1917

Rédigé le 26 mars (8 avril) 1917                            
Publié pour la première fois en 1924 dans le 3-4 de la revue «Bolchévik»
Conforme au manuscrit

Œuvres t. 23, pp. 369-371, Paris-Moscou


Lénine

Lettres de loin


 

Lettre 5

Les tâches de l'organisation prolétarienne révolutionnaire de l'Etat

 

Dans les lettres précédentes, les tâches actuelles du prolétariat révolutionnaire de Russie ont été formulées comme suit : (1) savoir aborder par la voie la plus sûre l'étape suivante de la révolution ou la deuxième révolution, qui (2) doit faire passer le pouvoir d'Etat des mains du gouvernement des grands propriétaires fonciers et des capitalistes (les Goutchkov, les Lvov, les Milioukov, les Kérenski) dans celles du gouvernement des ouvriers et des paysans pauvres. (3) Ce gouvernement doit s'organiser sur le modèle des Soviets des députés ouvriers et paysans, autrement dit, (4) il doit démolir, éliminer totalement la vieille machine d'Etat propre à tous les pays bourgeois - armée, police, corps des fonctionnaires, en la remplaçant, (5) par une organisation du peuple en armes qui n'aurait pas seulement un caractère de masse, mais engloberait le peuple entier. (6) Seul un tel gouvernement, «tel» par sa nature de classe («la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie») et par ses organes d'administration («la milice prolétarienne») est en mesure de résoudre efficacement le problème essentiel de l'heure, problème extrêmement difficile et absolument urgent, qui consiste à obtenir la paix, non pas une paix impérialiste, ni un marché conclu entre puissances impérialistes pour le partage du butin pillé par les capitalistes et leurs gouvernements, mais une paix vraiment durable et démocratique, qui ne peut être réalisée sans que la révolution prolétarienne n'éclate dans plusieurs pays. (7) En Russie, la victoire du prolétariat n'est possible dans l'avenir le plus proche que si sa première démarche permet d'assurer aux ouvriers l'appui de l'immense majorité des paysans en lutte pour la confiscation de toute la grande propriété foncière (et la nationalisation de toute la terre, si l'on admet que le programme agraire des «104» [1] est resté, quant au fond, celui de la paysannerie). (8) C'est en liaison avec cette révolution paysanne et sur sa base que deviennent possibles et indispensables les initiatives ultérieures du prolétariat, allié aux éléments pauvres de la paysannerie, en vue de contrôler la production et de répartir les produits les plus importants, d'introduire le «service obligatoire du travail», etc. Ces mesures sont imposées, avec une nécessité absolue, par la situation résultant de la guerre et que l'après-guerre ne fera qu'aggraver encore à maints égards ; envisagées dans leur ensemble et dans leur évolution, elles constitueraient une transition vers le socialisme, lequel ne saurait être instauré en Russie directement, d'emblée, sans mesures transitoires, mais est parfaitement réalisable et s'impose impérieusement à la suite de telles dispositions. (9) La tâche de former spécialement et sans délai dans les campagnes des Soviets de députés ouvriers, c'est-à-dire des Soviets d'ouvriers salariés agricoles, distincts de ceux des autres députés paysans, est d'une nécessité pressante.

Tel est, en bref, le programme que nous avons esquissé, compte tenu des forces de classe dans la révolution russe et mondiale, et aussi de l'expérience de 1871 et de 1905.

Essayons maintenant de jeter un coup d'œil d'ensemble sur ce programme et analysons, chemin faisant, la position en cette matière de Kautsky, le plus grand théoricien de la «IIe» Internationale (1889-1914) et le représentant le plus en vue de la tendance, observée dans tous les pays, du «centre», du «marais», qui oscille entre les social-chauvins et les internationalistes révolutionnaires. Kautsky a abordé ce sujet dans sa revue Temps Nouveaux (Die Neue Zeit, n° du 6 avril 1917 nouveau style), dans l'article intitulé «Perspectives de la révolution russe ».

«Nous devons avant tout, écrit Kautsky, élucider les tâches qui se posent au régime prolétarien révolutionnaire» (en ce qui concerne l'organisation de l'Etat).

«Deux choses, poursuit l'auteur, sont extrêmement urgentes au prolétariat : la démocratie et le socialisme.»

Cette thèse absolument incontestable, Kautsky la présente malheureusement sous une forme si générale qu'en fait, elle n'apporte et n'élucide rien du tout. Milioukov et Kérenski, membres d'un gouvernement bourgeois et impérialiste, souscriraient volontiers à cette thèse générale, l'un à sa première partie, l'autre à la seconde... [2]


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Projet agraire présenté par 104 députés paysans à la première Douma (1906) comme à la seconde (1907), exigeant la nationalisation de toutes les terres et leur mise à la disposition de comités locaux, élus suivant des principes parfaitement démocratique.

[2]. Le manuscrit s'interrompt ici. (N.R.)


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