Le capital financier
TROISIEME PARTIE - LE CAPITAL FINANCIER ET LA LIMITATION DE LA LIBRE CONCURRENCE
CHAPITRE XIII - LES MONOPOLES CAPITALISTES ET LE COMMERCE
Les unions capitalistes dans l'industrie ont également leurs répercussions sur la circulation et la façon dont celle-ci est assurée par le commerce. Nous parlons ici du commerce en tant que catégorie économique spécifique et le considérons par conséquent détaché des fonctions de pesage et de partage aussi bien que de transport. La production de marchandises rend nécessaire le déplacement dans tous les sens de la marchandise et celui-ci s'accomplit au moyen de l'achat et de la vente. Quand ces derniers deviennent des fonctions autonomes d'un capital, on a affaire à un capital commercial. Il est clair qu'en devenant ainsi autonomes les opérations commerciales, qui autrement devraient être réalisées par les producteurs eux-mêmes, ne deviennent pas pour autant des opérations créatrices de valeur et que le commerçant ne devient pas un producteur. Mais, du fait qu'il devient une fonction autonome, le commerce a pour effet de concentrer les achats et les ventes, d'épargner des frais de garde et d'entretien, etc. Il signifie ainsi une diminution des frais de la production. Mais, pour pouvoir se livrer au commerce, une certaine somme d'argent est nécessaire, qui doit être transformée en marchandises. Or, dans la société capitaliste, chaque somme d'argent prend le caractère de capital. Pour que les fonctions commerciales deviennent autonomes, il faut que l'argent investi dans le commerce devienne du capital, rapporte par conséquent du profit. Mais il est clair que ce profit n'est pas engendré par le commerce, par le simple fait d'acheter pour vendre, il est seulement approprié par lui. Le montant du profit est donné par le montant du capital. Car, dans une société capitaliste développée, un capital d'un montant donné rapporte le même profit. Mais ce dernier n'est qu'une partie du profit engendré dans la production. Sur celui qu'ils obtiennent directement, les industriels doivent en abandonner aux commerçants une partie suffisante pour amener au commerce le capital dont il a besoin.
Le commerce, qui existait déjà avant la généralisation de la production de marchandises, donc avant le développement capitaliste, et qui est par conséquent plus ancien que le capital industriel et le capital bancaire, est lui-même le point de départ du développement capitaliste. Il unit en lui la plus grande partie de la richesse d'argent de la société. Au moyen du crédit, qui est toujours un moyen puissant d'établissement de liens de dépendance capitalistes, et souvent même sous la forme de crédit de marchandises, il met sous sa dépendance la vieille production artisanale, crée les débuts de l'industrie domestique capitaliste, d'une part, et ceux de la manufacture, d'autre part. Le développement du capital industriel supprime cette dépendance de la production par rapport au commerce et les rend indépendants l'une de l'autre, en détachant le commerce de la production.
Le développement du commerce lui-même est déterminé par deux facteurs. D'une part, les conditions techniques du commerce. Ce dernier rassemble et concentre les produits venus des différents lieux de production et les vend finalement aux derniers consommateurs. Plus ils sont dispersés, plus les ventes doivent se disperser elles aussi, non seulement au point de vue de la quantité, mais au point de vue du temps et de l'espace. Le caractère des dernières ventes dépend des revenus des derniers acheteurs et de leur concentration locale, deux facteurs qui dépendent eux-mêmes du développement social et de la structure du pays. Précisément du point de vue de la technique commerciale, la supériorité de la grande entreprise sur la petite est évidente. Les frais de l'achat et de la vente, la comptabilité qui s'y rapporte, ne croissent pas, tant s'en faut, en proportion des quantités de valeurs échangées. D'où la tendance à la concentration. Mais, d'un autre côté, il est dans la nature du commerce que, plus il se rapproche du consommateur, plus les ventes se dispersent dans le temps et l'espace. Selon le stade de rapprochement avec la consommation, il existe certaines limites à l'importance de l'entreprise, limites qui sont absolument élastiques, s'élargissent avec le degré de développement d'un pays, mais conditionnent pourtant différentes grandeurs du chiffre d'affaires. A chacun de ces stades s'impose la tendance au développement de l'entreprise, mais avec une force et une rapidité différentes. La nécessité de la décentralisation géographique est surmontée par la création de filiales d'une seule et même grande firme. En outre, la concentration de la population dans les villes permet de concentrer le commerce de détail dans de grands magasins. Mais ce n'est que le premier stade de la concentration. Le besoin de la technique commerciale lie les grands magasins eux-mêmes en de vastes organisations d'achats, qui unissent les grands groupes de magasins et les contrôlent plus ou moins financièrement, tandis que par ailleurs les énormes besoins financiers des grands magasins les poussent à se lier étroitement avec les banques 1.
Mais avec la concentration se manifeste également dans le commerce de détail une tendance à la suppression de son indépendance, en ce sens que les producteurs des industries de moyens de subsistance assurent eux-mêmes la vente de leurs produits. Cette évolution est la plus accentuée là où un trust a complètement éliminé le commerce indépendant, comme par exemple l'a fait le trust américain des tabacs 2.
Cependant, ce mouvement de concentration rencontre également certains obstacles, qui le ralentissent. Une entreprise commerciale de faibles dimensions est facile à créer, d'autant plus facile qu'elle est plus petite, car ici les allocations de crédit, comme il ne s'agit que de crédit en vue d'un capital-marchandises, sont relativement importantes, surtout quand elles sont accordées par les producteurs eux-mêmes, pour qui elles constituent un moyen de concurrence dans la lutte pour les débouchés. Dans ces petites entreprises, le taux de profit est très bas, ce qui fait des commerçants de simples agents du capitaliste, dont il écoule les produits. C'est pourquoi il n'y a aucun intérêt économique urgent à les supprimer.
Mais, en dehors de ces facteurs de technique commerciale, qui jouent un rôle là où il s'agit de produits qu'il faut vendre directement aux derniers consommateurs - c'est-à-dire dans le commerce de détail -, les répercussions de la situation économique jouent un rôle essentiel là où il s'agit d'échanges de marchandises entre les capitalistes industriels eux-mêmes et entre ces derniers et les gros commerçants. Et ici la concentration industrielle se répercute sur le développement du commerce, qui doit s'y adapter. Plus les entreprises industrielles sont concentrées, plus leur production est considérable et plus les commerçants chargés de l'écouler doivent disposer de capitaux importants. En outre, plus est réduit, avec une concentration croissante, le nombre des entreprises industrielles, plus deviennent superflus, d'une façon générale, les commerçants, et plus il doit paraître simple que les grandes entreprises concentrées se mettent directement en liaison entre elles sans passer par l'intermédiaire d'un commerçant indépendant. La concentration dans l'industrie entraîne ainsi, non seulement la concentration, mais aussi l'inutilité du commerce. Il y a moins d'échanges, étant donné que chacun d'eux est plus important, ce qui rend de plus en plus superflue l'intervention d'un capitaliste indépendant. Il en résulte qu'une partie du capital investi dans le commerce devient superflue elle aussi, et peut être retirée de la sphère de la circulation.
Le capital investi dans le commerce est égal à la valeur du produit annuel social, divisé par le nombre de transformations du capital commercial, multiplié par le nombre de stades intermédiaires qu'il traverse avant de parvenir au dernier consommateur. Mais c'est seulement d'une façon purement comptable que ce capital est si important. La plus grande partie ne consiste qu'en crédit. Le capital commercial ne sert qu'à la circulation des marchandises, mais nous savons déjà qu'elle peut se faire en majeure partie sans l'aide d'argent véritable. C'est du crédit que s'accordent réciproquement les capitalistes productifs et qui se compense. Le véritable capital commercial est beaucoup plus restreint et c'est seulement là-dessus que le commerçant obtient un profit. Celui de l'industriel dépend du capital global, qu'il lui appartienne en propre ou lui ait été prêté, car c'est du capital productif. Le profit du commerçant dépend du capital vraiment employé, car celui-ci n'est pas du capital productif, mais n'accomplit que les fonctions de capital-argent et capital-marchandises. Le crédit ne signifie pas ici une simple séparation de propriété et, par là, un partage du profit, mais une diminution absolue du capital et, par là, du profit qui revient à la classe commerciale et qui doit lui être payé par les capitalistes industriels. Le crédit réduit ici directement les frais de la circulation, comme aussi le papier-monnaie.
Mais le profit commercial est une partie de l'ensemble de la plus-value créée dans la production. Plus est considérable cette part qui revient au capital commercial, plus est réduite, toutes proportions gardées, celle des industriels. Il y a par conséquent opposition d'intérêts entre capital industriel et capital commercial.
De cette opposition d'intérêts naît un conflit qui aboutit finalement à l'écrasement d'un des antagonistes au moyen de la création de rapports de dépendance capitalistes. Dans ce genre de conflit, ce qui décide en fin de compte, c'est la plus ou moins grande puissance financière. Mais il ne faut pas l'entendre du seul point de vue quantitatif. Nous avons vu tout au long de cette étude que la forme du capital joue aussi un rôle important. La disposition de capital-argent donne, toutes proportions gardées, la suprématie parce que les industriels aussi bien que les commerçants sont, avec le développement du système du crédit, de plus en plus contraints de faire appel au capital-argent. Ainsi l'établissement de rapports de dépendance entre l'industrie et le commerce s'accomplit de différentes façons.
Aussi longtemps que régnait la libre concurrence, le commerce pouvait utiliser à son avantage la lutte que se livraient entre eux les industriels. Cela particulièrement dans les branches d'industrie où la production était encore relativement dispersée et la concentration dans le commerce déjà avancée. Les rapports de crédit jouaient également dans le même sens. Tant que le crédit était en majeur partie du crédit de paiement et que les banques mettaient leur crédit principalement à la disposition du capital commercial, la supériorité financière était souvent du côté des commerçants. Ceux-ci l'utilisaient pour à l'occasion de leurs achats, faire pression sur les prix des producteurs et leur imposer des conditions de livraison et de paiement qui leur permettaient d'exploiter au maximum les avantages de la haute conjoncture et de rejeter en partie sur les producteurs les pertes de la période de dépression. C'est l'époque où les plaintes des industriels sur la dictature des commerçants se font de plus en plus bruyantes. Cette attitude des commerçants sera plus tard l’une des raisons mises en avant par les industriels pour justifier la formation de cartels. Mais la situation changera fondamentalement avec le changement des rapports des banques et de l'industrie et l'apparition d'unions capitalistes dans l'industrie.
Les unions industrielles partielles ont pour effet de diminuer le commerce. Avec les unions combinées, cet effet est direct, car elles rendent inutiles les opérations commerciales. Quant aux unions homogènes, elles agissent comme la concentration dans l'industrie, en général. Mais les unions à caractère de monopole ont tendance à supprimer complètement l'indépendance du commerce. Nous avons vu qu'un véritable contrôle du marché n'est possible que si les marchandises sont vendues par une centrale spéciale. Celle-ci doit, pour régler la production dans la branche d'industrie correspondante, pouvoir calculer à tout moment l'importance des débouchés. En outre, le niveau de la consommation dépend toujours du niveau des prix. C'est pourquoi l’union à caractère de monopole doit fixer les prix jusqu'au dernier stade et ne pas les laisser dépendre de facteurs extérieurs, avant tout des commerçants. Si on abandonnait à ces derniers l'exclusivité des opérations commerciales proprement dites, donc également le soin de fixer les prix, on les laisserait en grande partie libres d'utiliser la situation du marché, ce qui constitue en fait le principal avantage du cartel. Ils pourraient stocker les produits et attendre les périodes de haute conjoncture pour les vendre à prix élevés. D'une part, cela aurait pour résultat une restriction de la production, pour laquelle le cartel ne trouverait aucune compensation dans une augmentation du profit, et, d'autre part, cela conduirait les dirigeants du cartel à une fausse appréciation du marché s'ils prenaient cette demande spéculative et peut-être erronée des commerçants pour base de leur production. C'est pourquoi l'union à caractère de monopole aura tendance à supprimer l'indépendance du commerce. C'est seulement de cette manière que le cartel pourra pleinement utiliser son influence sur la fixation des prix.
Mais nous avons vu que la cartellisation représente déjà une union étroite de l'industrie et du capital bancaire. En règle générale, c'est le cartel qui disposera de la plus grande puissance. Il pourra alors dicter sa loi au commerce, en vue de lui enlever son indépendance et de lui ôter le pouvoir de fixer les prix. La cartellisation supprimera par conséquent le commerce en tant que sphère de placement du capital. Elle restreindra les opérations commerciales, en supprimera une partie et chargera ses propres employés, agents de vente du cartel, de réaliser les autres. Elle pourra même transformer une partie des commerçants jusqu'alors indépendants en ses propres agents. En ce cas, le cartel leur fixera d'une façon précise les prix de vente et d'achat, dont la différence constituera leur bénéfice. L'importance de ce bénéfice ne sera plus déterminée par le niveau du profit moyen, ce sera un salaire fixé par le cartel. Mais si les rapports de force capitalistes étaient différents, les choses pourraient se passer différemment. Il est possible que les conditions pour la concentration aient été plus favorables dans le commerce que dans l'industrie. Dans ce cas, un petit nombre de commerçants ont en face d'eux un grand nombre d'entreprises industrielles relativement faibles en capital, qui sont obligées, pour écouler leurs produits, d'avoir affaire à ces commerçants. Ces derniers peuvent alors utiliser leur supériorité pour employer une partie de leur capital, au moyen d’une participation financière à ces entreprises, en tant que capital industriel Ce qui leur permettra de les obliger à leur vendre leurs produits meilleur marché. De tels rapports de dépendance se sont développés assez rapidement ces derniers temps dans certaines industries productrices de moyens de consommation qui vendent à un grand magasin capitaliste.
Ces rapports de dépendance reflètent à un niveau capitaliste élevé le processus qui a mené à l'apparition de l'industrie domestique capitaliste, où le commerçant a éliminé l'artisan. Mais des rapports semblables peuvent aussi se rencontrer de temps à autre dans des industries aptes à la cartellisation. Ici, le capital commercial, qui participe peut-être à toute une série de telles entreprises, peut jouer un rôle analogue à celui du capital bancaire.
Dans de tels cas, les commerçants participent directement au cartel. Mais ils le font parce qu'en fait ils participaient déjà financièrement à la production 3. Pratiquement, rien n'est changé. Ici aussi le commerce perd toute influence sur la fixation des prix, il cesse de servir de marché aux industriels, qui maintenant entrent directement en liaison avec les consommateurs.
L'union à caractère de monopole a ainsi pour résultat d'éliminer le commerce autonome. Elle rend une partie des opérations complètement superflues et réduit les frais pour les autres.
C’est dans le même sens qu'agit la réduction des frais de circulation consacrés à gagner le consommateur aux produits d'une entreprise déterminée, de préférence à ceux des autres entreprises. En font partie les dépenses pour les démarcheurs, dans la mesure où leur nombre est conditionné par la dispersion de la production entre différentes entreprises, ainsi que celles consacrées à la publicité. Ces dépenses représentent des frais de circulation. Pour l'entrepreneur isolé, elles rapportent un profit dans la mesure où elles lui permettent d'accroître ses ventes. Mais ce profit est la perte des autres entrepreneurs au détriment desquels il a accru ses débouchés. Pour l'ensemble de la sphère de production, ces dépenses signifient une réduction du profit qui lui reviendrait sans elles. La cartellisation a pour résultat de les diminuer considérablement, ramène la publicité à une simple annonce et réduit les démarcheurs au nombre strictement nécessaire aux opérations commerciales, elles-mêmes réduites, simplifiées et accélérées.
Une évolution particulière se manifeste en Autriche. Ici, le commerce capitaliste proprement dit, pour certaines raisons historiques, ne s'est développé que d'une façon incomplète. Dans les secteurs qui produisent des articles de grande consommation et surtout là où la spéculation joue un rôle important, comme par exemple dans le commerce du sucre, la banque a pris les fonctions du commerce de gros, et cela d'autant plus facilement qu'il ne fallait y consacrer que des capitaux peu importants. Elle est donc intéressée, à la fois comme commerçant et comme donneur de crédit, à la cartellisation. Aussi, c'est en Autriche que l'influence directe et consciente du capital bancaire sur la cartellisation apparaît le plus nettement. La banque conserve les fonctions de vendeur pour le cartel et reçoit pour cela une commission fixe. Ces derniers temps, des tendances semblables se sont manifestées en Allemagne également. C'est ainsi que l'union bancaire de Schaffhouse a créé une section commerciale pour la vente de produits cartellisés 4.
Le résultat de tout ce processus est donc une diminution du capital commercial. Mais, si le capital a diminué il en est de même du profit, lequel, comme nous le savons est prélevé sur le profit industriel. Cette diminution du capital commercial représente une diminution de frais. Quels en sont les effets sur les prix ? Le prix du produit est déterminé par le prix de revient, plus le profit global. Le partage de ce profit en bénéfice d'entreprise, intérêt, profit commercial et rente, n'affecte absolument en rien le prix. Que le cartel ait pris la place du commerçant, qu'une partie des opérations commerciales soit supprimée, cela signifie seulement que l'industrie n'a plus maintenant à abandonner une partie de son profit aux commerçants. Le prix du produit global reste le même pour le consommateur 5. Les frais de circulation représentaient une partie du profit, la réduction de ces frais signifie que le profit industriel, le bénéfice de l'entrepreneur, s'accroît du montant libéré par la diminution des frais commerciaux. C'est seulement la croyance en un profit commercial proprement dit, l'idée que le commerçant tire son profit d'une simple surcharge sur son prix d'achat, qui éveille chez maints économistes l'espoir que la diminution des frais commerciaux pourrait amener une baisse des prix pour le consommateur 6.
La diminution des opérations commerciales a pour autre conséquence de libérer le capital jusqu'alors occupé dans le secteur commercial et qui cherche maintenant une nouvelle mise en valeur. Ce qui peut, dans certains cas, renforcer la tendance à l'exportation du capital.
Mais il est dans l'intérêt des cartels de maintenir, du moins dans la forme, le commerce. Kirdorf, le grand chef du Syndicat de la houille, écrit à ce propos : « Si l'on veut parvenir jusqu'aux dernières sources de la consommation, autrement dit le consommateur individuel, il faut disposer d'un appareil puissant ; alors viennent les frais d'administration élevés, qui annulent l'avantage des prix par livraison directe, et l'on obtient une administration si coûteuse qu'on ne peut la supporter et un personnel si nombreux qu'on ne peut plus le contrôler. C’est pourquoi le bon et solide commerce intermédiaire est et reste dans une certaine mesure une nécessité absolue, dont on ne pourra jamais se passer 7 ».
En fait, il ne s'agit plus de commerçants, mais d'agents du syndicat, dont l'indépendance est tout aussi fictive que celle du façonnier qu'on appelle artisan indépendant. La seule différence est que, si l'industrie domestique, du fait des changements techniques intervenus dans la production, devient, à partir d'un certain moment, non rentable, il n'en est pas de même dans le commerce. Qu'il s'agisse d'un agent appointé ou d'un commerçant en apparence indépendant, mais qui reçoit en réalité une commission, dont les fluctuations du fait de la délimitation territoriale de la région de vente et de la fixation des prix par le syndicat, sont si faibles, que le revenu du commerce est à peu de chose près celui d'un agent recevant un salaire fixe, il n'y a pratiquement aucune différence. Mais cette fiction de l'indépendance qui est créée par cette autre sorte de salaire - et dans ce cas il s'agit de salaire, car le revenu du commerçant consiste dans le profit sur son capital et dans le salaire que le syndicat devrait payer à un agent - épargne au syndicat des frais de surveillance ou de contrôle, tout comme le salaire à forfait par rapport au salaire horaire. Du reste, dans un tel commerce, le capital nécessaire est extrêmement réduit : le commerçant n'a besoin que d'un capital modeste, puisque la constance des prix du cartel et le monopole local diminuent pour lui le risque. Les échanges peuvent donc être réglés en majeure partie avec du crédit, du fait que le commerçant peut recevoir l'argent pour le paiement en majeure partie à crédit pour cette partie du capital, il n'y a que l'intérêt à payer. Le syndicat est seulement intéressé à réduire le nombre des commerçants, étant donné que ses ventes sont par là simplifiées, et à rapprocher la commission en fait du salaire de l'activité commerciale, considérée comme hautement qualifiée. Jusqu'où on maintient en cela la fiction de l'indépendance, cela n'a au point de vue économique aucune importance. Que le degré momentané de restriction du commerce intermédiaire n'a rien de définitif, mais était imposé, « en tenant compte du développement historique du commerce de la houille », Kirdof le dit lui-même 8 comme il souligne « que le commerce de la houille, tel qu'il s'est développé en cette grande quantité avec l'ancienne dispersion de l'industrie houillère, n'est pas nécessaire ».
Cette situation a été exposée nettement, sans aucune retenue visible, par les négociants en charbon. Quelques citations suffiront. C'est ainsi que Vowinkel, de Düsseldorf, déclare : « Comme je viens de le dire, nous ne sommes plus de vrais commerçants, et voici pourquoi. Le Syndicat de la houille nous prescrit, premièrement, quelles sortes de charbon nous devons acheter, deuxièmement, à quel prix nous devons l'acheter, troisièmement, la région où nous devons l'écouler, quatrièmement, à quel prix nous devons le vendre. Alors, bien entendu, il ne reste plus rien de la liberté du commerce. Mais je crois qu'étant donné la situation, le Syndicat de la houille ne peut agir autrement... A l'avenir, nous autres commerçants en gros, nous devons nous rendre compte qu'il ne peut en être autrement et que nous deviendrons peu à peu moins nombreux. C'est là un fait si évident qu'il est aujourd'hui impossible d'entreprendre un commerce de gros de grandes dimensions parce que les quantités disponibles n'existent pas. De même, les affaires actuelles sont à ce point réduites qu'il est absolument impossible de les étendre 9. »
Ces « commerçants » ont perdu toute indépendance. Car, comme le dit Bellwinkel, de Dortmund, « dans chaque association de commerçants, le syndicat est représenté au conseil d'administration par un membre de sa direction » et a en outre « le droit de consulter les livres à tout moment ». Et il conclut très justement : « Nous avons perdu finalement toute liberté de mouvement ; nous sommes devenus une sorte de représentants. »
Et les pronostics pour l'avenir sont encore plus sombres. M. Vowinkel les pose de la manière suivante : « Le syndicat a crée une organisation remarquable dont j'ai tout lieu de penser que le commerce de gros, à l'exception d’une toute petite partie, sera exclu. Car qu'est-ce qui justifie l’existence du commerce de gros ? Il ne lui restera finalement plus d'autre ressource que de vendre au petit consommateur, à celui qui a besoin de crédit, et de servir d'entrepôt de charbon aux époques de mauvaise vente. Ce sont les seules raisons qui dans l'avenir justifieront encore son existence, et il est probable que le commerce du charbon passera, d'une diminution de 45 %, ainsi que je l'ai entendu dire ce matin, à 20 % au moins 10.
On montre ici fort bien que la fonction commerciale spécifique, chargée de réaliser le processus de circulation M-A-M, devient superflue et ne subsiste que pour la fonction de partage, d'emmagasinage et de gardiennage du produit, toujours nécessaire pour la consommation dans n'importe quel régime social à production massive. Mais la vente commerciale en tant que telle a cessé. Elle est, se lamente F. Vowinkel, devenue entièrement automatique 11.
De quelle manière le commerçant en gros est remplacé peu à peu par les agents du syndicat, c'est ce que Vowinkel montre également d'une façon détaillée. Très justement, il appelle « sinécure » la participation à une telle association de commerçants. Elle dépend entièrement de la grâce du syndicat. A la mort de chaque participant, la part de ventes qui lui a été attribuée revient au syndicat. « Le syndicat est le véritable participant. Par là on a très clairement fait comprendre qu'en réalité ce sous-syndicat (l'association de commerçants. - R. H.) passe finalement au syndicat principal 12. »
Le monopole dont bénéficient les gros commerçants ou les associations de vente leur donne également le pouvoir de soumettre à leur dictature les petits commerçants en leur prescrivant leurs prix de vente, bref en faisant d'eux leurs agents. C'est ainsi que, par exemple, le gros commerçant Heidmann, de Hambourg, déclare : « Quand je me suis rendu compte, en consultant mes livres, que les dettes de ces gens (c'est-à-dire les petits commerçants à qui il fournissait le charbon. - R. H.) augmentaient de plus en plus, je leur ai dit : « Vous ne recevrez plus de charbon que si vous le prenez à tel ou tel prix 13. »
Et voici ce que le Dr Rive, conseiller municipal, déclare au sujet des gros commerçants de Haute-Silésie : « Ces messieurs les commerçants en gros, avec qui nous avons eu affaire ici, par conséquent ceux du premier rang (les firmes Cesar Wollheim et Friedländer), sont suivis bien entendu de toute une série de gros commerçants de second rang qui, on peut le dire ouvertement, dépendent d'eux, et ces derniers à leur tour ont sous leur dépendance les commerçants de première, deuxième et troisième catégorie. L'un dépend de l'autre, et les gros commerçants du premier rang sont liés, sinon par contrat, du moins en fait, avec la Convention (c'est-à-dire la Convention houillère de Haute-Silésie. - R. H.). »
Indiquons ici brièvement que la position indépendante des deux grandes firmes susmentionnées s'explique par le fait que le commerce avec les mines de Haute-Silésie était entre leurs mains bien avant que ne fût conclue la Convention houillère. Ces mines étaient pour la plupart propriété privée et les deux firmes en question y participaient financièrement. Elles avaient, non seulement entre leurs mains l'organisation de la vente, mais aussi des parts sur la propriété des mines, soit directement, soit en qualité de créanciers.
Le système des sociétés par actions a, en Rhénanie-Westphalie, rendu les mines indépendantes du commerce. Peut-être le commerce était-il moins concentré à l’Ouest parce que les débouchés y étaient plus vastes et la concurrence par conséquent moins vive. Et une raison plus importante encore est le fait qu'à l'Ouest les mines sont de date plus récente que celles de la Haute-Silésie. C'est pourquoi, dans cette dernière région, non pas le commerce à vrai dire, mais les deux grandes firmes susnommées ont pu maintenir leur position. Elles sont devenues l'organisation commerciale du cartel (non pas formellement, mais en fait, en ce sens que le cartel ne s'occupe pas de la vente, mais laisse les mines écouler elles-mêmes leur production), et cela non pas en tant que commerçants, mais bien plutôt à cause de leur puissance financière, tandis que le commerce de l'Ouest, moins fort parce que moins concentré, perd sa position, et que le commerçant se transforme « plus ou moins en agent du cartel », comme dit le Dr Wachler 14, conseiller des mines.
La subordination du commerce au cartel permet également à ce dernier d'interdire la concurrence étrangère, qui doit, plus encore que l'industrie indigène, faire appel au commerce. C'est ainsi que M. Kloeckner, de Duisburg, déclare : « Les firmes commerciales qui s'occupent de la vente du fer moulé doivent souscrire auprès du Syndicat du fer brut des conditions aux termes desquelles ils s'engagent à ne vendre aucun fer étranger et à ne pas en importer 15. »
Avec cette supériorité de l'industrie cartellisée contraste l'état de dépendance dans laquelle se trouvent de petits fabricants dans des industries non encore cartellisées par rapport au commerçant capitaliste, état de dépendance qui devient particulièrement accablant quand il est renforcé par des allocations de crédit.
« Un grand nombre de petits fabricants sont aussi complètement sous la dépendance des commerçants. Nous en avons malheureusement beaucoup dans notre industrie de produits manufacturés, qui ont trop peu de capitaux et ne sont pas libres de leurs mouvements, mais sont obligés, pour pouvoir maintenir leur activité, de vendre leurs marchandises à n'importe quel prix. Alors celles-ci sont prises par un marchand, qui souvent ne verse qu'un acompte, et dans ce cas le marchand a pour un temps assez long le petit fabricant complètement en son pouvoir ; il peut ensuite lui dicter la façon dont il doit conduire son affaire 16 ». M. Gerstein parle ici de la petite industrie métallurgique et voit dans la résistance opposée par les commerçants un obstacle important à la formation d'un cartel.
D'un autre côté, la cartellisation des industries de produits manufacturés ne peut pas, à elle seule, leur être d'une grande utilité pour la fixation des prix. « Si les fabricants des industries de produits manufacturés se groupent et s'ils fixent les prix de telle sorte qu'ils puissent en tirer un modeste bénéfice, alors la grande industrie leur jette un bâton entre les jambes et se met à fabriquer dans ses propres ateliers les articles dont elle a besoin, naturellement à un prix de revient bien moins élevé que celui des fabricants, qui eux sont contraints d'acheter leurs matières premières aux prix fixés par les cartels de la grande industrie. Cette fabrication des articles qui leur sont nécessaires dans leurs propres ateliers va, nous le savons, très loin. M. le directeur Fuchs me disait hier encore : de grosses entreprises, telles que Bochum, l'Union de Dortmund, les Forges Koenig et Laura - la fabrication des wagons ne fait pas partie de la petite industrie mécanique, mais tout de même de l'industrie des produits manufacturés - apparaissent comme concurrents des usines de fabrication de wagons. Je lui ai répondu que ce ne sont pas seulement ces dernières qui en souffrent, mais aussi les petites entreprises mécaniques, car les grandes usines métallurgiques fabriquent elles-mêmes, outre les wagons, tout ce qui en fait partie : tampons, bielles, attelages, etc. Les Forges Koenig et Laura fabriquent tout ce qui est nécessaire pour leurs wagons, depuis les roues jusqu'à la dernière pièce, exception faite peut-être des ressorts, boulons, rivets. Pareillement, l'Union de Dortmund fabrique presque toutes les pièces détachées pour sa fabrique de wagons, de même que d'autres petits articles de l'industrie mécanique, tels que des boulons pour la superstructure des chemins de fer 17.
Mais, si le commerce s'efforce, grâce à l'influence qu'il exerce sur les petites entreprises capitalistes, d'empêcher la cartellisation, il cherche d'un autre côté à renforcer cette influence en formant lui-même des associations. Gerstein en fournit également quelques exemples. Les grands magasins de quincaillerie de Berlin ont créé une association qui exerce une grande influence sur les prix. Ceux de Dantzig ont acheté en commun une firme et se sont groupés en une Union de la quincaillerie, société à responsabilité limitée. L'Association des quincailliers allemands, dont le siège est à Mayence, a établi des clauses précises pour l'achat de marchandises. Les membres de l'association font signer à leurs fournisseurs une déclaration aux termes de laquelle ils s'engagent à ne pas vendre aux bazars. En revanche ils s'engagent à ne pas acheter aux fabricants qui livrent eux-mêmes aux consommateurs, et cela est même allé si loin qu'on a inclus les chemins de fer d'Etat parmi les consommateurs et qu'on a voulu interdire aux fabricants de livrer certains articles aux chemins de fer 18.
Et voici qui montre qu'une plus grande puissance financière mène facilement à des rapports de dépendance, en ce sens même que le gros commerçant accroît le profit commercial aux dépens du profit industriel et rejette le risque qui lui incombe, risque qu'il a souvent créé lui-même par sa propre spéculation : « Par contre, la spéculation sur le papier à imprimer va à l'encontre des efforts du Syndicat en vue d'établir des prix stables et d'adapter l'offre à la demande. Le papier, en général, et le papier à imprimer en particulier, n'est pas un article de spéculation et, d'après les faits qui se sont produits, et ont été observés par toutes les fabriques de papier d’Allemagne, ce sont précisément les gros commerçants qui, en cas de tendance à la baisse des prix du papier, le vendent in blanco et sans tenir compte du prix de revient ; ce sont eux qui ensuite font pression de la façon la plus éhontée sur les prix au moment de l'achat chez les fabricants embarrassés pour leurs commandes. Cela est allé et continue d'aller aujourd'hui encore si loin que ces commerçants obligent avec leurs prétentions incroyables les fabricants travaillant dans la montagne et coupés du marché à leur vendre le papier à un cours très inférieur à celui du marché. Mais ce sont les mêmes commerçants qui, en cas de tendance à la hausse des prix sur le marché du papier, et en employant tous les arguments et artifices, poussent le fabricant à leur vendre de grandes quantités de papier sans qu'ils l'aient déjà eux-mêmes vendu. Dans ce cas, ce sont alors en premier lieu les imprimeurs qui en subissent les conséquences en payant au commerçant plus qu'il ne convient le fruit de son heureuse spéculation, et ensuite les fabricants de papier, parce qu'une fois passée cette période de haute conjoncture, c'est sur eux que le commerçant en question fait pression pour obtenir un prix moins élevé, à moins que, ne pouvant écouler le papier, il laisse le fabricant tranquillement assis sur sa marchandise. C'est seulement dans des cas extrêmement rares qu'un fabricant de papier se décide à faire établir un constat ou à porter plainte contre le commerçant, car il craint de perdre ainsi sa clientèle 19. »
La création du syndicat change la situation d'un seul coup. Aux commerçants dispersés s'oppose l'industrie unie. La puissance financière est maintenant du côté des industriels. Mais ce n'est pas tout. Le commerçant apparaît maintenant ce qu'il est, un intermédiaire non nécessaire en face de la production, qui est, elle, indispensable. Cela se manifeste comme la supériorité de la nécessité naturelle de la production sur la nécessité capitaliste de la distribution au moyen du commerce. Le syndicat ramène ce dernier à ses « frontières légitimes ». On considère comme commerce légitime le travail du commerçant qui, sur la base de prix sûrs, majorés d'un bénéfice normal, écoule le papier en respectant les conditions reconnues admissibles par les fabricants et comme étant d'usage pour la vente de papier. Ainsi le commerçant devient l'agent appointé du syndicat. Sa liberté lui est ôtée et il se lamente à haute voix sur le traitement indigne qu'on lui inflige, et se souvient avec mélancolie du commerce du bon vieux temps. Parmi les conditions qui lui sont imposées, celle qu'il ressent comme la plus pénible est qu'il doit se fournir exclusivement au syndicat et nulle part ailleurs. Il lui est interdit de profiter de la concurrence entre les producteurs et il n'est plus lui-même qu'un instrument qui contribue à renforcer le syndicat, à rendre éternel le monopole qui l'étrangle. Il lui faut laisser toute espérance, car au-dessus de la porte qui mène au bureau de ventes du syndicat il voit écrits, en lettres aussi terrifiantes que la phrase de Dante au-dessus de la porte de l'enfer, ces mots fatidiques : « N'achetez qu'aux membres du syndicat et ne vendez qu'aux prix fixés par lui. » C'est la mort du commerçant capitaliste 20.
Un autre moyen d'interdire au commerçant la spéculation est la conclusion de contrats de longue durée. C'est ainsi que le Syndicat de la houille fixe toujours ses prix pour toute une année et ne s'écarte en aucun cas de cette « règle fondamentale 21 ».
Que les temps sont changés ! Dans l'enquête sur la Bourse de l'année 1893, la spéculation est la plus haute fleur et la racine la plus profonde du capitalisme. Tout est spéculation : fabrication, commerce, affaires différentielles. Chaque capitaliste est spéculateur, et le prolétaire lui-même, qui recherche l'endroit où il pourra vendre au meilleur prix sa force de travail, est un spéculateur. Dans l'enquête du cartel, la sainteté de la spéculation est oubliée. Elle est le mal par excellence, d'où viennent les crises, la surproduction, bref tous les maux de la société capitaliste. Suppression de la spéculation, tel est le mot d'ordre. L'idéal de la spéculation est remplacé par la spéculation sur l'idéal du « prix stable », la mort de la spéculation. Bourse et commerce sont maintenant spéculatifs, condamnables, et écartés en faveur du monopole industriel. Le profit industriel s'annexe le profit commercial, est lui-même capitalisé en bénéfice du fondateur, en butin de la trinité parvenue, en tant que capital financier, à la plus haute forme du capital. Car le capital industriel est Dieu le Père, qui a libéré le capital commercial et bancaire comme Dieu le Fils, et le capital-argent est le Saint-Esprit. Ils sont trois, mais pourtant un seul dans le capital financier.
La sécurité du bénéfice du cartel, en opposition avec l'incertitude du bénéfice spéculatif, se reflète dans la psychologie de ses représentants et l'assurance de leur maintien. Le magnat du cartel se sent comme le maître de la production, son action se manifeste au grand jour. Son succès, il le doit à l'organisation de la production, à l'épargne de frais. Il se considère comme le représentant de la nécessité sociale en face de l'anarchie individuelle et voit dans son profit le salaire qui lui est dû pour son activité en tant qu'organisateur. Qu'il recueille les fruits d'une organisation qui n'est pas exclusivement son œuvre, cela apparaît à sa mentalité capitaliste comme tout naturel. Il représente une nouvelle époque. « The days of the individual, lance Havemeyer aux défenseurs de l'ancienne, has passed ; if the mass of the people profit at the expense of the individual, the individual should and must go 22. » C'est le socialisme qu'il entend par là, et, dans son ivresse de la victoire, il ne se doute pas que, des individus qui doivent disparaître, lui et les siens pourraient bien un jour faire partie. Le magnat du cartel ne connaît aucun scrupule et quand Havemeyer déclare avec une franchise réjouissante qu'il « ne se soucie pas pour deux sous de la morale des autres 23 » Herr Kirdorf ne souligne pas moins fièrement le droit du maître dans sa propre maison. Mais cette morale est en réalité le pire des crimes : la rupture de la solidarité, la libre concurrence, l'exclusion volontaire de la fraternité du bénéfice du monopole. La proscription sociale et l'anéantissement économique lui paraissent la seule punition qu'ils méritent 24. On envoie des listes où les noms des non-adhérents sont soulignés en caractères gras 25.
Tout autres les manières du spéculateur. Il apparaît modeste, conscient de ses fautes. Son gain n'est que la perte des autres. Même s'il est nécessaire, sa nécessité n'est que la preuve de l'imperfection de la société capitaliste. La source de son bénéfice reste obscure. Le spéculateur n'est pas un producteur qui crée des valeurs. Si son gain dépasse certaines dimensions, l'admiration pour son succès s’accompagne de soupçons. Il ne se sent jamais sûr vis-à-vis de l'opinion publique, et redoute toujours une nouvelle loi sur la Bourse. Il s’excuse et prie qu’on ne le juge pas trop sévèrement. « C'est le lot de toutes les institutions humaines : elles sont toujours fautives et coupables 26. »
Et il est heureux quand il trouve des croyants, comme M. le professeur van der Borght, qui le console ainsi : « Il est dans la nature des hommes que le besoin du jeu devienne de temps en temps particulièrement vif », et adjure ceux qui l'attaquent de faire preuve de clémence en ajoutant : « Tous ces effets défavorables s’expliquent en dernier lieu par les faiblesses et les imperfections de la nature humaine 27. »
Mais assurément il ne faut pas serrer de trop près un capitaliste. A peine vient-il de reconnaître : « L'argent a pouvoir démoralisateur et le caractère change rapidement avec l'accroissement du revenu 28 », que sa bile s’échauffe. Tout le temps il s'est déjà fâché au sujet de l'incompréhension, tout à fait contraire à la foi, que M. le professeur Cohn montre pour sa belle âme. Il a accepte avec beaucoup de patience que les explications détaillées de M. le professeur sur la fonction de la Bourse n'aient pas apporté une grande clarté et il écoute maintenant avec ironie les déclarations intéressantes que le professeur Cohn a à faire sur la fonction des universités prussiennes. Mais il ne faut pas exagérer. Il n'est nullement opposé à ce que le professeur proclame : « Le but de l'Université est de se placer entre la Bourse et la social-démocratie, de montrer et de défendre la justification morale de la Bourse. » Mais quand le savant professeur ajoute : « Si les universités n'étaient pas là, les contradictions éclateraient », ce cas de mégalomanie le fait rire. Il ne peut pas croire au sérieux du professeur et c’est pourquoi il lui réplique : « Que les Bourses poursuivent des buts moraux, j’y consens. Toutefois ce n'est pas pour cela qu’elles ont été créées, mais dans des buts d'intérêt personnel. Les commerçants doivent-ils créer des Bourses pour en faire des institutions de bienfaisance ? » A cette question, l'économie politique classique n'apporte aucune réponse et M. le professeur Cohn ressemble alors à un barbet trempé, où ne se cache aucun Méphistophélès.
Notes
1 Au début de juillet 1908, différents journaux publièrent la note suivante : « On a appris récemment que le groupe des grands magasins Braun, de Zurich, a été transformé, avec la participation d'un consortium allemand, en société en commandite. » Que des grands magasins soient créés n'est plus un phénomène rare, mais la fondation suisse mérite l'attention générale pour d'autres raisons. La direction du consortium allemand est entre les mains de la firme Hecht, Pfeiffer et Cie, de Berlin, qui compte parmi les firmes d'exportation allemandes les plus importantes. Cette maison s'est développée en un consortium d'achats pour un grand nombre de magasins dans différents pays. Selon l'accord conclu avec les magasins suisses Braun, la firme Hecht, Pfeiffer et Cie a désormais la charge d'effectuer tous leurs achats et de les régler directement. Elle entretient un vaste réseau aux nombreuses ramifications et s'est associée au début de l'année dernière avec la firme Emden et fils, de Hambourg. d'une façon si étroite qu'elle procède, à l'intérieur du pays même, aux achats pour les deux cents magasins adhérents à la Centrale Emden. En outre, elle entretient également des relations avec un grand magasin de New York, pour le compte duquel elle achète en Allemagne des marchandises d'une valeur totale d'environ 60 millions de marks par an. La supériorité économique des grands magasins, qui consiste principalement dans les avantages que présentent les achats en gros, a conduit à la fondation de centrales d'achats, qui obtiennent, sous dépendance financière également, la plupart des affaires assurées par elles.
2 Voir l'intéressant exposé chez Algernon Lee, « La Trustification du petit commerce aux Etats-Unis », Neue Zeit, 27° année, t. II, pp. 654 sq. Les débitants en cigares s'étaient groupés, pour sauvegarder leur indépendance, en une association appelée Cigar Stores Company. Le trust du tabac, lui, fonda l'United Cigar Company, au capital de deux millions de dollars. « Cette société acheta un grand nombre de débits de tabacs et en ouvrit d'autres avec de meilleures marchandises, un choix plus abondant et des devantures plus belles que n'importe quelle autre affaire concurrente. Les prix furent abaissés en même temps qu'on introduisait un système de primes qui assurait à la société une clientèle permanente. La lutte ne dura pas longtemps. En l'espace d'un an, l'Independent Cigar Stores Company fut obligée de vendre à la United Cigar Stores Company aux conditions dictées par le trust. Les petits détaillants n'avaient, par leur opposition, que précipité leur ruine. Aussi ne fait-il pas le moindre doute que le trust poursuivra dans la voie où il s'est engagé, et probablement même à une allure plus rapide, jusqu'à ce qu'il ait vaincu tout ce qui mérite de l'être dans le commerce de détail de cette branche d'industrie. » Lee parle ensuite de la concentration dans le commerce de détail du café, du thé, du lait, des œufs, des produits combustibles, de l'épicerie, etc., et résume d'une façon remarquable les tendances à la concentration : « La concentration se poursuit et la classe des petits détaillants indépendants perd une position après l'autre dans cinq directions différentes, mais qui aboutissent toutes au même résultat : 1°) Quelques-uns des trusts industriels, après avoir obtenu la haute main dans la production, étendent leurs opérations dans le domaine du commerce de détail, éliminent complètement le petit détaillant et vendent directement leurs produits aux consommateurs; 2°) Certaines grandes sociétés de production utilisent encore le petit détaillant pour écouler leurs marchandises, mais le traitent plutôt comme un employé que comme un commerçant indépendant; 3°) Dans les grandes villes, les grands magasins ont déjà enlevé une grande partie du commerce de détail aux petits commerçants, et ce processus se poursuit. Certains de ces magasins représentent un capital de centaines de milliers ou même de millions de dollars. Souvent plusieurs appartiennent à la même société, et ont déjà commencé à renforcer la tendance à la concentration dans le domaine des grands magasins. Ils entrent par là en étroit contact avec les différents groupes de la haute finance, du commerce de gros et des trusts industriels; 4°) Les grandes maisons de commerce, qui reçoivent leurs commandes exclusivement, ou presque, par la poste, nuisent dans les districts ruraux au domaine du petit commerçant exactement de la même manière que leurs succursales dans les villes. Le développement énorme des communications téléphoniques et des transports urbains, ainsi que l'extension des livraisons par la poste à la campagne, ont ouvert à ce domaine commercial un champ très vaste, et dans de nombreux cas ces affaires de livraisons par la poste appartiennent à la même société qui possède en ville une ou plusieurs succursales; 5°) Parmi les petits commerçants eux-mêmes, la concurrence a pour effet de renforcer la tendance à la concentration, comme ce fut le cas au début de l'ère capitaliste dans le domaine industriel. Maints commerçants réussissent à s'assurer un avantage sur leurs concurrents, ce qui leur permet d'agrandir leur affaire, par quoi ils obtiennent de nouveaux avantages, réduisant ainsi le champ d'activité de leurs concurrents » (Voir également Werner Sombart, Le Capitalisme moderne, t. II, chap. 22 : « Les Efforts en vue de l'élimination du commerce de détail »).
3 Pour l'organisation du commerce de la lignite de Bohême il est caractéristique que le commissaire de la vente et en même temps propriétaire de mine et détenteur de parts des sociétés représentées par lui. Les deux firmes de ventes de charbon J. Petschek et Ed. J. Weinmann ont créé à Aussig leurs centrales qui assurent la vente de la lignite pour les grandes sociétés de la Bohême... A Aussig, les deux firmes de charbon n'étaient à l'origine que les intermédiaires. Au début des années 90, un changement se produisit, qui eut son point de départ dans le développement puissant de la société minière de Brüx. Les ventes pour cette société furent assurées ensuite par la firme Weinmann. La société de Brüx acheta à très bas prix les mines inondées d'Osseg et devint ainsi la principale entreprise de l'industrie de la lignite de Bohême. Entre-temps les actions de la Brüx avaient changé de mains; la majorité était passée à un syndicat sous la direction de la firme Petschek à la suite de quoi la vente du charbon avait été confiée à cette firme. Une situation nouvelle était ainsi créée : le commissionnaire de la vente était en même temps un gros actionnaire de l'entreprise, c'est-à-dire qu'il concluait les contrats de vente avec lui-même et exerçait également une grande influence sur la marche des affaires et la production. C'est dans cette voie que dut s'engager aussi la firme concurrente; elle aussi réussit grâce à la possession d'actions à s'assurer une influence prépondérante sur les entreprises représentées par elle (Neue Freie Presse, 25 février 1906).
4 Dans le même ordre d'idée, la Neue Freie Presse du 18 juin 1905 caractérise comme symptomatique l'absorption d'une grande firme sucrière de Prague par le Kreditanstalt et poursuit : « Le commerce du sucre est devenu presque entièrement la victime de ces efforts. Au début des années 90 encore, la vente des produits de la plupart des raffineries de Bohême était l'apanage des riches négociants de Prague, qui en tiraient des bénéfices énormes, travaillaient souvent aussi pour leur propre compte et constituaient par leurs contrats, ainsi que par leurs liaisons avec les marchés extérieurs, un phénomène spécifique de la place. Les affaires de sucre des banques se réduisaient à la vente par commission pour leurs propres fabriques et à l'allocation de crédits dans le cadre de l'activité bancaire normale. Au cours des dix dernières années, un certain nombre de ces firmes privées se sont retirées ou ont été transférées aux banques, d'autres se sont vues contraintes de réduire considérablement leurs opérations, et parmi les anciens magnats du commerce du sucre seule est restée une grande firme de Prague, qui représente encore maintenant treize usines et écoule chaque année plusieurs centaines de milliers de quintaux de marchandise. Les très grands fabricants de sucre privés, qui étendent leur production sur les deux moitiés de l'Empire, ne font pas appel à des intermédiaires pour leurs ventes, mais s'en chargent eux-mêmes. Les petites et moyennes entreprises sont entrées en liaison plus ou moins étroite avec les banques, qui leur accordent les crédits nécessaires, vendent pour elles la marchandise à l’exportation, ainsi qu’aux petits détaillants à l'intérieur et prennent souvent elles-mêmes tout le risque de l'opération. C'est ainsi que le commerce du sucre, autrefois si important, a été entièrement chassé de ses positions, et les deux tiers des ventes des usines de Bohême sont effectuées par les centrales des instituts de Prague (qui ne sont pour la plupart que des succursales des banques viennoises). Cette transformation du commerce de sucre a pris son point de départ dans l'allocation de crédits et d’installation de nouvelles raffineries. Au cours des années 80 et 90, de nouvelles fabriques ont été installées en Bohême et en Moravie, entre autres les grandes raffineries d'exportation sur l'Elbe, la plupart du temps à l'aide de capitaux étrangers et les banques qui ont fourni les fonds nécessaires se sont chargées de la vente des produits de ces nouvelles usines. Les petites et moyennes fabriques de sucre brut qui, depuis la conclusion du cartel, ont surgi du sol comme champignons après la pluie, ont été créées souvent avec des capitaux insuffisants, ce qui les a obligées de faire appel au crédit. Mais même des établissements déjà existants avaient besoin pour se moderniser et s'étendre de ressources importantes et entraient en liaison plus étroite avec les sources d'argent, liaison qui aboutissait la plupart du temps à l’abandon en d'autres mains de la vente de leurs produits. C'est ainsi que les succursales de Prague des banques viennoises, mais aussi des instituts locaux, ont pris pied dans les affaires de sucre et y ont consacré le plus clair de leur activité. La Laenderbank à elle seule représente quinze raffineries. L'Anglobank assure les ventes de onze fabriques de sucre brut, le Kreditanstalt s’occupe des affaires de cinq grandes entreprises, la Zisnovenka Banka est la centrale de ventes de nombreuses usines installées à la campagne. Les banques achètent aux fabriques de sucre brut toute leur production et la transfèrent aux raffineries d'où elles reçoivent le produit une fois raffiné pour le remettre aux offices de ventes à l'intérieur du pays et à l'étranger. Lorsqu'au cours des années les exportations prirent une importance de plus en plus grande pour les fabriques autrichiennes, l'activité des banques prit aussi un autre caractère. Les exportations exigeaient une action constante sur les marchés extérieurs et les bénéfices provenant des affaires de commission apparaissaient de plus en plus modestes par rapport à ceux que rapportaient les arbitrages et les transactions spéculatives... Mais les opérations sur le plan international supposaient une activité spéciale, du fait qu'un très petit nombre de fabricants étaient en mesure de réaliser eux-mêmes de telles opérations, qui exigeaient de longs délais pour pouvoir être menées à bien. C'est ainsi que le dernier acte de ce processus fut la prise en mains de ce commerce par les banques : les fabricants vendirent leurs produits aux banques avec lesquelles ils étaient en liaison, lesquelles s’efforcèrent de leur côte de tirer le plus grand bénéfice possible de la vente de ces produits sur les marchés intérieurs et extérieurs. Ce commerce pour son propre compte n'est certes pas encore la règle générale, et certaines banques prudentes s'en abstiennent par principe mais, à côté des ventes en commission, il prend déjà une place importante et. il n'est pas niable que l'évolution va dans ce sens. Des transactions très importantes sont encore réalisées par les banques qui sont étroitement liées à des cartels et s'occupent des ventes pour les produits des industries qu'elles contrôlent. C'est ainsi que la Laenderbank a le monopole de la vente pour le cartel des fabriques d'allumettes, des fabriques de sirop, des fabriques de vaisselle émaillée, des fabriques de papier peint, des amidonneries et de différentes industries chimiques, la Bankverein celle des fabriques de carton, le Kreditanstalt celle des fabriques de laiton. Ce ne sont généralement que des affaires de commission qui ne dissimulent pas un commerce plus spécialisé mais, du fait de la cartellisation et de la concentration des ventes dans un bureau spécial, le commerce intermédiaire a été chassé de ses positions. Le bénéfice provenant des affaires de commission a diminué par suite de la concurrence des banques et ne constitue plus qu'une petite partie des commissions obtenues autrefois. Cette diminution des bénéfices provenant des opérations régulières des banques a fait naître chez certaines d'entre elles qui possèdent des bureaux de vente des marchandises l'idée de développer ce commerce pour leur propre compte, et certains indices montrent que de nouvelles tentatives ont été faites dans ce sens. »
5 Des changements de prix peuvent se produire selon le rapport du capital industriel et du capital commercial dans les différentes branches. Supposons que dans un secteur déterminé, par exemple l'industrie de la construction mécanique, le capital de production soit de 1 000 et le capital commercial de 200. Avec un taux de profit moyen de 20 %, le profit commercial sera de 40. Le prix pour le consommateur sera de 1 000 + 200 (c'est-à-dire le prix auquel les industriels vendront leur produit au commerçant), plus 240 (qui rembourseront au commerçant son capital plus le profit), soit en tout 1 440. Mais, dans l'industrie textile, à un capital de production de 1 000 correspond un capital commercial de 400. Ici, le prix du produit sera de 1 680. Supposons que le cartel réussisse dans les deux cas à supprimer le capital commercial et à diminuer les frais commerciaux de moitié ; les fabricants de machines-outils réaliseraient sur un capital de 1 100 un profit de 340 et les fabricants de produits textiles un profit de 480. L'inégalité des taux de profit pourrait entraîner des phénomènes d'égalisation, qui se traduiraient par des changements de prix. Mais ce que gagneraient les acheteurs de produits textiles serait perdu par les acheteurs de machines-outils. En général, cette égalisation du fait de la cartellisation ne se fera que difficilement et incomplètement. Il en est autrement quand le commerce indépendant est remplacé par des coopératives de consommation, des société d'achats en gros, des coopératives agricoles, etc. Cela signifie seulement qu'à l'action des commerçants capitalistes se substitue celle des organisations de consommateurs, auxquelles revient par conséquent le profit commercial. En outre, la concentration renforcée signifie une diminution des frais de circulation.
6 Le grossiste Engel dit très justement : « Les efforts du syndicat tendent à monopoliser et à éliminer purement et simplement le commerce de gros. Le fournisseur n'achète naturellement pas pour cela à meilleur marché, car si l'on ne raisonnait pas ainsi : « Le bénéfice que réalise le commerce de gros, je veux me le réserver à moi-même, en tant que fabrique, que syndicat » , alors le mouvement n'aurait aucun sens » (Débats contradictoires sur l'union des fabriques allemandes de papier à imprimer, 4° cahier, p. 114). Cela est vrai également du Syndicat de la houille, par exemple. Il « utilise ce monopole des opérations d'expédition et du commerce de gros pour, sans augmentation expresse des prix du charbon, imposer les petits consommateurs par l'augmentation des frais de transport, et faire en sorte que les prix élevés que ceux-ci doivent payer profitent, non pas aux commerçants, comme jusqu'ici, mais aux producteurs » (Liefmann, op. cit., p. 98).
7 Débats contradictoires, I, p. 236.
8 Ibidem, p. 235.
9 Ibidem, p. 228 sq.
10 Ibidem, p. 230.
11 Ibidem, p. 229.
12 Ibidem, p. 230.
13 Ibidem, p. 455.
14 Ibidem, p. 380.
15 Admirons l'hypocrisie de ce brave employé du syndicat : « Nous avons, en tant que firmes commerciales, considéré cela comme juste, car nous sommes principalement là pour encourager et protéger les affaires intérieures. » Le pillage de l'intérieur, les entraves imposées au travail de transformation par la création d'une disette artificielle de charbon, de coke et de fer, le maintien de prix intérieurs élevés au moyen des ventes à bon marché à l'étranger, c'est en cela que consiste le patriotisme de ceux qui recherchent le profit.
16 Déclaration du secrétaire de la Chambre de commerce Gerstein (Hagen, Débats contradictoires, 6° séance, p. 444).
17 Ibidem, p. 445 .
18 Ibidem, p. 447. Avec quelle brutalité de grandes entreprises se conduisent parfois à l'égard de leurs fournisseurs, c'est ce que montre la déclaration de Gerstein (p. 556) : « Une grande usine métallurgique propriétaire de mines a des conditions imprimées pour la fourniture de ses outils où l'on exige une offre, avec cette indication : quantité : nos besoins pour l'année 1904, sans engagement de notre part en vue de l'achat d'une quantité déterminée. Livraison à notre convenance. »
19 Ibidem, 4° cahier. Déclaration du directeur Reuther, pp. 110 sq.
20 « Le Syndicat s'est par conséquent posé comme tâche d'éliminer ce commerce de gros en papier à imprimer. Après avoir réussi à éliminer un grand nombre d'agents qui s'occupaient de la vente, non seulement d'autres papiers, mais aussi du papier à imprimer, il restait encore un grand nombre de commerçants qui s'occupaient de papier à imprimer, et c'est ainsi que le syndicat s'est posé comme tâche, non seulement de refuser de fournir du papier à imprimer aux firmes qui faisaient de la spéculation, mais aussi d'empêcher que de nouveaux commerçants ne fassent leur apparition dans les affaires de papier à imprimer. C'est pourquoi il refusa dans de nombreux cas de vendre aux firmes qui voulaient, depuis la constitution du Syndicat, étendre leurs opérations au papier à imprimer » (Ibidem, p. 111).
21 Ibidem, I, pp. 94 et sq. Le Syndicat allemand du coke a obligé en automne 1899 ses clients à couvrir leurs besoins pour les deux années suivantes. Notons en passant que le syndicat utilisa sa force pour porter les prix de l'année 1900, déjà fixés en février 1899 à 14 marks, à 17 marks pour les deux années en question. Sous la menace de ne pas recevoir de coke, les usines consommatrices durent s'incliner. La chose est également intéressante pour cette raison qu'elle montre à quel point les syndicats ont peu d'influence sur les crises. Les accords furent conclus en 1899, soit environ vingt-sept mois plus tôt. Au milieu de l'année 1900, la conjoncture s'aggrava et 1901 fut une année de crise, mais les hauts prix pour le coke étaient assurés. L'effet de la crise en fut ainsi extraordinairement aggravé pour l'industrie de transformation (Débats contradictoires, 3° séance, pp. 638, 655, 664).
22 Industrial Commission. Preliminary Report on Trusts and Industrial Combinations, p. 223.
23 Industrial Commission, op. cit., p. 63. « I do not care two cents for your ethics. » Il ajoute que c'est un bon principe commercial d'établir des prix bas pour dominer la concurrence. Car, comme il le déclare plus loin, « les trusts n'ont pas pour but d'assurer la bonne santé des concurrents » (p. 223).
24 Ecoutons cette menace de punition de la Deutsche Agrarkorrespondenz (n° 8 de l'année 1899), qui est très proche de l'Union des cultivateurs : « Le distillateur allemand qui refuse d'adhérer à la Société mérite l'attention des professionnels. Il faudrait stigmatiser pour toujours ces messieurs. Si l'on s'en prenait plus tard à leur porte-monnaie, ne seraient-ils pas punis d'une façon plus sensible que par le "hou ! " qui leur convient de toutes façons ? »
25 Débats contradictoires, déclaration du secrétaire général Koepke.
26 Enquête sur la Bourse, I. p. 464. Déclaration du Consul général Russel, de la Diskontogesellschaft.
27 Dictionnaire des sciences sociales, pp. 181 sq.
28 Enquête sur la Bourse, t. II, p. 2151. Déclaration de van Gülpen. Il n'est pas le seul : « Quand ils lui rendent la vie saumâtre (un banquier de province), il se voit contraint, plus qu’il ne l’a peut-être fait jusqu'alors, de vendre des papiers de mauvaise qualité », assure M. von Guaita (Ibidem, p. 959).