la monnaie soient à la fois valeurs d'échange et valeurs d'usage, nous avons vu (vol. I, chap. 1, 3) que dans la vente-achat leurs qualités apparaissent aux pôles opposés, la marchandise (le vendeur) représentant la valeur d'usage et la monnaie (l'acheteur) la valeur d'échange. L'une des conditions de la vente, c'est que la marchandise ait une valeur d'usage et réponde a un besoin social; l'autre, c'est que le quantum de travail qui y est contenu représente du travail socialement nécessaire, afin que la valeur de la marchandise (et, ce qui dans cette hypothèse est la même chose, son prix de vente) soit égale à sa valeur sociale [2] .

Appliquons ce raisonnement à l'ensemble des marchandises d'une branche de production se trouvant sur le marché et, pour simplifier les choses, considérons ces différentes marchandises comme n'en formant qu'une, dont le prix est égal à la somme des prix des produits qu'elle représente. Ce que nous avons dit d'une marchandise s'appliquera donc à l'ensemble des produits d'une branche de production. La valeur individuelle de chaque marchandise sera égale à sa valeur sociale, car l'ensemble des produits contient le travail social qui a été nécessaire pour les produire et la valeur en est égale à la valeur du marché.

Supposons que la plus grande partie des marchandises que nous considérons ait été produite dans les conditions normales et ait, par conséquent, une valeur égale à la valeur des différentes marchandises qui la constituent ; admettons également que les quelques marchandises obtenues en dehors (au-dessus ou au-dessous) des conditions normales aient des valeurs, les unes au-dessus, les autres au-dessous de la valeur moyenne de la plus grande partie de la production, mais dans des conditions telles que ces différences se compensent. La valeur du marché ou la valeur sociale sera donc déterminée par la valeur des marchandises produites dans des conditions moyennes [3] , et la valeur de l'ensemble des marchandises sera égale à la somme des valeurs de toutes les marchandises isolées, tant de celles produites dans les conditions moyennes que de celles obtenues dans des conditions exceptionnelles.

Supposons, au contraire, le quantum des marchandises versées au marché restant le même, que les valeurs des produits obtenus dans des conditions exceptionnellement favorables n'équilibrent pas celles des produits obtenus dans des conditions exceptionnellement défavorables, à tel point que celles-ci aient une importance notable dans l'ensemble; dans ce cas, la valeur du marché, c'est-à-dire la valeur sociale résultera de la valeur des marchandises obtenues dans des conditions défavorables.

Supposons enfin que l'inverse ait lieu et que les marchandises produites dans des conditions plus favorables que la moyenne, représentent une masse beaucoup plus considérable que celles obtenues dans des conditions plus défavorables et d'une certaine importance par rapport à celles fabriquées dans les conditions normales. Ce seront les marchandises produites dans les meilleures conditions qui régleront la valeur du marché. Nous faisons abstraction, dans notre raisonnement, des cas où il y a encombrement du marché et où nécessairement le prix du marché est déterminé par les marchandises produites dans les conditions les plus avantageuses ; d'ailleurs nous ne nous occupons pas ici des écarts qui peuvent se produire entre le prix du marché et la valeur du marché, mais uniquement des facteurs qui fixent cette dernière [4] .

Rigoureusement - la réalité n'est jamais qu'approximative et présente des modifications de toute nature - la valeur du marché de l'ensemble des marchandises doit être égale, dans le premier cas, à la somme des valeurs des différentes marchandises, bien que la valeur moyenne soit imposée aux produits obtenus de la manière la plus favorable ou la plus défavorable, les produits obtenus dans les meilleures conditions étant vendus au-dessus de leur valeur et les autres étant vendus au-dessous de leur valeur. Dans le deuxième cas, les valeurs des marchandises produites au-dessus et au-dessous des conditions moyennes ne s'équilibrent pas et ce sont les dernières qui prédominent. A la rigueur le prix moyen ou la valeur du marché devrait résulter, pour chaque marchandise, de la somme des valeurs des marchandises produites dans les diverses conditions, divisée par la quantité de ces marchandises. La valeur du marché qu'on obtiendrait de la sorte serait plus élevée que la valeur des marchandises obtenues tant dans les conditions les plus favorables que dans les conditions normales, et elle serait moins élevée que la valeur des marchandises fabriquées dans les conditions défavorables ; l'écart qu'elle présenterait par rapport à la valeur de ces dernières dépendrait évidemment de la quantité de celles-ci. Si, dans le deuxième cas, la demande ne dépasse guère l'offre, le prix du marché sera déterminé par les marchandises produites dans les conditions les plus défavorables. Enfin, dans le troisième cas, où la quantité des marchandises produites dans les conditions les plus favorables est plus grande non seulement que celle des marchandises obtenues dans les conditions les plus défavorables, mais aussi que celles fabriquées dans les conditions moyennes et où la valeur du marché tombe au-dessous de la valeur des produits moyens, la valeur moyenne obtenue par l'addition des valeurs des trois catégories de marchandises serait inférieure à la valeur des produits moyens et s'en écarterait d'autant plus que la quantité de marchandises produites dans des conditions favorables serait plus importante. Si la demande est faible relativement à l'offre, les produits obtenus dans les conditions les plus favorables s'empareront du marché, parce que leurs prix pourront se rapprocher de leurs valeurs. La valeur du marché ne sera cependant jamais égale à la valeur des marchandises produites dans les conditions les plus favorables, à moins que l'offre ne dépasse considérablement la demande.

Cette détermination de la valeur du marché, que nous venons d'exposer sous une forme abstraite, se réalise en fait sous l'action de la concurrence des acheteurs, à condition que la demande soit suffisante pour absorber, à la valeur ainsi déterminée, toutes les marchandises offertes.

Secundo : Dire que la marchandise a une valeur d'usage, c'est dire uniquement qu'elle répond à un besoin social. Tant que nous avons parlé des marchandises considérées chacune à part, nous avons pu admettre que chacune correspondait à un besoin (la quantité en étant exprimée dans le prix) et nous n'avons pas eu à nous préoccuper de la quantité qui en était réellement exigée par les besoins à satisfaire. Il n'en est plus de même dès que l'on envisage, d'un côté, les produits d'une industrie tout entière et, de l'autre, le besoin social ; la quantité des produits devient alors un facteur essentiel.

En étudiant précédemment les éléments qui déterminent la valeur du marché, nous avons supposé que la quantité totale des produits reste constante et que seule varie l'importance relative des différents genres de marchandises. (Chaque genre de marchandise étant obtenu dans des conditions qui lui sont propres, une modification de la quantité produite entraîne une modification de la valeur du marché de l'ensemble.) Supposons que la quantité totale de marchandises produites représente l'offre ordinaire, abstraction faite des produits qui provisoirement sont tenus éloignés du marché. Si, dans ce cas, la demande se maintient à son importance habituelle, les marchandises seront vendues à la valeur du marché, de quelque manière (l'un ou l'autre des trois cas envisagés plus haut) que cette valeur ait été déterminée ; la quantité de marchandises ne répond pas seulement à un besoin, mais elle satisfait ce besoin dans toute son importance sociale. Si cette quantité est plus petite ou plus grande que la demande, il y aura un écart entre le prix du marché et la valeur du marché : si elle est plus petite, ce seront les marchandises produites dans les conditions les moins favorables qui fixeront la valeur du marché, et l'inverse se produira si elle est plus grande. Dans les deux cas, ce seront les produits s'écartant le plus de la production moyenne qui détermineront la valeur du marché, bien que le simple rapport des quantités produites dans les diverses conditions dût aboutir à un autre résultat. Quant à l'écart entre le prix et la valeur du marché, il sera d'autant plus considérable que la différence entre la demande et la quantité de marchandises produites sera plus importante.

Différentes causes peuvent provoquer une différence entre la quantité de marchandises produites et la quantité de marchandises demandées : 1° Une modification de la quantité produite, devenue trop petite ou trop grande parce que la reproduction se fait à une autre échelle que la production qui déterminait jusque-là la valeur du marché. L'offre est altérée bien que la demande reste la même. 2° Une modification de la demande, devenant plus intense ou plus faible pendant que la reproduction (l'offre) reste la même. Les conséquences seront inverses de celles du cas précédent. 3° Enfin, des variations affectant à la fois l'offre et la demande, soit en sens opposé, soit dans le même sens et dans des mesures différentes. Dans les deux cas, le rapport qui existait primitivement entre l'offre et la demande est altéré et l'une des conséquences envisagées aux 1° et 2° se manifeste.

La définition de l'offre et de la demande est difficile, parce qu'elle semble être une tautologie. Considérons d'abord l'offre, c'est-à-dire les produits se trouvant sur le marché ou qui doivent y être envoyés, et pour ne pas entrer dans des détails inutiles, envisageons uniquement les quantités reproduites annuellement dans les diverses industries, en faisant abstraction des produits qu'on tient éloignés du marché et qu'on emmagasine en vue de la consommation de l'année suivante, par exemple. Il s'agit donc non seulement de valeurs d'usage propres à satisfaire des besoins humains, mais de quantités nettement déterminées de valeurs d'usage. En outre, ces quantités de marchandises ont une valeur marchande donnée, multiple de la valeur unitaire de chaque marchandise en particulier.

Aucun rapport n'existe nécessairement entre les quantités de marchandises se trouvant sur le marché et les valeurs du marché, la valeur spécifique des marchandises variant de l'une à l'autre, une quantité très petite de l'une pouvant représenter une valeur très élevée, alors qu'une valeur peu importante peut correspondre à une quantité très grande d'une autre. La productivité du travail étant donnée, la production d'un quantum voulu d'articles exige dans chaque industrie un quantum déterminé de temps de travail social, qui varie considérablement d'une industrie à l’autre et ne dépend ni de la nature (en tant que valeur d'usage) ni de l'utilité du produit auquel il est consacré. Toutes les autres circonstances restant les mêmes, si une quantité a d'un produit coûte b temps de travail, une quantité n * a du même produit coûtera n * b temps de travail.

La société doit nécessairement payer les objets qu'elle crée pour donner satisfaction à ses besoins, et auxquels elle consacre, la production étant basée sur la division du travail, une fraction du temps de travail disponible ; ceux de ces membres auxquels elle assigne l'obligation de produire ces objets doivent par conséquent en recevoir l'équivalent en travail social, sous forme d'articles propres à satisfaire leurs besoins. Mais il n'existe aucun rapport nécessaire entre le quantum de travail social consacré à un produit social, c'est-à-dire l'importance de la production de cet objet dans l'ensemble de la production sociale, et l'intensité du besoin social auquel il doit donner satisfaction. Bien que chaque article ou chaque quantum d'une marchandise prise isolément ne puisse contenir que le travail socialement nécessaire à sa production et que par conséquent sa valeur du marché, considérée à ce point de vue, ne représente que du travail nécessaire, une partie du temps de travail social est néanmoins gaspillée dès que la marchandise est produite en plus grande quantité que ne l'exige le besoin social ; dans ce cas la marchandise représente sur le marché une quantité de travail social beaucoup plus petite que celle qu'elle contient en réalité (Ce n'est que lorsqu'elle contrôle efficacement la production de manière à pouvoir la déterminer d'avance, que la société fait correspondre le temps de travail consacré à la production d'un article à l’importance du besoin que cet article doit satisfaire). Aussi la marchandise doit-elle être vendue au-dessous de sa valeur marchande et même arrive-t-il qu'une partie ne peut pas en être vendue. L'inverse a lieu lorsque le travail social consacré à la production d'un article est insuffisant, étant donné l'importance du besoin qui réclame satisfaction. Enfin lorsque l’un de ces éléments a une valeur correspondant à celle de l'autre, la marchandise est vendue à la valeur du marché. Or l'équivalence de deux marchandises exige qu'elles soient échangées ou vendues à leurs valeurs; c'est sur cette loi rationnelle qu'il faut se baser pour en éclaircir les exceptions et non sur celles-ci pour expliquer la loi elle-même.

Considérons maintenant la demande. Les marchandises sont achetées pour servir, soit à la consommation productive, soit à la consommation personnelle, soit à ces deux genres de consommation ; la demande émane donc, ou des producteurs (des capitalistes, lorsque les moyens de production sont du capital), ou des consommateurs. Les deux formes de la demande semblent supposer un quantum donné de besoins sociaux, auquel correspond une production déterminée dans les diverses industries. Pour que l'industrie du coton puisse faire sa reproduction annuelle à une échelle donnée, il lui faut la quantité habituelle de coton, ou une quantité plus considérable, si une extension de la reproduction est rendue possible par l'accumulation de capital. Il en est de même des aliments : pour que la classe ouvrière puisse continuer son existence, il faut qu'elle trouve devant elle la même quantité de subsistances qu'auparavant (celles-ci seront peut-être reparties d'une autre manière) et même qu'il y en ait davantage s'il y a accroissement de la population. La même règle plus ou moins modifiée est évidemment applicable aux autres classes de la société.

La demande semble donc représenter un besoin social d'une grandeur déterminée, exigeant l'existence sur le marché d'une quantité donnée d'articles. Cependant son importance n'est fixe qu'en apparence, et en réalité elle est essentiellement élastique et fluctuante. En effet, il suffit que le salaire en argent monte ou que le prix des subsistances diminue, pour que les achats des ouvriers augmentent et que par conséquent le « besoin social » des marchandises qu'ils consomment devienne plus grand (même quand on fait abstraction des pauvres, dont la demande reste inférieure aux besoins physiques les plus urgents). De même, lorsque le prix du coton diminue, les capitalistes donnent plus d'extension à leur demande et engagent plus de capital dans leur industrie. En outre, la demande en vue de la consommation productive émane, d'après notre hypothèse, du capitaliste, dont le seul objectif est de recueillir de la plus-value et qui ne produit des marchandises que dans ce but. (Ce qui n'empêche que lorsqu'il se présente sur le marché en qualité d'acheteur de coton, par exemple, il représente la demande de coton, demande à laquelle le marchand de coton répond sans qu'il ait à se demander si la marchandise qu'il fournira sera convertie en chemises, en fulmi-coton, ou en tampons pour boucher ses oreilles et celles du monde entier.) L'écart entre la demande, c'est-à-dire le besoin représenté sur le marché. et le véritable besoin social, par conséquent l'écart entre la quantité demandée et la quantité qui serait demandée si la marchandise avait un autre prix ou si les acheteurs vivaient dans d'autres circonstances, varie naturellement beaucoup d'une marchandise à une autre.

Rien n'est plus facile que de voir les inégalités de l'offre et de la demande et les écarts qu'ils déterminent entre le prix et la valeur du marché ; par contre il y a une véritable difficulté à donner la définition de ce qu'il faut entendre par l'équilibre de l'offre et de la demande.

On dit que l'offre et la demande se font équilibre lorsque leur rapport est tel que les produits d'une industrie peuvent être vendus exactement à leur valeur du marché (ni au-dessus, ni au-dessous) ; on dit également que cet équilibre existe lorsque les marchandises sont vendables à leurs prix du marché.

L'équilibre de l’offre et de la demande, c'est-à-dire l'action de deux forces agissant en sens inverse avec la même intensité et se paralysant, ne peut donner lieu à aucune manifestation extérieure, et si pareille manifestation est constatée, elle doit être attribuée à une autre cause. Cet équilibre n'influence donc pas la valeur du marché et n'intervient pas pour décider si elle sera exprimée par telle somme d'argent plutôt que par telle autre. De même, il ne peut pas être invoqué (il devrait faire l'objet d'une étude plus approfondie, dont il ne peut être question ici) pour expliquer les lois de la production capitaliste, puisque ces lois ne se manifestent sous leur forme pure que lorsque l'offre et la demande s'équilibrent, c'est-à-dire lorsqu'aucune résultante ne peut être attribuée à leur action.

L'équilibre de l'offre et de la demande ne se manifeste que par hasard, ce qui revient à dire qu'il n'a aucune importance scientifique. Et cependant l'Économie politique suppose qu'il existe. Pourquoi ? D'abord, pour étudier les phénomènes sous leur forme régulière, conformément à la conception qu'elle en a, indépendamment des apparences que leur communique le mouvement de l'offre et de la demande; ensuite pour constater et fixer pour ainsi dire la vraie tendance de ce mouvement. Entre l'offre et la demande se manifestent des inégalités de sens contraire, qui se suivent sans interruption et finissent par s'équilibrer au bout d'une période plus ou moins longue. De sorte que s'il ne se présente pas un seul cas dans lequel l'équilibre de l'offre et de la demande se produit réellement, on peut néanmoins considérer le phénomène comme existant, en admettant qu'il soit le résultat moyen d'un mouvement d'une certaine durée. C’est ainsi que les prix du marché, bien qu'ils s'écartent, des valeurs du marché, ont après un certain nombre d'oscillations une valeur moyenne égale à ces dernières. La fréquence de ces oscillations et des équilibres est loin d'avoir une importance purement théorique, car le placement des capitaux se fait en en tenant compte pendant une période déterminée.

L'influence du rapport entre l'offre et la demande se traduit, d'une part, par des écarts entre les prix du marché et les valeurs du marché, d'autre part, par la tendance à l'équilibre de ces deux éléments, qui n'est en réalité que la tendance à la suppression de l'action réciproque de l'offre et de la demande. Cette influence peut être annihilée de différentes manières. Ainsi une diminution de la demande, entraînant une baisse des prix, peut avoir pour conséquence des retraits de capitaux et par suite une diminution de l'offre ; mais il peut également en résulter que, par suite de l'application d'inventions diminuant le temps de travail nécessaire, la valeur du marché el!e-même diminue et tombe au niveau du prix du marché. Si, au contraire, la demande augmente et fait monter le prix du marché au-dessus de la valeur du marché, il peut arriver que trop de capital soit engagé, dans l'industrie considérée, d'où une augmentation telle de la production que le prix du marché tombe au-dessous de la valeur du marché, à moins que la hausse du prix n'aboutisse à une diminution de la demande. Enfin, il se peut aussi que dans l'une ou l'autre branche de production, la valeur du marché monte pendant une période plus ou moins longue, parce qu'une partie des marchandises demandées est produite dans des conditions défavorables.

S'il est vrai que l'offre et la demande déterminent le prix, il est vrai, d'autre part, que le prix et en dernière analyse la valeur du marché déterminent l'offre et la demande. Cela est évident pour la demande, puisqu'elle varie en sens inverse des prix. Il en est de même de l'offre, car le prix des moyens de production détermine la demande de ceux-ci et provoque par conséquent l'offre des marchandises auxquelles ils doivent être incorporés, et cette offre implique à son tour une demande des moyens de production. C'est ainsi que les prix du coton déterminent l'offre des étoffes de coton.

A cette première cause de confusion - la détermination des prix par l'offre et la demande, et d'autre part la détermination de l'offre et de la demande par les prix - s'en ajoute une seconde, résultant de ce que l'offre est déterminée par la demande et la demande par l'offre, le marché par la production et la production par le marché [5] .

Même l’économiste vulgaire (Voir la note) voit que le rapport entre l'offre et la demande peut varier par suite d'une variation de la valeur du marché, sans qu'aucune circonstance extérieure n'intervienne, et il doit même admettre que quelle que soit cette valeur, elle ne se fixe que lorsque l'offre et la demande sont en équilibre. En d'autres termes, ce n'est pas le rapport entre l'offre et la demande qui explique la valeur du marché, c'est celle-ci qui explique les oscillations de l'offre et de la demande. L'auteur des Observations que nous citons en note dit en un autre passage : « Cependant ce rapport (entre l'offre et la demande), les termes demande et prix naturel conservant le sens que leur donne Adam Smith, doit toujours être un rapport d'égalité, car ce n'est que lorsque l'offre est égale à la demande vraie, c’est-à-dire à la demande qui n'accepte que le prix naturel et ne désire payer ni plus ni moins que le prix naturel est réellement payé. Par conséquent, une même marchandise peut avoir, à deux époques différentes, des prix naturels très différents, le rapport entre l'offre et la demande étant cependant le même (l'égalité) dans les deux cas ». Notre auteur admet donc qu'alors même que le prix naturel d'une marchandise présente de très grandes différences à deux époques différentes, l'offre et la demande peuvent et doivent néanmoins s'équilibrer chaque fois, pour que la marchandise se vende à son prix naturel. Le rapport entre l'offre et la demande reste donc le même, taudis que le prix naturel varie ; il est par conséquent évident que celui-ci ne dépend nullement de ce rapport.

Pour qu'une marchandise se vende à la valeur du marché (c'est-à-dire à un prix en rapport avec le travail social nécessaire qu'elle contient) il faut que la quantité de travail social consacrée à toutes les marchandises du même genre soit en rapport avec le besoin social capable de les payer. La concurrence ainsi que les oscillations des prix du marché qui correspondent aux variations du rapport entre l'offre et la demande, tendent continuellement à ramener à cette limite la quantité de travail consacrée à chaque genre de marchandises.

Le rapport entre l'offre et la demande reproduit d'abord le rapport entre la valeur d'échange et la valeur d'usage, entre l'argent et la marchandise, le vendeur et l'acheteur ; ensuite, le rapport entre le producteur et le consommateur, ceux-ci pouvant être représentés par des commerçants. Pour étudier le rapport qui existe entre le vendeur et l'acheteur, il suffit de les considérer isolément. Trois personnes seulement sont nécessaires pour la métamorphose complète de la marchandise, pour l'acte de vente-achat : A vend sa marchandise à B; celui-ci la transforme en argent qu'il reconvertit en une marchandise, qu'il achète à C. Tout le procès se déroule entre ces trois personnes. Lorsque précédemment nous nous sommes occupés de la monnaie, nous avons supposé que les marchandises se vendaient à leur valeur; nous n'avions alors aucune raison d'établir une distinction entre le prix et la valeur, puisque nous nous placions exclusivement au point de vue des changements de forme que la marchandise subit en deve­nant argent et que l'argent subit en devenant marchandise. La marchandise étant vendue et l'argent produit par cette vente étant reconverti eu marchandise, nous avions devant nous tout le phénomène de transformation que nous vou­lions observer et nous n'avions pas à nous inquiéter si le prix de la marchandise avait été supérieur ou inférieur à sa valeur. Cependant dans ce phénomène la valeur de la marchandise joue un rôle important, car c'est d'après elle seulement qu'on peut comprendre la monnaie et le prix, qui n'est que la forme-argent de la valeur. Il est vrai que l'étude de l'argent comme moyen de circulation suppose de nombreuses transformations de la même marchandise, et c'est seulement en considérant celles-ci que l'on se rend compte de la circulation de l'argent et de l'origine de sa fonction d'instrument de la circulation. Mais autant cet enchaînement est important pour établir la transition qui amène l'argent à jouer le rôle d'agent de la circulation et prendre une forme adéquate à ce rôle, autant il est sans intérêt au point de vue des transactions entre les acheteurs et les vendeurs.

Dans l'étude de l'offre et de la demande, au contraire, l'offre représente la totalité, des vendeurs ou producteurs d'un genre de marchandises, et la demande, la totalité des acheteurs ou consommateurs, et elles agissent l'une sur l'autre comme masses, comme agrégats de forces. L'individu ne compte que comme un élément de la force sociale, comme un atome de la masse, et c'est par cet aspect et par l’antagonisme des masses que s'affirme le caractère social de la production et de la consommation.

Cet antagonisme est faible (ceci montre combien les uns sont dépendants des autres), lorsque des individus agissent indépendamment de la masse, soit pour opérer seuls dans la même direction qu'elle, soit, ce qui arrive plus souvent, pour opérer directement contre elle ; au contraire elle est forte lorsque la masse reste une de part et d'autre. Lorsque pour un genre déterminé de marchandises la demande dépasse l'offre, chaque acheteur renchérit dans une certaine mesure sur les autres et fait monter la marchandise au-dessus du prix du marché, d'autant plus que les vendeurs agissent avec ensemble pour vendre au prix le plus élevé possible. Au contraire, lorsque l'offre est supérieure à la demande, l'un ou l'autre vendeur commence à vendre meilleur marché que les autres, bientôt ceux-ci doivent suivre et tous cèdent devant la pression des acheteurs, qui de commun accord cherchent à faire tomber le prix du marché bien au-dessous de la valeur du marché. Dans cette lutte chacun ne fait cause commune avec les autres qu'aussi longtemps qu'il y va de son intérêt personnel. L'entente cesse dès qu'elle n'est plus efficace et que chacun peut se tirer d'affaire en opérant isolément. D'ailleurs s'il arrive qu'un producteur parvient à fabriquer à meilleur compte et à vendre moins cher, par conséquent à occuper plus de place sur le marché, ses concurrents se voient obligés, l'un après l'autre, d'appliquer également un procédé plus économique, apportant une nouvelle réduction de la quantité de travail socialement nécessaire. Lorsque dans la lutte l'avantage s'affirme d'un côté, tous ceux qui se trouvent de ce côté en profitent et les choses se passent comme s'ils exploitaient un monopole en commun. En même temps, du côté le plus faible, chacun travaille pour son compte et cherche à être le plus fort (à être celui dont les frais de production sont les pins bas) ; chacun s'efforce de s'en tirer le mieux possible, sans s'inquiéter de son voisin, bien que sa tactique fasse sentir ses effets, non-seulement pour lui, mais pour tous ses compagnons [6] .

L'offre et la demande supposent que la valeur se transforme en valeur du marché et elles comportent, dans une société capitaliste où les marchandises sont des produits du capital, des conditions autrement compliquées que la simple vente-achat. Quand elles interviennent, il ne s'agit plus seulement d'un changement de forme de la valeur devenant le prix ; il s'agit des écarts quantitatifs qui s'établissent entre les prix du marché et les valeurs du marché et entre les prix du marché et les coûts de production. Tant qu'il n'est question que de la vente-achat, il n'y a à considérer que des producteurs de marchandises ; l'offre et la demande, au contraire, supposent l'existence de différentes classes avec leurs subdivisions se partageant le revenu social et représentant la demande correspondant à celui-ci; elles exigent la connaissance de la structure complète de la production capitaliste.

Dans une société capitaliste, le but n'est pas seulement d'obtenir en échange de la valeur mise en circulation sous forme de marchandise, une valeur équivalente sous une autre forme (monnaie ou marchandise) ; mais, quelle que soit la branche de production, de faire produire à un capital déterminé la même somme de plus-value ou de profit qu'à un autre capital de même importance. Les marchandises doivent être vendues au moins à des prix donnant le profit moyen, restituant les cours de production. C'est lorsqu'il est vu sous cet aspect que le capital apparaît comme une puissance sociale, dont chaque capitaliste est un élément d'autant plus important qu'il possède un capital plus considérable.

La production capitaliste en elle-même n'est nullement intéressée à la nature des valeurs d'usage, ni aux caractères particuliers des marchandises qu'elle produit. Toute industrie a pour unique objectif de produire de la plus-value, de s'approprier dans le produit du travail une certaine quantité de travail non payé. De même, le travail salarié asservi au capital reste de par sa nature indifférent à ses caractères spécifiques ; il se modifie d'après les exigences du capital et il passe sans résistance d'une industrie à l’autre.

Toute branche de production n'est ni meilleure, ni plus mauvaise qu'une autre ; chacune rapporte le même profit et celle qui ne fournirait pas une marchandise répondant à un besoin social quelconque, serait inutile.

Si les marchandises se vendaient à leurs valeurs, les taux du profit seraient très différents d'une branche de production à l'autre et varieraient d'après la composition organique des capitaux qui les produisent. Mais le capital abandonne les branches de production où le taux du profit est bas pour se lancer dans celles où il est plus élevé, et cette migration incessante a pour effet que les profits moyens s'égalisent dans les différentes entreprises et que les valeurs se transforment en coûts de production. Cette égalisation se réalise d'autant plus facilement dans un pays que le capitalisme y a pris plus d'extension et que l'organisation économique y est mieux adaptée au mode capitaliste de production. Plus celui-ci se développe, plus complexes deviennent les conditions de son existence, plus complètement il soumet à ses lois et à sa manière d'être les organes de la société dans laquelle il existe.

L'égalisation des diverses industries se réalise d'autant plus vite que le capital et la force de travail sont plus mobiles, c'est-à-dire se transportent plus facilement d'une industrie et d'un lieu à l'autre. La mobilité du capital a pour conditions :

  1. La liberté complète du commerce et la suppression de tous les monopoles, à part ceux qui résultent de la production capitaliste elle-même ;
  2. Le développement du crédit, effectuant la concentration des capitaux disponibles pour les mettre à la disposition des capitalistes qui en ont besoin ;
  3. L'accaparement des différentes branches de production par les capitalistes. (Cette condition est comprise dans les prémisses, puisque nous avons admis qu'il s'agit de la transformation des valeurs en coûts de production dans toutes les branches de production exploitées en mode capitaliste. A ce point de vue, l'égalisation des industries rencontre cependant des obstacles sérieux, lorsque des exploitations non capitalistes - par exemple, la culture de la terre par de petits paysans - s'intercalent en grand nombre entre les exploitations capitalistes et se lient intimement à elles).
  4. Enfin, comme dernière condition, il faut une grande densité de la population.

Pour que la mobilité de la force de travail se manifeste, il faut que toutes les lois qui empêchent l'ouvrier de changer d'industrie ou de domicile soient supprimées; que le travailleur soit devenu indifférent à son travail en lui-même et que dans toutes les branches de production celui-ci soit ramené le plus possible à du travail simple (non qualifié) ; que tous les préjugés professionnels aient disparu du cerveau des ouvriers ; enfin et surtout que les travailleurs soient soumis à la production capitaliste. Nous insisterons davantage sur ces points lorsque nous nous occuperons spécialement de la concurrence.

De ce qui a été dit, il résulte que chaque capitaliste et par conséquent l'ensemble des capitalistes de chaque branche de production sont intéressés à l'exploitation et au degré d'exploitation de la classe ouvrière tout entière par le capital tout entier, non seulement par sympathie de classe, mais par intérêt immédiat, étant donné que le taux moyen du profit dépend (toutes les autres circonstances et notamment la valeur du capital constant restant les mêmes) du degré d'exploitation du travail social par le capital social. Mais la valeur du capital avancé n'est que l'un des facteurs qui déterminent le taux du profit; à côté d'elle en figure un autre qui résulte de ce qu'un capitaliste (ou tout le capital d'une industrie) n'est intéressé spécialement à l'exploitation des ouvriers qu'il occupe directement, que s'il lui est possible de réaliser un surprofit (un profit dépassant le profit moyen), soit par du surtravail exceptionnel, soit par la, réduction des salaires au-dessous de la moyenne, soit par une productivité exceptionnelle du travail. En effet, si ces inégalités dans l'exploitation du travail n'existaient pas, un capitaliste qui dans la branche de production a laquelle il appartient n'a engagé aucun capital variable et par conséquent n'occupe (hypothèse exagérée) aucun ouvrier, aurait le même intérêt à l'exploitation de la classe ouvrière par le capital et retirerait le même profit du surtravail non payé, qu'un capitaliste qui n'engage que du capital variable, c'est-à-dire avance tout son capital en salaires (ce qui est également une hypothèse exagérée). Le degré d'exploitation du travail dépend, pour une journée d'une durée donnée, de l'intensité moyenne du travail, de même que, pour une intensité donnée, il dépend de la durée de la journée; il détermine le taux de la plus-value, par conséquent la quantité de plus-value et le profit correspondant à un capital variable d'une importance donnée.

D'une part, chaque capitaliste (et tout le capital d'une industrie donnée) est intéressé, au même titre que tous les autres, à la productivité de tout le travail social mis en œuvre par le capital total de la société ; car de cette productivité dépendent :

  1. la quantité des valeurs d'usage auxquelles s'incorpore le profit moyen (ce qui est doublement important, puisque le profit moyen alimente le fonds d'accumulation de capital pour les entreprises nouvelles et le fonds de revenu pour la consommation personnelle) ;
  2. la valeur du capital avancé (constant et variable) qui, lorsque la plus-value totale est donnée, détermine le taux du profit, c'est-à-dire le profit afférent à chaque capital particulier.

D'autre part, il profite de la productivité spéciale du travail dans l'industrie ou dans l'entreprise qu'il exploite directement, puisque c'est à lui seulement et non à tous les capitalistes de cette industrie ou des entreprises similaires, que cette surproductivité permet de faire un surprofit. Nous voyons ainsi, à la lumière d'un raisonnement pour ainsi dire mathématique, pourquoi les capitalistes, qui se conduisent en faux frères lorsqu'ils se font la concurrence, s'entendent comme des francs-maçons lorsqu'il s'agit d'exploiter la classe ouvrière.

Le coût de production contient le profit moyen. Nous avons donné le nom de coût de production à ce qui est appelé « natural price » par A. Smith, « price of production » ou « cost of production » par Ricardo et « prix nécessaire » par les Physiocrates (dont aucun n'a développé la différence entre le coût de production et la valeur), parce que cet élément devient à la longue la condition de l'offre, c'est-à-dire de la reproduction [8] . On comprend pourquoi les économistes qui n'admettent pas que la valeur des marchandises est déterminée par le travail qu'elles contiennent, ne cessent de signaler que les coûts de production sont les centres autour desquels gravitent les prix du marché. Ils peuvent se le permettre parce que le coût de production est déjà une forme extériorisée et à première vue incompréhensible de la valeur, qu'ils connaissent sous l'aspect qu elle revêt dans la concurrence et dans la conscience du capitaliste vulgaire.

De ce qui vient d'être développé il résulte que la valeur du marché (il en est de même, avec les restrictions nécessaires, du coût de production) comprend un surprofit en faveur de ceux qui, dans chaque sphère de production, produisent dans les meilleures conditions. Sauf les cas de crise ou de surproduction, cette règle s'applique à tous les prix du marché, quel que soit l'écart qui les sépare des valeurs du marché ou des coûts de production. Le prix du marché s'applique en effet à toutes les marchandises d'un même genre, bien qu'elles soient produites dans des conditions très différentes et soient loin d'avoir le même prix de revient. (Nous faisons abstraction des surprofits qui résultent de monopoles, artificiels ou naturels, dans le sens ordinaire du mot). Cependant un surprofit peut aussi prendre naissance, lorsque des industries sont en état de se soustraire à la transformation des valeurs de leurs marchandises en coûts de production et, par conséquent à la réduction de leur profit au profit moyen. Nous nous en occuperons lorsque nous traiterons de la rente foncière.


Notes

[1] C'était là, en 1865, une simple opinion de Marx, que les recherches sur les communautés primitives, depuis Maurer jusqu'à Morgan, ont fait admettre universellement aujourd'hui. - F. E.

[2] K. Marx, Critique de l’Econ. pol. (1859), trad. franç., Paris, 1899.

[3] K. Marx, Critique de l'économie politique .

[4] Dans la discussion entre Storch et Ricardo au sujet de la rente foncière, discussion tout à fait objective sur le point de savoir si la valeur du marché (chez eux, plutôt le prix du marché, c'est à-dire le coût de production) est déterminée par les marchandises produites dans les conditions les plus défavorables (l'opinion de Ricardo) ou par celles obtenues dans les conditions les plus favorables (la thèse de Storch), ils ont tous les deux tort et raison, parce que tous les deux ont perdu de vue les marchandises produites dans des conditions moyennes. Écoutons Corbett sur le cas où le prix est réglé par les marchandises produites dans les conditions les plus favorables : « Il ne faut pas croire qu'il (Ricardo) ait prétendu que deux marchandises isolées, par exemple un chapeau et une paire de bottes, s'échangent lorsqu'elles sont produites par des quantités égales de travail. Par « marchandises » il faut entendre ici « genre de marchandises » et non une marchandise déterminée, un chapeau ou une paire de bottes. C’est le travail tout entier consacré à la production totale des chapeaux en Angleterre, qui doit être considéré, dans ce cas, comme réparti entre tous les chapeaux. C'est ce qui me parait ne pas être exprimé ni dans l'exposé de la doctrine, ni dans ses commentaires généraux » (Observations on some verbal disputes in Pol. Econ., etc., London, 1821, pp. 53, 54).

[5] Le passage suivant dans lequel l'auteur croit avoir fait preuve de beaucoup de sagacité, montre cette confusion : « Lorsque la quantité de salaire, de capital et de sol nécessaire à la production d'un article varie, ce qu'Adam Smith appelle son prix naturel varie également et devient, étant donnée cette variation, son prix du marché ; car bien que l'offre, ni la demande aient peut-être changé (elles varient dans ce cas toutes les deux précisément parce qu'une variation de la valeur entraîne une variation de la valeur du marché ou plutôt, suivant A. Smith, du prix de production), l'offre ne correspond plus exactement (elle est supérieure ou inférieure) à la demande des personnes qui peuvent et désirent payer ce qui est maintenant le coût de production, de sorte que le rapport entre l'offre et la demande vraie - vraie en tenant compte du nouveau coût de production - n'est plus le même qu'avant. A moins qu'un obstacle s'y oppose, une modification interviendra dans l'offre et amènera, la marchandise à son nouveau prix naturel. Certains peuvent donc se croire autorisés à dire que, la marchandise parvenant à son prix naturel par suite d'une modification de l'offre, le prix naturel est le résultat de tel rapport entre l'offre et la demande, alors que le prix du marché est le résultat de tel autre ; ce qui revient à affirmer que le prix naturel dépend, comme le prix du marché, du rapport entre l'offre et la demande. (Le grand principe de l’offre et de la demande intervient aussi bien pour déterminer ce qu'Adam Smith appelle les prix naturels que pour déterminer les prix du marché. Malthus) » (Observations on certain verbal disputes, etc. London, 1821, p. 60, 61) Le brave homme ne voit pas que, dans le cas qu'il envisage, c'est précisément la variation du coût de production et de la valeur qui produit la variation de la demande et modifie ainsi le rapport entre l'offre et la demande. Or cette variation de la demande peut produire une variation de l'offre, ce qui établirait le contraire de ce que notre penseur vent prouver et démontrerait par conséquent que la variation des coûts de production n'est nullement réglée par le rapport entre l'offre et la demande, et que c'est, au contraire, celui-ci qui est réglé par celle-là.

[6] « Si chaque membre d'une classe ne pouvait jamais obtenir qu'une part proportionnelle des gains de toute la classe, il agirait énergiquement pour élever ces gains (c'est ce qu'il fait dès que le rapport entre l'offre et la demande le permet) ; c'est le cas du monopole. Mais lorsque chacun considère qu'il lui est permis de pousser à, l'augmentation de sa part par n'importe quel moyen, même en diminuant le gain total, il le fera généralement; c'est le régime de la concurrence. » (An inquiry into those principles respecting the nature of demand, etc. London 1821, p. 105).

[7] Malthus.


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