1848-49 |
Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution... Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
La Nouvelle Gazette Rhénane
Chute du ministère d'action
Cologne, 8 septembre, 10 heures du soir.
Le ministère d'action est tombé. Après avoir « trébuché » plusieurs fois, il ne se maintenait que par son insolence. Finalement les exigences toujours croissantes du ministère ont dévoilé à l'Assemblée le secret de son existence.
À la séance d'hier de l'Assemblée ententiste on a discuté la proposition de Stein [1]. Voici le texte de la proposition :
« Il y a pour le ministère une tâche urgente : promulguer l'ordonnance prise le 9 août pour apaiser le pays et éviter une rupture avec l'Assemblée. »
Le ministère avait déclaré qu'il n'accepterait aucun amendement, aucune conciliation.
La gauche avait déclaré qu'elle se retirerait si l'Assemblée laissait tomber le décret du 9 août.
Au cours de la séance d'hier, après un discours du président du conseil qui ne voulait rien dire, le député Unruh déposa l'amendement suivant :
« Considérant que les résolutions du 9 août visent à introduire non un sondage d'opinion ni une contrainte morale mais seulement l'entente entre le peuple et l'armée, entente indispensable dans un État constitutionnel, et cherchent à écarter des menées réactionnaires et d'autres conflits entre les citoyens appartenant à l'armée et les civils, l'Assemblée déclare que le ministère n'a pas la confiance du pays s'il hésite plus longtemps à promulguer l'ordonnance concernant l'armée conformément à l'ordonnance du 9 août. »
À cet amendement du centre gauche, le centre droit, par la voix du député Tamnau, opposa l'amendement suivant :
« Veuille l'Assemblée déclarer ce qui suit : Dans sa résolution du 9 août, l'Assemblée nationale a manifesté l'intention d'adresser aux chefs de l'armée une ordonnance du même genre que celle adressée le 15 juillet par le ministère des Finances et le ministère de l'Intérieur aux présidents des gouvernements. Elle n'a pas l'intention de contraindre les officiers de l'armée à exprimer leurs opinions politiques ou de dicter au ministère de la Guerre les termes de l'ordonnance. Elle estime indispensable une telle ordonnance, mettant les officiers de l'armée en garde contre des menées réactionnaires et républicaines, ceci dans l'intérêt de la paix entre les citoyens et pour favoriser l'établissement du nouveau système politique constitutionnel. »
Après un moment de discussion, le « noble » Schreckenstein, au nom du ministère, se déclare d'accord avec l'amendement Tamnau. Ceci après avoir assuré fièrement ne pas vouloir accepter de compromis.
Après une poursuite des débats, après même un avertissement de M. Milde à l'Assemblée pour qu'elle ne devienne pas une Convention nationale (la crainte de M. Milde est tout à fait superflue), on vote pendant que le peuple se presse en masse autour de la salle des séances.
Voici le résultat du scrutin :
Un de nos correspondants de Berlin nous rapporte :
L'agitation était grande aujourd'hui dans la ville; des milliers de gens assiégeaient la salle de séances de l'Assemblée; aussi, lorsque le président lut l'adresse, parfaitement loyaliste, de la garde civique, M. Reichensperger proposa à l'Assemblée de transférer les séances dans une autre ville, puisque Berlin était en danger.
Lorsque la nouvelle de la défaite du ministère fut connue du peuple rassemblé, des cris de joie indescriptibles fusèrent de partout et lorsque les députés de la gauche sortirent, ils furent raccompagnés jusqu'aux « Tilleuls [2]» par des vivats ininterrompus. Mais lorsqu'on aperçut le député Stein, auteur de la proposition soumise aujourd'hui au vote, l'enthousiasme fut à son comble. Quelques hommes du peuple le soulevèrent aussitôt sur leurs épaules et le portèrent en triomphe à son hôtel dans la Taubenstrasse. Des milliers de gens se joignirent au cortège, et, au milieu de hourras incessants, la foule atteignit la place de l'Opéra. Jamais encore on n'avait vu une telle explosion de joie. Plus on a redouté l'échec, plus on est surpris par l'éclatante victoire.
Ont voté contre les ministres : la gauche, le centre gauche (le parti de Rodbertus et de Berg) et le centre (Unruh, Duncker, Kosch). Le président a voté sur les trois points pour le ministère. Il s'ensuit qu'un ministère Waldeck-Rodbertus peut compter sur une large majorité.
Nous aurons donc le plaisir de voir le promoteur de l'emprunt forcé, le ministre d'action, M. Hansemann, « Son Excellence », se promener sous peu par ici, renouer - avec son « passé bourgeois » et méditer sur Duchâtel et Pinto.
Camphausen est tombé dans les formes. M. Hansemann qui, par ses intrigues, l'a mené à sa perte, M. Hansemann a eu une triste fin. Pauvre Hansemann-Pinto !
Notes
[1] Les troupes occupant la forteresse de Schweidnitz avaient ouvert le feu sur la garde nationale et tué quatorze citoyens. L'attitude de plus en plus réactionnaire des troupes prussiennes amena l'Assemblée nationale à adopter, après quelques modifications, une proposition du député Stein demandant au ministère de la Guerre de prendre des mesures pour éviter de semblables conflits, d'interdire les menées réactionnaires des officiers, etc. Le ministre Schreckenstein ne tint pas compte de cette résolution de l'Assemblée. Stein renouvela donc sa proposition lors de la session du 7 septembre et fut suivi par la majorité des députés qui prièrent le ministère d'appliquer immédiatement la décision prise par l'Assemblée. Ces évènements provoquèrent la démission du ministère Auerswald-Hansemann. Le ministère Pfuel donna des ordres conformes à la résolution de l'Assemblée, mais sous une forme très atténuée.
[2] Unter den Linden, nom d'une grande avenue de Berlin.