1910

Rudolf Hilferding

Le capital financier

PREMIERE PARTIE - L’ARGENT ET LE CRÉDIT 

CHAPITRE V - LES BANQUES ET LE CREDIT INDUSTRIEL

1910



Le crédit apparaît d'abord comme simple résultat de la fonction modifiée de l'argent en tant que moyen de paiement. Si le paiement n'a lieu qu'un certain temps après la vente, pour cet intervalle de temps l'argent est crédité. Cette forme de crédit suppose par conséquent des propriétaires de marchandises, des capitalistes productifs dans la société capitaliste développée. Si nous supposons le processus isolé et accompli en une seule fois, cela signifie que le capitaliste A possède une réserve de capital suffisante pour pouvoir attendre les rentrées d'argent de B, lequel ne dispose pas de la somme nécessaire au moment de l'achat. Pour cette unique obtention de crédit, A doit posséder autant d'argent en plus que B en a besoin jusqu'à la date du paiement. L'argent ne serait pas ainsi épargné, mais seulement transféré. Il en est différemment si le bon de paiement fonctionne lui-même comme moyen de paiement, en d'autres termes si A, non seulement donne du crédit à B, mais en prend lui-même de C, en ce sens qu'il paye C avec la traite de B. Si C a lui-même un paie­ment à faire à B et le paye avec sa propre traite, les achats et ventes entre A et B, A et C, et C et B se sont effectués sans l'intermédiaire de l'argent. On a donc épargné de l'argent, et comme par ailleurs cet argent aurait dû être, en tant que capital supplémentaire (pour le processus de circulation du capital-marchandises), entre les mains des capitalistes productifs, du capital-argent a donc été épargné pour eux. La traite a remplacé l'argent en exerçant elle-même la fonction d'argent, autrement dit en fonctionnant comme argent de crédit. Une grande partie des processus de circulation, même les plus importants, jouent entre les capitalistes productifs eux-mêmes. Toutes ces transactions peuvent en principe être effectuées à l'aide de traites : une grande partie d'entre elles se compensent mutuellement et seule une certaine quantité d'argent liquide est nécessaire pour le règlement du solde. Ici par conséquent les capitalistes se font du crédit entre eux. Ce qu'ils créditent ainsi, ce sont les marchandises, qui représentent pour eux un capital-marchandises, mais celles-ci comme simples porteurs d'une certaine quantité de valeur, supposée, lors de la vente, déjà réalisée dans sa forme socialement valable, par conséquent comme porteurs d'une certaine somme d'argent, que représente la traite. La circulation des traites repose par conséquent sur la circulation des marchandises mais de marchandises qui ont déjà été réalisées en argent au moyen de la vente, même si cette transformation n'a pas encore été rendue socialement valable, mais n'existe qu’en tant qu’acte privé dans la promesse de paiement de l’acheteur 1.

Ce crédit, tel qu'il a été considéré ici, se faisant entre les capitalistes productifs eux-mêmes, nous l'appelons crédit de circulation. Nous avons vu qu'il remplace de l'argent, par conséquent épargne du métal précieux, puisqu'il signifie transfert de marchandises sans l'intermédiaire de l'argent. L'extension de ce crédit repose sur l'extension de ces transferts de marchandises et, comme il s'agit ici de capital-marchandises - d'opérations entre capitalistes productifs -, sur l'élargissement du processus de reproduction. Ce dernier une fois élargi, la demande de capital sous forme de capital productif (machines, matières premières, force de travail, etc.) augmente du même coup.

L’augmentation de la production signifie en même temps augmentation de la circulation, laquelle entraîne à son tour une augmentation du crédit argent. La circulation des traites augmente et peut être augmentée, parce que la quantité des marchandises mises en circulation s'accroît. Ce qui est possible sans que la demande de métal précieux ait besoin de s'accroître, elle aussi. De même le rapport entre la demande et l'offre de capital-argent n'a pas besoin d'être modifie. Car l'offre peut s'accroître en même temps et dans la même proportion que le besoin de moyens de circulation, puisque, en raison de l'accroissement de la quantité de marchandises, on peut dépenser de l'argent-crédit en plus grande quantité.

Ici, la circulation des traites a augmenté 2. Ce crédit accru n'affecte absolument en rien le rapport de l'offre et de la demande des éléments du vrai capital productif. Le processus de production a été élargi et les marchandises nécessaires pour une production accrue ont été fournies. Nous avons ainsi un crédit accru et un capital productif plus grand. L'un comme l'autre se traduisent par une circulation de traites accrue. Mais cela n'a entraîné aucune modification dans le rapport de l'offre et de la demande de capital sous forme d'argent. Seule cette demande influe sur le taux d'intérêt. Donc un crédit accru, même s'il ne s'agit que de crédit de circulation, peut aller de pair avec un taux d'intérêt resté le même.

La circulation des traites n'est limitée que par la somme des transactions vraiment effectuées. Alors que le papier d'Etat peut être émis en quantités surabondantes, ce qui a pour résultat de faire baisser la valeur de chaque coupure prise a part, mais non celle de l'ensemble, les traites ne peuvent être tirées en principe que pour des affaires déjà conclues et ne sont par conséquent pas émises en quantités surabondantes. Si l'affaire est simulée, truquée, la traite est sans valeur. Toutefois, cette non-valeur d'une traite isolée n'affecte absolument pas la masse des autres.

Mais, que des traites ne puissent pas être émises en quantités excessives, cela ne prouve pas que la somme d'argent pour laquelle elles sont émises ne puisse pas être trop élevée. Si une crise se produit, entraînant une dépréciation générale des marchandises, les engagements de paiement ne peuvent être entièrement tenus. L'arrêt des transactions rend impossible la transformation de la marchandise en argent. Le fabricant de machines qui a compté sur la vente de sa machine pour payer la traite qu'il avait tirée pour l'achat de fer et de charbon ne peut maintenant plus la payer et ne peut pas non plus la compenser par une autre traite reçue de l'acheteur de sa machine. S'il ne dispose pas d'autres ressources, sa traite est maintenant sans valeur, bien qu'elle ait représenté, au moment où il l'a tirée, un capital-marchandises - le fer et le charbon qui lui ont servi à fabriquer sa machine 3.

Le crédit de traites est du crédit pour la durée du processus de circulation et remplace le capital supplémentaire, qu'il faut conserver pendant le temps de circulation. Ce crédit de circulation, les capitalistes productifs se l'accordent eux-mêmes entre eux; c'est seulement quand les rentrées ne se font pas que de l'argent doit être mis à disposition par des tiers, les banques. De même, celles-ci interviennent quand la vente des marchandises qui sont la condition de la circulation des traites s'arrête, soit parce que ces marchandises sont momentanément invendables soit parce que les transactions sont interrompues pour des raisons spéculatives. Les banques ne font donc ici que compléter le crédit de traites.

Le crédit de circulation élargit ainsi la base de la production au-delà du capital-argent se trouvant entre les mains des capitalistes, qui ne constitue plus pour eux que la base de l'édifice de crédit, un fonds pour le règlement des traites et un fonds de réserve destiné à couvrir les pertes au cas où elles seraient dépréciées.

L'économie d'argent sera d'autant plus grande que les traites se compenseront davantage entre elles. Pour cela des installations spéciales sont nécessaires : les traites doivent être rassemblées et confrontées les unes avec les autres. Ces fonctions sont remplies par les banques. Ainsi l'économie d'argent devient d'autant plus grande que la même traite sert plus souvent de moyen de paiement. Mais la circulation de la traite pourra être d’autant plus étendue que sa capacité de paiement est plus sûre. L'estimation de crédit d’une traite, qui doit fonctionner comme moyen de circulation et de paiement, doit être connue. Cette fonction incombe également aux banques. Elles remplissent les deux fonctions en achetant les traites, ce qui revient à accorder elles-mêmes le crédit. Elles remplacent le crédit commercial par le crédit bancaire, autrement dit, leur crédit propre, en donnant des billets en échange de la traite et en remplaçant ainsi la traite commerciale et industrielle par leur propre traite. Car le billet de banque n'est en réalité qu'une traite sur le banquier, traite qu’on accepte plus volontiers que celle de l'industriel ou du commerçant. Le billet de banque repose par conséquent sur la circulation des traites. Si le papier d'Etat est garanti par le minimum socialement nécessaire des transactions commerciales, la traite par la transaction effectuée en tant qu'acte privé du capitaliste, le billet de banque est garanti par la traite, la promesse de paiement qui engage tout l'avoir des personnes ayant participé à l'échange. En outre, l'émission de billets est limitée par le nombre des traites escomptées, limitées elles-mêmes par le nombre des actes d'échange accomplis.

Le billet de banque n'est donc, à l'origine rien d'autre qu’une traite de la banque, qui remplace la traite des capitalistes productifs 4. Avant l'époque de l'apparition des billets de banque, les traites circulaient, souvent pourvues de cent signatures, jusqu'à leur échéance, et réciproquement les billets de banque étaient établis à l’origine, à la façon des traites, pour les montants les plus différents et pas seulement pour des sommes rondes. Ils ne portaient même pas toujours le caractère de traites à vue. Autrefois, il n'était pas rare que des banques émissent des billets qui n'étaient payables ni à vue ni au lendemain du jour de leur présentation, mais au gré de la banque émettrice, auquel cas ils portaient intérêt jusqu’au jour du paiement 5.

Un premier changement, qui ne supprime du reste pas les lois économiques, est introduit par l’intervention de l'Etat, dans le but de garantir la convertibilité de billet en limitant directement ou indirectement l'émission des billets de banque et en en faisant le monopole d'une banque placée sous le contrôle de l'Etat. Dans les pays où le papier d'Etat fait défaut et est limité à un montant inférieur au minimum social, le billet de banque prend la place occupée d'ordinaire par le papier d’Etat. Si, dans certaines périodes de crise, on impose au billet de banque un cours forcé, il devient lui-même par là papier d'Etat 6. La réglementation artificielle de l’émission des billets échoue dès que les circonstances exigent une émis­sion de billets accrue. C'est ce qui se produit quand la crise entraîne l'effondrement du crédit, que l'argent-crédit d'un grand nombre de capitalistes privés (par conséquent un grand nombre de traites) perd de sa solidité et qu'il faut combler la place qu'il occupait dans la circulation par des moyens de circulation supplémentaires. La loi fait faillite et est violée, comme ce fut le cas récemment aux Etats-Unis, ou suspendue, comme les « actes de Peel » en Angleterre. Le fait qu'on accepte le billet de banque, alors que de nombreuses autres traites sont refusées, repose uniquement sur le crédit de la banque. Si celui-ci était ébranlé, lui aussi, il faudrait imposer le cours forcé des billets de banque ou procéder à l'émission directe de papier d'Etat. Car, dans le cas contraire, on devrait créer, comme lors de la dernière crise américaine, des moyens de circulation privés. Mais ce serait là un moyen beaucoup moins efficace pour combattre la crise monétaire aggravée par une législation défectueuse sur les billets de banque 7.

Pas plus que les traites, on ne peut émettre en quantités surabondantes les billets de banque convertibles - et les billets non convertibles ne sont rien d'autre en fait que du papier d'Etat à cours forcé 8. La circulation se débarrasse du billet de banque dont elle n'a plus besoin en le rendant à la banque. Comme elle se substitue aux traites, l'émission de billets de banque est soumise aux mêmes lois que la circulation de traites et s'étend parallèlement à celle-ci aussi longtemps que le crédit reste intact mais, en tant que moyen de paiement dont le crédit est resté inébranlé dans la crise, le billet de banque, de même que l'argent liquide, remplace la traite dès que la circulation des traites se contracte violemment du fait de la crise de crédit.

Au fur et à mesure du développement du système bancaire, où tout l'argent inactif afflue dans les banques, le crédit bancaire se substitue au crédit commercial, de telle sorte que de plus en plus toutes les traites ne servent pas dans leur forme initiale de moyen de paiement en circulant entre les capitalistes productifs, mais dans leur forme nouvelle de billets. La compensation et le règlement des soldes se font maintenant dans et entre les banques, une disposition technique qui accroît le cercle de la compensation possible et diminue encore le montant d'argent liquide nécessaire au règlement des soldes.

L'argent que jusque-là devaient conserver les capitalistes eux-mêmes pour régler le solde résultant de la compensation de leurs traites est maintenant devenu pour eux superflu; il est déposé dans les banques, qui s'en servent pour le règlement des soldes. D'où diminution de la partie du capital que les capitalistes productifs devaient conserver par devers eux sous forme de capital-argent.

Comme le banquier remplace la traite par son propre crédit, il a lui aussi besoin de crédit, mais seulement d'un petit capital propre sous forme d'argent en tant que fonds de garantie pour sa solvabilité. Ce que font ici les banques, c'est, en remplaçant le crédit inconnu par le leur propre, plus connu, permettre à l'argent-crédit de circuler en plus grande quantité. Elles permettent également par là de multiplier la compensation des engagements de paiement sur un espace plus vaste et aussi dans le temps élargissant ainsi l'édifice du crédit dans une mesure plus grande que n'aurait pu le faire la circulation des traites entre les capitalistes productifs eux-mêmes.

Mais il ne faut pas considérer doublement le capital que les banques, en escomptant les traites, mettent à la disposition des capitalistes productifs ; la plus grande partie des dépôts en banque appartient à la classe des capitalistes productifs qui, avec le développement du système bancaire, déposent dans les banques tout leur capital-argent disponible. Ce capital-argent constitue, nous l'avons vu, la base de la circulation des traites. Mais c'est le capital propre de la classe. Par l'escompte des traites, la classe en tant que telle ne reçoit pas un nouveau capital. On n’a fait que remplacer le capital sous une de ses formes d'argent (promesse de paiement de la banque et éventuellement argent liquide). Il ne s'agit que de capital-argent, dans la mesure ou il remplace un capital-marchandises déjà réalisé ; par conséquent, la somme d'argent est ici considérée du point de vue génétique. Mais, du point de vue purement fonctionnel, il ne s'agit toujours que d'argent - moyen de paiement ou d'achat.

Bien entendu, la substitution du crédit bancaire au crédit des capitalistes productifs peut également se faire sous d'autres formes. C'est ainsi que, dans les pays où existe un monopole des émissions de billets, les banques privées mettent leur crédit à la disposition des capitalistes productifs en « endossant » leurs traites, c'est-à-dire en y apposant leur signature, et en garantissant ainsi leur solvabilité. De cette manière, la traite bénéficie du crédit de la banque, ce qui accroît sa capacité de circulation comme si elle était remplacée par les billets de cette banque. On sait qu'une grande partie des transactions commerciales internationales se font à l'aide de ce genre de traites. En principe, entre des traites ainsi garanties et des billets émis par des banques privées, il n’y a aucune différence 9.

Le crédit de circulation, dans le sens que nous venons d'employer, consiste par conséquent en la création d'argent-crédit. Il rend par là la production indépendante de la limite de la somme d'argent liquide existante, et par argent liquide nous entendons aussi bien les lingots de métal précieux, la monnaie d'or ou d'argent, que le papier d'Etat à cours forcé et la monnaie divisionnaire, dans la mesure où ils constituent le minimum de circulation socialement nécessaire.

Mais le crédit de circulation en tant que tel n'opère ni transfert de capital-argent d'un capitaliste productif à un autre, ni afflux d'argent d'autres classes (improductives) à la classe capitaliste pour être transformé par elle en capital. Si le crédit de circulation remplace par conséquent l'argent liquide, nous appelons crédit de capital le crédit dans sa fonction, laquelle consiste à transformer de l'argent, sous quelque forme que ce soit - argent liquide ou argent-crédit - d'argent inactif en capital-argent actif. Crédit de capital pour cette raison que ce transfert est toujours un transfert à ceux qui, par l'achat des éléments du capital productif, emploient l'argent en tant que capital-argent.

Nous avons vu au chapitre précédent comment, au cours du processus de production capitaliste, apparaît de l'argent libre, stocké, qui doit servir de capital-argent. Ce sont les sommes qui, liées momentanément par le processus de production, sont immobilisées momentanément, les sommes mises en réserve pour remplacer le capital fixe et la plus-value mise de coté, jusqu'à ce qu'elles soient devenues assez importantes pour l'accumulation. Ici, il y a trois choses à faire : d'abord, rassembler les sommes isolées jusqu'à ce que leur total soit devenu suffisant pour être employé d'une façon productive; ensuite, les mettre à la disposition des personnes appropriées; enfin, les mettre à leur disposition pour le temps qui convient.

Nous avons vu plus haut comment l'argent-crédit est né de la circulation. Maintenant, nous avons affaire à l’argent qui ne fonctionne pas; mais l'argent ne peut remplir qu'une fonction d'argent, et il ne peut la remplir que dans la circulation. C’est pourquoi le crédit ne peut rien faire d’autre dans cette fonction que mettre en circu­lation de l’argent qui ne circule pas.

Mais, en tant que crédit capitaliste, il ne le met en circulation que pour en tirer plus d'argent; il le met en circulation en tant que capital-argent pour le transformer en capital productif. Il accroît ainsi le volume de la production, accroissement que doit précéder l'accroissement du volume de la circulation, Celui-ci se produit sans l'intervention d’un argent nouveau, mais seulement par l'utilisation d’un argent ancien, mais inactif, à des fins de circulation.

Ici s'ensuit par conséquent de nouveau le besoin d'une fonction économique qui consiste à ressembler le capital-argent inactif et à le répartir ensuite.

Mais le crédit a ici un autre caractère que le crédit de circulation. Celui-ci fait que l’argent fonctionne comme moyen de paiement. Le paiement, pour une marchandise vendue, est crédité. De l’argent qui autrement devrait entrer dans la circulation, est épargné, parce qu'il est remplacé par de l’argent-crédit. Pour cette somme, de l’argent véritable est superflu, qui autrement devrait exister, D’un autre côté, on ne met à la disposition du capitaliste aucun nouveau capital. Le crédit de circulation ne fait que donner à son capital-marchandises la forme de capital-argent.

Tout autre est le crédit de capital. Il n'est que transfert d’une somme d'argent, que son possesseur ne peut pas employer comme capital, à quelqu'un qui peut l'employer en tant que tel. C'est là sa destination. Car, si elle n'était pas employée en tant que capital, sa valeur ne pourrait être maintenue et refluer. Mais, considéré socialement le retour de l'argent à son propriétaire est toujours nécessaire pour qu’on puisse le prêter avec sécurité. Il y a donc ici transfert d’argent, et non pas épargne d'argent, en général. Le crédit de capital consiste par conséquent en transfert d’argent qui, de capital inactif doit être transformé en capital actif 10. Celui-ci n'épargne pas, comme le crédit de paiement, des frais de circulation, mais élargit, au moyen de la même somme d'argent, la fonction du capital productif.

La possibilité du crédit de capital découle ici des conditions de la circulation du capital-argent lui-même, découle du fait qu'à intervalles périodiques une certaine quantité d'argent, dans le circuit individuel du capital, est immobilisé. Une partie des capitalistes le déposent dans les banques, qui à leur tour le mettent à la disposition des autres.

Pour l'ensemble de la classe capitaliste, l'argent ne reste pas alors inactif : s'il est immobilisé quelque part comme trésor, le crédit le transforme immédiatement en capital-argent actif dans un autre processus de circulation. Ainsi se réduisent pour toute la classe les dimensions du capital-argent à avancer. Cette réduction découle du fait que les pauses de la circulation rendent ici l'argent transférable, ce qui permet d'éviter que l'argent reste immobilisé sous forme de trésor. Toute la classe capitaliste n'a besoin alors que de ne laisser immobilisée qu'une toute petite partie de l'argent en vue de remédier éventuellement aux irrégularités et aux perturbations de la circulation.

Nous avions affaire jusqu'ici aux capitalistes productifs (industriels et commerciaux) qui font leurs échanges, comme par exemple l'achat de moyens de production, à l'aide d'argent-crédit. Maintenant, le capitaliste productif devient capitaliste prêteur. Mais ce n'est que provisoirement, quand son capital-argent est au repos, en attendant d'être transformé en capital productif, Et, de même qu'à un certain moment il prête à un autre, il emprunte à un deuxième capitaliste productif. Ce caractère de capitaliste prêteur n'est d'abord que provisoire et c'est seulement avec le développement du système bancaire qu'il devient la fonction essentielle de ce système.

Le capital-argent fonctionne par l'intermédiaire du crédit en plus grande quantité que sans lui. Le crédit a pour effet de réduire le capital inactif au minimum nécessaire pour empêcher des perturbations ou tout autre changement imprévu dans le processus de circulation du capital. L’immobilisation du capital-argent pendant un certain temps au cours du processus de la circulation du capital individuel, le crédit s'efforce ainsi de la supprimer pour l'ensemble du capital social.

Il s'ensuit que la constitution de dépôts en banque du capital productif, de même que leur retrait, obéissent à certaines lois qui découlent de la nature de la circulation du capital productif, de sa durée. Reconnaître ces lois, c'est ce qu’enseigne aux banques l'expérience, qui leur indique le minimum de dépôts à ne pas dépasser en temps normal et leur permet de le maintenir à la disposition des capitalistes productifs.

Le « chèque » est le rapport direct au dépôt, tandis que la traite ne doit s'y rapporter que virtuellement. Le chèque se rapporte au dépôt individuel, la traite à celui de la classe tout entière. Car ce sont d'abord ses propres dépôts qui, dans l'escompte des traites, sont mis a la disposition de la classe capitaliste et, quand les paiements pour les traites arrivées à échéance ont lieu et que par conséquent les rentrées d'argent pour les marchandises vendues se produisent effectivement, reviennent toujours dans les banques en qualité de dépôts. Si les rentrées d'argent diminuent, si les recouvrements des traites baissent, les capitalistes doivent avoir à leur disposition du capital supplémentaire. Ils réduisent alors leurs dépôts et par conséquent le fonds sur lequel leurs traites sont escomptées. A ce moment-là, la banque doit intervenir, escompter les traites avec son propre crédit mais, comme la base de la circulation des traites, à savoir les dépôts, a diminué et que leur liquidité est amoindrie, elle ne peut pas sans danger accroître son propre crédit. Le ralentissement des rentrées a dans ce cas provoqué une demande accrue de crédit bancaire et, comme ce dernier n'est pas extensible à volonté, de capital bancaire, c'est-à-dire de capital de prêt. Ce qui se traduit par la hausse du taux d'intérêt. La fonction de la traite en tant que crédit d'argent s'est réduite. L'argent doit ici se substituer à lui et, du fait qu'on le retire des banques, il en résulte une demande accrue de capital-argent. Nous avons ici par conséquent diminution des dépôts avec une circulation de traites en volume égal ou même croissant et un taux d'intérêt plus élevé.

Que la somme des dépôts soit plusieurs fois plus importante que la somme d'argent liquide existante est déjà clair. L'argent métallique passe par toute une série de circuits et constitue en même temps la base de la circulation de l'argent-crédit. Chacun de ces circuits d'argent liquide ou d'argent-crédit peut se traduire par un dépôt chez le banquier. Ce qui fait que la somme des dépôts peut dépasser d'autant plus la somme d'argent liquide que le nombre des circuits de l'argent, y compris l'argent-crédit, est plus grand.

A dépose 1 000 marks à la banque. Celle-ci prête ces 1 000 marks à B. Ce dernier s'en sert pour payer une dette à C, lequel dépose à son tour ces 1 000 marks à la banque, qui les prête à nouveau, et ainsi de suite. « Les dépôts ... jouent un double rôle. D'une part, ils sont... prêtés comme capital rapportant intérêt et ne se trouvent par conséquent pas dans les coffres des banques, mais figurent seulement dans leurs livres comme avoirs des déposants. D'autre part, ils fonctionnent comme de simples inscriptions sur un registre, dans la mesure où les avoirs réciproques des déposants se compensent mutuellement par des chèques sur leurs dépôts et s'inscrivent l'un contre d'autre, la question étant indifférent de savoir si les dépôts se trouvent chez le même banquier, de telle sorte que le dernier inscrive les différents comptes les uns contre les autres, ou dans plusieurs banques, qui dans ce cas échangent leurs chèques en ne réglant que les différences 11. »

D'après ce qui précède, la banque a agi d’abord en tant qu'intermédiaire du rapport de paiement, qu’elle élargit par la concentration des paiements et la compensation de leurs différences locales; ensuite elle a transformé le capital-argent inactif en capital-argent actif, qu’elle a rassemblé, stocké, réparti, et par là réduit au minimum nécessaire à la circulation du capital social.

Elle exerce enfin une troisième fonction en rassemblant, sous forme d'argent le revenu de toutes les autres classes et en les mettant à la disposition de la classe capitaliste en tant que capital-argent. Les capitalistes voient donc affluer vers eux, en plus de leur propre capital-argent, que gèrent les banques, l'argent immobilisé de toutes les autres couches sociales...

Pour pouvoir remplir cette fonction, les banques doivent le plus possible rassembler, stocker et mettre ensuite à la disposition des capitalistes productifs tout l’argent qui reste immobilisé dans les mains de leurs propriétaires. Pour cela, le meilleur moyen est de donner un intérêt sur les dépôts et d'installer des succursales pour recevoir ces dépôts. Cette prétendue décentralisation, prétendue parce qu'elle est d'ordre purement géographique et non économique, réside ainsi dans la nature même de la fonction bancaire, qui est de transférer dans la production les capitaux inactifs.

Le capital-argent que les banques mettent a la disposition des capitalistes industriels peut être employé par ceux-ci de deux manières à l'élargissement de la production : on peut demander du capital-argent pour le transformer, soit en capital circulant, soit en capital fixe. La différence est importante à cause de la façon différente dont se font les rentrées. Du capital-argent, avancé pour l'achat de capital circulant, reflue de la même manière, c'est-à-dire que sa valeur, une fois terminée la période de transformation est entièrement reproduite et transformée de nouveau sous forme de capital-argent. Il en est autrement lorsque du capital-argent est avancé pour être transformé en capital fixe. Ici, l’argent ne rentre que peu à peu pendant une longue série de périodes de transformation et reste immobilisé pendant tout ce temps. Cette sorte différente de reflux détermine ainsi une sorte différente d’immobilisation de l'argent de la banque. Celle-ci a investi son capital dans l'entreprise capitaliste et participe ainsi au sort de cette entreprise. Cette participation est d'autant plus solide que le capital bancaire fonctionne d’avantage comme capital fixe dans l'entreprise. En face du commerçant, la banque est beaucoup plus libre qu'en face de l'entreprise industrielle. Avec le capital du commerçant ce qui entre surtout en ligne de compte c'est le crédit de paiement. C'est ce qui explique pourquoi les relations entre capital commercial et capital bancaire se déroulent, nous le verrons, tout autrement qu'entre ce dernier et le capital industriel.

Les formes dans lesquelles le capital bancaire, y compris les fonds étrangers, dans les dimensions mentionnées plus haut, est mis à la disposition des capitalistes producteurs sont variées : dépassement de leurs propres dépôts, ouverture de crédit et de comptes courants. Leur distinction n’est d’aucune importance fondamentale; ce qui compte c’est à quoi les fonds sont employés : placement de capital fixe ou de capital circulant 12.

Mais cette fixation de capital exige aussi par ailleurs un plus grand capital propre des banques, qui sert de fonds de réserve et de garantie pour le retrait des sommes mises en dépôt. Les banques d'affaires doivent par conséquent toujours disposer d'un capital considérable, contrairement aux banques de dépôts. C'est ainsi qu'en Angleterre la proportion du capital-actions déposé par rapport aux obligations de la banque est extrêmement faible : « A la London and Country Bank, cette proportion était en 1900 de 4,38 % 13. » C’est ce qui explique l'importance des dividendes versés par les banques anglaises de dépôts.

Au début du développement, le crédit se fait principalement à l’aide de traites; c'est du crédit de paiement que les capitalistes productifs, industriels et commerciaux, se font mutuellement; le résultat en est l'argent-crédit. Si le crédit est concentré dans les banques, le crédit de capital l’emporte de plus en plus sur le crédit de paiement. En outre, le crédit que les industriels se font entre eux peut revêtir différentes formes. Les industriels gardent à la banque tout le capital qu'ils possèdent sous forme d'argent. Peu importe s'ils se font mutuellement du crédit à l'aide de traites ou s'ils s'accordent mutuellement des bons sur leur crédit bancaire. Les crédits bancaires peuvent se substituer au crédit par traites, d'où une diminution de la circulation des traites. A la traite industrielle et commerciale s'est substituée la traite bancaire, laquelle repose sur une obligation de l'industriel vis-à-vis de la banque 14.

Cette évolution du crédit de paiement au crédit de capi­tal a un caractère international. Au début, l'Angleterre - nous laissons ici de côté la position analogue du capitalisme hollandais par rapport à l'anglais à l'époque du capitalisme primitif - accorde aux pays étrangers qui achètent les produits anglais principalement du crédit commercial, tandis qu'elle règle ses propres achats, dans une proportion plus grande, au comptant. Aujourd’hui, il en est autrement : le crédit n'est pas accordé uniquement ou en premier lieu pour les transactions commerciales, donc en tant que crédit commercial, mais pour des placements de capitaux. On cherche à s'emparer de la production étrangère au moyen de crédit de capital, et ceux qui louent ce rôle ne sont pas les pays les plus industrialisés (Etats-Unis, Allemagne), mais des pays comme la France, la Belgique et la Hollande, laquelle on le sait, a déjà financé le capitalisme anglais au XVIIe et XVIIIe siècles. L'Angleterre occupe ici une position intermédiaire. D'où la différence des mouvements d'or dans les banques centrales de ces pays. Le mouvement d'or de la Banque d'Angleterre sert d'indice pour les conditions internationales de crédit du fait que Londres est depuis longtemps le seul marché de l'or tout à fait libre et que par conséquent c'est là qu'est concentré le commerce de l'or. En France, la politique des primes d'or, en Allemagne certaines pressions exercées par la direction de la Reichsbank, empêchent le mouvement complètement libre de l'or. Le mouvement anglais de l'or, du fait que le crédit que fournit l'Angleterre est encore essentiellement du crédit commercial, dépend de l'état de l'industrie et du commerce, Les dispositions de la Banque de France avec son immense encaisse d'or et ses engagements commerciaux relativement faibles, sont beaucoup plus libres. C’est elle qui, vient au secours de la Banque d'Angleterre quand celle-ci est secouée par des ébranlements du crédit commercial.

Cette indépendance relative du crédit à l'égard du crédit commercial est importante, parce qu'elle signifie une certaine supériorité pour le banquier. Chaque commerçant et industriel a certaines obligations de crédit qui doivent être remplies à un certain moment. Mais lui-même, pour pouvoir les remplir, dépend aujourd’hui des dispositions de son banquier, qui, en restreignant son crédit pourrait éventuellement le mettre dans l'impossibilité de le faire. Aussi longtemps que la masse principale du crédit était du crédit commercial et les banquiers essentiellement des marchands de traites, ce n'était pas le cas. Là, le banquier dépendait lui-même plutôt de la marche de l'affaire du paiement des traites; il lui fallait éviter le plus possible de réduire le crédit qui lui était demandé, aussi longtemps que cela marchait plus ou moins bien, car autrement il pouvait détruire tout le crédit des traites, d'où une grande tension de son propre crédit jusqu'à l'hypertension et le krach. Aujourd’hui, ou le crédit commercial ne joue plus ce rôle, tenu maintenant par le crédit de capital, la banque est beaucoup mieux en mesure de contrôler la situation.

Un certain développement du crédit étant donné, l'utilisation, du crédit pour l'entreprise capitaliste devient une nécessité qui lui est imposée par la concurrence. Car, pour le capitaliste individuel, l'utilisation du crédit signifie un accroissement de son taux de profit. Si le taux de profit moyen, représente 30 %, le taux d'intérêt 5 %, un capital de 1 million de marks donnera un profit de 300 000 marks. (Sur ce profit, dans les calculs du capitaliste, 250 000 marks seront inscrits comme bénéfice de l'entrepreneur, 50 000 marks comme intérêt pour son capital). S'il réussit à obtenir un deuxième million, il aura un profit de 600 000 marks, moins 50 000 marks qu’il devra payer comme intérêt pour le deuxième million, soit un gain de 550 000 marks. Son bénéfice d’entrepreneur s'élevé maintenant à 500 000 marks, bénéfice qui, calculé après comme avant sur son propre capital de 1 million de marks, représente par conséquent un taux de profit de 50 %, contre l'ancien de 25 % Si son capital agrandi, de même que l'extension de la pro­duction, lui permettent de produire à meilleur marché, son gain augmentera encore. Si les autres capitalistes ne peuvent pas utiliser le crédit dans les mêmes proportions ou ne le peuvent qu'à des conditions plus dures, il pourra réaliser un surprofit.

Si la situation du marché est défavorable, l'avantage que procure l'utilisation du crédit se manifeste d'une autre manière. Le capitaliste qui utilise du capital étranger peut ramener ses prix, pour les dimensions ou il utilise du capital emprunté, au-dessous du coût de production (prix de revient plus profit moyen) Jusqu’à r + i (prix de revient, plus intérêt), de telle sorte qu'il lui est possible de vendre la totalité de ses marchandises au-dessous de leur coût de production sans diminuer son profit sur son propre capital. Il sacrifie seulement le bénéfice de l'entrepreneur sur le capital qui ne lui appartient pas, non le profit sur son capital propre. L'utilisation du crédit lui procure ainsi, dans les périodes de basse conjoncture, un avantage dans la lutte des prix, avantages qui croît en proportion du crédit utilisé, Ainsi le capital leur appartenant en propre, qu'utilisent les capitalistes productifs, n'est pour eux que la base d'une entreprise qui, à l'aide, du capital emprunté, s'étend au-delà des limites de ce capital propre 15. L'accroissement du bénéfice de l'entrepreneur par l’utilisation du crédit est le même pour le capitaliste individuel que pour son propre capital. Il n'affecte en rien le niveau du taux de profit moyen social. Mais il augmente naturellement la masse du profit et, par là, le rythme de l'accumulation, En lui permettant d'accroître la production, la force productive du travail, il procure aux capitalistes qui peuvent utiliser le crédit les premiers ou sur une échelle plus vaste que d'autres un surprofit pour, dans une phase ultérieure du développement, grâce aux progrès réalisés vers une meilleure composition du capital, liés généralement à l'extension de la production, réduire le taux de profit. L'accroissement du bénéfice de l'entrepreneur pousse le capitaliste individuel à faire de plus en plus appel au crédit. Appel facilité par le stockage de tout le capital-argent dans les banques. Cette tendance, née dans l’industrie, doit réagir à son tour sur la façon dont les banques accordent leur crédit.

Le renforcement de la tendance au crédit a d'abord pour résultat de faire demander du crédit pour le capital circulant : une partie de plus en plus importante du capital appartenant en propre à l'entrepreneur est transformée en capital fixe, tandis que pour une partie considérable du capital circulant on fait appel à des capitaux étrangers. Mais, plus s’accroît l'échelle de la production, et par conséquent la partie du capital fixe, plus se manifeste la tendance à limiter le crédit au capital circulant. Toutefois, si l’on a besoin de crédit également pour le capital fixe, les conditions dans lesquelles il est accordé changent du tout au tout. Le capital circulant est, après une période de transformation, revenu sous forme de capital-argent, alors que le capital fixe en revanche, ne revient que peu à peu, au cours d’une série de périodes de transformation et au fur et à mesure de son usure progressive, sous forme d'argent. Du capital-argent, qui a été transformé en capital fixe, est ainsi lié pour une longue période, il doit être avancé pour longtemps. Mais les capitaux de prêt qui ont été mis à la disposition de la banque doivent pour la plupart pouvoir être remboursés à tout moment. On ne peut donc en prêter qu'une partie seulement pour être transformé en capital fixe, celle qui reste assez longtemps entre les mains de la banque. Ce qui n'est le cas d'aucun capital de prêt individuel. Mais, sur la totalité du capital de prêt, il y en a toujours une grande partie entre les mains de la banque, une partie dont la composition change constamment mais qui n’en existe pas moins. C’est cette partie restée a la disposition des banques que celles-ci peuvent prêter pour qu’elle soit transformée en capital fixe Tandis que le capital individuel n'est pas propre, sous la forme de simple capital de prêt, à servir de placement en tant que capital fixe - car il cesse par là d'être du capital de prêt et devient une partie du capital industriel, le capitaliste lui-même devenant, de capitaliste prêteur, un capitaliste industriel -, cette partie, qui est toujours à la disposition de la banque, est propre à être transformée en capital fixe. Elle sera, d'une part, d'autant plus grande, et d’autre part, d'autant plus constante, que le capital global à la disposition de la banque est plus important. C'est pourquoi la banque qui met à disposition du capital fixe doit déjà avoir une certaine extension, qui doit croître avec l'expansion des entreprises industrielles et même croître plus rapidement qu'elles. En outre, une banque ne pourra jamais participer à une seule entreprise, mais aura tendance à répartir son risque sur plusieurs entreprises. Et elle y sera poussée par le fait qu'ainsi les remboursements de ces avances se feront d'une façon plus régulière.

Mais, avec cette sorte de crédit, la position des banques vis-à-vis de l'industrie change. Tant que les banques ne font que servir d'intermédiaires pour les paiements, seul les intéresse en fait l'état momentané de l'entreprise, sa solvabilité du moment. Elles endossent les traites qui, après cet examen, leur paraissent bonnes, versent des avances sur marchandises sur les actions qui, d’après l’état momentané du marché, peuvent être vendues à des prix normaux. Leur vrai champ d'action est donc davantage le capital commercial que le capital industriel et en outre la satisfaction des besoins de la Bourse. De même, ses rapports avec l'industrie concernent moins le processus de production proprement dit que les ventes des industriels aux gros commerçants. Il en est autrement quand la banque met à la disposition des industriels du capital de production. Car, ce qui l'intéresse alors, ce n'est plus l'état actuel de l'entreprise et les prévisions sur l'état futur du marché. L'intérêt qu'elle porte à une entreprise n'est plus momentané mais durable, et plus est important le crédit qu’elle lui a accordé, plus surtout la partie du capital de prêt transformé en capital fixe l'emporte, plus cet intérêt est grand et durable.

Mais en même temps s'accroît l'influence de la banque sur l'entreprise.

Tant que le crédit n'était que passager et que par conséquent l'entreprise ne recevait de la banque que son capital circulant, il était relativement facile de rompre ce lien. Une fois écoulée la période de transformation, l’entreprise pouvait rembourser les sommes prêtées et chercher un autre donneur de crédit. Il n'en est plus de même quand une partie du capital fixe provient elle aussi du crédit. La dette, dans ce cas, ne peut être remboursée qu'au bout d'un temps très long. L’entreprise reste liée à la banque. Mais, dans cette situation, la banque est, en règle générale, des deux partenaires, le plus fort. Elle dispose toujours de capital sous sa forme liquide, toujours prête, de capital-argent. L'entreprise, elle, est obligée d'attendre la retransformation de la marchandise. Si le processus de la circulation s'arrête ou si les prix de vente baissent, du capital supplémentaire est nécessaire, qu'on ne peut se procurer qu'au moyen du crédit. Car, avec l’extension du système du crédit, le volume du capital de chaque entreprise est réduit au minimum, et la moindre nécessité se présentant brusquement d'un accroissement de moyens liquides exige une opération de crédit, dont l'échec pourrait signifier la banqueroute pour l'entreprise. C'est le fait de disposer de capital-argent qui donne à la banque la suprématie sur l'entreprise, dont le capital est fixe en tant que capital de production ou capital-marchandises. A quoi il faut ajouter la supériorité du capital de la banque, qui la rend relativement indépendante de la transaction isolée, alors que pour l'entreprise tout dépend peut-être de cette transaction. Réciproquement, la banque peut, dans certains cas, être si fortement engagée dans une entreprise que son sort est lié au sien et qu'elle doit par conséquent se plier à toutes ses exigences. C'est en général la supériorité du pouvoir du capital, en particulier l'accroissement du capital-argent mis à sa disposition, qui décide de la dépendance économique au sein d'un rapport de débiteur à créancier.

Ce rapport nouveau à l'égard de l'industrie renforce toutes les tendances qui avaient déjà mené de la technique du système bancaire à la concentration. Une étude de ces tendances doit ici également distinguer les trois fonctions des banques, qui s'expriment dans le crédit de paiement (par conséquent la circulation des traites), le crédit de capital et, nous le verrons plus loin, les émissions d'actions.

Pour la circulation des traites, ce qui est déterminant, c'est avant tout l'extension des relations internationales. Elle exige un vaste réseau de relations étrangères. Ensuite, la plus longue durée de circulation de la traite étrangère met dans l'obligation de pouvoir utiliser éventuellement des moyens plus importants. Troisièmement, le règlement des traites par compensation fait apparaître ici des différences plus grandes. Le commerce des devises exige par conséquent une vaste et puissante organisation. « Ce qu'il y a de caractéristique ici, c'est que déjà la technique d'une banque déterminée qui, pour une industrie florissante, est d'une importance de plus en plus grande, fait naître à elle seule une tendance à la concentration. La traite, issue de la production industrielle, traite sur une firme étrangère ou sur une firme nationale, destinée essentiellement au paiement de matières premières et de produits fabriqués, exige une organisation bancaire suffisamment ramifiée pour régler la circulation des traites en gros, spécialement avec l'étranger, mais aussi pour examiner la sécurité de chaque traite en particulier, c'est-à-dire de grandes banques ayant de nombreuses relations étrangères et des filiales nationales. Certes, la traite sert à l'industrie essentiellement pour le paiement et la création de crédit de paiement ; l'institut qui accorde ce crédit ne reçoit encore par là aucune possibilité d'intervenir d'une façon suivie et méthodique dans les industries qui reçoivent le crédit; ici, les relations entre la banque et l'industrie ne vont pas au-delà de l'examen nécessaire de la solvabilité du preneur de crédit et du taux de l'escompte 16.

Pour pouvoir mener d'une façon lucrative les affaires de traites étrangères, il faut aussi que l'arbitrage des traites y soit lié étroitement. Pour cela il faut, d'une part, des relations étendues, de l'autre, de gros moyens financiers. Car les opérations d'arbitrage, pour être lucratives, doivent être menées rapidement et sur une grande échelle. Cette affaire d'arbitrage de traites consiste en ceci que par exemple, aux jours où à Londres la demande de traites sur Paris est plus grande que l'offre et les cours des traites correspondants n'en attirent de la part de firmes qui n’ont ni argent ni crédit en France, cette conjoncture est utilisée en tirant des traites sur Paris, que la firme sur laquelle on les a tirées garde sur place jusqu'à ce que se présente une occasion favorable de ramener les sommes en Angleterre 17.

La gestion du crédit de capital se traduit dans l’importance accrue du mouvement des comptes courants 18. « Cette importance en ce qui concerne les rapports, des banques avec l'industrie s'explique par trois raisons : 1°) par l’influence qu'il exerce sur le développement d’une entreprise, il crée un état de dépendance à l'égard des donneurs de crédit ; 2°) le caractère social du crédit bancaire industriel, plus encore que les affaires de crédit jusqu’ici mentionnées, influe sur l'organisation du système bancaire ; ... la concentration des banques, les relations particulières avec l'industrie ... exigent de nouveaux principes, une autre connaissance de l'industrie de la part des directeurs de banque; 3°) enfin, le mouvement des comptes courants industriels constitue le pivot de toutes les affaires de la banque avec l'industrie; l'activité de fondation et d’émission, la participation directe à des entreprises industrielles, à la direction des entreprises en qualité de membre du conseil d'administration, sont en de très nombreux cas vis-à-vis du crédit bancaire en rapport étroit de cause à effet. » D'un autre côté, le registre du compte courant est « un bon moyen pour la banque de juger et de contrôler l'entreprise industrielle; des transactions régulières signifient une bonne marche des affaires 19 ». Grâce à ces rela­tions régulières, la banque acquiert une connaissance exacte de l'entreprise, connaissance qui, sous un autre rapport, par exemple pour les affaires de Bourse, peut lui être très utile. En outre, le danger de crédits excessifs exige une stricte surveillance de l'entreprise industrielle, dont la première condition est que celle-ci ne travaille qu'avec une seule banque.

Si donc la fonction de la banque en tant que fournisseur de crédit exige, au fur et à mesure du développement de l'industrie, une concentration croissante du capital bancaire, il en est de même de sa fonction en tant qu'institut d'émission. En premier lieu, c'est dans les affaires qui donnent le plus de bénéfices que se fait sentir le plus fortement la supériorité d'une grande banque; elle fait le plus d'affaires, les plus grosses et les meilleures. Plus grande est la banque, plus grande la sécurité de ses émissions. Elle pourra en placer la plus grande partie auprès de ses propres clients. Mais il faut qu'elle soit en mesure de se procurer les sommes de plus en plus considérables que cela exige. Dans ce but, elle doit posséder des capitaux importants et exercer une grande influence sur le marché.

La grande banque peut attendre le moment propice pour la vente, elle peut, grâce au capital dont elle dispose, préparer la Bourse, et elle est en mesure, ensuite, de dominer l'évolution des cours des actions et de protéger ainsi le crédit de l'entreprise. Les exigences auxquelles doit répondre le pouvoir d'émission des banques grandissent au fur et à mesure du développement de l'industrie. La mobilisation du capital ne demande plus pour l'extension de production qu'une condition : la possession des moyen techniques nécessaires. En outre, elle supprime pour l'élargissement des entreprises la dépendance à l'égard des bénéfices de ces entreprises et permet, aux époques de haute conjoncture, des élargissements souvent brusques exigeant des interventions rapides de gros capitaux. Ces capitaux, elle ne peut se les procurer que là où ils se trouvent accumulés en grandes quantités, c'est-à-dire dans les banques, et elle doit de nouveau leur laisser le soin de rassembler ces capitaux sans ébranler le marché monétaire. Cela, la banque ne peut le faire que si le capital qu'elle dépense lui revient rapidement ou si les échanges ne se font que par un simple jeu d'écritures, ce qui se produira d'autant plus que les actions seront acquises par ses propres clients, qui en versent le montant à la banque en le prenant sur leurs dépôts et diminuent ainsi le passif.

Ainsi, de la technique elle-même naissent les tendances qui agissent également sur la concentration des banques, comme celle-ci agit sur la concentration industrielle, laquelle est la cause première de la concentration bancaire.


Notes


1 Si l'on voit seulement que les traites sont fondées sur l'échange des marchandises en oubliant que cet échange de marchandises ne s’effectue d'une façon valable que socialement, que les traites se compensent, que la balance est soldée avec de l'argent liquide, et que les traites non payées sont remplacées par de l'argent, on abouti à l'utopie du billet-marchandises, de l'argent-travail etc., du signe de crédit, qui, détachés du métal, doivent représenter la valeur des marchandises.

2 Le montant total des traites mises en circulation dans l'année s’élevait (en millions de marks) en 1895 12 060, en 1895 à 15 241, en 1905 à 25 506. Dans ces chiffres, les acceptations bancaires étaient, respectivement, de1965, soit 16 %, de 3530, soit 23 %, et de 8000, soit 31 %. Dans ces sommes sont comprises les traites non mises en circulation : traites de cautionnement, de dépôt, etc. (W. Prion, Les Affaires d'escompte de traites, Leipzig, 1907, p. 51).

3 Mais si la circulation normale des marchandises est interrompue par des événements extraordinaires de caractère non économique, tels que guerres ou révolutions, il convient de ne pas tenir compte de ce temps d'interruption dans le temps normal de circulation et d'attendre que ces événements soient passés. Cela se fait par la prescription légale d'un moratoire pour les traites.

4 Par capitalistes productifs, nous entendons les capitalistes qui réalisent un profit moyen, par conséquent les industriels et les commerçants, à la différence des capitalistes de prêt, qui reçoivent un intérêt, et des propriétaires fonciers, qui reçoivent une rente.

5 James Wilson, Capital, Currency and Banking, Londres, 1847, p. 44.

6 Bien entendu, la banque continuera d'escompter ces billets et, dans la mesure où ils sont émis contre des traites et autres couvertures, ils continuent de remplir les fonctions de l’argent-crédit. Mais cela n'empêche nullement qu'ils sont du papier-monnaie d’Etat, et c'est ce que démontre le fait qu'ils perdent de leur valeur quand on émet plus de papier que n'en exige le minimum de circulation sociale. Si cela ne se produit pas, il n'y a naturellement aucune dépréciation. Du fait que les avances à l'Etat, qui ont pour effet d'accroître la quantité de papier en circulation indépendamment des besoins du commerce et de l'industrie, restèrent en Angleterre limitées, même pendant la période des restrictions bancaires la dépréciation le fut également. Cependant Diehl a tort d’écrire : « Mais, même avec les billets de banque non convertibles et ayant qualité de paiement légal, il ne peut être question d'une monnaie de papier, car, si grave que soit l'absence d'obligation de remboursement ( gravité que Diehl, qui netient pas compte des expériences autrichiennes, surestime d’ailleurs - R. H.), même dans ce système, on n’émet pas des billets de banque pour mettre de l'argent en circulation, mais sous forme de prêts à l'Etat ou aux commerçants, par conséquent contre des droits de réquisition que la banque obtient de son côté. Car tout dépend de la façon dont la banque mène ses affaires, mais non de la quantité de billets, que l'émission des billets ne serve qu'aux besoins de crédit de l’Etat et du commerce ou que par-delà ces besoins elle mène à une économie de papier-monnaie mettant en danger tout le crédit » (Karl Dielh, Eclaircissements sociaux-scientifiques sur les lois fondamentales de l'économie chez Ricardo, Leipzig. 1905, II, p. 235). Diehl ne voit pas la différence essentielle entre émission de billets basée sur l'escompte des traites, par conséquent sur une circulation de marchandises, qui exige de l'argent, mais pour laquelle de l'argent-crédit est mis à disposition, et émission de billets pour avances à l'Etat. Le billet remplace la traite, par conséquent une forme d'argent-crédit, par une autre, et la traite représente une vraie valeur de marchandise. Mais une émission de billets contre une promesse de paiement de l'Etat doit permettre à ce dernier d'acheter des marchandises pour lesquelles l'argent lui fait défaut. Quand l'Etat lance des emprunts sur le marché financier, il reçoit de l'argent se trouvant en circulation et, en le dépensant, il le remet de nouveau sur le marché monétaire. Ici, la quantité d'argent en circulation n'a pas besoin de changer. Mais l'Etat s'adresse à la banque, parce qu'il n'a précisément aucun autre crédit et il donne aux billets cours forcé parce que sans cela la banque ferait faillite. Les billets émis pour ces emprunts constituent un accroissement de la circulation et peuvent subir une dépréciation. C'est exactement comme si l'Etat émettait lui-même le papier-monnaie dont il a besoin pour ses paiements et non en passant par le détour de la banque. Avec cette différence que ce détour est avantageux pour la banque, parce qu'elle reçoit des intérêts pour cet « emprunt » qui ne comporte que des frais d'impression. C'est, comme on sait, ce fait qui irrita si fort Ricardo contre la Banque d'Angleterre et l'amena à exiger de faire de l'émission de papier-monnaie - en quoi il confondait, à vrai dire, papier d'Etat et billet de banque - une affaire d'Etat. II n'est du reste pas sans intérêt de constater que les fameuses propositions de Ricardo contenues dans ses Proposals for an Economical and Secure Currency ont été appliquées en partie dans la « pure monnaie de papier » autrichienne, et que précisément cette application a montré ce qu'il y avait de faux dans l'analyse de Ricardo.

7 En matière de législation financière, la société capitaliste se trouve placée devant un problème purement social. Mais cette société n'est pas consciente d'elle-même. Ses propres lois de développement lui restent cachées et ne doivent être découvertes péniblement que par l'analyse théorique. D'ailleurs, ses couches dominantes ont intérêt à refuser les résultats ainsi obtenus. Même si l'on fait abstraction des intérêts égoïstes des capitalistes d'argent qui sont considérés comme les experts les plus éminents en manière de législation financière, c'est le refus de la théorie de la valeur fondée sur le travail qui constitue un obstacle insurmontable à la compréhension des lois de la circulation de l'argent et des billets et aboutit, dans la législation financière anglaise, à la victoire des principes de l'école de la circulation, quoique cette doctrine ait déjà été conduite historiquement et théoriquement à l'absurde par les travaux de Tooke, de Fullarton et de Wilson. C'est une belle ironie de l’histoire que cette école ait pu - et dans une certaine mesure à juste titre - s'appuyer sur Ricardo, qui s'était efforcé auparavant d’appliquer d’une façon conséquente la théorie de la valeur fondée sur le travail, théorie que, sous l'impression de l'expérience de l'économie de papier-monnaie il avait dû ensuite abandonner.
C'est le caractère anarchique de la société capitaliste qui lui interdit la réglementation consciente d'une tâche sociale. Péniblement et peu à peu elle tire des expériences réalisées dans différents pays et différentes époques des enseignements, qu'elle n'a pas la force de généraliser, comme le prouve le maintien de la politique financière américaine et anglaise, et même, quoique à un degré moindre, allemande. Et encore moins est-elle en mesure de tirer les conséquences des expériences les plus récentes : elle s’effraye déjà de la hardiesse d'un Knapp qui, sans les condamner ni les interpréter, en dégage une terminologie.
Du fait que le contrôle de la circulation monétaire et du crédit est une tâche purement sociale, on exige qu’il soit confié à l’Etat. Mais comme l'Etat capitaliste est déchiré par des intérêts de classe, certaines réserves se font entendre au sujet de l’accroissement de puissance qui en découlerait pour les couches qui dominent l’Etat. Cela aboutit à un compromis pour un large contrôle d'Etat sur une société privée privilégiée. Les intérêts privés des directeurs des banques nationales ne sont nullement en rapport avec le pouvoir dont ils jouissent. Ici, en effet, la gestion libre de l’intérêt privé au moyen de l'utilisation pour son propre compte du crédit national pourrait avoir des conséquences néfastes. Le caractère social de la tâche rend indispensable l'exclusion ou du moins la limitation de l'intérêt du profit.

8 « Je n'hésite pas un instant à me déclarer d’accord avec le principe tant décrié des anciens directeurs de banque de 1810, selon lequel, tant qu'une banque n'émet ses billets qu'en vue d'escompter de bonnes traites d'une durée de 60 jours au maximum, elle a raison d'en émettre autant que le public veut en prendre. Il y a, à mon avis dans ce principe, si simple soit-il, plus de vérité et de compréhension des lois qui régissent la circulation monétaire que dans n'importe quelle prescription faite depuis sur ce sujet » (Fullarton, op. cit., p. 207).

9 « Le principal moyen d'effectuer des paiements dans le commerce international est la traite. Alors qu'autrefois dans la traite commerciale la compensation se faisait visiblement entre Etats, au cours de la dernière décennie la traite bancaire est venue de plus en plus au premier plan, derrière lequel est cachée la précédente, mais aussi celle qui découle d'autres obligations, par exemple des affaires de devises. Dans la traite commerciale, le genre particulier de l'achat de marchandises précédent disparaît; dans la traite ban­caire, en revanche, conformément à la tendance actuelle, l'abstraction est poussée encore plus loin, et l'on ne peut plus conclure qu'elle est fondée sur l'échange des marchandises. On peut dire seulement qu'elle doit satisfaire une demande d'argent découlant d'un fait économique. A ce genre de paiement le crédit international peut maintenant s'attacher » (A. Sartorius von Walterhausen, Le Système économique du placement de capital à l'étranger, Berlin, 1907, pp. 258 sq.).

10 Comme l'argent est toujours prêté contre intérêt, qu'il prend par conséquent pour le prêteur caractère de capital, au contraire tout capital prêté, quelles que soient ses fonctions, qu'il constitue le point de départ pour un nouveau capital productif ou serve seulement à la circulation d'un capital déjà existant, est considéré comme capital et la demande d'argent comme moyen de paiement est confondue avec celle d'argent en tant que capital.

11 Marx, Le Capital, III, 2° partie, p. 8.

12 Les économistes, qui oublient dans l'analyse de la marchandise les formes spécifiques de l’acte d'échange et n'en considèrent que le contenu, négligent au contraire dans les formes évoluées des opérations de crédit et de Bourse le contenu et ne se lassent pas de raffiner à l’infini sur ces formes. Jeidels me paraît lui aussi, dans son excellent ouvrage intitulé Les rapports entre les grandes banques allemandes et l’industrie (Leipzig, 1905), accorder aux formes des opérations de crédit une importance excessive.

13 Jaffé, op. cit., p. 200.

14 II faut constater la substitution dans presque toutes les branches d'industrie, et déjà réalisée dans les industries extractives et de transformation, du paiement au comptant (dans lequel on englobe également le paiement bancaire) au paiement par traites. A l'aide du crédit bancaire, particulièrement sous la forme d'acceptations, le commerçant paye comptant au moyen d'un virement ou d'un chèque, de telle sorte que la simple circulation de traites diminue de plus en plus. C'est surtout vrai des grandes et meilleures traites de marchandises, parce que dans les couches les plus élevées du commerce la richesse en capital s'est déjà fortement développée. Mais dans le commerce d'outre-mer, d'où provenaient jusqu'ici les meilleures traites, comme, par exemple, le commerce des grains, il est devenu courant, au lieu de donner des traites à deux ou trois mois, de payer à terme si l'on n'utilise pas les acceptations bancaires. Ce changement est fondé sur le fait que l'acheteur peut, en payant comptant, obtenir des conditions plus avantageuses, même s'il a recours dans ce but au crédit bancaire. Autour des traites de marchandises encore en circulation se développe une forte émulation, tant entre la Banque d'Etat et les banques de crédit qu'entre les différents groupes de ces dernières. Les énormes concentrations de capital dans les grandes banques poussent à un placement de traites correspondant, ce qui a pour résultat de faire baisser le prix des bonnes traites de marchandises très au-dessous du taux d'escompte de la Reichsbank, jusqu'au niveau de celui des banques privées (Prion, op. cit., p. 120).

15 De quels crédits élevés il s'agit, dans certains cas, c'est ce qui ressort par exemple d'une note de L’ Actionnaire de l’année 1902, selon laquelle il est fréquent que des industries aient à payer des intérêts pour 20 à 40 % en tant que dettes bancaires. A l’assemblée générale de l'entreprise sidérurgique de Neusse, anciennement Rudolf Daelen un actionnaire calculait que les dettes de cette entreprise s'élevaient au cours des années 1900 à 1903, à 26,85, 105 et 115 % des ressources de l'entreprise; sur les 718 000 marks de dettes en 1903 500 000 marks étaient des dettes bancaires sur un capital-actions de 1 million de marks (Jeidels, op. cit., p. 42)

16 Jeidels, op. cit., p. 32.

17 Jaffé op. cit., p. 60.

18 Le système du crédit de comptes courants consiste en ceci qu’ « il permet au débiteur de disposer du crédit convenu en une ou plusieurs fois et d'effectuer à tout moment des remboursements. Ce genre de crédit est avantageux pour le débiteur en ce sens qu’il peut utiliser les capitaux mis à sa disposition selon les besoins de son entreprise et réduire les frais que cela comporte. En revanche, la mise à disposition de capitaux au moyen de crédit de comptes courants signifie pour les banques un placement relativement solide, dont la durée certes n'est pas limitée, mais qui permet constamment des remboursements de la part du débiteur » (Prion, op. cit., p. 102). Sur son importance en Allemagne, voici ce que dit notre auteur : « Il est d'usage d'adapter le taux d'intérêt du crédit de comptes courants au taux de l'intérêt de la Reichsbank, mais en cas de baisse de ce dernier, de ne pas le laisser tomber au-dessous d’un niveau minimum, qui est, en général, de 5 %. Outre cet intérêt pratiqué d'une façon générale, il est mis à disposition pour le genre particulier de crédit accordé par les banques une provision qui tient compte de la nature des liaisons commerciales, Elle représente le plus souvent un multiple des sommes accordées en crédit et effectivement utilisées et dépend de la rapidité des échanges, En tout cas, cette provision modifie à ce point le taux d’intérêt proprement dit au désavantage du preneur de crédit qu'en réalité, selon les accords conclus, il doit payer 2 à 3 % de plus que ne l’indique le calcul de l'intérêt existant théoriquement. »

19 Jeidels, op. cil., pp. 32 sq.



R. Hilferding
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