1910

Rudolf Hilferding

Le capital financier

QUATRIEME PARTIE - LE CAPITAL FINANCIER ET LES CRISES

CHAPITRE XVI - LES CONDITIONS GENERALES DE LA CRISE

1910

C'est une loi d'expérience que la production capitaliste est prise dans un mouvement cyclique de prospérité et de dépression, où le passage d'une phase à l'autre s'accomplit de façon critique. A un certain moment de la période de prospérité, on assiste dans toute une série de branches de production à un arrêt des ventes, en suite de quoi les prix baissent. Arrêt des ventes et baisse des prix font tache d'huile, la production est réduite. Cela dure plus ou moins longtemps, les prix et les profits sont bas. Puis, peu à peu, la production s'accroît, les prix et les profits augmentent, les dimensions de la production sont plus grandes que jamais, jusqu'à ce qu'une nouvelle crise se produise. Le retour périodique de ce phénomène oblige à se demander quelles en sont les causes, que seule peut dégager une analyse du mécanisme de la production capitaliste.

La possibilité de la crise est donnée par la double transformation de la marchandise en marchandise et en argent. Cela implique que le flot de la circulation peut être interrompu si l'argent, au lieu d'être employé à la circulation des marchandises, est mis de côté et thésaurisé. Le processus M1 - A - M2 s'arrête, parce que l'argent, qui a réalisé la marchandise M1, ne réalise pas lui-même M2. Celle-ci reste invendable, et nous avons ainsi l'arrêt des ventes.

Mais aussi longtemps que l'argent ne fonctionne que comme moyen de circulation, que la marchandise s'échange directement contre de l'argent et celui-ci à son tour contre une marchandise, la thésaurisation peut n'être qu'un phénomène isolé, qui signifie qu'une certaine marchandise est invendable, mais non un arrêt général des ventes. Il n'en est plus de même avec le développement de la fonction de l'argent comme moyen de paiement. L'arrêt de la vente signifie maintenant que le paiement promis ne peut être effectué. Mais cette promesse de paiement a servi, nous l'avons vu, comme moyen de circulation ou de paiement pour toute une série d'autres échanges. L'enchaînement des personnes tenues à paiement, qui fait de l'argent un moyen de paiement, est brisé, et l'arrêt sur un point se répercute sur tous les autres, devient général. Ainsi le crédit de paiement développe une solidarité des branches de production et donne la possibilité que l'arrêt partiel des ventes se transforme en un arrêt total.

Mais cette possibilité générale de la crise n'est que sa signification générale : sans circulation de l'argent et sans le développement de la fonction de l'argent en tant que moyen de paiement, la crise est impossible. Cependant, possibilité n'est pas encore, et de loin, réalité. La simple production de marchandises ou, plus exactement, la production de marchandises pré-capitaliste, ne connaît pas de crises ; les troubles de l'économie ne sont pas des crises économiques au sens propre du terme, mais des catastrophes qui découlent de causes particulières, naturelles ou historiques, par conséquent fortuites du point de vue économique, telles que mauvaises récoltes, sécheresse, épidémies, guerres, etc. Leur caractéristique économique est qu'elles découlent d’un déficit de la reproduction, mais non pas d'une surproduction quelconque. Cela se comprend si l'on songe que cette production n'est encore essentiellement qu'une production pour les besoins immédiats, que la production et la consommation sont liées comme moyen et comme but et que la circulation des marchandises joue un rôle relativement faible. Car c'est seulement la production capitaliste qui généralise la production des marchandises, laisse le plus de produits possible prendre la forme de la marchandise et - facteur décisif - fait de la vente de la marchandise la condition préalable de la reprise de la reproduction 1.

Mais cette transformation des produits en marchandises rend les producteurs dépendants du marché et fait de l'irrégularité de la production, qui se manifeste déjà en principe dans la simple production de marchandises, du fait de l'indépendance des exploitations privées, cette anarchie de la production capitaliste qui constitue, avec la généralisation de ce système et l'élargissement des marchés locaux, dispersés en un vaste marché mondial, la deuxième condition générale des crises.

La troisième condition générale des crises, le capitalisme la crée en séparant la production de la consommation. Il sépare d'abord la production de son produit et le réduit à cette partie du produit de valeur équivalent à la valeur de la force du travail. Il crée ainsi dans les salariés une classe dont la consommation n'est en aucun rapport direct avec la production globale, mais seulement avec cette partie de la production qui est égale au capital salaires. Cependant, le produit que créent les salariés n'est pas leur propriété. C'est pourquoi leur production n'a pas pour but leur consommation. Au contraire, leur consommation dépend de la production, sur laquelle ils n'exercent aucune influence. La production des capitalistes n'a pas pour objectif la satisfaction des besoins, mais le profit. La réalisation et l'accroissement du profit sont l'objectif immanent de la production capitaliste. Cela signifie que pour le sort de la production, ses dimensions, sa diminution ou son accroissement, l'élément décisif, ce n'est pas la consommation et son accroissement, mais la réalisation du profit. On produit pour obtenir un certain profit, un certain degré de mise en valeur du capital. La production dépend ainsi, non de la consommation, mais du besoin de mise en valeur du capital, et une aggravation de cette possibilité de mise en valeur signifie une diminution de la production.

Il reste encore dans le mode de production capitaliste un lien général entre production et consommation, qui est certes, en tant que condition naturelle, commun à tous les régimes sociaux. Mais, tandis que dans l'économie naturelle, destinée à couvrir les besoins, la consommation détermine l'extension de la production, qui dans ces conditions ne trouve ses limites que dans l'état de la technique auquel on est parvenu, dans la production capitaliste, au contraire, la consommation est déterminée par les dimensions de la production. Mais celle-ci est limitée par la possibilité de mise en valeur du capital, la nécessité pour ce dernier de produire un taux de profit déterminé. L'élargissement de la production se heurte ici à une barrière purement sociale, propre à cette structure sociale déterminée et à elle seule. La possibilité de la crise découle certes déjà de la possibilité de la production irrégulière, par conséquent de la production de marchandises, d'une façon générale, mais sa réalité uniquement d'une production non réglée qui supprime en même temps le rapport direct production-consommation caractérisant d'autres régimes sociaux et introduit entre la production et la consommation la condition de la mise en valeur du capital à un taux chaque fois déterminé.

L'expression « surproduction de marchandises » est, d'une façon générale, aussi vide de sens que celle de « sous-consommation ». On ne peut parler de sous-consommation que dans un sens physiologique l'expression n'a en revanche aucun sens en économie politique, où elle pourrait signifier seulement que la société consomme moins qu'elle n'a produit. Mais on ne voit pas comment c'est possible si l'on a produit dans les dimensions voulues. Etant donné que le produit total est égal au capital constant, plus le capital variable, plus la plus-value, (c + v + p), que v tout comme p sont consumés, que les éléments du capital constant usé doivent se remplacer mutuellement, la production peut être élargie à l'infini sans mener à une surproduction de marchandises, c'est-à-dire à ceci, qu'on a produit plus de marchandises, pour lesquelles sous ce rapport seule la valeur d'usage entrerait en ligne de compte, plus de biens par conséquent qu'on ne pourrait en consommer 2.

Du reste, une chose est claire : comme les crises dans leur succession périodique sont le produit de la société capitaliste, leur cause doit résider dans le caractère même du capital. Il doit s'agir d'un désordre qui découle du caractère spécifique de la société. Mais la base étroite qu'offrent les conditions de consommation à la production capitaliste est une condition générale de la crise parce que l'impossibilité de les élargir est une cause générale de l'arrêt des débouchés. Si la consommation était extensible à volonté, la surproduction ne serait pas possible. Mais, dans la société capitaliste, l'accroissement de la consommation signifie diminution du taux de profit. Car l'accroissement de la consommation des masses est liée à l'augmentation du salaire. Cependant, celle-ci signifie diminution du taux de la plus-value et par conséquent du profit. C'est pourquoi, si la demande d'ouvriers du fait de l'accumulation devient si forte qu'une diminution du taux de la plus-value se produit, de telle sorte que, à la limite, le capital accru ne fournirait pas un profit plus grand que le capital non accru, l'accumulation doit s'arrêter, car son objectif, l'accroissement du profit, ne serait pas atteint. A ce moment précisément, une des conditions nécessaires de l'accumulation, à savoir l'accroissement de la consommation, entre en contradiction avec l'autre : la réalisation du profit. Les conditions de mise en valeur du capital se rebellent contre l'accroissement de la consommation et, comme elles sont déterminantes, la contradiction s'aggrave jusqu'à la crise. Mais la base étroite de la consommation n'est précisément pour cette raison qu'une condition générale de la crise, qu'on ne peut absolument pas expliquer par la « sous-consommation ». Et encore moins son caractère périodique, puisqu'une périodicité ne peut être expliquée en général par un phénomène permanent. Ceci n'est pas du tout en contradiction avec ce que dit Marx :

« La masse globale des marchandises, le produit global, aussi bien la partie qui remplace le capital constant et le capital variable, que celle qui constitue la plus-value, doit être achetée. Si cela ne se produit pas, ou seulement en partie, ou seulement à des prix inférieurs au coût de production, l'ouvrier est bien exploité, mais son exploitation ne se réalise pas en tant que telle pour le capitaliste, ne peut être liée à aucune réalisation ou seulement à une réalisation partielle de la plus-value extorquée, et est même liée à une perte partielle ou totale de son capital. Les conditions de l'exploitation directe et de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles varient, non seulement dans le temps et l'espace, mais aussi abstraitement. Les unes sont limitées uniquement par la force productive de la société, les autres par la proportionnalité des différentes branches de production et la capacité de consommation de la société. Celle-ci n'est déterminée, ni par la capacité de production absolue, ni par la capacité de consommation absolue, mais par la capacité de consommation sur la base des conditions de distribution antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum ne variant que dans les limites très étroites. Elle est limitée en outre par la tendance à l'accumulation, à l'accroissement du capital et à la production de plus-value sur une échelle élargie. C'est la loi de la production capitaliste, donnée par les révolutions constantes dans les méthodes de production elles-mêmes, la dépréciation continue du capital existant qu'elles entraînent, la lutte générale pour la concurrence et la nécessité d'améliorer la production et d'en élargir la base, simplement comme moyen de se maintenir et au risque de se perdre. C'est pourquoi le marché doit être constamment élargi, de telle sorte que ses rapports et les conditions qui les régissent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs, soient de plus en plus incontrôlables. La contradiction interne cherche sa solution dans un élargissement du champ extérieur de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec la base étroite sur laquelle reposent les rapports de consommation. Il n'y a sur cette base contradictoire absolument aucune contradiction que l'excédent de capital soit lié à un excédent croissant de la population, car bien que, si on les rassemblait tous les deux, la masse de la plus-value produite augmenterait, s'accroît précisément par là la contradiction entre les conditions dans lesquelles cette plus-value est produite et celles dans lesquelles elle est réalisée 3. »

La crise périodique est propre au capitalisme, elle ne peut donc s'expliquer que par le caractère même du capitalisme 4.

La crise est, d'une façon générale, un trouble de circulation. Elle se manifeste comme impossibilité à peu près totale d'écouler la marchandise, de réaliser sa valeur (ou son coût de production) en argent. Elle ne peut donc s'expliquer que par les conditions capitalistes spécifiques de la circulation des marchandises, non par les conditions de la simple circulation des marchandises. Mais ce qu'il y a de spécifiquement capitaliste dans la circulation des marchandises est que celles-ci, en tant que produits, sont produites par le capital en tant que capital-marchandises, et doivent être réalisées comme telles. C'est pourquoi cette réalisation implique des conditions propres au capital en tant que tel, à savoir précisément ses conditions de mise en valeur.

L'analyse de ces conditions, tant du point de vue du capital individuel que - et ceci est très important - du point de vue du capital social, Marx l'a fournie dans le tome II du Capital et a réalisé par là une tentative qui, exception faite pour Quesnay, n'a même pas été entreprise par les économistes classiques. Si Marx appelle Le Tableau économique de Quesnay l'idée la plus géniale dont on soit jusqu'ici redevable à l'économie politique classique, sa propre analyse du processus de production social est certainement la mise en application la plus géniale de cette idée géniale, comme d'une façon générale les analyses, auxquelles on a prêté si peu d'attention, du tome II sont, du point de vue de ce qu'on peut appeler la raison économique pure, les plus brillantes de ce livre étonnant. Mais surtout on ne peut comprendre les causes des crises que si l'on se remet en mémoire les résultats de l'analyse marxienne 5.



LES CONDITIONS D'EQUILIBRE DU PROCES DE REPRODUCTION SOCIAL


Si nous résumons les résultats les plus importants de l'analyse marxienne, nous obtenons ce qui suit (en supposant, bien entendu, dans cette étude, une échelle restant la même de la production capitaliste, par conséquent une simple reproduction, et en faisant abstraction de tout changement de valeur ou de prix) :

Le produit total, par conséquent aussi la production totale de la société, se divise en deux grandes sections :

1) moyens de production, marchandises qui possèdent une forme où ils doivent, ou tout au moins peuvent, entrer dans la consommation productive ;

2) moyens de consommation, marchandises qui possèdent une forme où ils passent dans la consommation individuelle de la classe capitaliste et de la classe ouvrière.

Dans chacune de ces sections, le capital se divise en deux parties : capital variable (v) et capital constant (c). Ce dernier à son tour se divise en capital constant fixe et capital constant circulant.

La partie de valeur c, qui représente le capital constant consumé dans la production, ne coïncide pas avec la valeur du capital constant employé dans la production. Le capital fixe n'a transféré qu'une partie de sa valeur sur le produit. Pour ce qui suit, nous ferons abstraction du capital fixe.

Représentons-nous maintenant le produit global marchandises de la façon suivante :

I) 4 000 c + 1 000 v + 1  000 p = 6  000 moyens de production.

II) 2  000 c + 500 v + 500 p = 3  000 moyens de consommation.

Valeur totale : 6 000, d'où est exclu, selon notre hypothèse, le capital fixe continuant à fonctionner dans sa forme naturelle.

Si nous examinons maintenant les échanges nécessaires sur la base de la simple reproduction, où par conséquent toute la plus-value est consommée, et en laissant de côté la circulation d'argent qui les permet, nous constatons trois points importants :

1.) Les 500 v, salaires des ouvriers, et les 500 p, plus-value des capitalistes de la section II, doivent être dépensés en moyens de consommation. Mais leur valeur existe dans les moyens de consommation pour une valeur de 1 000, qui dans les mains des capitalistes, section II, remplacent les 500 v avancés par eux et représentent les 500 p. Salaire et plus-value de la section II sont par conséquent échangés au sein de la section II contre produit II. Ainsi du produit global disparaissent (500 v + 500 p) II, soit 1 000 moyens de consommation.

2.) Les 1 000 v + 1 000 p de la section I doivent être dépensés en moyens de consommation, par conséquent en produit de section II. Ils doivent par conséquent s'échanger contre la partie du capital constant qui reste encore de ce produit, et de montant égal, soit 2 000 c. En échange, la section II reçoit un montant égal de moyens de production, produit de I, où s'incorpore la valeur de 1 000 v + 1 000 p. Ainsi disparaissent du compte 2 000 II c et (1 000 v + 1 000 p) I.

3.) Restent 4 000 I c. Ces derniers consistent en moyens de production, qui ne peuvent être utilisés que dans section I pour remplacer son capital constant consumé, ce qui se produit par échanges mutuels entre les différents capitalistes de I tout comme les v (500 v + 500 p) II par échanges entre les ouvriers et les capitalistes, ou entre les différents capitalistes de II.

Quant au remplacement du capital fixe, il joue un rôle spécial. Une partie de la valeur du capital constant est transférée des moyens de travail sur le produit du travail ; ces moyens de travail continuent de fonctionner en tant qu'éléments du capital productif, et cela sous leur ancienne forme naturelle ; c'est leur usure, la perte de valeur qu'ils subissent peu à peu pendant leur fonction qui se poursuit pendant une période déterminée, qui réapparaît comme élément de valeur des marchandises produites grâce à eux. Or, l'argent, dans la mesure où il dose la partie de la valeur de la marchandise égale à l'usure du capital fixe, n'est pas de nouveau retransformé en la partie du capital productif, dont il remplace la perte de valeur. Il se dépose à côté du capital productif et se maintient sous sa forme d'argent.

Ce dépôt d'argent se répète jusqu'à ce que la période de reproduction, composée d'un nombre plus ou moins grand d'années, soit écoulée, pendant laquelle l'élément fixe du capital constant continue de fonctionner sous son ancienne forme naturelle dans le processus de production. Dès que l'élément fixe : bâtiments, machines, etc., est épuisé, ne peut fonctionner plus longtemps dans le processus de production, sa valeur existe à côté de lui, entièrement remplacée en argent - la somme des dépôts d'argent, des valeurs qui ont été transférées peu a peu du capital fixe sur les marchandises, à la production desquelles il a contribué, et qui sont passées, par suite de la vente des marchandises, sous la forme d'argent. Celui-ci sert alors à remplacer en nature le capital fixe (ou des éléments de ce dernier, vu que ces différents éléments ont une durée d'existence différente) et à renouveler ainsi vraiment cette partie du capital productif. Cet argent est par conséquent forme d'argent d'une partie de la valeur du capital constant, de sa partie fixe.

Cette constitution de trésor est donc elle-même un élément du processus de reproduction capitaliste, reproduction et accumulation, sous forme d'argent, de la valeur du capital fixe ou de ses différents éléments, jusqu'au moment où il s'est usé et a transféré toute sa valeur dans les marchandises produites et doit maintenant être remplacé en nature. Mais cet argent ne perd que sa forme de trésor et ne revient jouer un rôle actif dans le processus de reproduction du capital réalisé par la circulation qu'après avoir été reconverti en nouveaux éléments du capital fixe destinés à remplacer ceux qui ont disparu. Mais, pour qu'il n'y ait aucun trouble de la simple reproduction, la partie du capital fixe qui s'use chaque année doit être égale à celle qui est à renouveler chaque année.

Considérons par exemple l'échange de (100 v + 1 000 p) I contre 2 000 c II. Dans ces 2 000 c, il y a 200 de capital fixe à remplacer. Il s'échange par conséquent 1 800 c, qui ne sont à transformer qu'en capital constant circulant, contre 1 800 (v + p). Les 200 restants de I, qui ont la forme naturelle de capital fixe, doivent être tirés également de II. Mais ce n'est possible que si les capitalistes de II ont en réserve les 200 en argent pour acheter 200 de capital fixe de I, car 200 doivent être remplacés en argent par d'autres capitalistes II et maintenus sous forme d'argent en tant qu'usure pour leur capital fixe. Par conséquent, des capitalistes qui, au cours des années précédentes, ont accumulé successivement en argent l'usure de leur capital fixe, le renouvelleront cette année en nature ; ils achètent pour 200 d'argent le reste de I (v + p) = 200. I achète pour 200 autres d'argent le reste des moyens de consommation des autres capitalistes II, lesquels de leur côté accumulent cet argent qui représente pour eux l'usure de leur capital fixe. La partie des capitalistes II, par conséquent, qui cette année renouvellent en nature leur capital fixe, fournissent l'argent avec lequel les autres capitalistes II dorent leur partie d'usure et peuvent la garder sous forme d'argent. Il faut admettre par conséquent une proportion constante entre capital fixe usé et capital fixe à renouveler, mais aussi que la proportion entre capital fixe usé (et par conséquent à renouveler) et celui qui continue à fonctionner sous son ancienne forme naturelle reste constante. Car, si le capital fixe usé s'élevait à 300, le capital circulant aurait diminué ; II c aurait maintenant moins de capital circulant et ne pourrait plus poursuivre la production sur la même échelle. En outre, si le capital fixe s'élevait à 300, II n'ayant que 300 d'argent à dépenser pour le renouvellement du capital en nature, 100 de capital fixe en I seraient invendables.

Il peut par conséquent y avoir disproportion dans la production de capital fixe et de capital circulant avec un simple maintien du capital fixe, si la proportion du capital fixe qui disparaît chaque année et de celui qui continue à fonctionner se modifie, ce qui se produit toujours, en fait.

De même, on a vu précédemment que pour rendre possible une simple reproduction, certaines conditions de proportion doivent être remplies. I (v + p) devait être égal à II c. Mais cette proportion, par suite de l'anarchie de la société capitaliste, ne peut jamais être maintenue. Pour que la production se poursuive, une certaine mesure de surproduction est nécessaire, afin qu'on puisse toujours satisfaire des besoins apparaissant brusquement ou faire face aux fluctuations constantes de ces besoins. Mais il se produit constamment des perturbations et irrégularités dans le reflux de la valeur du capital en voie de transformation. Pour y parer, les capitalistes doivent toujours disposer, non seulement d'une réserve de marchandises, mais aussi d'une réserve d'argent. Il leur faut donc de l'argent supplémentaire, un capital-argent de réserve, qui doit nécessairement être maintenu sous forme d'argent parce que c'est précisément la transformation du capital-marchandises qui peut être perturbée, et d'autres marchandises tenues à la disposition des capitalistes. Mais c'est seulement sous la forme d'argent que la valeur a celle d'équivalent général, qu'elle peut à tout moment se transformer en n'importe quelle autre marchandise. Ici aussi, la nécessité de l'argent découle de l'anarchie du mode de production capitaliste.

« La forme capitaliste de la reproduction une fois écartée, l'affaire revient à ce que la grandeur de la partie de capital fixe usé et par conséquent à remplacer en nature (ici, celle consacrée à la production des moyens de consommation) change en différentes années successives. La masse de matières premières, produits semi-fabriqués et autres, nécessaire à la production annuelle de moyens de consommation ne diminue pas pour autant ; la production totale des moyens de production devrait par conséquent augmenter dans tel cas, diminuer dans tel autre. On ne peut y parvenir que par une surproduction relative constante : d'une part, une certaine quantité de capital fixe qui produit davantage qu'il n'en faut absolument, d'autre part, une réserve de matières premières, etc., dépassant les besoins immédiats (cela particulièrement pour les produits alimentaires). Une telle sorte de surproduction équivaut au contrôle de la société sur les moyens matériels de sa propre reproduction. Mais, dans la société capitaliste, elle est un élément anarchique 6. »

Cette surproduction relative doit exister également dans la société capitaliste et elle trouve son expression dans une réserve de marchandises maintenue en permanence pour pallier les perturbations. A cette réserve de marchandises correspond, d'autre part, une réserve de capital-argent à la disposition des capitalistes industriels, qui leur donne la possibilité, au cas où des perturbations se produisent, de se procurer dans la réserve de marchandises les éléments nécessaires à la poursuite de la production. Ce capital-argent de réserve, qui même en temps normal doit être constamment à la disposition des capitalistes en vue de pallier des perturbations momentanées, ne doit pas être confondu avec le capital-argent nécessaire pour le cas où un arrêt se produit dans l'écoulement des marchandises. Les périodes de prospérité sont, d'une part, celles où la production s'élargit fortement et rapidement et où, d'autre part, un capital-argent de réserve précédent est transformé en capital productif : le capital-argent de réserve diminue et sa diminution signifie la disparition du facteur destiné à pallier les perturbations, ce qui est une des causes de la crise.

D'un autre côté, il faut noter que la nécessité d'une telle surproduction relative n'est pas due à la société capitaliste en tant que telle, mais à la nature même du processus de reproduction, dès que les éléments de production qui apparaissent dans la société capitaliste en tant que capital fixe ont atteint certaines dimensions. Cette « surproduction » nécessaire pour des causes naturelles techniques n'est en réalité qu'une simple constitution de réserves et, en tant que telle, est propre également à une économie réglée pour la satisfaction des besoins et ne doit pas être confondue avec la surproduction générale pendant la crise. Mais, dans la société capitaliste, cette surproduction constitue également un facteur propre, dans certains cas, à aggraver la crise.



LES CONDITIONS D'EQUILIBRE DU PROCES D'ACCUMULATION CAPITALISTE


Si déjà la simple reproduction qui, dans la société capitaliste, où l'accumulation du capital est une nécessité vitale, ne se fait pas en réalité - ce qui n'empêche, bien entendu, qu'au cours du cycle industriel il puisse y avoir une année où la reproduction soit non seulement égale à la précédente, mais même réduite - exige certains rapports de proportions complexes, ceux-ci doivent être plus complexes encore pour que le processus d'accumulation se poursuive sans heurts. Marx établit le schéma suivant :



I. Production des moyens de production :

4  000 c + 1 000 v + 1 000 p = 6 000.



II. Production des moyens de consommation :

1 500 c + 750 v + 750 p = 3 000.

Valeur totale de la production sociale = 9 000.

Supposons maintenant que I accumule la moitié de sa plus-value, soit 500, et consomme l'autre moitié en tant que revenu.

Nous avons alors les échanges suivants : 1 000 v + 500 p. qui sont dépensés en tant que revenu, sont échangés par I contre 1 500 c II. Il remplace ainsi son capital constant et fournit à I les moyens de consommation dont il a besoin, échange analogue à celui que nous avons déjà constaté dans l'analyse de la simple reproduction. Sur les 500 p I qui restent et doivent être transformés en capital, 400 doivent, avec une même composition organique, être transformés en capital constant et 100 en capital variable. Les 500 existent dans les moyens de production et, sur ces 500, 400 dans ceux dont I a besoin pour augmenter son capital constant. I ajoute par conséquent ces 400 à son capital constant. Le reste, soit 100 p, doit être transformé en capital variable, donc en produits alimentaires. Il doit donc être acheté à II et, puisqu'il existe en moyens de production, II doit l'utiliser pour accroître son propre capital constant.

Nous avons alors pour I un capital de 4 400 c + 1 100 v, soit : 5 500.

II a maintenant pour capital constant 1 600 c. Il doit, pour leur utilisation, avancer 50 autres v en argent pour l'achat d'une nouvelle force de travail, ce qui fait que son capital variable passe de 750 à 800. Cet accroissement du capital constant comme du capital variable de II de 150 au total est prélevé sur la plus-value, de sorte que sur les 750 p II il ne reste plus que 600 p comme fonds de consommation des capitalistes II, dont le produit annuel se répartit maintenant comme suit :

II 1 600 c + 800 v + 600 p (fonds de consommation), soit 3 000.

Nous avons alors le schéma suivant :

I 4 400 c + 1 100 v + 500 p (fonds de consommation),

soit 6 000

II 1 600 c + 800 v + 600 p (fonds de consommation),

soit 3 000

———

Total...

9 000,

comme plus haut.


Le capital se décompose ainsi :


I 4 400 c + 1 100 v (argent),

soit 5 500

II 1 600 c  +  800 v (argent),

soit 2 400

———

Total...

7 900



tandis que la production a commencé avec


I 4 000 c + 1 000 v,

soit 5 000

II 1 500 c + 750 v,

soit 2 250

———

Total...

7 250

Nous voyons ici toute une série de nouvelles conditions complexes. D'une part, les 500 p qui doivent être accumulés en I doivent être produits en des moyens de production tels que les quatre cinquièmes d'entre eux soient appropriés au capital constant pour I, un cinquième au capital constant pour II. Ainsi, le degré de l'accumulation en II dépend de l'accumulation en I. En I, la moitié de la plus-value est accumulée, en II, c'est impossible. Par la plus-value de 750, seuls 150, soit le cinquième, sont accumulés, tandis que les quatre autres cinquièmes doivent être consommés.

Considérons maintenant la poursuite de l'accumulation:

Si l’on produit vraiment avec le capital accru nous obtenons à la fin de l'année suivante :



I 4 400 c + 1 100 v + 1 100 p,

soit 6 600

II 1 600 c + 800 v + 800 p,

soit 3 200

———

Total...

9 800

Et si l'on continue à accumuler de la même façon, nous obtenons l'année d'après :

I 4 800 c + 1 210 v + 1210 p,

soit 7 260

II 1 760 c + 880 v + 880 p,

soit 3 520

———

Total...

10 780

Dans cet exemple, on supposait que la moitié de la plus-value I accumulée, et I (v + 1/2 p) = II c.

I (v + p) doit, s'il est accumulé, être toujours plus grand que II c, car une partie de I p ne peut précisément pas être transformée en II c, mais doit servir comme moyen de production. Par contre, I (v +1/2 p) peut être plus grand ou plus petit que II c. Il est inutile d'en dire plus pour ce qui nous concerne 7.

La production accrue exige pour ses échanges une quantité d'or accrue. Celle-ci doit être fournie, avec une vitesse de circulation égale, et abstraction faite du crédit, par la production aurifère. La production capitaliste se heurterait ici à une limite naturelle. Le système du crédit recule considérablement cette limite, mais ne la supprime pas.

Considérons maintenant un moment la condition nécessaire pour que ce processus de circulation qu'implique l’accumulation se poursuive. Nous avons supposé dans notre exemple que 500 p sont accumulés, dont 400 transformés en capital constant. Par quel processus de circulation est-ce possible et avec quel argent I achète-t-il les 400 ?

Considérons d'abord l'accumulation d'un capitaliste isolé. Pour que ce dernier puisse transformer sa plus-value en capital, il faut qu'elle ait atteint, nous l'avons vu une certaine dimension. Pendant un certain nombre d'années, par conséquent, la plus-value qui a été, à la fin de chaque année, transformée en argent, doit être thésaurisée. Tant les capitaux des différentes branches d'industrie que les capitaux individuels à l'intérieur de chacune de ces branches se trouvent à différentes phases du processus de transformation progressive de plus-value en capital. C'est pourquoi il y a constamment une partie des capitalistes qui transforment leur capital-argent potentiel parvenu à la dimension voulue en capital productif, tandis qu'une autre partie est encore occupée à accumuler son capital-argent potentiel. Des capitalistes appartenant à ces deux catégories se font donc face, les uns comme acheteurs, les autres comme vendeurs, chacun dans ce rôle exclusif.

A vend par exemple 600 (400 c + 100 v + 100 p) à B (qui peut représenter plus d'un acheteur). Il a vendu 600 de marchandises contre 600 en argent, dont 100 sont de la plus-value qu'il retire de la circulation et thésaurise, mais ces 100 ne sont que la forme d'argent du surproduit, qui était porteur d'une valeur de 100.

La thésaurisation n'est pas une production, donc pas non plus un élément de la production. L'action du capitaliste ici consiste uniquement en ce qu'il retire de la circulation, garde pour lui et s'approprie l'argent obtenu par la vente du surproduit de 100. Cette opération n'a pas lieu seulement du côté de A, mais en de nombreux points de la périphérie de circulation d'autres capitalistes A’, A’’, A’’’, qui travaillent tous avec le même zèle à cette sorte de thésaurisation. Ces divers points, où de l'argent est retiré de la circulation et thésaurisé, sont autant d'obstacles à la circulation parce qu'ils immobilisent l'argent et lui enlèvent pour un temps plus ou moins long sa capacité de circulation.

Mais A ne thésaurise que dans la mesure où - en ce qui concerne son surproduit - il intervient seulement comme vendeur et non ensuite comme acheteur. Sa production progressive de surproduit - porteur de sa plus-value dorée - est donc la condition de sa thésaurisation. Bien que, par conséquent, il retire pour sa plus-value de l'argent de la circulation et l'accumule, il introduit par ailleurs dans cette circulation des marchandises sans en retirer pour cela d'autres marchandises, ce qui permet à B, B’, B’’, etc, d'y introduire à leur tour de l'argent et de n'en retirer dans ce but que des marchandises.

« Comme précédemment en étudiant la simple reproduction, nous trouvons ici de nouveau que l'échange des différents éléments du produit annuel, c'est-à-dire leur circulation (laquelle doit englober également la reproduction du capital, et notamment sa reconstitution en ses différentes formes : capital constant, capital variable, capital fixe et capital-argent circulant), ne suppose nullement un simple achat de marchandise qui se complète par une vente ultérieure, ou une vente qui se complète par un achat ultérieur, de telle sorte qu'il n'y aurait qu'échange de marchandise contre marchandise (L'argent, par conséquent simple moyen de circulation, serait ainsi relativement superflu. - R. H.), comme l'admettent les économistes classiques, notamment l'école du libre-échange depuis les physiocrates et Adam Smith (poussés par des intérêts polémiques à la lutte contre le mercantilisme. - R. H.). Nous savons que le capital fixe, une fois que le placement en a été fait, n'est pas renouvelé pendant toute la durée de sa fonction, mais continue à fonctionner dans son ancienne forme, tandis que sa valeur se dépose peu à peu en argent 8 . » Ce que l'argent, d'une façon générale, rend ici possible, c'est séparer et rendre ainsi indépendante la circulation de valeur par rapport au caractère permanent de la fonction technique dans le processus de production. Socialement, cette séparation n'est pas possible, et il doit être fourni chaque fois autant de capital fixe qu'il en est usé. Mais, sur le plan individuel, la partie de valeur usée est conservée pendant des années, sous forme d'argent. « Nous avons vu maintenant que le renouvellement périodique du capital fixe II c - laquelle valeur de capital totale II c s'échange en éléments pour la valeur de I (v+ p) - suppose, d'une part, un simple achat de la partie fixe de II c, qui se reconvertit de sa forme d'argent en sa forme naturelle, et auquel correspond une simple vente de I p, et, d'autre part, une simple vente de la part de II c, vente de la partie de valeur (usée) de son capital fixe, qui se dépose en argent et à laquelle correspond un simple achat de I p. Mais, pour que cet échange s'accomplisse normalement, il faut supposer qu'un seul achat de la part de II c est égal, quant à sa valeur, à la simple vente de la part de II c... Autrement, la simple reproduction est perturbée ; un simple achat ici doit être couvert par une simple vente ailleurs. De même, il faut supposer que la simple vente de la partie thésaurisée A, A’, A’’, etc., de I p est en équilibre avec la simple vente de la partie B, ,B’, B’’ de I p, qui transforme son argent en éléments du capital productif supplémentaire. Dans la mesure où l’équilibre est établi de telle sorte que l'acheteur apparaît ensuite et pour la même quantité de valeur comme vendeur, et réciproquement, il y a reflux de l'argent du côté de celui qui l’a avancé lors de l'achat, qui a vendu avant d’avoir acheté. Mais le véritable équilibre, en ce qui concerne l’échange même des marchandises, l'échange des différentes parties du produit annuel, est conditionné par la quantité égale de valeur des marchandises qui s'échangent l’une contre l'autre.

« Cependant, dans la mesure où il n'y a que des échanges unilatéraux, simples achats, d'une part, simples ventes, de l’autre - et nous avons vu que l'échange normal du produit annuel sur la base capitaliste conditionne ces métamorphoses unilatérales -, l'équilibre n'existe qu'à la condition que la quantité de valeur des achats unilatéraux et celles des ventes unilatérales se compensent. » Toutefois dans toutes ces transactions unilatérales, l'argent ne fonctionne pas seulement comme simple intermédiaire d'échange de marchandises, mais comme agent initial et final d'un processus où il n'y a d'un côté que la marchandise et de l’autre que la valeur de la marchandise dans sa forme matérialisée, l'argent ; ce dernier est donc nécessaire pour que ces processus unilatéraux puissent s'accomplir.

« Le fait que la production de marchandises est la forme générale de la production capitaliste implique déjà le rôle que joue l’argent, non seulement en tant que moyen de circulation, mais en tant que capital-argent, dans cette production, et crée certaines conditions, propres à ce mode de production, de l’échange normal, par conséquent du cours normal de la production, soit sur une échelle simple soit sur une échelle élargie, qui deviennent autant de conditions du cours anormal, autant de possibilités de crise, du fait que l'équilibre, avec la façon dont se déroule cette production, est lui-même un hasard 9. »

Les capitalistes A, A', A’’ constituent, au moyen de la vente de leur surproduit, le trésor, le capital-argent potentiel supplémentaire. Ce surproduit consiste dans notre cas en moyens de production de moyens de production, qui, entre les mains de B, B', B", fonctionnent comme tels. C'est seulement dans leurs mains que ce surproduit fonc­tionne comme capital constant supplémentaire, mais il l'est déjà virtuellement avant d'être vendu, entre les mains des thésauriseurs A, A', A'' I. Si nous considérons seulement la dimension de valeur de la reproduction de la part de I, nous sommes encore dans les limites de la simple reproduction. La différence ne réside que dans les autres valeurs d'usage qui ont été produites. Dans les limites de la même dimension de valeur, on a produit davantage de moyens de production pour moyens de production que de moyens de production pour moyens de consommation. Une partie de I p, qui a été échangée précédemment dans la simple reproduction contre II c et devait consister par conséquent en moyens de production pour moyens de consommation, consiste maintenant en moyen de production pour moyens de production, afin de pouvoir être incorporée comme telle au capital constant I. Il s'ensuit que - si l'on considère uniquement la dimension de valeur - c'est dans la simple reproduction qu'est produit le substrat matériel de la reproduction élargie.

C'est simplement du surtravail de la classe ouvrière I dépensé directement en production de moyens de production, en création de capital virtuel supplémentaire I.

La formation de capital-argent virtuel supplémentaire par A, A', A'' I - par vente successive de leur plus-value, créée sans aucune dépense d'argent capitaliste - est par conséquent ici la simple forme d'argent de moyens de production supplémentaire I. « Production sur une grande échelle de capital-argent virtuel supplémentaire - en de nombreux points de la périphérie de circulation - n'est donc que le résultat et l'expression de production multiple de capital productif virtuel supplémentaire, dont la formation elle-même ne suppose aucune dépense d'argent supplémentaire de la part des capitalistes industriels 10. »

« La transformation successive de ce travail productif virtuel supplémentaire en capital-argent supplémentaire (trésor) par A, A', A'', etc., I, qui est conditionnée par la vente progressive de leur surproduit - par conséquent, par la vente répétée de marchandises sans achat complémentaire - s'accomplit par le retrait répété d'argent de la circulation et sa thésaurisation correspondante. Cette thésaurisation - excepté là où le producteur d'or est l'acheteur - ne relève en aucune manière de la richesse supplémentaire de métal noble, mais n'est que la fonction modifiée de l'argent jusqu'alors en circulation. Auparavant, il fonctionnait comme moyen de circulation ; maintenant, il fonctionne comme trésor, comme capital-argent virtuellement nouveau en voie de constitution. Formation de capital-argent supplémentaire et masse de métal noble existant dans un pays n'ont l'une vis-à-vis de l'autre aucun rapport de cause à effet.

Il en résulte que plus grand est le capital productif fonctionnant déjà dans un pays (y compris la force de travail qui y est incorporée et qui crée le surproduit), plus est développée la force productrice du travail et par là aussi les moyens techniques d'expansion rapide de la production de moyens de production - et plus grande par conséquent aussi la masse du surproduit tant quant à sa valeur que quant à la masse des valeurs d'usage dans lesquelles il se présente - et plus grands sont :

1) le capital productif supplémentaire virtuel sous la forme de surproduit entre les mains de A, A', A'', etc., et

2) la masse de ce surproduit transformé en argent, par conséquent du capital-argent supplémentaire virtuel entre les mains de A, A' A''. Si donc Fullarton, par exemple, ne veut pas entendre parler de surproduction au sens ordinaire du terme, mais bien de surproduction de capital, notamment de capital-argent, cela prouve de nouveau à quel point même les meilleurs économistes bourgeois ignorent le mécanisme de leur système 11. »

« Si le surproduit, directement produit et approprié par les capitalistes A, A', A'' I, est la base réelle de l'accumulation du capital, c'est-à-dire de la reproduction élargie, quoiqu'il ne fonctionne actuellement qu'en cette qualité entre les mains de B, B', B'', etc., I, il est par contre, dans sa transformation en argent - en tant que trésor et simplement argent se constituant peu à peu - absolument improductif ; il accompagne sous cette forme le processus de production, mais n'y participe pas. C'est un poids mort (dead weight) de la production capitaliste. Le désir passionné de rendre cette plus-value accumulée peu à peu comme capital-argent virtuel utilisable, tant pour le profit que pour le revenu, trouve dans le système du crédit et dans le « papier » le but de son effort. Le capital-argent obtient ainsi sous une autre forme une influence considérable sur le cours et le développement du système de production capitaliste.

« Le surproduit transformé en capital-argent virtuel sera d'autant plus grand quant à sa masse que sera plus grande la somme totale du capital fonctionnant déjà d'où il provient. Mais, avec l'accroissement absolu des dimensions du capital-argent reproduit chaque année, sa segmentation est aussi plus facile, de sorte qu'il est placé plus rapidement dans une affaire particulière, que ce soit aux mains du même capitaliste ou en d'autres mains (par exemple, des membres de la famille en cas de partage de la succession, etc.). Segmentation de capital-argent signifie ici qu'il est complètement détaché du capital initial pour pouvoir être placé en tant que nouveau capital-argent dans une nouvelle affaire indépendante 12. »

Les vendeurs du surproduit A, A', A'' I l'ont obtenu comme résultat direct du processus de production. Les B, B', B" doivent l'acquérir, en revanche, au moyen d'une transaction. L'argent nécessaire dans ce but, ils doivent l'avoir obtenu, comme A, A' A", au moyen de la vente de leurs surproduits respectifs; ils sont maintenant parvenus au but. Leur capital-argent virtuel, accumulé peu à, peu, fonctionne maintenant comme capital-argent supplémentaire.

L'argent nécessaire pour ces transformations du surproduit doit se trouver entre les mains de la classe capitaliste, Dans la simple reproduction, l'argent qui ne servait qu'à être dépensé comme revenu en moyens de consommation revenait aux capitalistes dans les mêmes dimensions ou il avait été avancé pour l'échange de leurs marchandises respectives ; ici, le même argent réapparaît, mais avec une fonction nouvelle. Les A' et les B' I se fournissent tour à tour l'argent nécessaire en vue de la transformation du surproduit en capital-argent virtuel supplémentaire et remettent tour à tour le capital-argent nouvellement constitué, en tant que moyens d'achat, dans la circulation.

La seule condition est ici que la masse d'argent existant dans le pays (la vitesse de circulation, etc., supposée égale) suffise également pour la circulation active ; c'est la même condition qui, nous l'avons vu, est exigée pour la simple circulation de marchandises. Seule la fonction des trésors est ici différente.



Cet exposé schématique est naturellement très simplifié. Il est clair que des rapports de proportionnalité, tels qu’ils doivent régner entre les industries de moyens de production et les industries de moyens de consommation dans leur totalité, doivent exister également pour chaque branche d'industrie à part. Mais ces schémas montrent que, dans la production capitaliste, aussi bien la simple reproduction que la reproduction élargie ne peuvent se poursuivre normalement que si ces proportions sont maintenues. Par contre, une crise peut survenir même dans la simple reproduction en cas de rupture de ces proportions, par exemple entre capital usé et capital à investir à nouveau. Il ne s'ensuit donc absolument pas que la crise doive avoir pour cause la sous-consommation des masses inhérente à la production capitaliste. Une expansion trop rapide de la consommation mènerait à la crise tout aussi bien avec un même niveau qu'avec une diminution de la production des moyens de production. Pas plus qu'il ne ressort de ces schémas la possibilité d'une surproduction générale de marchandises, ils laissent bien plutôt apparaître comme possible en général une expansion de la production avec les forces productives existantes.

Notes


1 Abstraction faite des survivances de l'ancienne production pour les besoins propres, telle qu'elle se maintient notamment dans l'exploitation paysanne, cette production joue dans la société capitaliste également un rôle là où le produit de l'entreprise elle-même devient un élément de la reproduction, comme par exemple le blé pour les semailles, le charbon utilisé dans la mine de charbon, etc. Avec le développement des combinaisons, s'accroissent les dimensions de cette sorte de production pour les besoins propres. Elle est telle parce que la marchandise n'est pas destinée au marché, mais employée comme élément du capital constant dans la même entreprise. Mais elle est entièrement différente pour la production destinée à couvrir les besoins familiaux des anciennes formes de société, puisqu'elle ne sert pas à la consommation, mais à la production de marchandises.

2 « C'est une pure tautologie de dire que les crises proviennent de l'absence de consommation solvable ou de consommateurs solvables. Le système capitaliste n'en connaît pas d'autres, à l'exception des indigents ou des voleurs. Que des marchandises soient invendables, cela ne signifie rien d'autre que ceci, qu'elles n'ont trouvé pour elles aucun acheteur solvable, par conséquent des consommateurs (que ce soit pour la consommation productive ou la consommation individuelle). Mais si l'on veut donner à cette tautologie un semblant de signification en disant que la classe ouvrière obtient une trop petite partie de son propre produit et que c'est là un mal auquel on ne peut remédier qu’en lui donnant une part plus importante et en augmentant son salaire en conséquence, il convient d'observer que les crises sont chaque fois précédées d'une période où le salaire augmente en général et où la classe ouvrière reçoit en réalité une plus grande partie de cette fraction du produit annuel destinée à la consommation. Cette période devrait, au point de vue de ces chevaliers de la saine et simple (!) raison humaine, éloigner au contraire la crise. Il semble par, conséquent que la production capitaliste implique des conditions indépendantes de la bonne ou de la mauvaise volonté, qui ne permettent que momentanément cette prospérité relative de la classe ouvrière, et cela toujours uniquement en tant qu'annonciatrice d'une crise ». A propos de quoi Engels observe dans une note: « Ad notam pour d'éventuels partisans de la théorie des crises de Rodbertus » (Le Capital, II, pp. 400 sq.).

3 Marx, Le Capital, I, pp. 225 sq.

4 Mais il s'agit de suivre l'évolution ultérieure de la crise potentielle - la crise réelle ne peut être expliquée qu'en partant du mouvement réel de la production, de la concurrence et du crédit capitalistes - dans la mesure où elle est issue des déterminations de forme du capital qui lui sont inhérentes en tant que capital précisément et non impliquées dans sa seule existence en tant que marchandise et argent » (Marx, Théories sur la plus-value, II, 2, p. 286).

5 C'est le mérite de Tougan-Baranowski d'avoir montré l'importance de ces études pour le problème des crises dans ses fameuses Etudes sur la théorie et l'histoire des crises commerciales en Angleterre. Ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu le montrer.

6 Marx, Le Capital, II, p. 463.

7 Voir les autres exemples chez Marx, Le Capital, II, pp 512 sq.

8 Marx, Le Capital, II ,p. 495.

9 Ibidem, p. 496.

10 Ibidem, p 499.

11 Ibidem, p. 499.

12 Ibidem, p. 500.


R. Hilferding
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