1900

Mis en ligne par La Bataille Socialiste.


Rosa Luxemburg

Intervention sur les mandats polonais au Congrès socialiste international de Paris

14 septembre 1900


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C’est avec la plus profonde douleur que je me vos obligée de vous soumettre encore les plaintes de mes camarades contre la majorité des délégués polonais. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on va scandaliser un Congrès international socialiste, par le spectacle des discordes et des animosités qui existent au sein de la délégation polonaise. Vous avez certainement tous, citoyens, gardé le souvenir des querelles qui s’élevèrent sur les mandats polonais au Congrès international de Zurich en 1893, de celles du Congrès de Londres en 1896; et aujourd’hui encore, la majorité des délégués polonais veut abuser de ses droits monopolisés et essaie de dégrader la Pologne socialiste devant le monde entier.

Il ne s’agit point ici de formalités, ni d’irrégularités, ni même de doutes sur la validité des mandats contestés; il s’agit au fond de controverses de programme, de tactique, de politique socialistes.

Vous savez tous qu’il y a dans le mouvement socialiste polonais deux courants. D’une part, les socialistes purement internationalistes, qui acceptent l’annexion, et qui veulent marcher la main dans la main avec leurs frères de tous les pays, sans s’occuper du malheureux partage qui s’est opéré entre la Russie, l’Allemagne et l’Autriche ; ce sont mes amis et moi qui avons l’honneur de représenter cette fraction. D’autre part les socialistes plus ou moins nationalistes, qui suivent avant tout le plan utopique et fantaisiste de la reconstitution de la Pologne. C’est précisément contre cette utopie nuisible, contre cette tendance nationaliste, que nous luttons énergiquement, convaincus que le prolétariat n’est pas en état de changer la géographie politique et capitaliste, ni de reconstruire des États bourgeois, mais qu’il est contraint de s’organiser sur les bases politiques existantes, créées historiquement, pour réaliser la conquête du pouvoir socialiste et la République sociale (Applaudissements) qui seule pourra délivrer le prolétariat du monde entier.

Dans toutes nos rencontres sur le champ des principes et des théories, ce sont toujours eux, les socialistes nationalistes, qui sont obligés de capituler ; ce sont eux-mêmes qui se mettent en fuite; battus, ils n’osent plus nous rencontrer en plein jour et ils ne leur reste comme moyen de lutte contre nous que l’intrigue et la et la calomnie. Fidèles au principe de la politique jésuitique, que le but consacre et légitime les moyens, ils cherchent à nous frapper dans le dos ; ils cherchent à nous calomnier, disant que nous sommes au service de la police, les porte-parole de la politique germanisatrice du gouvernement; ils cherchent à venir aux Congrès socialistes en nombre assez grand pour former la majorité et mettre à la porte, de la façon la plus simple et la plus commode, leurs adversaires politiques.

D’ailleurs, citoyens, il ne s’agit point ici de donner la possibilité à mes deux amis et moi, dont les mandats étaient contestés, d’assister aux délibérations du Congrès. Moi, fidèle à mes principes de socialisme international, j’appartiens aussi à la délégation allemande; j’y suis, j’y reste (Applaudissements) Mais il s’agit des prolétaires polonais dépossédés de délégués de la Haute-Silésie et de Varsovie, qui veulent participer aux délibérations de leurs frères du monde entier et qui y ont droit; il s’agit ensuite des principes de la justice et de l’honneur socialistes. Croyez-moi, citoyens, j’ai la gorge pleine de larmes d’être obligée de vous dénoncer ici les procédés honteux de mes camarades polonais. Comment ! nous nous sommes réunis ici pour délibérer des voies et moyens de lutte; comment ! nous nous sommes réunis pour délivrer l’humanité de la morale bourgeoise et des mensonges dogmatiques, et nous avons recours entre nous aux mêmes procédés ! Qu’ils aient honte, qu’ils rougissent, ceux qui viennent aux délibérations sur les questions les plus pures, les plus nobles de l’humanité, avec la morale de la bourgeoisie et avec la mauvaise foi des jésuites ! (Vifs applaudissements). Je leur donne l’assurance de mon mépris le plus profond, et je les dénonce au monde socialiste tout entier comme indignes du nom honorable de polonais et de socialiste ! Quant à vous, citoyens, je vous prie de valider à l’unanimité tous les cinq mandats contestés, qui se trouvent entre les mains de socialistes sincères. (Nouveaux applaudissements) Vous montrerez ainsi à ces socialistes que l’idéal de notre cause n’est pas seulement l’égalité économique et la liberté politique, mais qu’il est fait encore des principes essentiels de la bonne foi, de la justice et de la fraternité ! (Applaudissements prolongés)

 
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