1971

"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914."


Révolution en Allemagne

Pierre Broué

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Essai de définition du rôle d'un parti communiste


XVIII: Le putsch de Kapp

Le putsch de Kapp

L'instauration d'un régime républicain n'avait fondamentalement rien changé aux structures de l'Allemagne impériale. Pour les grands capitalistes, les hobereaux, les généraux, elle constituait un pis-aller, un mal nécessaire au moins tant que les travailleurs n'étaient pas dégrisés. Aux ouvriers, elle apportait dans l'ensemble une déception cruelle : moins d'une année après la révolution dont ils avaient attendu le pain, la paix et la liberté, le pain était cher, la liberté précaire et la paix un diktat.

Le problème politique se pose ainsi dans les termes même où l'avaient posé avant guerre les marxistes de la génération d'Engels, avec une acuité accrue par les souffrances de la guerre et de l'après-guerre. Plus que jamais en effet le nationalisme demeure l'arme idéologique essentielle des classes possédantes. Le fait que la guerre se soit terminée par une défaite et que les conditions de paix soient dictées par les vainqueurs permet d'attribuer tous les maux qui accablent l'Allemagne aux capitalistes et impérialistes étrangers, et à leurs complices - spartakistes et autres - qui ont « poignardé dans le dos » la « glorieuse armée invaincue ».

Le traité de Versailles.

Les conditions du traité de Versailles constituent un apport substantiel à la propagande sur ce thème. Les tractations entre Alliés ont été longues. Entre eux, un seul objectif commun: maintenir en Allemagne un rempart contre le bolchevisme, que ce soit la subversion intérieure ou la menace de la république des soviets. Pour le reste, leurs objectifs sont contradictoires, et les visées françaises sur la Ruhr et pour l'hégémonie européenne se heurtent à la coalition anglo-américaine pour une Allemagne solvable qui puisse servir en Europe de contrepoids aux ambitions françaises.

Compromis entre les Alliés, le traité contribuera à renforcer en Allemagne les tendances nationalistes et pangermanistes qu'il prétend extirper. L'Allemagne perd toutes ses colonies, est amputée du huitième de son territoire, du dixième de sa population d'avant guerre. Ses forces militaires sont réduites sur terre à une armée de 100 000 hommes, armée de métier insuffisante pour faire face à une guerre, mais incomparable dans la guerre civile. Les Alliés occupent pour quinze ans la Rhénanie et trois têtes de pont qui leur ouvrent l'Allemagne, tandis que les frontières méridionale et orientale demeurent fortifiées. Les avoirs allemands à l'étranger, ainsi qu'une partie de la flotte, sont confisqués. Jusqu'à la décision alliée sur le montant définitif des réparations prévues, l'Allemagne est astreinte au paiement de provisions en espèces et de livraisons en nature. Enfin, les responsables de la politique de guerre et les principaux « criminels de guerre » doivent être livrés aux autorités alliées afin d'être jugées par des tribunaux internationaux.

Pour les communistes allemands comme pour l'Internationale, la paix de Versailles est un acte de même nature que la guerre, un « brigandage impérialiste ». Elle signifie un répit, le retard de la révolution dans les pays de l'Entente; mais il n'est d'autre réplique, à la paix impérialiste comme à la guerre impérialiste, que la lutte pour la révolution mondiale. De leur côté, les nationalistes mettent l'accent sur les aspects qu'ils jugent infamants du traité, les visées françaises sur la Ruhr, les encouragements donnés aux tendances « séparatistes » visant au morcellement de l'Allemagne, les livraisons et les réparations humiliantes, l'occupation étrangère, notamment l'utilisation par l'armée française de troupes africaines, qu'ils appellent la « honte noire ». Ils soulignent l'humiliation nationale, la « colonisation» de l'Allemagne, traitée selon eux comme un « peuple de nègres » et proclament incompatible avec l'honneur allemand la livraison, réclamée par les Alliés, des responsables de la guerre.

Sous le poids de ces arguments qui rencontrent dans toutes les couches de la population allemande un large écho, bien des hommes politiques estiment que le traité est inacceptable : parmi eux Scheidemann, qui démissionne à la veille du vote au Reichstag et est remplacé par son camarade de parti Bauer. Noske se fait l'avocat de la signature du traité et refuse les ouvertures du capitaine Pabst pour instaurer une dictature militaire en vue de la résistance nationale [1].

En fait, le corps des officiers, dans son ensemble, sait qu'il n'existe pas d'autre issue que la capitulation. Peut-être espérait-il un geste « pour l'honneur ». Le général Groener conserve ses fonctions pour permettre la signature du traité aux conditions de l'ennemi, mais se retire ensuite dans un souci d'unité, imitant Hindenburg [2]. Une commission d'organisation de l'armé de temps de paix est mise sur pied, sous la direction du général von Seeckt [3].

Le putsch de Kapp - von Lüttwitz.

Les officiers sont particulièrement sensibles à la menace que constitue l'exigence alliée de l'extradition des « criminels de guerre» : dès le 26 juillet 1919, ils l'ont fait savoir au gouvernement [4], où Noske les soutient d'ailleurs sans réserve. Mais la bouffée de mécontentement et d'angoisse provoquée par cette exigence va être bientôt relayée par le retour des corps francs qui, depuis 1919, ont lutté dans les pays baltes contre l'armée rouge et dont les Alliés, ayant assuré leur relève, ont exigé le retour 4. Au premier rang des militaires qui songent de plus en plus au putsch se trouve le général von Lüttwitz, commandant des troupes de Berlin, lequel se considère comme le successeur de Hindenburg et le gardien des traditions et de l'honneur de l'armée [5].

Le sort des corps francs n'est pas seul en cause : la réduction des effectifs imposée par le traité de paix inquiète les militaires de tout rang. Si les troupes d'élite sont dissoutes, le sort d'une bonne partie des cadres sera réglé du même coup. La brigade de marine du capitaine de vaisseau Ehrhardt, installée à Doberitz, aux portes de Berlin [6], va servir de test : le général von Lüttwitz donne en effet à son chef l'assurance qu'il ne laissera pas, « en une période si lourde d'orages, briser une troupe pareille » [7]. Il accuse la « faiblesse » du gouvernement face à la « menace bolcheviste », parle ouvertement de coup d'Etat, et le chef de la police de Berlin, le colonel Arens, tente de le dissuader en l'amenant à une entrevue avec les chefs parlementaires de la droite [8]. Ces derniers, qui mènent campagne pour la dissolution de l'Assemblée et la réélection du président de la République, ne parviennent pourtant pas à le convaincre de l'imprudence de ses projets : le général ne croit qu'à la force de ses bataillons et pense que les élections seront bien meilleures s'il a auparavant balayé les politiciens. Il se lance donc dans une conspiration dont les principales têtes sont, avec lui, Ehrhardt, Ludendorff, et un civil Wolfgang Kapp, directeur de l'agriculture en Prusse, représentant des junkers et des hauts fonctionnaires impériaux [9]. Entreprise hasardeuse, prématurée ou trop tardive, dont les autorités n'ignoreront pas grand-chose, mais qui bénéficie de complicités à tous les postes-clés [10].

Le conseil de cabinet, réuni le 12, examine la situation et renvoie la décision nécessaire à sa réunion du 15 [11]. Mais, le jour même, Noske lance quelques mandats d'arrêt contre les conspirateurs aux activités les plus voyantes, comme le capitaine Pabst [12]. Poussé dans ses retranchements, le général von Lüttwitz rejoint le camp de Doberitz. L'officier supérieur chargé par Noske de s'assurer de la situation au camp téléphone pour annoncer son arrivée, et revient en assurant que tout est calme [13]. Dans la nuit même, la brigade du capitaine Ehrhardt se met en marche vers le centre de la capitale.

Les insurgés lancent un ultimatum qui exige la démission d'Ebert et l'élection d'un nouveau président, la dissolution du Reichstag et de nouvelles élections, et, en attendant, un cabinet de techniciens avec un général au ministère de la guerre [14]. Noske, qui convoque les chefs militaires non liés au complot dans son bureau à 1 heure 30, s'entend répondre qu'il n'est pas question de résister les armes à la main [15]. Le conseil des ministres, réuni à 3 heures, décide finalement d'évacuer la capitale, n'y laissant que deux de ses membres, dont le vice-chancelier Schiffer [16] : avant l'aube, la quasi-totalité du gouvernement et plus de deux cents députés ont pris la route de Dresde où ils pensent trouver protection auprès du général Maercker [17].

Aux premières heures de la matinée, les hommes d'Ehrhardt occupent Berlin, hissant le drapeau impérial sur les édifices publics. Installé à la chancellerie, Kapp promulgue ses premiers décrets, proclame l'état de siège, suspend tous les journaux, nomme commandant en chef le général von Lüttwitz. A midi, il peut considérer que tous les états-majors et toutes les forces de police de la région militaire de Berlin se sont ralliées à son entreprise [18]. Inquiets de l'attitude du général Maercker, les membres du gouvernement ont repris la route, cette fois dans la direction de Stuttgart, où ils pensent pouvoir compter sur le général Bergmann [19]. Au soir du 13 mars, il semble que le putsch l'ait emporté sans effusion de sang puisque, nulle part, l'armée ni la police ne font mine de s'y opposer, et les autorités du Nord et de l'Est reconnaissent le nouveau gouvernement.

L'écrasement du putsch.

Pendant que le gouvernement prend la fuite, la résistance s'organise pourtant. Dès le matin, Legien réunit la commission générale des syndicats : à 11 heures, celle-ci lance de mot d'ordre de grève générale [20]. De son côté, Wels, un des rares dirigeants social-démocrates à être resté sur place, fait rédiger et imprimer une affiche, qu'il fait suivre des signatures des ministres socialdémocrates - qu'il n'a évidemment pas consultés [21] - et qui appelle à la grève générale sur le thème de l'union contre la contre-révolution et pour la défense de la république [22]. Le parti social-démocrate indépendant appelle aussi les ouvriers à la grève générale « pour la liberté, pour le socialisme révolutionnaire, contre la dictature militaire et le rétablissement de la monarchie » [23]. Des pourparlers s'engagent, à l'initiative de Legien, pour la constitution d'un comité central de grève qui serait constitué à partir de toutes les organisations ouvrières et dont l'autorité déborderait largement celle de la seule commission générale. Mais l'accord ne peut se faire, puisque les majoritaires, Wels et ses camarades, entendent défendre ce qui est pour eux le « gouvernement de la république » alors que les indépendants ont bien précisé qu'il ne s'agisse en aucun cas de défendre le « gouvernement Ebert-Noske » [24]. Il y aura donc deux « comités centraux de grève » à Berlin, l'un autour de Legien, avec les syndicats, A.D.G.B., A.f.A. et Ligue des fonctionnaires, ainsi que le parti social-démocrate, l'autre qui rassemble les dirigeants des syndicats berlinois, Rusch et ses camarades, et les dirigeants du parti indépendant [25], que le K.P.D. (S) rejoindra plus tard [26].

C'est Legien qui a pris l'initiative de la lutte. A l'aube du 13 mars, il a refusé de fuir, stigmatisé l'attitude des dirigeants social-démocrates, jeté dans la balance en faveur de la grève générale toute son autorité et son poids d'homme d'appareil. Lui, le vieil adversaire de la grève générale, le réformiste prudent, patriarche des révisionnistes, l'homme qui incarne des décennies de collaboration de classes, décide de passer dans la clandestinité et de prendre tous les contacts - y compris avec les communistes pour assurer la défaite du putsch. Il se révèle d'ailleurs plus proche des masses que ne le sont alors les dirigeants communistes. En l'absence de Levi, qui purge une peine de prison, sous la pression des responsables berlinois Friesland et Budich, de tendance gauchiste et contre l'opposition du seul Jakob Walcher [27], la centrale du K.P.D. (S) lance en effet un appel, vraisemblablement rédigé par Bronski, que Die Rote Fahne publie le 14 mars : il exprime la conviction qu'il n'y a pas, pour le moment, de riposte possible au putsch militaire en dehors de la lutte encore à venir pour le pouvoir :

 « Les travailleurs doivent-ils en cette circonstance passer à la grève générale? La classe ouvrière, hier encore chargée de fers par EbertNoske, désarmée, dans les pires conditions, est incapable d'agir. Nous croyons que notre devoir est de parler clair. La classe ouvrière entreprendra la lutte contre la dictature militaire dans les circonstances et avec les moyens qu'elle jugera propres. Ces circonstances ne sont pas encore réunies » [28].

Mais les ouvriers allemands n'ont pas entendu cet appel à la passivité. Dès le 14 mars, qui est pourtant un dimanche, il est possible de mesurer l'emprise et l'ampleur du mouvement. Les trains s'arrêtent les uns après les autres. A Berlin, à 17 heures, il n'y a plus ni trams, ni eau, ni gaz, ni électricité. Un peu partout éclatent des bagarres entre militaires et ouvriers. La veille, il y a déjà eu des réactions: à Chemnitz, à l'initiative des communistes que dirige Brandler, constitution d'un comité d'action comprenant les syndicats et tous les partis ouvriers : il prend les devants, en l'absence de troupes, constitue une milice ouvrière, l'Arbeiterwehr, qui occupe la gare, la poste, l'hôtel de ville. A Leipzig, les négociations sont entamées entre partis ouvriers, mais les communistes refusent de signer le texte préparé par les autres organisations pour appeler à la grève générale. Dans la nuit du 13 au 14, les premiers incidents violents se produisent à Dortmund, entre police et des manifestants ouvriers [29]. Le 14, les premiers combats commencent dans la Ruhr. Le général von Watter donne à ses troupes l'ordre de marcher sur Hagen, où les ouvriers s'arment : social-démocrates et indépendants lancent un appel commun à la grève générale [30]. A Leipzig, les hommes des corps francs ouvrent le feu sur une manifestation ouvrière : il y a vingt-deux morts, et les combats se poursuivent [31]. A Chemnitz, les organisations ouvrières décident la constitution immédiate d'une milice ouvrière de 3 000 hommes [32]. A Berlin, prenant conscience de son erreur initiale, la centrale du K.P.D. (S) rédige un nouvel appel, qui reste cependant encore en retard sur le développement de la lutte puisqu'il ne fait pas sien le mot d'ordre d' « armement du prolétariat » :

« Pour la grève générale! A bas la dictature militaire! A bas la démocratie bourgeoise! Tout le pouvoir aux conseils ouvriers! (...) A l'intérieur des conseils, les communistes lutteront pour la dictature du prolétariat, pour la république des conseils! Travailleurs! N'allez pas dans les rues, réunissez-vous tous les jours dans vos entreprises! Ne vous laissez pas provoquer par les gardes blancs! » [33].

En fait, dès le 15 mars le gouvernement Kapp-Lüttwitz est complètement paralysé. Le socialiste belge Louis De Brouckère écrit :

« La grève générale (...) les étreint maintenant de sa puissance terrible et silencieuse » [34].

Tout est mort dans Berlin, où le pouvoir ne parvient pas à faire imprimer une seule affiche. Au contraire, dans la Ruhr, où le corps frapc Lichtschlag s'est mis en mouvement, il a été tout de suite attaqué par des détachements d'ouvriers armés [35]. On se bat, de même, à Leipzig, à Francfort, à Halle et à Kiel. Les marins de Wilhelmshaven se sont mutinés, et arrêtent l'amiral von Leventzow et quatre cents officiers [36]. A Chemnitz, toujours sous l'impulsion des communistes, un comité d'action formé de représentants des partis ouvriers appelle les ouvriers à élire leurs délégués aux conseils ouvriers d'entreprise [37]. Quelques heures plus tard, ces délégués, désignés par 75 000 ouvriers au scrutin de liste à la proportionnelle, élisent à leur tour le conseil ouvrier de la ville : dix communistes, neuf social-démocrates, un indépendant et un démocrate [38]. Heinrich Brandler est l'un des trois présidents de cet organisme révolutionnaire, dont l'autorité et le prestige s'étendent sur toute une région industrielle où les forces de répresssion sont désarmées ou neutralisées, et les ouvriers armés [39]. Il écrira quelques mois plus tard, non sans fierté:

« A Chemnitz, nous avons été le premier parti à lancer les mots d'ordre de grève générale, désarmement de la bourgeoisie, armement des ouvriers, réélection immédiate des conseils ouvriers politiques. Nous avons aussi été les premiers, grâce à la force du parti communiste, à faire passer ces mots d'ordre dans la réalité » [40].

Un danger nouveau apparaît pourtant, précisément dans la région même où les initiatives des communistes de Chemnitz semblent permettre la construction d'un solide front de résistance ouvrière aux putschistes. Un militant du K.P.D. (S), Max Hoelz, a été au cours de l'année 1919 l'organisateur de violentes manifestations de chômeurs dans la région de Falkenstein. Menacé d'arrestation, il est passé ensuite dans la clandestinité, où il s'est lié avec des éléments activistes de l'opposition, et a organisé, dans cette région misérable de l 'Erzgebirge- Vogtland écrasée par un chômage général, des détachements armés, sortes de « guérilleros urbains », groupes de chômeurs ou de tout jeunes gens armés qui s'en prennent aux policiers et parfois aux caisses des usines et aux banques, ou aux agents patronaux [41]. Dans cette région ravagée par la crise, il fait figure, après ses trois arrestations et ses trois évasions, de Robin des bois des temps modernes [42]. Dès la nouvelle du soulèvement de Kapp, il attaque, se fait ouvrir les portes de la prison de Plauen, recrute et organise sommairement des unités de guérillas qu'il baptise « gardes rouges» et commence à harceler la Reichswehr, organisant des raids contre ses détachements isolés, pillant magasins et banques pour financer ses troupes et ravitailler de façon spectaculaire les habitants des faubourgs ouvriers [43]. Sa conception « activiste » de l'action, la façon dont il substitue des actions de commandos à l'action de masses, l'effroi qu'il provoque jusque dans une partie de la population ouvrière suscitent les inquiétudes de Brandler et des communistes de Chemnitz, qui le condamnent comme aventuriste et stigmatisent certaines de ses initiatives comme provocatrices [44].

Dans la Ruhr, un phénomène comparable, mais qui entraîne des masses ouvrières plus nombreuses, donne naissance à ce qu'on appellera l'« armée rouge » : un comité d'action formé à Hagen sous l'impulsion des militants indépendants Stemmer, un mineur, et Josef Ernst, métallo, crée un « comité militaire » : en quelques heures, 2 000 travailleurs en armes marchent sur Wetter, où les ouvriers sont aux prises avec les corps francs [45].

Le 16 mars, il semble qu'on se batte ou qu'on s'y prépare dans l'Allemagne entière, sauf peut-être dans la capitale, où la supériorité militaire des troupes semble écrasante. L'armée rouge des ouvriers de la Ruhr marche sur Dortmund [46]. Les corps francs et la Reichswehr tiennent le centre de Leipzig contre des détachements ouvriers improvisés [47]. A Kottbus, le major Buchrucker donne l'ordre de fusiller sur place tout civil porteur d'armes [48]. A Stettin, où s'est constitué un comité d'action sur le modèle de Chemnitz, c'est dans la garnison qu'on se bat entre partisans et adversaires du putsch [49]. De la prison berlinoise où il est détenu depuis plusieurs semaines, Paul Levi écrit à la centrale une lettre d'une grande violence : il critique sa passivité et son manque d'initiative, son aveuglement devant les possibilités offertes aux révolutionnaires par la lutte contre le putsch [50]. D'ailleurs, dans l'ensemble du pays, et à l'exception de Berlin, les responsables communistes ont réagi comme lui. Les militants de la Ruhr ont appelé à l'armement du prolétariat et à l'élection immédiate de conseils ouvriers d'où seraient exclus les partisans de la démocratie bourgeoise [51]. Les courriers qui ont apporté les instructions élaborées le 13 par la centrale ont été partout fraîchement reçus et les ordres détruits [52]. Presque chaque fois, sans tenir compte des instructions centrales, les communistes ont appelé à la grève générale et participé à son organisation. Plusieurs groupes de l'opposition - celui de Hambourg, notamment - ont en revanche adopté une position attentiste justifiée par le refus de l'action commune avec les « social-traîtres» [53] : ni à Berlin, ni à Dresde, autour de Rühle [54], les gauchistes ne jouent de rôle. En revanche, de différentes régions d'Allemagne, des militants de l'opposition, Appel, de Hambourg, Karl Plattner, de Dresde [55], vont rejoindre les combattants ouvriers de la Ruhr.

A Berlin, Kapp, aux abois, négocie avec le vice-chancelier Schiffer, qui représente le gouvernement Bauer. Kapp accepte dans l'intérêt commun que le général Groener tente une médiation auprès du président Ebert. Mais Ebert ne se presse pas [56]. Kapp, aux prises avec la grève générale, lutte en réalité « contre des problèmes qui dépassent les forces humaines », selon l'expression de Benoist-Méchin [57]. Son gouvernement est en quelque sorte suspendu dans le vide. Le pain, la viande commencent à manquer dans la capitale. Le directeur de la Reichsbank refuse de payer les dix millions de marks que lui réclame Kapp [58]. Le 16 mars, à 13 heures, celui-ci donne l'ordre « de fusiller les meneurs et les ouvriers des piquets de grève à partir de 16 heures » [59]. Cette fois, c'est le grand patronat lui-même qui s'émeut devant une mesure qui risque de déclencher la guerre civile; à la tête d'une délégation, Ernst von Borsig en personne assure à Kapp qu'il faut renoncer à la force :

« L'unanimité est si grande au sein de la classe ouvrière qu'il est impossible de distinguer les meneurs des millions d'ouvriers qui ont cessé le travail » [60].

Les ouvriers de la Ruhr ont repris Dortmund à six heures du matin. Dans la nuit du 16 au 17, un régiment de pionniers se mutine à Berlin même, emprisonne ses officiers. Il faut l'intervention du fer de lance du putsch, la brigade de marine Ehrhardt, pour obtenir leur libération [61]. Si les putschistes s'obstinent, la guerre civile est inévitable et la victoire ouvrière probable, tant sur eux que sur le gouvernement, dont la base et les possibilités d'action se restreignent d'heure en heure, puisque l'armée, putschiste ou « neutre », a cessé désormais d'être sûre.

Le 17 mars, Kapp, qui a pris conscience de sa défaite, choisit la fuite [62]. Pressé par des officiers plus politiques que lui de mettre fin à l'aventure, le général von Lüttwitz l'imite à quelques heures de distance, laissant même au vice-chancelier Schiffer le  soin de rédiger sa lettre d'explication [63]. Ses adjoints, qui ne répondent déjà plus de leurs troupes, demandent que le commandement soit remis à un général qui ne se soit pas compromis dans le putsch : von Seeckt sera cet homme providentiel [64]. Au total, le putsch n'a pas duré plus d'une centaine d'heures, et il a bel et bien été écrasé par la réaction ouvrière, au premier chef la grève générale.

Mais les conséquences n'en sont pas épuisées. Le même jour en effet éclatent à Berlin les premiers combats armés : échange de coups de feu à Neukölln, construction de barricades par les ouvriers à la porte de Kottbus [65]. A Nuremberg, la Reichswehr tire sur une manifestation ouvrière, faisant vingt-deux morts et déclenchant en contre-coup une véritable insurrection [66]. A Suhl, les milices ouvrières s'emparent d'un centre d'entraînement de la Reichswehr et y mettent la main sur un important stock d'armes et de munitions [67]. A Dortmund, la police, contrôlée par les social-démocrates se range du côté de l'« armée rouge » contre les corps francs [68]. Partout la grève générale se poursuit. La question est désormais de savoir si la fuite précipitée de Kapp va permettre de l'arrêter, et à quel prix, ou bien si la vague révolutionnaire imprudemment soulevée par les kappistes conduit à une nouvelle guerre civile [69].

Si, en effet, cette fois, l'Allemagne ne s'est pas couverte d'un réseau de conseils ouvriers élus - Chemnitz et la Ruhr demeurent l'exception -, elle l'est en revanche d'un réseau serré de comités exécutifs (Vollzugsräte) ou comités d'action, formés par les partis et syndicats ouvriers et que la lutte contre les putschistes et l'organisation de la défense ont conduits à jouer le rôle de véritables pouvoirs révolutionnaires, posant, dans la pratique, et au cours même de la grève générale le problème du pouvoir et celui, plus immédiat, du gouvernement [70].

Le problème du gouvernement ouvrier.

Les conséquences politiques du putsch sont en réalité plus profondes encore. Même dans les régions où il ne s'est créé ni conseils ouvriers ni milices ouvrières, même là où les travailleurs se sont contentés de suivre l'ordre de grève sans prendre les armes, la secousse a été sérieuse. Pour des millions d'Allemands, l'initiative des chefs militaires signifie en effet la faillite de la direction social-démocrate : Noske, « socialiste des généraux », lâché par eux une fois sa besogne accomplie, est complètement discrédité et sa carrière politique se termine.

De plus, ce sont les ouvriers qui, par une grève générale déclenchée à l'insu du gouvernement à majorité social-démocrate, et en quelque sorte malgré lui, ont vaincu les putschistes. Les militants des différents partis, jusque-là dressés les uns contre les autres, se sont rapprochés dans le combat : pour la première fois depuis l'avant-guerre, ils se sont battus côte à côte contre l'ennemi de classe. Le prestige des dirigeants syndicaux est accru : Legien lançait l'ordre de grève générale au moment où Noske et Ebert prenaient la fuite; on attend désormais d'eux qu'ils prennent des responsabilités politiques.

Le trouble est profond dans les rangs du parti social-démocrate. Le président Otto Wels pose, le 30 mars, le problème en ces termes :

« Comment faire pour sortir le parti du chaos dans lequel il s'est trouvé entraîné par le combat en commun contre la réaction? » [71].

Dans de très nombreuses localités, les militants et même les organisations social-démocrates ont marché avec les communistes et les indépendants sur des mots d'ordre contraires à ceux de leur direction nationale. A Elberfeld, par exemple, un dirigeant du S.P.D. est allé jusqu'à signer avec les représentants des indépendants et du K.P.D. (S) un appel à la lutte pour « la dictature du prolétariat » [72]. Le Vorwärts traduit le sentiment de la quasi-totalité des ouvriers allemands en écrivant :

 « Le gouvernement doit être remanié. Non sur sa droite, mais à gauche. Il nous faut un gouvernement qui soit décidé sans réserves à lutter contre la réaction militariste et nationaliste, et qui sache se gagner la confiance des travailleurs aussi loin que possible sur sa gauche » [73].

Or, dès avant la fuite de Kapp, il est clair que l'on cherche à ressouder le front entre la Reichswehr et les partis gouvernementaux face au réveil de la classe ouvrière. Le vice-chancelier Schiffer et le général von Seeckt lancent ensemble, au nom du gouvernement, un appel pour le retour au calme, pour l'unité nationale « contre le bolchevisme » [74]. Le parti social-démocrate est déchiré entre des tendances contradictoires, mais c'est aussi le cas, dans une certaine mesure, du parti social-démocrate indépendant, particulièrement dans les localités où ses dirigeants de droite se sont alignés sur la politique de capitulation des social-démocrates majoritaires [75]. Les militants - et la presse du parti traduit largement cette réaction - expriment la poussée unitaire de la classe au coude à coude dans la grève, et son exigence de garanties sur le plan gouvernemental. Au contraire, l'appareil et le groupe parlementaire penchent pour la restauration de la coalition parlementaire, le dernier lançant un appel dans lequel il affirme que la poursuite de « la grève du peuple » après la fuite des chefs factieux constitue une menace pour l'unité du « front républicain» [76]. En même temps, une proclamation, signée conjointement de Schiffer et du ministre prussien de l'intérieur, le social-démocrate Hirsch, assure que la police et la Reichswehr ont fait tout leur devoir et qu'elles n'ont à aucun moment été complices du putsch [77]. Cette « amnistie » est évidemment nécessaire pour le rétablissement de l'ordre, en vue duquel le gouvernement proclame le 19 mars l'état d'urgence renforcé [78].

Le gouvernement, sauvé par la grève générale, va-t-il utiliser contre les ouvriers les généraux qui ont refusé de combattre les putschistes? Ebert et Noske vont-ils conserver le pouvoir et les ouvriers ne se sont-ils battus que pour les y maintenir? La réponse, politique, dépend en grande partie des dirigeants des partis et syndicats ouvriers.

Dans la lutte qui s'engage, les travailleurs disposent d'un atout formidable : leur grève. Legien en a conscience. Dès le 17 mars, il s'est adressé au comité exécutif des indépendants en leur demandant d'envoyer des représentants à une réunion de la commission générale des syndicats [79]. L'exécutif a délégué Hilferding et Koenen, à qui Legien a proposé la formation d'un « gouvernement ouvrier », formé des représentants des partis ouvriers et des syndicats. Il justifie sa proposition en expliquant qu'aucun gouvernement n'est désormais possible en Allemagne contre les syndicats, et que ces derniers, dans une situation exceptionnelle, sont prêts à assumer leurs responsabilités. Ni les représentants du parti indépendant, ni le cheminot Geschke, qui a été également invité à cette réunion où il représente le K.P.D. (S), ne peuvent évidemment donner de réponse avant d'avoir consulté les organismes responsables de leurs partis : ce qu'ils font [80]. Au cours de la réunion de l'exécutif indépendant, Wilhelm Koenen et Hilferding se prononcent pour l'acceptation de la proposition de Legien et pour l'ouverture de négociations en vue de constituer un gouvernement ouvrier. Crispien, président du parti et dirigeant de son aile droite, proteste qu'il ne saurait s'asseoir à la même table que des « assassins d'ouvriers », et qu'aucune discussion n'est possible avec les « traîtres à la classe ouvrière » que sont les membres de la commission générale. Däumig, leader de l'aile gauche, lui emboîte le pas, et affirme qu'il est prêt à démissionner de ses fonctions et même du parti si l'exécutif engage de telles négociations. Koenen et Hilferding ne trouvent que peu d'écho auprès de leurs camarades : Stoecker et Rosenfeld, autres dirigeants de la gauche, s'étonnent de la position prise par Koenen et demandent simplement que l'exécutif n'oppose pas un refus brutal qui risquerait de n'être pas compris par les millions de travailleurs en grève. Au vote, le refus catégorique proposé par Crispien et Daumig l'emporte largement [81].

Mais Legien n'abandonne pas pour autant la partie. Le lendemain, 18 mars, malgré la pression des éléments social-démocrates proches de l'appareil qui insistent pour terminer la grève, puisque le putsch auquel elle ripostait est battu, il fait décider par le conseil général sa prolongation tant qu'il n'aura pas été accordé à la classe ouvrière de garanties suffisantes quant à la composition et à la politique du gouvernement. De laborieuses discussions commencent entre les dirigeants des syndicats et les représentants du gouvernement. Legien prévient ses interlocuteurs qu'il n'hésitera pas, s'il le juge nécessaire, à constituer lui-même un « gouvernement ouvrier » qui s'opposerait par la force au retour du gouvernement Bauer dans la capitale, même si cette initiative devait signifier, comme il en a conscience, une guerre civile [82]. Il pose un certain nombre de préalables absolus, la démission de Noske du gouvernement du Reich, celle des deux ministres prussiens Heine et OEser, l'entrée au gouvernement de dirigeants syndicalistes à des postes-clés, une répression sévère contre les putschistes et leurs complices, une épuration radicale de l'armée et de la police. Il répète qu'il existe une possibilité immédiate de constituer un gouvernement ouvrier avec des représentants des syndicats et des deux partis social-démocrates.

Par sa décision de lancer le mot d'ordre de grève générale, par son opposition ouverte aux dirigeants du parti social-démocrate, la direction des syndicats a ouvert au sein de ce parti une crise sans précédent qui secoue jusqu'à son appareil au niveau le plus élevé, l'exécutif et le groupe parlementaire. Mais c'est l'attitude des indépendants qui est déterminante. Or, pour eux, le problème n'est pas simple. La gauche s'est coupée en deux, Däumig s'opposant à Koenen. Une partie de la droite, avec Crispi en lui-même, est revenue sur sa première réaction, dès la soirée du 17 mars, où une nouvelle délégation de l'exécutif s'est lancée à la recherche de Legien pour l'informer de son désir de reprendre la discussion. Däumig est cependant irréductible : il affirme ne pouvoir accepter que le parti cautionne un gouvernement dit « ouvrier » qu'à la condition que ce dernier se prononce pour la dictature du prolétariat et le pouvoir des conseils ouvriers [83]. Malgré l'opposition de ses camarades de tendance qui contrôlent les syndicats à Berlin, il l'emporte. La majorité de la gauche estime avec lui que le gouvernement ouvrier proposé par Legien ne pourrait incarner qu'une nouvelle mouture de ce qu'elle appelle « le régime de Noske », une simple réédition du gouvernement Ebert-Haase de 1918 [84]. Quant à la droite, elle se détermine finalement par rapport aux risques d'une telle entreprise sous le feu des critiques de sa gauche et la menace d'une scission, dans une conjoncture qui ferait d'elle au gouvernement un fragile alibi de gauche [85]. Legien doit renoncer.

Il lui reste cependant à poser au gouvernement ses conditions pour la reprise du travail. Au matin du 19, au terme de longues négociations, les représentants du gouvernement s'engagent solennellement à remplir les conditions dictées par Legien et qu'on appellera les « neuf points des syndicats » :

  1. La reconnaissance par le futur gouvernement du rôle des organisations syndicales dans la reconstruction économique et sociale du pays.
  2. Le désarmement et le châtiment immédiat des rebelles et de leurs complices.
  3. L'épuration immédiate des administrations et entreprises de tous les contre-révolutionnaires, la réintégration immédiate de tous les salariés révoqués ou licenciés pour leur activité syndicale ou politique.
  4. Une réforme de l'Etat sur une base démocratique en accord et avec la collaboration des syndicats.
  5. L'application intégrale des lois sociales en vigueur et l'adoption de nouvelles lois plus progressistes.
  6. La reprise immédiate des mesures de préparation de la socialisation de l'économie, la convocation de la commission de socialisation, la socialisation immédiate des mines de charbon et de potasse.
  7. La réquisition des vivres en vue du ravitaillement.
  8. La dissolution de toutes les formations armées contre-révolutionnaires et la formation de ligues de défense sur la base des organisations syndicales, les unités de la Reichswehr et de la police fidèles lors du putsch n'étant pas touchées.
  9. Le départ de Noske et de Heine [86].

Sur ces bases, le 20 mars, l'A.D.G.B. et l'A.f.A. décident d'appeler à la reprise du travail [87]. La plupart des ministres et des parlementaires reprennent le chemin de la capitale. Mais ni le parti indépendant ni le comité de grève du Grand Berlin n'ont donné leur accord, et la décision reste formelle en attendant les assemblées de grévistes, qui sont en général convoquées pour le dimanche 21.

Or, l'accord des grévistes est loin d'être acquis. De nombreuses assemblées prennent position contre la décision des centrales, estimant que le gouvernement s'est contenté de faire des promesses pour lesquelles les ouvriers n'ont aucune garantie, et que l'arrêt du travail équivaudrait à lui accorder un chèque en blanc [88]. De plus, l'entrée des troupes « gouvernementales » dans les faubourgs de Berlin a conduit à plusieurs incidents violents avec les ouvriers armés, coups de feu. arrestations [89], Au comité de grève du Grand Berlin se présente un messager porteur d'un appel au secours des ouvriers de la Ruhr pressés par la Reichswehr. Les représentants du K.P.D. (S), suivis par de nombreux ouvriers indépendants, prennent position contre l'arrêt de la grève: Pieck et Walcher expliquent qu'il faut protéger les ouvriers de la Ruhr et poursuivre le mouvement jusqu'à ce que leur sécurité soit garantie, c'est-à-dire jusqu'à l'armement du prolétariat. Enfin, la question du gouvernement ouvrier est pour la première fois posée publiquement. Däumig dénonce ce qu'il considère comme des manœuvres de Legien et son « opération-gouvernement », dont l'unique objectif est selon lui de réintégrer les indépendants dans le jeu parlementaire et de fournir une couverture à gauche à la coalition affaiblie [90]. Sur ce problème, les représentants communistes n'ont pas de mandat : ils disent apprendre en séance le contenu des propositions de Legien [91] et ne parler qu'à titre personnel. Walcher souligne qu'un gouvernement ouvrier tel que le proposent les syndicats serait « un gouvernement socialiste contre Ebert et Haase » et qu'il n'aurait donc aucun besoin, contrairement à ce que demande Däumig, de proclamer formellement sa « reconnaissance de la dictature du prolétariat » pour constituer, par son existence même, un pas en avant, une conquête pour le mouvement ouvrier. Tourné vers les délégués des syndicats, il affirme :

« Si vous prenez au sérieux vos engagements, si vous voulez vraiment armer les ouvriers et désarmer la contre-révolution, si vous voulez vraiment épurer l'administration de tous les éléments contre-révolutionnaires, alors cela signifie la guerre civile. Dans ce cas, il va de soi que non seulement nous soutiendrons le gouvernement, mais encore que nous serons à la pointe du combat. Dans le cas contraire, si vous trahissez votre programme et si vous frappez les travailleurs dans le dos, alors, nous - et nous espérons bien que dans ce cas nous serons suivis par des gens venant de vos propres rangs -, nous entreprendrions la lutte la plus résolue, sans réserve et avec tous les moyens à notre disposition » [92].

Au terme d'une séance houleuse, il est finalement décidé, avec l'appui des délégués du K.P.D. (S), d'appeler à ne pas terminer la grève avant d'avoir obtenu des garanties concernant  notamment le point 8, l'intégration d'ouvriers dans les forces de « défense républicaine [93] ». Dès la fin de la réunion, des négociations s'ouvrent entre les délégués des deux partis social-démocrates et des syndicats. Pour les dirigeants social-démocrates majoritaires, il est d'un intérêt vital d'enfoncer un coin entre communistes et indépendants et d'obtenir l'arrêt de la grève générale. Bauer, au nom de la fraction social-démocrate, s'engage à respecter les quatre conditions : retrait des troupes de Berlin sur la ligne de la Spree, levée de l'état de siège renforcé, engagement de ne prendre aucune mesure offensive contre les travailleurs armés, particulièrement dans la Ruhr, enrôlement, en Prusse, de travailleurs dans les « groupes de sécurité », sous contrôle syndical [94].

La décision véritable sur l'arrêt de la grève générale est entre les mains des indépendants, et peut-être la pression communiste aurait-elle pu durcir la gauche. Mais la centrale du K.P.D. (S) est, à son tour, en pleine crise. Au moment où part la circulaire n° 42 datée du 22 mars 1920, précisant pour les militants la position du parti sur le problème, nouveau pour eux, de la constitution éventuelle d'un gouvernement ouvrier [95], la centrale, après une réunion orageuse qui s'étend sur une partie de la nuit du 21 et la matinée du 22, décide de désavouer ses quatre représentants au comité central de grève pour leur vote favorable à la décision de la veille subordonnant notamment la reprise du travail à l'incorporation d'ouvriers dans des formations « républicaines », qu'elle juge une duperie, et pour leur prise de position favorable à un « gouvernement ouvrier ». A une faible majorité, elle vote en outre le texte d'une déclaration adressée au comité central de grève :

« La centrale du K.P.D. déclare qu'elle est en désaccord avec les revendications formulées dans le tract du comité central de grève du Grand Berlin du 21 mars sur plusieurs points, notamment sur la revendication de l'enrôlement des travailleurs, fonctionnaires et employés armés, dans des formations républicaines de confiance ou militaires. Elle déclare en outre qu'elle n'a pas soutenu la proposition de former un gouvernement de coalition entre les syndicats et l'U.S.P.D. » [96].

Cette déclaration sera lue au comité de grève à midi. Quelques heures plus tard, la direction du parti social-démocrate indépendant, malgré l'opposition de Däumig, Stoecker, Koenen, Rosenfeld et Curt Gever, se déclare satisfaite des nouvelles concessions des social-démocrates [97]. Un texte rédigé dans la soirée du 22, signé de Legien, pour l'A.D.G.B., Aufhäuser pour l'A.f.A., Juchacz pour le parti social-démocrate et Crispien pour l'U.S.P.D., appelle donc à la reprise du travail en fonction des nouvelles concessions et promesses gouvernementales [98]. La direction berlinoise des syndicats, alignant sa position sur celle de Däumig, se prononce pour une « interruption » et contre l' « arrêt » de la grève, et refuse de signer [99].

Réunie dans la matinée du 23, la centrale du K.P.D. (S) dénonce ce qu'elle nomme une capitulation, et invite les ouvriers à poursuivre la grève pour le désarmement des corps francs, de la Reichswehr et des formations bourgeoises paramilitaires, pour l'armement du prolétariat, la libération des prisonniers politiques ouvriers, le pouvoir des conseils ouvriers [100]. Pourtant, la reprise du travail s'amorce. En outre, renversant sa position de la veille, la centrale prend une nouvelle position sur le problème du gouvernement ouvrier, donnant finalement raison sur ce point à Walcher et Pieck [101]. Soulignant que le putsch de Kapp a signifié la rupture de la coalition entre bourgeoisie et social-démocratie, et que le combat contre la dictature militaire a par conséquent pour objectif « l'élargissement du pouvoir politique des travailleurs jusqu'à l'écrasement de la bourgeoise », elle rappelle que l'établissement de la dictature du prolétariat exige un parti communiste puissant, soutenu par les masses, et précise :

« L'étape actuelle du combat, où le prolétariat n'a à sa disposition aucune force militaire suffisante, où le parti social-démocrate majoritaire a encore une grande influence sur les fonctionnaires, les employés et les autres couches de travailleurs, où le parti social-démocrate indépendant a derrière lui la majorité des ouvriers des villes, prouve que les bases solides de la dictature du prolétariat n'existent pas encore. Pour que les couches profondes des masses prolétariennes acceptent la doctrine communiste, il faut créer un état de choses dans lequel la liberté politique sera presque absolue et empêcher la bourgeoisie d'exercer sa dictature capitaliste » [102].

En fonction de cette analyse, elle juge souhaitable la formation d'un gouvernement ouvrier :

 « Le K.P.D. estime que la constitution d'un gouvernement socialiste sans le moindre élément bourgeois et capitaliste créera des conditions extrêmement favorables à l'action énergique des masses prolétariennes, et leur permettra d'atteindre la maturité dont elles ont besoin pour réaliser leur dictature politique et sociale. Le parti déclare que son activité conservera le caractère d'une opposition loyale tant que le gouvernement n'attentera pas aux garanties qui assurent à la classe ouvrière sa liberté d'action politique, et tant qu'il combattra par tous les moyens la contre-révolution bourgeoise et n'empêchera pas le renforcement de l'organisation sociale de la classe ouvrière. En déclarant que l'activité de notre parti « conservera le caractère d'une opposition loyale », nous sous-entendons que le parti ne préparera pas de coup d'Etat révolutionnaire, mais conservera une liberté d'action complète en ce qui concerne la propagande politique en faveur de ses idées » [103].

Prise de position capitale, susceptible de modifier le rapport des forces au sein de la gauche et du parti indépendant, mais déjà tardive, et qui ne sera, surtout, connue que le 26 mars. A cette date, la situation a beaucoup évolué. Le 22 au matin, sous le coup des informations concernant les premiers heurts entre forces armées et ouvriers au lendemain de l'arrêt de la grève, les négociations ont repris entre partis et syndicats et de nouveau les dirigeants examinent la possibilité de constituer, comme l'écrit la Sozialdemokratische Parteikorrespondenz, un « gouvernement purement socialiste ou gouvernement ouvrier» [104]. Les indépendants, achevant de rectifier leur prise de position du 17mars, ne demandent pas en préalable une déclaration gouvernementale en faveur de la dictature du prolétariat [105].

Le même jour se tient, sous la présidence de Malzahn, l'assemblée des conseils d'usine du Grand Berlin. Däumig y défend l' « interruption » de la grève, et Pieck sa poursuite. Däumig rappelle son opposition au gouvernement ouvrier, Pieck, au contraire, explique la position de son parti :

 « La situation n'est pas mûre pour une république des conseils, mais elle l'est pour un gouvernement purement ouvrier, En tant qu'ouvriers révolutionnaires, nous désirons ardemment un gouvernement purement ouvrier. (...) Le parti social-démocrate indépendant a rejeté le gouvernement ouvrier, et, ainsi, dans une conjoncture politique favorable, il n'a pas su saisir les intérêts du prolétariat. (...) Le gouvernement ouvrier viendra, il n'est pas d'autre voie vers la république des conseils » [106].

Après un débat confus [107], la motion de Däumig est votée à une large majorité. La fin de la grève est acquise. Mais il n'y aura pas de gouvernement ouvrier. Dans les négociations qui se poursuivent, Crispien souligne en vain que la centrale du K.P.D. (S) et l'exécutif indépendant sont parfaitement d'accord sur deux points : ils n'entreront en aucun cas dans un gouvernement de coalition, et il n'est pas pour le moment question d'une « dictature des conseils », alors qu' « un gouvernement purement ouvrier est tout à fait possible » [108]. Les négociations n'aboutissent pas.

Le 23, l'exécutif a établi un programme en huit points qu'il propose comme base possible d'accord pour un gouvernement ouvrier : il est publié le 24 [109]. Le 25, Vorwärts explique qu'un gouvernement ouvrier, souhaité, selon lui, par les majoritaires, n'aurait été possible que si les partis bourgeois avaient accepté de le soutenir au Reichstag et qu'il n'aurait eu d'autre signification qu'un élargissement de la coalition aux indépendants. II conclut que le parti social-démocrate saura prendre ses responsabilités pour « construire sous un autre nom un gouvernement qui réalise les mêmes objectifs » [110].

Le quotidien social-démocrate ne fait là que rendre publique une position déjà passée dans la réalité. Depuis la fin de la grève, qui a renforcé considérablement sa position, Ebert, revenu à Berlin, a entamé des pourparlers dans la perspective d'un élargissement de la coalition. Le veto opposé par Legien à l'entrée dans le cabinet de l'homme d'affaires Cuno, son exigence de voir éliminer le vice-chancelier Schiffer, entraînent l'échec de l'opération et la démission du cabinet Bauer [111]. Le jeu parlementaire retrouve ses règles, et, le 26, Ebert offre à Legien le poste de chancelier et mission de former le nouveau cabinet : la commission générale décide qu'il refusera. Elle ne peut, à son avis, prendre seule cette responsabilité gouvernementale dans des conditions qui ne sont plus celles de la semaine précédente, notamment sous le feu de la critique de la presse - qui reparaît - et dénonce quotidiennement avec violence le rôle occulte de « contre-gouvernement » des dirigeants syndicaux [112]. La voie est libre pour le replâtrage, et c'est finalement au social-démocrate Hermann Müller qu'il est fait appel, le même jour [113]. Le 27, le ministère est constitué, avec le démocrate Gessler à la Reichswehr, en remplacement de Noske. Un gouvernement de même type est formé en Prusse. Le revirement de Däumig qui, au cours de l'assemblée des conseils d'usine de Berlin, déclare que « seul un gouvernement purement socialiste porté par la confiance des travailleurs peut résoudre la situation» [114] est trop tardif: l'occasion est passée.

L'unique conséquence de la « déclaration d'opposition loyale » de la centrale du K.P.D. (S) réside finalement dans la tempête qu'elle soulève dans le parti, à commencer par le comité central qui la désavoue, par 12 voix contre 8, et affirme :

« Le devoir des membres du K.P.D. est de diriger toutes leurs énergies en vue de la modification des rapports de force réels par des moyens révolutionnaires. La question d'une éventuelle combinaison gouvernementale est donc d'un intérêt secondaire par rapport à la lutte du prolétariat pour son armement et la construction de conseils ouvriers » [115].

En attendant, les hésitations des socialistes et des communistes sur la question du gouvernement n'ont pas peu contribué à la modification du rapport de force réel, que les événements de la Ruhr vont encore accentuer.

 La revanche de la Reichswehr.

Au lendemain du putsch, la Ruhr a été à l'avant-garde de la lutte armée et de l'organisation du pouvoir ouvrier : un réseau de conseils ouvriers et de comités d'action y a pris localement le pouvoir, et le comité d'action de Hagen, véritable direction militaire révolutionnaire, dispose d'une centaine de milliers d'ouvriers en armes. A partir du 18 mars, les unités ouvrières passent à l'offensive, la Reichswehr replie ses troupes éparpillées : l'une d'elles laisse aux ouvriers de Düsseldorf 4000 fusils, 1 000 mitrailleuses, des canons, des mortiers et des munitions [116]. Les ouvriers semblent les maîtres dans la semaine qui suit.

En fait, dès cette date, les ouvriers de la Ruhr, en pointe par rapport à leurs camarades du reste du pays, sont dangereusement isolés. Social-démocrates, indépendants et même communistes ont partout ailleurs reconnu de bon ou de mauvais gré la situation créée par la reprise du travail et l'échec des pourparlers pour    la formation d'un « gouvernement ouvrier ». Au comité de grève de Berlin, les émissaires de la Ruhr, Wilhelm Düwell, le 21 mars, Graul le 23, ont décrit la situation dans la région, le danger que crée la pénurie alimentaire. Dès le 23 mars, la centrale a envoyé Wilhelm Pieck sur place [117]. La division est profonde : le comité de Hagen, formé de majoritaires et d'indépendants, a incorporé deux communistes, Triebel et Charpentier, mais leur parti vient de les désavouer parce qu'ils ont accepté d'ouvrir les négociations sans avoir été mandatés pour cela [118]. A Essen, le comité exécutif qu'inspirent les communistes, songe à déborder le comité de Hagen quand celui-ci s'engage dans la voie des négociations.

Le 18, le comité d'action de Hagen appelle les ouvriers non armés à reprendre le travail. Le 20, il fait connaître ses exigences à l'égard de la Reichswehr et de son chef, le général von Watter, qui a attendu le 16 mars pour se désolidariser de von Lüttwitz : désarmement de la Reichswehr, évacuation totale de la zone industrielle, formation d'une milice contrôlée par les organisations ouvrières : en attendant, « l'ordre sera assuré par des formations ouvrières armées » [119]. Bauer répond télégraphiquement que ces conditions sont inacceptables, von Watter et ses troupes ne s'étant pas rangés du côté du putsch [120]. Les ministres Giesberts et Braun viennent épauler le commissaire du Reich, Severing, pour une négociation en vue d'un accord sur la base des « neuf points des syndicats» [121], Les conversations s'ouvrent à Bielefeld, le 23 mars, dans une vaste assemblée qui regroupe les représentants des conseils des principales villes, quelques maires et les représentants des partis et syndicats ouvriers, dont Charpentier et Triebel, les deux communistes membres du comité d'action de Hagen. Une commission restreinte élabore un texte qui est finalement approuvé le 24 par tous les participants [122]. Les représentants du gouvernement y confirment leur accord avec le programme des syndicats, donnent leur caution à une collaboration temporaire, pour l'application de l'accord, entre autorités militaires et représentants ouvriers : Josef Ernst est adjoint à Severing et au général von Watter [123]. Il est prévu que, dans une première étape, les ouvriers garderont sous les armes des troupes aux effectifs limités, contrôlées par les autorités qui les reconnaîtront comme forces auxiliaires de police; le gros des armes sera rendu. En tout état de cause, les combats doivent prendre fin immédiatement [124].

Or ces accords ne sont pas respectés. Pourtant Wilhelm Pieck, qui a appris leur signature lors de son arrivée à Essen, insiste pour qu'on accepte un armistice qui permettrait aux ouvriers de conserver des armes et d'organiser solidement la milice qui leur est provisoirement concédée [125]. Mais il ne parvient pas à convaincre les membres du conseil exécutif d'Essen, qui ne se jugent pas engagés par un accord auquel ils n'ont pas eu part. D'ailleurs, sur la gauche de ce comité contrôlé par le K.P.D. (S), ceux de Duisbourg et Mülheim, dirigés par des communistes de l'opposition, et les militants des puissantes unions ouvrières locales, parmi lesquels l'influence des anarchistes est réelle, dénoncent les « traîtres» qui ont signé et appellent à poursuivre la lutte. Il y a, en fait, foule d'autorités révolutionnaires rivales, six ou sept « directions militaires» et, entre elles, surenchère [126]. Le 24 mars, le conseil exécutif d'Essen se réunit en présence de Josef Ernst et d'un délégué du « front » de Wesel, où les ouvriers attaquent la caserne. Les représentants de Mülheim condamnent à l'avance tout armistice, mais avouent qu'ils manquent de munitions. Le conseil refuse de reconnaître les accords, sur quoi le comité de Hagen le déclare dissous et réitère son ordre de suspendre les combats : décision sans effet [127]. Le lendemain 25 mars se tient, toujours à Essen, une réunion de délégués de soixante-dix conseils ouvriers de la Ruhr, avec les principaux chefs de l' « armée rouge ». Pieck intervient pour souligner que les accords n'offrent aucune garantie, et proposer que les ouvriers gardent leurs armes en attendant, sans pour autant provoquer les combats. L'assemblée élit un conseil central formé de dix indépendants, un majoritaire et quatre communistes. Pieck dira : « Nous n'avons pas réussi à convaincre les camarades du front qu'il valait mieux cesser la lutte » [128]. Pourtant, deux jours après, le conseil central d'Essen décide, contre l'opinion des chefs militaires, mais au vu de la situation générale, de demander au gouvernement l'ouverture de pourparlers d'armistice [129]. Le lendemain se tient à Hagen une conférence de délégués des trois partis ouvriers. Pieck y intervient pour dire que la situation n'est pas mûre pour une république des conseils, mais qu'il faut lutter pour l'armement du prolétariat, le désarmement de la bourgeoisie, la réorganisation et l'élection des conseils ouvriers [130]. La décision est prise de négocier, mais de se préparer à proclamer à nouveau la grève générale en cas d'offensive de la Reichswehr [131]. Une nouvelle assemblée des conseils, convoquée le 28 par le conseil central d'Essen, confirme cette position : Levi y est présent [132]. Mais, le même jour, le chancelier Hermann Müller fait savoir au conseil central qu'il exige préalablement à toute négociation la dissolution des autorités illégales et la remise des armes [133].

En fait, pendant ce temps, les combats n'ont pas cessé, et le conseil central n'a pas réussi à imposer dans l'ensemble de la zone industrielle une autorité nécessaire à la conduite de sa politique. A Wesel, la garnison est assiégée depuis plusieurs jours [134] et les chefs de l'« armée rouge du front de Wesel » lancent des appels au combat enflammés, que le conseil central stigmatise comme « aventuristes » [135]. A Duisbourg et Mülheim, des éléments « unionistes » menacent de saboter les installations industrielles et de « détruire l'outil » en cas d'avance des troupes [136]. Un comité exécutif révolutionnaire, installé à Duisbourg sous l'autorité du gauchiste Wild, décide la saisie des comptes bancaires et de tous les produits alimentaires, appelle à l'élection de conseils ouvriers par les seuls ouvriers « se plaçant sur le terrain de la dictature du prolétariat » [137]. Les incidents commencent à éclater entre ouvriers de tendances opposées, partisans ou adversaires de l'armistice, partisans ou non du sabotage. Un militant de l'opposition, Gottfried Karrusseit, lance des proclamations incendiaires [138] qu'il signe du titre de « commandant en chef de l'armée rouge » Pieck le traitera de « petit-bourgeois enragé », En fait, pas plus que le comité d'action de Hagen quelques jours plus tôt, le conseil central d'Essen n'a la force de garantir un cessez-le-feu. Exploitant cet éparpillement et les querelles internes du camp ouvrier, le général von Watter exige des dirigeants d'Essen qu'ils lui fassent remettre dans les vingt-quatre heures quatre canons lourds, dix légers, deux cents mitrailleuses, seize mortiers, vingt mille fusils, quatre cents caisses d'obus d'artillerie, six cents d'obus de mortiers, cent mille cartouches. Si armes et munitions ne lui sont pas livrées dans le délai prescrit, il considérera que les dirigeants ouvriers ont refusé de désarmer leurs troupes et violé l'accord [139] . Le conseil d'Essen réplique à cet ultimatum provocateur par l'appel à la grève générale [140].

La situation en Allemagne au lendemain du putsch de Kapp

La situation en Allemagne en mars 1920, au lendemain du putsch de Kapp

Le 30 mars, les délégués du conseil d'Essen sont à Berlin, où ils participent à une réunion qui comprend les dirigeants de tous les syndicats et partis ouvriers, dont Pieck et Paul Levi : ils décident à l'unanimité de demander au gouvernement Müller de prendre des mesures pour que soit respecté l'accord de Bielefeld, et que les militaires soient mis hors d'état de nuire, Cinq de leurs représentants, dont Paul Levi, sont reçus par le chancelier Hermann Müller, à qui ils demandent le rappel du général von Watter [141]. Initiative vaine: le chancelier réplique que les accords sont violés unilatéralement, invoque pillages, saisies des comptes en banque et menaces de sabotage pour justifier le « maintien de l'ordre » [142], De retour à Essen, Pieck y trouve une extrême confusion, la majorité des membres du conseil central s'étant rendus à Munster pour négocier avec Severing et ayant presque tous été arrêtés en route par les troupes [143], Une nouvelle assemblée générale des conseils de la région industrielle se tient cependant le 1° avril à Essen, avec 259 représentants de 94 conseils [144]. Pieck, l'indépendant Œttinghaus, et le représentant de Mülheim, Nickel, y rendent compte de ce qui s'est passé à Berlin, et l'assemblée définit une position sur les conditions d'armistice. Elie lance un appel pour la défense et le développement du réseau des conseils [145], Le 3 avril, les troupes de von Watter se mettent en marche. Elles ne rencontrent qu'une résistance sporadique, le chaos et la discorde entre dirigeants paralysant toute velléité de coordination de la défense [146], Le comportement des troupes pendant cette réoccupation du bassin est tel qu'il provoque l'indignation de Severing lui-même [147], Bientôt les tribunaux militaires vont frapper de lourdes peines de prison les militants ouvriers accusés de crimes ou délits de droit commun, en réalité mesures de réquisition ou de combat. Un mois après l'écrasement du putsch par la grève générale, les complices des putschistes prennent dans la Ruhr une bonne revanche [148].

En fait, les événements de ce mois de mars 1920 ont une grande portée. Une fois de plus, certes, la Reichswehr a rétabli l'ordre, mais, cette fois, la crise dans le mouvement ouvrier semble atteindre son paroxysme. Les hésitations de la centrale, ses tergiversations et ses tournants n'ont pas permis au K.P.D. (S) de tirer de l'événement tout le bénéfice qu'il aurait pu en attendre. Il va pourtant s'efforcer d'attiser la crise qui bouillonne encore dans les partis social-démocrates.

C'est aux ouvriers social-démocrates ou influencés par la social-démocratie, aux cadres et aux adhérents des syndicats, que Paul Levi, le 26 mars, s'adressait devant l'assemblée générale des conseils d'usine :

« Au moment où Kapp-Lüttwitz ont fait leur putsch et mis en péril le régime Ebert-Bauer comme Spartakus ne l'avait jamais encore fait, on n'a pas osé appeler à lutter contre eux les armes à la main. Alors qu'on voulait se battre les armes à la main. Comment cela est-il possible?
Il fallait en appeler de nouveau aux forces qui ont bâti la république allemande, il fallait en appeler au prolétariat et il fallait lui mettre des armes dans les mains. C'était parfaitement possible (Protestations), oui, c'était parfaitement possible (Interruption « Non! »), c'était possible, exactement comme il était possible d'appeler le prolétariat à la grève générale, de l'appeler aux armes. De même qu'il était possible, en Rhénanie-Westphalie, d'organiser une armée à partir des propres forces du prolétariat, de même il était devenu possible au gouvernement d'armer le prolétariat ailleurs. Mais il ne l'a pas même voulu, car il savait qu'au moment où il repoussait le putsch des Kapp-Lüttwitz grâce aux forces prolétariennes, il remettait en même temps au prolétariat le moyen qui lui permettrait d'atteindre son objectif ultime, et qu'il dirait : « Nous sommes prêts à défendre la république, nous sommes prêts à assumer cette défense, mais il ne nous suffit pas de restaurer le trône d'Ebert et Bauer! » Je dis que le gouvernement Ebert-Bauer n'a pas voulu prendre cette décision il en est resté à ses vieilles recettes et a cherché à négocier des compromis avec ces forces devant lesquelles il avait pris la fuite de Berlin à Dresde. Je pense que, dans cette situation, il serait tout à fait faux de parler d'un « nouveau danger », car c'est bien le seul et vieux danger qui menaçait depuis le premier jour et qui a maintenant atteint le stade critique, un stade où le rapport de forces est si serré qu'il faut qu'à brève échéance soit tranchée la question de savoir quelle force prendra l'Etat en mains, avant tout cet Etat qui est là! » [149].

La scission du parti sur sa gauche.

L'une des premières conséquences, moins du putsch lui-même que de la politique du parti communiste pendant le putsch et dans ses lendemains, le touche directement : c'est la décision de l'opposition de constituer un parti communiste scissionniste. L'abstentionnisme de la centrale aux premières heures du putsch, la politique unitaire et défensive de Brandler dans sa forteresse de Chemnitz [150], les hésitations et les tentations de la centrale devant la perspective d'un « gouvernement ouvrier », l'appui donné par les dirigeants de la centrale aux accords de Bielefeld et la condamnation par eux des actions aventuristes conduites dans la Ruhr, renforcent de nouveau le courant activiste, redonnent vie aux aspirations gauchistes, semblent confirmer leurs analyses sur l'« opportunisme » de la politique de la centrale. L'opposition, jusque-là en pleine décomposition, en reçoit une vigueur nouvelle,

A l'initiative des militants berlinois, particulièrement de Karl Schröder, que conseille Hermann Gorter, se réunit à Berlin les 4 et 5 avril une conférence de l'opposition communiste allemande qui rassemble, dans les conditions difficiles de la période, onze délégués de Berlin et vingt-quatre des différents districts de Brandebourg, Nord, Nord-Ouest, Thuringe, Saxe occidentale et orientale, Elberfeld-Barmen, sous la coprésidence de trois militants des principaux groupes, Hambourg, Berlin, Dresde. Les délégués affirment représenter 38 000 militants, soit plus de la moitié des membres du parti [151]. La conférence, malgré l'opposition de Pfemfert et d'Otto Rühle [152], proclame la fondation du parti communiste ouvrier d'Allemagne (K.A.P.D.) qui se déclare membre de l'Internationale communiste tout en condamnant comme opportuniste le travail militant dans les parlements bourgeois et les syndicats réformistes et en affirmant la « trahison » de la « centrale Levi» [153]. Dans les thèses qu'adopte son congrès de fondation, le nouveau parti, qui se prononce pour la dictature du prolétariat, définit le parti communiste comme « la tête et l'arme du prolétariat» et lui assigne comme rôle de lutter contre l'opportunisme et de développer la conscience de classe du prolétariat, « même au prix d'une opposition superficielle et évidente des grandes masses ». Il se propose comme modèle de parti communiste dans cette Europe occidentale où la bourgeoisie dispose de l'idéologie démocratique comme arme essentielle de défense. Pour l'organisation des luttes préparatoires à la conquête du pouvoir, il prône la constitution et le développement des « conseils d'usine révolutionnaires » et des « Unions » d'entreprise. Son appel aux travailleurs allemands souligne :

« Le K.A.P.D. n'est pas un parti traditionnel. Il n'est pas un parti de chefs. Son travail essentiel consistera à soutenir l'émancipation du prolétariat à l'égard de toute direction. (...) L'émancipation du prolétariat à l'égard de toute politique traître et contre-révolutionnaire de quelconques dirigeants est le plus authentique moyen de sa libération » [154].

 Le 4° congrès du K.P.D. (S), qui se tient dix jours après la naissance du K.A.P.D., ne lui consacre aucun temps de ses discussions. Les dirigeants communistes sont apparemment convaincus que l'événement est secondaire qui a vu la naissance d'une organisation se situant sur les positions théoriques de Pannekoek mais associant dans ses rangs aussi bien Wolffheim et Laufenberg que Rühle et Pfemfert - et que les meilleurs éléments de l'opposition, les communistes de Brême, avec Becker, ont refusé de rallier. En réalité, c'est d'un autre côté qu'ils tournent leurs regards. Les élections générales, qui auront lieu le 6 juin 1921, vont leur apporter des indications sur les conséquences politiques du bouleversement des rapports politiques et sociaux à la suite du putsch et de ses lendemains. Les partis bourgeois recueillent, ensemble, 15 000 000 de voix, contre 11 000 000 aux partis ouvriers. Des deux côtés, les extrêmes se renforcent. Le Centre perd plus de 2 500 000 voix, les démocrates 3 300 000, cependant que populistes et nationaux-libéraux, franchement à droite, en gagnent plus d'un million chacun. De l'autre côté, le parti social-démocrate est le grand vaincu, recueillant seulement 6 000 000 de voix et revenant avec 102 députés contre 11 900 000 voix et 165 députés en janvier 1919. Le fait capital est la montée des voix du parti social-démocrate indépendant, qui passe de 2 300 000 à plus de 5 000 000 de voix, et de 22 à 84 députés, égalant presque le vieux parti majoritaire, et le surclassant dans presque tous les centres industriels. Les communistes, pour leur première participation à des élections générales, obtiennent des résultats plus modestes ; 589 000 voix, et quatre députés, dont Clara Zetkin et Paul Levi.

La masse des électeurs ouvriers a bougé pour la première fois : le résultat du scrutin montre que les travailleurs se détournent nettement de la social-démocratie. Mais c'est pour rallier les social-démocrates indépendants. Voilà, pour les dirigeants de la centrale, une leçon bien plus importante que la naissance, sur leur gauche, du parti gauchiste K.A.P.D.


Notes

[1] Noske, op. cit., p. 200.

[2] Wheeler-Bennett, op. cit., p. 60.

[3] Lüttwitz, Im Kampf gegen die Novemberrevolution, p. 86.

[4] Wheeler-Bennett, op. cit., pp. 71-72.

[5] Voir son portrait, ibidem, pp. 61-62.

[6]   Noske, op. cit., p. 203.

[7] Volkmann, op. cit., p. 273.

[8] Erger, Der Kapp Lüttwitz Putsch, p. 117.

[9] La première rencontre entre Kapp et von Lüttwitz, avait eu lieu le 21 août 1919 (von Lütrwitz, op. cit., p. 97).

[10] Le préfet de police Ernst était au courant (Erger. op. cit., p. 133) et Kapp avait eu le 11 un entretien avec le célèbre conseiller du gouvernement chargé de la police, Doyé. qu'il devait nommer sous-secrétaire à l'intérieur dans son gouvernement (Ibidem, p. 133).

[11] Erger, op. cit., p. 133.

[12] Benoist-Méchin, op. cit., II. p. 86.

[13] Erger, op. cit., p. 136.

[14] Ibidem. p. 140.

[15] Ibidem, pp. 141-143.

[16] Ibidem, p. 149.

[17] Benoist-Méchin, op. cit., p. 93.

[18] Ibidem, pp. 97-98.

[19] Ibidem, p. 97.

[20] Varain, Freie Gewerkschaften, Sozialdemokratie und Staat, p. 173.

[21] Otto Braun, Von Weimar zu Hitler, p. 94.

[22] Fac-similé dans Ill. Gesch., p. 469.

[23] Ibidem, pp. 468-469.

[24] Varain, op. cit., p. 173; selon Wels, cité par Erger, op. cit., p. 196, les indépendants refusaient une action commune avec les majoritaires parce que ceux-ci étaient les vrais responsables de ce qui arrivait.

[25] En fait, seul le second s'intitule direction centrale de la grève (Erger, op. cit., p. 197).

[26] Le K.P.D.(S) expliquera qu'il reprochait au comité de grève « indépendant » de ne pas se prononcer pour la reconstitution immédiate des « conseils ouvriers» (Ill. Gesch., p. 496). C'est le 17 mars seulement que quatre représentants du K.P.D.(S), Pieck, Walcher, Lange et Thalheimer, entreront dans ce comité central, où ils ne resteront que quatre jours (Naumann et Voigtlander, « Zum Problem einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n° 3, 1963, p., 469, n° 32).

[27] Ruth Fischer, op. cit., p. 126; Bericht 4 ... , p. 43.

[28] Die Rote Fahne, 14 mars 1920, Ill. Gesch., pp. 467-468.

[29] Ill. Gesch., p. 495.

[30] Ibidem, p. 496.

[31] Ibidem, p. 489.

[32] H. Brandler, Die Aktion gegen den Kapp-Putsch in Westsachsen, p.7.

[33] Diffusé sous forme de tract le 15 mars, Ill. Gesch., p. 468.

[34] De Brouckère, La Contre-révolution en Allemagne, p. 46, cité par Benoist-Méchin, op. cit., p. 100.

[35] Ill. Gesch., p. 496.

[36] Ibidem, p. 481 ; Benoist-Méchin, op. cit., p. 101.

[37] Brandler, op. cit., pp. 7-8.

[38] Ibidem, p. 21. Les délégués comprenaient 691 communistes, 603 social-démocrates, 100 indépendants et 95 démocrates.

[39] Brandler, op. cit., p. 1, parle d'un contrôle exercé par le conseil ouvrier sur une zone d'un rayon de cinquante kilomètres autour de la ville, à la seule exception de l'Ecole technique, encerclée par les milices ouvrières.

[40] Ibidem, p. 1.

[41] Max Hoelz, Vom Weissen-Kreuz zur Roten Fahne, pp. 51-65.

[42] Brandler, op. cit., p. 56.

[43] Hoelz, op. cit., pp. 85-112.

[44] Brandler, op. cit., pp. 54·60.

[45] Ill. Gesch., p. 496.

[46] Ill. Gesch., p. 497.

[47] Ibidem, p. 489.

[48] Ibidem, p. 479.

[49] Ibidem, p. 479.

[50] Voir chap. XIX.

[51] Tract du district d'Essen, le 13 mars. Ill. Gesch., p. 494.

[52] R. Fischer, op. cit., p. 126.

[53] Ill. Gesch., p. 481.

[54] Brandler, op. cit., pp. 4-5.

[55] Bock, op. cit., biographie de ces deux militants, pp. 427 et 438.

[56] Erger, op. cit., pp. 249-254.

[57] Benoist-Méchin, op. cit., p. 102.

[58] Erger, op. cit., p. 211.

[59] Ibidem, p. 205.

[60] Benoist-Méchin, op. cit., p. 103, n. 2; Erger, op. cit., pp. 205-206.

[61] Benoist-Méchin, op. cit., p. 103

[62] Erger, op. cit., pp. 265-266.

[63] Ibidem, pp. 277-278.

[64]   Ibidem, p. 277.

[65] Ill. Gesch., p. 475.

[66] Ibidem, p. 482.

[67] Ibidem, p. 484. 

[68] Ibidem, p. 497.

[69] Il est difficile de faire la part, dans les craintes exprimées à droite, de ce qui était peur réelle et de ce qui était tentative d' « intoxication » Une dépêche de l'agence télégraphique Wolff du 17 mars (citée par Erwin Konnemann, « Zum Problem der Bildung emer Arbelterreglerung nach dem Kapp-Putsch » BzG, 1963, n° 6, pp. 904-921) mentionne une liste gouvernementale en circulation et tenue comme déjà officieuse : Däumig comme chancelier, Paul Levi aux affaires étrangères, Curt Geyer à l'intérieur. La dépêche conclut : « Il n'existe plus aucun doute: il n'y a plus qu'un seul ennemi, le bolchevisme. »

[70] V. Mujbegović, op. cit., p. 210; Kurt Finker, « Neue Wege und Erkenntnisse bei der Erforschung des Kampfes der demschen Arbeiter gegen den Kapp-Putsch », BzG, n° 4, 1961, pp. 909-910.

[71] Protokoll der Suzung des SPD-Parteiausscbusses vom 30, und 31-3-1920, p. 4, cité par Erger, op. cit., p. 291.

[72] Erger, op. cit., p. 291.

[73] Vorwärts, édition spéciale, 18 mars 1920.

[74] Ibidem

[75] Par exemple à Leipzig où, le 18 mars, le dirigeant indépendant Richard Lipinski signe avec les autorités civiles et militaires un « accord de cessez-le-feu » qui constitue une véritable capitulation militaire et politique : voir le texte intégral et les commentaires de Brandler dans Brandler, op. cit., pp. 48-49.

[76] Cité dans Erger, op. cit., p. 293 et dans Ill. Gesch.,p.471.

[77] Vorwärts, 20 mars 1920. Cité dans Ill. Gesch., p. 471.

[78] Ill. Gesch., p. 471.

[79] W. Koenen, « Zur Frage der Möglichkeit einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n° 12, 1962, p. 347.

[80] Ibidem, p. 348.

[81] Ibidem.

[82] Protocole des entretiens entre les dirigeants syndicaux et les représentants du gouvernement Bauer, notes de séance du ministre des finances Südekum, publiées par Erwin Könnemann, BzG, n° 2, 1966, p. 273.

[83] Bericht 4 ... , p. 8.

[84] Preiheit, 24 mars 1920.

[85]   Prager, op. cit., p. 218.

[86] Könnemann, op. crt., p. 910. n. 19.

[87] Ibiàem, p. 910.

[88] Ill. Gesch., p. 472.

[89] Notamment à Henningsdorf (Ill. Gesch., p. 476).

[90] Bericht 4 ... , p. 38.

[91] E. Konnemann (op. cit., p. 918. n. 41) émet l'hypothèse que Geschke, membre de la direction berlinoise gauchiste, présent, selon Koenen, à la réunion du 17, n'avait pas informé la centrale des propositions de Legien.

[92] J. Walcher, « Die Zentrale der K.P.D.(S) und der Kapp Putsch», Die Kommunistiche Internationale, n° l, 1926, pp. 406.

[93] Freiheit, 24 mars 1920.

[94] Sozialdemokratische Korrespondenz, 1920, n° 5, p. 45.

[95] Die Internationale, n° 1, 1920, p. 18; M. J. Braun, Die Lebren des Kapp Putsches, pp. 30-32.

[96] Bericht 4 .. , p. 39.

[97] Naumann et Voigtlander, « Zum Problem einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, 1963, n° 3, p. 470.

[98] Vorwärts, 24 mars 1920; Ill. Gesch., p. 473.

[99] Die Rote Fahne, 26 mars 1920.

[100] Ibidem.

[101] La nouvelle majorité comprend, selon V. Mujbegović, op. cit., p. 203 Pieck, Lange, Walcher, Thalheimer et P. Levi.

[102] Die Rote Fahne, 26 mars 1920.

[103] Ibidem, Bericht 4 ... , p. 29.

[104] Sozialdemohratische Parteikorrespondenz, 1920, n° 5, p. 45.

[105] Krüger, Die Diktatur oder Volksherrschaft, p. 30, cité par Konnemann, op. cit., p. 911 ; Franz Kruger était président du district de Berlin du S.P.D.

[106] Freiheit, 24 mars 1920.

[107] Rasch et Krause v interviennent tous deux - polémiquant entre eux - au nom du K.PD,(S)-Berlin, et Pieck prend acte de « l'existence de deux K.P.D. » (Ibidem.)

[108] Protocole des conversations établi d'après les notes de Südekum, BzG, n° 2, 1966, p. 278. Notons la suggestion de Crispien pour faire accepter aux partis bourgeois la formation d'un gouvernement qui les exclut : leur proposer une représentation indirecte en y faisant entrer des syndicalistes chrétiens !

[109] Preiheit, 24 mars 1920.

[110] Vorwârts. 25 Mars 1920.

[111] Konnemann, op. cit., p. 912.

[112] Varain, op. cit., p. 179.

[113] Konnemann, op. cit., p. 915.

[114] Freiheit, 28 mars 1920.

[115] Bericht 4 ... , p. 28.

[116] Ill. Gmb, p. 500.

[117] Plutôt que l'article paru dans Die Kommunistische Internationale, n° 15, sous le même titre, nous avons préférer utiliser ici le manuscrit, contenu dans les archives Levi sous le même titre. « Die Stellung der K.P.D. Zum Abbruch der bewaffneten Kampfen im Rhebisch-WestfäIischen Industriegebiet », dans lequel des coupures ont été effectuées pour la publication. Ce texte, f. 1, précise que l'arrivée de Düwell le 21 mars constitue le premier contact depuis le 13 mars entre la Ruhr et Berlin.

[118] Ibidem, f. 2.

[119] Ill. Gesch., p. 500: texte dans Benolst-Méchin, op. cit., II, p. 116.

[120] Ill. Gesch .. p. 500.

[121] Severing, lm Wetter-und Watterwinkel. p. 176. Les ministres arrivent avec l'information que le gouvernement hollandais est décidé à « couper les vivres» à une Ruhr dominée par les révolutionnaires.

[122] Ibidem, p. 177.

[123] Ill. Gesch., p. 503.

[124] Texte des accords, Ibidem, pp. 501-503 et Severing, op. cil, pp. 178, 179.

[125] L'Internationale communiste, n° 15, col. 3364.

[126] Ill. Gesch., p. 500.

[127] Ibidem, p. 503; « Die Stellung der K.P.D. », p. 7.

[128] Ibidem. Pendant ce temps. Levi, à Berlin. réussira, avec Däumig. à convaincre l'assemblée générale des conseils d'usine de s'adresser aux syndicats pour qu'ils lancent à nouveau le mot d'ordre de grève générale (Freiheit, 28 mars 1920) : démarche vaine.

[129] Ill. Gesch., p. 503.

[130] Die Stellung der KP.D. », f. 7.

[131] Ibidem, f. 8.

[132] Ibidem, f. 11.

[133] Severing, op. cit., p. 186.

[134] Ibidem, p, 184.

[135] « Die Stellung der K.P.D.». f. 10.

[136] Au 4° congrès du K.P.D., Levi dira que ces appels au sabotage ont dressé contre leurs auteurs la masse des mineurs et brisé la résistance (Bericht 4 ... , p. 21-22).

[137] « Die Stellung der K. P. D. » f. 9.

[138] Severing, op, cit., pp. 181-182, reproduit l'une d'entre elles et cite une autre proclamation annonçant deux exécutions capitales. Ruth Fischer, op. cit., p. 133, mentionne le même texte sans citer Severing et écrit que Karrusseit était « membre du KA.P.D. », qui n'était en réalité pas encore fondé à cette date; cela signifie que Karrusseit était membre de l'opposition. M. Bock ne fait aucune allusion à son rôle.

[139] Texte dans Seyering, op. cit!., p.187.

[140] Ibidem, p.p. 187-188.

[141] « Die Stellung du K.P.D. », p. 13.

[142] Ibidem, p. 14.

[143] Ibidem, p, 14.

[144] Ibidem, p. 16; 36 délégués appartenaient à la social-démocratie, au parti indépendant et 109 au K.P.D.(S).

[145] Ibidem, p. 20.

[146] Severing (op. cit.), dont le témoignage est, il est vrai, sujet à caution, donne des exemples de ces dissensions : Josef Ernst, indépendant, animateur du comité de Hagen, venu discuter à Mülheim, évite de justesse l'exécution que lui promettent les dirigeants locaux; à Dortmund. Brass échappe au même sort grâce à l'intervention du communiste Weinberg (pp. 184- 186); une proclamation de l'armée rouge appelle à fusiller tous les partisans de la négociation (p. 198).

[147] Ibidem, pp. 208 sq.

[148] Ibidem, pp. 210 sq.; Ill. Gesch., p. 508. Un compte rendu très vivant est fait au Reichstag par Otto Brass (Freiheit, 15 avril 1920) qui sera quelques jours plus tard accusé de « haute trahison » pour avoir donné à la presse étrangère des informations sur les effectifs militaires engagés dans la Ruhr.

[149] Archives Levi, P 60/6.

[150] R. Fischer (op. cit.) p. 216) dit que la réputation de Brandler dans le parti était mauvaise parce qu'on le tenait pour responsable de la « passivité » des communistes de Chemnitz pendant le putsch. Ce n'était là en réalité que la position des gauchistes. Notons une erreur de R. Fischer parlant de l'attitude légaliste de Brandler au cours de son procès « après le putsch », ce qui constitue une évidente confusion avec le procès qui lui fut intenté le 6 juin 1921 après l'action de mars; voir chap. XXV.

[151] Bock, op. cit., p. 228.

[152] Ibidem, p. 283. Ces deux hommes étaient hostiles, non à la scission, mais à la notion même de « parti ».

[153] Programm der K.A.P.D., p. 3.

[154] « Appel au prolétariat allemand », Bock, op. cit., p. 406.


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