1920

Source : numéro 21 du Bulletin communiste (première année), 29 juillet 1920. Le sous-titre et la date proviennent du recueil de Jane Degras The communist International 1919-1943 – Documents.

Aux prolétaires de tous les pays 

Manifeste du CEIC à propos de l'attaque polonaise contre la Russie

18 mai 1920


Ouvriers de tous les pays !

De nouveau, le sang coule en Orient ! De nouveau, des opérations militaires ruinent de vastes régions ; de nouveau les masses qui aspirent à la paix, au travail créateur, à la régénération et à la reconstruction de leur Etat, sont forcées à combattre. L'offensive de la Pologne capitaliste et bourgeoise contre la Russie socialiste interrompt, de nouveau, la travail pacifique que les ouvriers et les paysans russes ont commencé après avoir défait les agents du capitalisme mondial — Koltchak, Denikine et Youdénitch — et conquis définitivement les terres, les fabriques et les usines des propriétaires et des bourgeois.

A qui est la faute de ces nouveaux crimes ? Vous savez que le Pouvoir Soviétiste avait reconnu l'indépendance de la Pologne dès le premier jour où cet État fut créé. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste a fait, à maintes reprises, des propositions de paix au gouvernement polonais. Vous savez que le pouvoir soviétiste, en ménageant le sang des ouvriers russes et polonais, était toujours prêt à des concessions territoriales et économiques. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste, étant sûr que les ouvriers polonais, alliés du prolétariat russe, prendront, tôt ou tard le pouvoir entre leurs mains, consentait même à concéder aux classes dirigeantes polonaises des territoires qui ne peuvent appartenir à la Pologne pour des raisons purement ethnographiques. Vous savez aussi que le gouvernement soviétiste consentait à ce que la conférence de paix fût tenue non seulement à Varsovie, mais même à Paris ou à Londres, dans une de ces capitales bourgeoises, si étroitement liées avec les capitalistes et les propriétaires polonais. Mais à toutes les propositions de paix du gouvernement soviétiste, la Pologne a répondu par une offensive félonne contre l'Ukraine, offensive qui a pour mot d'ordre le rétablissement du pouvoir de Petlioura, de cet aventurier qui se vendait tantôt aux impérialistes alliés, tantôt aux impérialistes allemands, et qui se met maintenant au service des propriétaires polonais, oppresseurs séculaires du peuple ukrainien. La Pologne n'a commencé la guerre que pour imposer à la Russie, ruinée par les incessantes attaques des capitalistes alliés, une énorme contribution territoriale et pécuniaire.

Mais la faute de cette guerre est non seulement aux propriétaires et capitalistes polonais, elle est aussi aux gouvernements de l'Entente. Ce sont eux qui ont armé et qui arment toujours la Pologne blanche. Tout en traitant avec le gouvernement soviétiste la question du rétablissement des relations commerciales avec la Russie, les impérialistes alliés ne perdent pas l'espoir de briser le pouvoir des ouvriers et des paysans de la Russie soviétiste. L'Entente estime que la République des Soviets commencera à se décomposer politiquement dès qu'elle aura entamé des rapports commerciaux réguliers avec l'Europe ; en même temps, elle espère anéantir la Russie soviétiste par un coup qu'elle cherche à lui porter par la main d'un pays étranger quelconque. Les impérialistes alliés croient toujours qu'ils pourront écraser le prolétariat russe et le ramener de nouveau à l'esclavage, s'ils lancent contre lui de nouvelles hordes contre-révolutionnaires. Les capitalistes français ont envoyé à la Pologne non seulement des armes, en quantité énorme, mais encore 600 officiers (sous les ordres du général Henry) qui aideront les officiers polonais mal instruits à attaquer la Russie soviétiste. D'un seul mot, mais catégorique et ferme, le gouvernement anglais aurait pu empêcher cette guerre, en déclarant : « Assez de guerres, assez de destructions ! La Russie est une source inépuisable de matières brutes et le monde entier en a besoin. ». Mais le gouvernement de Lloyd George, qui fait appel, dans ses notes au gouvernement soviétiste, aux sentiments d'humanité et qui exige l'amnistie pour tous les contre-révolutionnaires d'Arkhangel et de Crimée, le gouvernement de Lloyd George n'a pas voulu dire que c'était assez de sang et de larmes. Les bandits polonais ont promis à Lloyd George de lui envoyer de l'Ukraine occupée du blé et des matières premières, et cette promesse avait suffi pour que le gouvernement britannique, tout en poursuivant ses pourparlers avec la Russie soviétiste relativement au rétablissement des rapports commerciaux, autorisât la Pologne blanche à attaquer la république soviétiste. Le gouvernement italien de Nitti, qui a une peur bleue des masses révolutionnaires italiennes et qui profite de toute occasion pour manifester au peuple russe ses sentiments d'amitié, le gouvernement italien, au lieu de protester contre l'offensive de la Pologne blanche, lui envoie des armes par l'intermédiaire de l'Autriche. Quant au gouvernement américain, on le connaît bien. Les aviateurs américains bombardent les villes ukrainiennes. La faute de cette guerre est aux gouvernements de tous les pays alliés qui soutiennent tous, plus ou moins, les bandits et les voleurs polonais.

Ouvriers de tous les pays !

La Russie soviétiste aura raison des bandits sans vergogne de l'impérialisme polonais, comme elle a déjà eu raison de Youdénitch, de Koltchak et de Dénikine, que vos gouvernements avaient soutenus non moins énergiquement. Après les premières victoires très faciles que les légions polonaises ont remportées en Ukraine, elles auront à essuyer la colère des ouvriers et des paysans de toute la Russie et même celle des masses sans-parti qui comprennent maintenant que le gouvernement soviétiste est le véritable défenseur de l'indépendance du grand pays. Mais il s'agit de savoir, quelle sera la durée de cette guerre, combien de richesses seront encore anéanties et combien de blessures nouvelles aura encore à guérir le peuple russe. Il ne dépend que de vous, ouvriers de tous les pays, que cette guerre finisse, le plus vite possible, par une débâcle des capitalistes et des propriétaires polonais. Ouvriers des fabriques de munitions de guerre de la France, de l'Angleterre, de l'Italie et de l'Amérique ! Ne fabriquez pas un seul fusil, un seul canon pour la Pologne. Ouvriers des transports, cheminots, chargeurs et matelots ! Empêchez qu'on envoie à la Pologne des munitions et des vivres qui aideront les blancs à faire la guerre à la Russie soviétiste.

Ouvriers de tous les pays alliés ! Organisez des manifestations et des grèves et parcourez les rues de vos villes avec des drapeaux portant comme devise ces mots : « Pas de concours à la Pologne blanche ! » Les alliés doivent museler leurs chiens de chasse — les capitalistes et les propriétaires polonais — et conclure une paix honnête avec la Russie soviétiste.

Ouvriers de l'Allemagne et de l'Autriche ! Vous savez que la Russie soviétiste est la base de la révolution mondiale et qu'il n'y a que cette révolution qui puisse vous libérer du joug de vos propres capitalistes et de la corde que les traités de paix de Versailles et de Saint-Germain ont passée à votre cou.

Cheminots allemands ! Arrêtez tous les trains qui se rendent de France en Pologne. Ouvriers du port de Dantzig ! Ne déchargez pas les steamers à destination de la Pologne. Cheminots autrichiens ! Pas un train ne doit passer de l'Italie en Pologne. Ouvriers de la Roumanie, de la Finlande et du pays letton ! Vos gouvernements blancs, qui se sont liés par des traités secrets avec les propriétaires polonais, peuvent vous entraîner dans cette guerre. Soyez prudents et faites votre possible pour empêcher cette honte.

Ouvriers de la Pologne ! Une lutte commune de trente ans vous lie avec le prolétariat russe ; il est donc inutile de vous rappeler votre devoir. Vous le faites consciencieusement : vous organisez des manifestations et des grèves et vous exigez la paix avec la Russie soviétiste, en participant ainsi à notre lutte qui vous coûte déjà des milliers de victimes. C'est avec fierté que vous regarde la 3e Internationale, dont les fondateurs comptent dans leurs rangs Rosa Luxemburg et Jean Tyszkevicz ; la 3e Internationale est sûre que vous tendrez, à l'heure qu'il est, tous vos efforts pour attaquer la Pologne blanche sur ses arrières et pour remporter, avec le concours des ouvriers de la Russie, une victoire décisive sur les capitalistes et propriétaires polonais ! Vous savez que ce n'est pas l'esclavage que la Russie soviétiste apporte à la Pologne, mais la liberté nationale, l'émancipation de l'oppression du capitalisme allié et un secours puissant dans votre lutte contre vos propres capitalistes. La victoire de la Russie ouvrière et paysanne sera aussi celle du prolétariat polonais, qui est le frère et l'allié des ouvriers et des paysans russes. Attaquez donc, ouvriers, polonais ! C'est votre combat final ! Le jour approche où la justice de votre pays sera entre vos mains.

A bas les capitalistes et propriétaires polonais ! Vive la Russie soviétiste des ouvriers et des paysans ! A bas la guerre ! Vive la paix entre les peuples qui travaillent de la Russie et de la Pologne ! A bas le jeu criminel des gouvernements alliés ! Vive la révolution prolétarienne internationale !

Le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste


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