1920

Source : numéro 47/48 du Bulletin communiste (première année), 9 décembre 1920. D'après Maurice William, le texte a été publié en anglais en octobre 1920 dans The Russian Press Review, N° 5 (The social interpretation of history; a refutation of the Marxian economic interpretation of history, New York, 1921, p.388).


Aux socialistes des États-Unis

Comité Exécutif de l'Internationale Communiste



Chers camarades,

La notification officielle envoyée par le Parti Socialiste des États-Unis, concernant son adhésion à l'Internationale Communiste, et accompagnée de la motion adoptée par voie de referendum, a été présentée au Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

Nous sommes donc en possession du compte rendu du Congrès National du Parti Socialiste qui s'est tenu à New-York en mai 1920 ; ce rapport contient notamment la motion sur les relations internationales, que le Congrès a adoptée au lieu et place de celle que le référendum avait précédemment acceptée, et qui a été présentée comme motion d'une minorité ; nous possédons de même une seconde motion minoritaire, celle du groupe de Victor Berger.

Étant donné que ces motions seront encore une fois soumises au référendum, il nous paraît nécessaire de les examiner toutes les trois.

Tout ce que l'on peut dire de la motion de Berger, c'est d'abord qu'elle est dans une honnête mesure réactionnaire ; c'est ensuite que nous sommes surpris qu'on puisse proposer une pareille motion au congrès d'un parti qui se déclare socialiste.

Quant à la motion de la minorité (laquelle, si l'on en excepte l'opinion de George Lansbury relative aux idées de Lénine sur les conditions d'affiliation à l'Internationale Communiste, ressemble en tous points à la motion adoptée par voie de référendum), il faut en parler davantage.

Cette motion commence par un long préambule condamnant la IIIe Internationale,— formule tellement vulgarisée, même parmi les partis de droite, qu'elle a perdu toute portée. Le passage concernant l'Internationale Communiste est ainsi rédigé (les italiques sont de nous) :

« C'est pourquoi le Parti Socialiste des Etats-Unis déclare soutenir la IIIe Internationale (de Moscou), non qu'il approuve les programmes et méthodes de Moscou, mais parce que :

  1. « Moscou » agit de manière à combattre efficacement l'impérialisme mondial ;

  2. « Moscou » est en butte aux attaques des forces coalisées du capitalisme mondial parce que c'est une force prolétarienne ;

  3. Vu ces circonstances, quoique nous puissions dire plus tard à Moscou, il est du devoir des socialistes de le soutenir aujourd'hui, parce que sa chute marquerait celle des espérances fondées par les socialistes dans les années à venir. »

Les motifs que l'on invoque pour adhérer à l'Internationale Communiste n'ont rien de commun avec le Communisme et impliquent des réserves vraiment trop sérieuses concernant ce que l'auteur de la motion dénomme « Programmes et méthodes do Moscou », — par quoi il faut entendre, selon nous, précisément le communisme.

Certes, il est fort agréable d'avoir mérité la sympathie du Parti Socialiste Américain pour cette raison que l'Internationale Communiste est « en butte aux attaques des forces coalisées du capitalisme mondial ». Il est toutefois bien difficile d'admettre que ce soit là un motif de quelque valeur, pour qu'un parti consente à adhérer à l'Internationale Communiste, ou bien pour que l'Internationale Communiste accepte cette adhésion. Mais on ne donne pas d'autre raison, sinon que l'Internationale Communiste « agit de manière à combattre efficacement l'impérialisme mondial » ; c'est un mérite que bien certainement l'auteur préférerait avoir à accorder au prolétariat américain.

Cette motion est visiblement basée sur un malentendu au sujet du rôle de l'Internationale Communiste. Celle-ci ne saurait être en aucune manière tenue pour une organisation de défense. C'est un organe d'attaque, c'est le Grand État-major de la Révolution mondiale, dont le but est de renverser par la force le régime capitaliste en tous lieux et d'établir la Dictature du Prolétariat. En ce qui concerne les questions de principe et de moyens fondamentaux, il est impossible de deviner ce que les Socialistes Américains « peuvent avoir à dire plus tard à Moscou ».

C'est au contraire l'Internationale Communiste qui a quelque chose à dire aux partis désireux de s'affilier avant de les admettre en son sein. L'Internationale Communiste n'est pas « Moscou », mais une organisation centralisée et disciplinée comprenant actuellement la grande majorité des partis ouvriers révolutionnaires du monde. Le IIe Congrès a réuni les représentants de l'avant-garde révolutionnaire des ouvriers de tous les pays. Les délégués du Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand qui avaient essayé, voici quelques mois à peine, de créer une Internationale « N° 2 ½ », y étaient présents ; on sait que cette Internationale dans laquelle auraient prédominé les partis du centre, serait devenue une base de résistance au communisme un centre de sabotage, dirigé contre la révolution universelle. La même idée anime maintenant les partisans de Hillquit, c'est-à-dire la résolution de la majorité, adoptée par le Congrès du Parti socialiste, avec cette différence que jamais le Parti allemand ou français n'osa se déclarer adversaire de la dictature du prolétariat, ce qu'a fait le Parti Socialiste des Etats-Unis.

Cette honte a été évitée parce que les classes ouvrières du monde entier ont désiré se placer sous l'égide de l'Internationale Communiste et que les chefs du parti du centre qui devaient avancer sous la pression des masses, sont venus aujourd'hui à nous en exprimant leur désir d'être reçus dans l'Internationale Communiste. Cela est encore plus vrai pour les Hillquit et les Lee du parti américain qui, bien qu'ils se soient déclarés opposés aux principes de l'Internationale Communiste, n'osent pas rompre avec elle.

A tous ces partis l'Internationale Communiste répond ainsi :

L'Internationale Communiste n'est pas un hôtel où les voyageurs peuvent s'installer avec leurs bagages et s'occuper de leurs affaires privées. L'Internationale Communiste est une armée en campagne. Les volontaires qui joignent l'armée de la révolution doivent adopter ses principes et obéir eux ordres donnés, se soumettre à la discipline commune. Aucun parti, s'il n'est communiste et révolutionnaire, n'est admis dans l'Internationale Communiste.
Ces volontaires doivent adopter le programme de l'Internationale Communiste comme le leur propre : lutte ouverte révolutionnaire des masses pour le communisme, par la dictature du prolétariat, par la création de soviets ouvriers qui acceptent comme directives obligatoires toutes les résolutions du Congrès et du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Ils doivent créer une forme d'organisation sévèrement centralisée, une discipline militaire : tous les membres du parti travaillant dans les institutions publiques, dans les syndicats ouvriers, agissant dans toutes les branches de l'activité publique, doivent être absolument subordonnés à un Comité Central tout-puissant du parti, qui est l'organe suprême dirigeant, dans toutes ses phases, l'œuvre du parti.
Ils doivent dénoncer constamment la démocratie bourgeoise et le social-patriotisme, de même que la tartuferie du social-pacifisme ; ils doivent systématiquement démontrer aux ouvriers que, tant que le capitalisme n'aura pas été renversé par la Révolution, on aura beau nous parler de désarmement, de Ligue des Nations, d'arbitrage international, l'humanité n'en sera pas moins sous la menace constante d'une nouvelle guerre impérialiste.
Ils doivent, sans perdre un instant, briser avec le réformisme et la politique des centristes ; ils doivent purger leurs rangs de tous les éléments anti-révolutionnaires, de tous les leaders opportunistes ; ils doivent couper court à toutes relations avec les petits-bourgeois et se préparer à une révolution active, à une guerre civile sans merci.

Le compte rendu du Congrès du mois de mai montre que le Parti Socialiste américain se représente très vaguement ses propres tâches.

La déclaration de principes qu'il a adoptée est un affront à la classe ouvrière. Elle suffit, à elle seule, à creuser un abîme entre le Parti Socialiste des Etats-Unis et le mouvement révolutionnaire. Le rejet de la résolution qui préconisait la dictature du prolétariat est incompatible avec le désir d'adhérer à l'Internationale Communiste. Et nous ne connaissons aucun Parti Socialiste qui en soit arrivé à éliminer de ses statuts, comme l'a fait le parti américain deux ans après la guerre mondiale, l'article défendant aux députés du parti au Parlement de voler les crédits de guerre.

Jusqu'à présent le Parti Socialiste américain avait été tenu pour un parti centriste, mais il semble avoir définitivement abandonné toute prétention au socialisme et être résolument entré dans les rangs des réformistes bourgeois, ainsi qu'on peut en juger par la déclaration suivante :

Les desiderata maxima du parti sont de s'assurer la majorité au Congrès et dans les Parlements, d'occuper les principales fonctions dans le domaine de l'exécutif et du législatif, de devenir le parti politique le plus puissant du pays avec droit de contrôle d'État, tout cela en vue de réaliser le régime socialiste.

Si c'est cette conception des tâches du Parti Socialiste qui, enfantine et surannée, n'en est pas moins proclamée par la 2e Internationale Jaune (laquelle est, remarquons-le bien, reniée avec indignation par le Parti américain), si c'est là l'honnête attitude des membres du Parti Socialiste des Etats-Unis, après toutes leurs promesses, après l'expérience de la grande guerre, après les persécutions auxquelles ont été soumis les révolutionnaires, après l'expulsion des socialistes à Albany, — s'il en est ainsi, nous ne pouvons pas comprendre pourquoi le Parti a exprimé le désir d'adhérer à l'Internationale Communiste. Il ferait mieux de sa rallier à ta Ligue des Nations — comme d'ailleurs le voudrait Meyer London. Les partis du centre, comme le parti indépendant allemand et le parti socialiste français, ont vu se fermer devant eux les portes de l'Internationale Communiste. Et, cependant, ils admettent l'action des Soviets. Un parti qui, jusqu'à présent, défend le principe de la démocratie, est mille fois plus pernicieux que ces partis-là. C'est un parti contre-révolutionnaire scheidemannien.

Le Congrès se composait surtout d'éléments centristes et réactionnaires, de politiciens réformistes jaunes comme Hillquit, Lee, Stedman, O'Neal, Block, Panken ; des « cent pour cent » Meyer London et Solomon ; de « socialistes d'Etat » et de social-patriotes jurés, tels que Victor Berger, Cannon1, Saltis, Karlin, qui ne peuvent, en aucune façon,faire partie d'une organisation affiliée à l'Internationale Communiste. Il y avait-la une « gauche » avec Engdahl, Kruse, Tucker, Holland et d'autres, qui avaient exigé l'affiliation à l'Internationale Communiste et une révision dans l'esprit révolutionnaire des statuts du parti, mais ce groupe ne présentait qu'une infime minorité, aux idées confuses faites de compromis, de lâchetés, de préjugés petits-bourgeois. Pas une voix de communiste ne se fit entendre à ce Congrès.

Mais là où l'esprit réactionnaire se fit sentir le plus, ce fut dans la manière d'étouffer les débats et d'éluder les questions concernant la défense des membres du Congrès socialiste expulsés d'Albany.

Très caractéristique est le témoignage du délégué Louis Waldman qui, tout en étant membre du Parti Socialiste, se déclare opposé à l'établissement du pouvoir des Soviets aux Etats-Unis et préférerait à ce dernier un gouvernement pareil à celui de l'État de New-York, qui est, paraît-il, un « gouvernement du peuple » et non un « gouvernement capitaliste » ; naturellement, quand il le faudra, il invitera les ouvriers à prendre part à une guerre défensive, il votera les crédits militaires, etc...

Mais ceci n'est peut-être qu'une opinion personnelle. Prenez ce manifeste officiel du Parti qu'est la « Lettre aux délégués socialistes », ce document préconise l'admission au Congrès d'éléments étrangers au parti, qui sont les « électeurs de l'avenir » et se hâte d'énoncer un nouveau statut suivant lequel tout membre du parti doit être avant tout un citoyen. Il n'admet pas comme moyen d'action la grève générale, par ce que, y est-il déclaré, il y a assez d'ouvriers pour pouvoir gagner telle ou telle réforme politique par le suffrage universel. Et plus loin : « Le pouvoir des Soviets semble s'imposer en Russie, de même le pouvoir parlementaire s'impose aux Etats-Unis »... Mais la plus grande trahison au socialisme apparaît dans le passage où sont exposés les motifs pour lesquels le parti soutient le gouvernement des Soviets. « Nous sympathisons avec les ouvriers russes, les paysans russes, les socialistes russes, les communistes et par conséquent avec leur gouvernement des Soviets, non pas parce que c'est un gouvernement des Soviets, mais parce que c'est un gouvernement de leur choix. Supposons qu'ils eussent adopté toute autre forme de pouvoir, par exemple que l'Assemblée Constituante ait pu prendre corps, nous n'hésiterions pas une minute à la soutenir. »

N'est-ce pas cela, par hasard, que les socialistes américains « auront à dire plus tard à Moscou ? » Noske et Mannerheim, Lloyd George et Wilson auraient pu souscrire aux vœux formés par ce raisonnement de fumistes.

Les « socialistes » conseillers municipaux de New-York qui ont voté pour l'Emprunt de la Liberté, qui ont voté les crédits nécessaires pour l'érection de la statue de la Victoire ; le « socialiste », membre du Congrès, Meyer London qui a envoyé ses félicitations au roi d'Italie à l'occasion de son anniversaire et qui vota les crédits de guerre ; les « socialistes » du gouvernement d'Albany qui se sont ouvertement déclarés les ennemis du Communisme ; les « socialistes » du district de Milwaukee qui ont emprisonné des ouvriers à seule fin d'empêcher une réunion religieuse ; les fonctionnaires « socialistes » de Chicago qui ont eu recours à la police pour disperser le Congrès de 1919, tous ces « camarades », si étrange que cela puisse paraître, sont membres du P. S. des Etats-Unis ; ce sont eux qui, de fait, ont créé la physionomie du Congrès de mai. On nous objectera peut-être que l'élection au Bureau d'Eugene V. Debs prouve que le P. S. américain est un parti révolutionnaire. Mais, selon nous, ce n'est là que la tactique habituelle des partis du Centre, qui tirent profit des phrases révolutionnaires et des individualités révolutionnaires pour duper les masses ouvrières, pour les amener à suivre les leaders de l'opportunisme. Le camarade Debs est un révolutionnaire émérite : mais il est d'autant plus honteux aux leaders du parti américain d'avoir exploité l'incarcération de Debs pour atteindre leurs propres fins, qui n'avaient rien de révolutionnaire.

Dans aucun pays du monde, la persécution des Communistes, des véritables socialistes, n'a été aussi acharnée que celle exercée par les capitalistes américains. Des milliers de nos camarades ont été bannis, incarcérés pour de longs mois, écharpés et lynchés.

L'Amérique est le seul pays du monde où le Communisme soit un mouvement illégal et doive mener sa propagande sous le manteau ; le seul où les Communistes risquent chaque jour de perdre non seulement leur liberté, mais leur vie.

Le parti socialiste des Etats-Unis adhère à ce régime de terreur. Il veut de toutes les façons prouver son impuissance à lutter contre la dictature du capitalisme et il faut dire qu'il y réussit complètement. Laissant passer sans mot dire l'expulsion de ses représentants du Congrès et des fonctions d'Etat, il ne trouve pas assez de louanges à l'adresse du gouvernement et défend chaque jour plus chaleureusement le système de l'Etat bourgeois, espérant ainsi échapper aux conséquences possibles d'une lutte à chances inégales pour la classe ouvrière et contre le capitalisme. Et le Congrès du parti rejette une résolution exprimant la sympathie de celui-ci aux camarades Larkin et Gitlow, soldats de la révolution, faits prisonniers par l'ennemi sur le front de la guerre sociale.

Si la majorité du Parti Socialiste Américain adopte les résolutions proposées par le Congrès, nous n'aurons qu'une chose à dire à ceux des ouvriers honnêtes qui persistent à demeurer dans le Parti :

Vous avez été dupes. Le Parti Socialiste des États-Unis n'est pas un parti de la classe ouvrière, mais un soutien de la bourgeoisie américaine, du capitalisme universel. Loin de vous conduire au socialisme, il vous livre pieds et poings liés à la contre-révolution.
Ouvriers ! quittez le Parti Socialiste américain ! C'est votre ennemi autant que le nôtre. Il y a en Amérique un seul parti révolutionnaire, c'est le Parti Communiste unifié, la branche américaine de l'Internationale Communiste. Des milliers de ses membres ont été les martyrs de la Révolution. Voilà les camarades qu'il nous faut. Voilà le vrai parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Ralliez-vous au Parti Communiste Unifié. Quant aux leaders, aux chefs responsables du Parti Socialiste des Etats-Unis, tous les Berger, les Hillquit, les London, les Lee, nous n'avons qu'une chose à leur dire : « Vous avez déshonoré le Socialisme et maintenant vous exprimez le désir d'adhérer à l'Internationale Communiste ; nous vous répondons en vous déclarant la guerre, traîtres à la classe ouvrière, qui de la révolution mondiale avez déserté nos rangs et êtes passés à l'ennemi pour sauver votre peau ! »

Le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

Note

1 Joseph D. Cannon, à ne pas confondre avec le communiste et futur trotskyste James P. Cannon. (Note de la MIA)


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