1917 |
"Dans l'histoire en général, et surtout en temps de guerre, il est impossible de piétiner sur place.
Il faut ou avancer ou reculer. Il est impossible d'avancer dans la Russie du XX° siècle (...) sans marcher au socialisme (...).
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La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer
Sabotage de l’activité des organisations démocratiques par le gouvernement
Nous avons examiné les différents moyens et méthodes de conjurer la catastrophe et la famine. Partout nous avons vu la contradiction irréductible entre, d'une part, la démocratie, et de l'autre, le gouvernement et le bloc des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks qui le soutient. Pour prouver que ces contradictions existent dans la réalité, et non seulement dans notre exposé, et que leur caractère irréductible est démontré pratiquement par des conflits d'une portée nationale, il suffit de rappeler deux « bilans » particulièrement typiques, deux leçons qui se dégagent de ces six mois de notre révolution.
L'histoire du « règne » de Paltchinski est une de ces leçons. L'autre est l'histoire du « règne » et de la chute de Péchékhonov.
En substance, les mesures de lutte décrites plus haut contre la catastrophe et la famine consistent à encourager de toutes les manières (y compris la contrainte) le groupement en associations de la population et, en premier lieu, de la démocratie, c'est-à-dire de la majorité de la population : donc, avant tout, des classes opprimées, ouvriers et paysans, paysans pauvres surtout. Et c'est dans cette voie que la population s'est engagée d'elle-même, spontanément, pour lutter contre les difficultés, les charges et les calamités inouïes de la guerre.
Le tsarisme entravait par tous les moyens l'association libre et autonome de la population. Mais, après la chute de la monarchie tsariste, les organisations démocratiques apparurent et se développèrent rapidement à travers toute la Russie. La catastrophe fut combattue par les organisations démocratiques nées spontanément, par toutes sortes de comités de ravitaillement et d'approvisionnement en vivres, en combustibles, etc., etc.
Or, ce qu'il y a eu de plus remarquable durant les six mois
de notre révolution, sur cette question, c'est qu'un gouvernement qui se
prétend républicain et révolutionnaire, un gouvernement soutenu par les
mencheviks et les socialistes-révolutionnaires au nom des « organismes
habilités de la démocratie révolutionnaire », a combattu les organisations
démocratiques et en a triomphé !!
Paltchinski s'est acquis dans cette lutte la plus triste et la plus large renommée à l'échelle de toute la Russie. Il a agi en se retranchant derrière le gouvernement, sans intervenir ouvertement devant le peuple (tout comme préféraient généralement agir les cadets qui, « pour le peuple » mettaient volontiers en avant Tsérételli, cependant qu'eux-mêmes réglaient en sous-main toutes les affaires d'importance). Paltchinski a freiné et saboté toutes les mesures sérieuses des organisations démocratiques spontanément créées par le peuple, car aucune mesure sérieuse ne pouvait être prise sans qu'il fût « porté atteinte » aux profits démesurés et à l'arbitraire des gros bonnets de l'industrie et du commerce. Or, Paltchinski était précisément leur défenseur et serviteur fidèle. Il en est arrivé - ce fait a été publié dans les journaux - à annuler tout bonnement certaines dispositions de ces organisations démocratiques !!
Toute l'histoire du « règne » de Paltchinski - et il « régna » de longs mois, justement à l'époque où Tsérételli, SkobéIev et Tchernov étaient « ministres » - n'est qu'un incessant, un abominable scandale, le sabotage de la volonté du peuple, des décisions de la démocratie, afin de complaire aux capitalistes et d'assouvir leur sordide cupidité. Les journaux n'ont pu publier, comme bien l'on pense, qu'une infime partie des « exploits » de Paltchinski. Une enquête minutieuse sur les moyens qu'il a employés pour entraver la lutte contre la famine ne pourra être entreprise que par un gouvernement prolétarien, vraiment démocratique, quand il aura conquis le pouvoir et fait juger par le tribunal du peuple, sans en rien cacher, la besogne de Paltchinski et de ses pareils.
On nous objectera peut-être que Paltchinski était quand même une exception et qu'on l'a d'ailleurs écarté... Or, la vérité, justement, c'est que Paltchinski n'est pas une exception, mais la règle; que la situation ne s'est pas du tout améliorée du fait que Paltchinski a été écarté; que d'autres PaItchinski; portant d'autres noms, l'ont remplacé; que toute l'« influence » des capitalistes, toute la politique de sabotage de la lutte contre la famine pratiquée pour leur être agréable, sont demeurées intangibles. Car Kérensky et Cie ne sont qu'un paravent qui masque la défense des intérêts capitalistes.
La preuve la plus éclatante, c'est la démission du ministre du ravitaillement Péchékhonov. On sait que Péchékhonov est un populiste tout ce qu'il y a de plus modéré. Mais il voulait organiser le ravitaillement de façon consciencieuse, en contact avec les organisations démocratiques et en s'appuyant sur elles. L'expérience de l'activité de Péchékhonov et sa démission sont d'autant plus intéressantes que ce populiste des plus modérés, membre du parti « socialiste-populaire », prêt à tous les compromis avec la bourgeoisie, s'est vu néanmoins obligé de démissionner ! Car, pour plaire aux capitalistes, aux grands propriétaires fonciers et aux koulaks, le gouvernement Kérensky a relevé le prix taxé du blé !
Voici comment, dans la Svobodnaïa Jizn [1] n°1, du 2 septembre, M. Smith apprécie la « mesure » prise et son importance :
« Quelques jours avant que le gouvernement ait décidé l'augmentation du prix taxé, la scène suivante se déroula au sein du Comité national du ravitaillement : le représentant de la droite, Rolovitch, défenseur opiniâtre des intérêts du commerce privé et ennemi implacable du monopole du blé et de l'ingérence de l'État dans la vie économique, déclara haut et clair, avec un sourire satisfait, que d'après ses renseignements, le prix taxé du blé allait sous peu être élevé.
En réponse, le représentant du Soviet des députés ouvriers et soldats déclara qu'il n'en savait rien, qu'aussi longtemps que durerait la révolution en Russie, pareille chose ne pouvait se produire et que, en tout cas, le gouvernement ne pouvait le faire sans prendre avis des organismes habilités de la démocratie : le Conseil économique et le Comité national du ravitaillement. Le représentant du Soviet des députés paysans s'est associé à cette déclaration.
Mais, hélas ! les faits devaient apporter dans cette controverse une cruelle mise au point : ce fut le représentant des éléments censitaires, et non les représentants de la démocratie, qui se trouvait avoir raison. Il s'avéra parfaitement informé de l'attentat qui se préparait contre les droits de la démocratie, encore que les représentants de cette dernière eussent repoussé avec indignation l'idée même d'un semblable attentat. »
Ainsi, le représentant des ouvriers comme celui de la paysannerie déclarent tout net leur opinion au nom de l'immense majorité du peuple, mais le gouvernement Kérensky fait le contraire, pour servir les capitalistes !
Le représentant des capitalistes, Rolovitch, était parfaitement informé, à l'insu de la démocratie, de même que nous avons toujours observé et observons encore que les journaux bourgeois, la Retch et la Birjovka, sont les mieux informés de ce qui se passe au sein du gouvernement Kérensky.
Qu'atteste cette remarquable qualité d'information ? Evidemment, que les capitalistes ont leurs « entrées » et qu'ils détiennent en fait le pouvoir. Kérensky est leur homme de paille, qu'ils font marcher quand et comme cela leur est nécessaire. Les intérêts de dizaines de millions d'ouvriers et de paysans sont sacrifiés à seule fin d'assurer les profits d'une poignée de riches.
Comment nos socialistes-révolutionnaires et nos mencheviks réagissent-ils devant cette révoltante mystification du peuple ? Peut-être ont-ils lancé un appel aux ouvriers et aux paysans pour leur dire qu'après cela, la place de Kérensky et de ses collègues est en prison et non ailleurs ?
A Dieu ne plaise ! Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, représentés par leur « section économique », se sont bornés à adopter la résolution comminatoire que nous avons déjà mentionnée ! Ils y déclarent que la hausse du prix du blé décrétée par le gouvernement de Kérensky est une « mesure funeste qui porte un rude coup tant à, l’œuvre du ravitaillement qu'à l'ensemble de la vie économique du pays » et que ces mesures funestes ont été appliquées en « violation » flagrante de la loi !!
Voilà les résultats de la politique de conciliation, de la tactique de flirt et de « ménagement » à l'égard de Kérensky.
Le gouvernement viole la loi en adoptant, pour plaire aux riches, aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes, une mesure qui ruine toute l'oeuvre de contrôle, de ravitaillement et d'assainissement des finances on ne peut plus ébranlées; et les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks continuent à préconiser l'entente avec les milieux industriels et commerciaux, à conférer avec Térechtchenko, à ménager Kérensky. Et ils se bornent à consigner leur protestation dans une résolution de papier que le gouvernement classe le plus tranquillement du monde !!
Voilà où apparaît dans toute son évidence cette vérité que les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks ont trahi le peuple et la révolution, et que ce sont les bolcheviks qui deviennent les vrais chefs des masses, même de celles qui suivent les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks.
Car c'est la conquête du pouvoir par le prolétariat, avec le parti bolchevique à sa tête, qui seule pourrait mettre fin aux infamies perpétrées par Kérensky et consorts, et remettre en marche les organisations démocratiques de ravitaillement, d'approvisionnement, etc., dont Kérensky, et son gouvernement sabotent le fonctionnement.
Les bolcheviks s'affirment - l'exemple cité le montre avec une clarté parfaite - comme les. représentants des intérêts du peuple entier, qui luttent pour assurer le ravitaillement et l'approvisionnement, pour satisfaire les besoins les plus immédiats des ouvriers et des paysans, en battant la politique hésitante et irrésolue des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks, qui est une vraie trahison et dont l'application a conduit le pays à cette honte qu'est la hausse du prix du blé !
Notes
[1] « Svobodnaïa Jizn » [La Vie libre], journal d'orientation menchévique, parut à Petrograd du 2 (15) au 8 (21) septembre 1917 en remplacement du journal Novaïa Jizn temporairement interdit.