1919

Cet article a paru dans le numéro 19/20 (première année) du Bulletin communiste, 22 juillet 1920, précédé de l'introduction suivante : « Mühsam est l'un des militants et des publicistes les plus connus de l'anarchisme allemand. A l'heure actuelle, il est, de même que Tom Weinbull, enfermé à la prison d'Augsbach. Nous avons appris qu'ils avaient tous deux, ainsi que les autres détenus politiques, décidé de protester par la grève de la faim contre les mauvais traitements dont ils étaient l'objet. C'est, nul ne l'ignore, par des faits de ce genre que l'on peut apprécier les bienfaits de la « résolution » allemande. L'adhésion de Mühsam au parti communiste est un fait analogue à celui des Freundler. Libres partisans hollandais, (représentants du mouvement révolutionnaire chrétien) entrés eux aussi dans le mouvement communiste. Nous assistons partout aux mêmes événements : quelles que soient les différentes philosophies professées par les militants, les contingents révolutionnaires sz groupent pour ne former qu'un « front unique » contre la bourgeoisie et l'opportunisme.
Mühsam a publié dans la presse communiste allemande une déclaration motivant son adhésion au parti communiste. Nous la reproduisons ici »

Pourtant, l'adhésion de Mühsam au Parti Communiste Allemand fut de fort courte durée, et était déjà presque de l'histoire ancienne quand ce texte a paru dans le
Bulletin communiste. Il s'en est expliqué dans une brochure parue en 1920, Die Einigung des revolutionären Proletariats im Bolschewismus (L'unification du prolétariat révolutionnaire dans le bolchevisme) :

« La joie de mon appartenance au parti a été courte. Quelques semaines après mon adhésion parurent les
Lignes directrices du Parti communiste allemand (Spartakusbund), adoptées à la conférence du parti en Octobre 1919, et qui stipulent : « Le Parti communiste est conscient du fait que cette lutte (pour que le prolétariat prenne le pouvoir), ne peut être amené à une fin victorieuse qu'avec les plus grands moyens politiques (grève de masse, manifestation de masse, insurrection). Cependant, le Parti communiste ne peut renoncer par principe à aucun moyen politique qui serve à préparer cette grande lutte. En tant que tel, la participation aux élections, soit pour les parlements, soit pour les conseils municipaux, soit par les comités d'entreprise reconnus par la loi, etc. » Et le point 7 des « Thèses sur les principes et la tactiques communistes » ajoute : « Les membres du K. P. D. qui ne partagent pas ces conceptions sur l'essence, l'organisation et l'action du parti doivent sortir du parti. » Du coup, j'étais automatiquement remis à l'air libre et je disparus silencieusement avec beaucoup d'autres communistes révolutionnaires convaincus par la coulisse de gauche. »


Erich Mühsam

Adhésion d'un anarchiste au communisme

Septembre 1919

Voici déjà vingt ans que je propage les principes de l'anarchisme révolutionnaire. Bien avant la guerre mondiale et la révolution universelle, je militais dans le domaine politique, pour la révolution sociale, par l'action directe, dont Michel Bakounine fut le grand protagoniste. Mes attaques contre le marxisme, dont Kautsky était l'interprète le plus en vue, étaient surtout dirigées contre la participation du prolétariat au travail parlementaire, contre l'attitude opportuniste en présence de la société capitaliste, et contre le principe de la collaboration avec la bourgeoisie, qui, pendant quelques dizaines d'années, caractérisa la politique social-démocrate. Mes amis et moi, nous n'avons cessé de dénoncer le danger qui menaçait le mouvement ouvrier destiné à s'enliser dans le marécage parlementaire, dans la poursuite des augmentations de salaire, dans le bureaucratisme syndical ou corporatif. Nous nous refusions à soutenir les organisations social-démocratiques et, persécutés par les autorités raillés par les « leaders ouvriers » dont nous arrachions les masques, nous militions pour l'émancipation du joug de l'État en nous servant des armes que la lutte économique met à la disposition du prolétariat.

L'expérience de la révolution a dessillé les yeux de la classe ouvrière en ce qui concerne la politique de la social-démocratie, dont les conséquences sont devenues particulièrement évidentes au cours de la guerre, lorsque les chefs officiels de la social-démocratie adaptèrent leurs nouvelles positions de renégats. Tout ce que les bolcheviks ont accompli à Moscou, et leurs succès révolutionnaires sans précédent dans l'histoire du monde, prouvent combien avaient raison ceux qui ne voyaient le salut du prolétariat mondial que dans la prise, par les travailleurs eux-mêmes, du pouvoir législatif et exécutif. Les thèses théoriques et pratiques de Lénine sur l'accomplissement de la révolution et des tâches communistes du prolétariat ont donné à notre action une nouvelle base, en faisant revêtir à la lutte contre le capitalisme de nouvelles formes. Ses exposés théoriques constituent le front sur lequel peuvent enfin se rencontrer les disciples de Marx — de Marx libéré de Kautsky et Bernsteinet ceux de Bakounine ; car il n'y a pas désormais d'obstacles insurmontables à l'unification du prolétariat révolutionnaire tout entier.

Les anarchistes-communistes ont dû, il est vrai, céder sur le point le plus important du désaccord entre les deux grandes tendances du socialisme : ils ont dû renoncer a l'attitude négative de Bakounine en présence de la dictature du prolétariat et se rendre sur ce point à l'opinion de Marx.

Personnellement j'avais, dès le début de la révolution, compris que la dictature du prolétariat était nécessaire pour la conquête du pouvoir, et c'est en me conformant à ces principes que j'ai mené mon action de propagande. Le second désaccord, celui qui a trait à l'organisation centralisée ou fédéraliste n'est plus, grâce à la solution géniale que lui a donnée Lénine — l'idée des Soviets — qu'une dispute de mots. Quand s'organisa le Parti Communiste Allemand, je lui proposai une collaboration de pure camaraderie. Il m'arriva maintes fois de prendre la parole dans les réunions du parti et, bien que je n'aie pas travaillé de façon directe à son recrutement, j'ai certainement contribué à y rallier, à Munich et dans la région de Munich, plusieurs milliers d'ouvriers. Quant à y adhérer moi-même, je ne pouvais encore m'y résoudre, n'ayant jamais appartenu, jusqu'alors, à aucun parti, et ne voulant pas rompre avec mon passé anarchiste. Le cours de la révolution, son écrasement momentané par les forces coalisées du militarisme, du capitalisme, du social-patriotisme, m'ont amené maintenant à une autre solution ; j'adhère dès ce jour au Parti communiste allemand.

L'unité du prolétariat révolutionnaire est nécessaire et ne doit pas être retardée. La seule organisation qui puisse l'accomplir, c'est le Parti Communiste Allemand. J'espère que les camarades anarchistes qui voient dans le communisme le fondement d'un ordre social équitable, suivront mon exemple. L'anéantissement de l'État sous toutes ses formes est autant que le nôtre le but de Lénine.

Nul d'entre nous n'abdique donc rien de ses convictions. J'espère que les camarades du Parti communiste allemand ne refuseront pas de nous admettre parmi eux. Vive la révolution mondiale ! Vive la IIIe Internationale !

Eric Mühsam


Forteresse d'Augsbach, sept. 1919.