1971

"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914."


Révolution en Allemagne

Pierre Broué

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De la guerre à la révolution - Victoire et défaite du gauchisme


XII: Le soulèvement de janvier

Paul Frölich, dans la biographie qu'il a consacrée à Rosa Luxemburg, raconte que cette dernière se refusa, au lendemain du congrès de fondation, à partager les appréhensions et le pessimisme de Leo Jogiches :

« Elle pensait qu'un nouveau-né devait crier et elle dit (...) sa conviction que le jeune parti communiste saurait se frayer un chemin même à travers les erreurs car il comptait le noyau le meilleur du prolétariat allemand. » [1]

En fait, le pessimisme de Jogiches n'était pas moins justifié que l'optimisme de sa camarade. La situation présentait des aspects contradictoires. Malgré les faiblesses du nouveau parti, malgré la défaite des révolutionnaires au sein des conseils, un courant profond, celui-là même qu'exprimaient à leur manière les gauchistes de la Ligue, était en train de radicaliser les militants ouvriers berlinois et de dissiper les illusions de novembre. Surtout, depuis le congrès des conseils, la situation du gouvernement Ebert semblait tous les jours plus précaire : l'armée se décomposait, glissant entre les doigts des officiers, cependant que les entreprises ouvertement contre-révolutionnaires dressaient de plus en plus les masses contre lui, contraignant même les indépendants à rompre la coalition qu'en bons conciliateurs ils s'étaient jusque-là efforcés de préserver. Le temps travaillait pour la révolution.

Un mois de décembre agité.

Dès le mois de décembre, commentant le mouvement gréviste, Rosa Luxemburg avait écrit son célèbre article : « L'Achéron s'est mis en mouvement » [2]. La lutte économique des ouvriers écaillant le masque démocratique et, jusque-là, purement politique, de la révolution de novembre, pose aux yeux des masses les moins éclairées les problèmes du jour en termes de classe. L'arrestation, le 8 décembre, par le conseil des ouvriers et des soldats de Mülheim, de Fritz Thyssen, Stinnes fils et quelques autres dirigeants capitalistes, en est pour beaucoup un signe évident [3].

L'autre indice de radicalisation est la décomposition de l'armée, le divorce entre gouvernement et état-major d'une part, conseils de soldats de l'autre, qui remet en question la base même de l'autorité du conseil des commissaires du peuple, et prive l'appareil d'Etat traditionnel et les classes dirigeantes de leur arme la mieux trempée.

C'est à Ems, le 1° décembre, que le haut commandement connaît sa première défaite politique au sein de l'armée. Le grand quartier-général y a en effet convoqué le congrès des conseils de soldats du front, auquel il veut faire adopter son propre programme politique : convocation rapide de l'Assemblée constituante, suppression des pouvoirs des conseils et rétablissement de l'autorité des officiers, désarmement des civils sous contrôle des officiers. Mais Barth, inopinément présent au congrès, retourne en partie la situation : les délégués décident d'envoyer des représentants à l'exécutif de Berlin et adoptent des résolutions subversives réclamant la suppression des marques extérieures de respect en dehors du service, et la réélection des conseils de soldats [4].

Le haut-commandement s'inquiète, car la décision du congrès d'Ems montre que les conseils de soldats sont en train de lui échapper. L'inquiétude qui grandit dans le camp contre-révolutionnaire inspire les initiatives du 6 décembre, elles-mêmes puissant facteur de radicalisation des masses berlinoises et de leur hostilité croissante au gouvernement Ebert. Une troupe de la garnison de Berlin - théoriquement placée sous les ordres de Wels - marche le 5 décembre sur la chancellerie et y acclame Ebert, auquel le sous-officier Suppe proclame l'attachement des soldats et leur soutien dans la lutte contre la « réaction » et le « terrorisme ». Ebert remercie, au nom du gouvernement [5]. Le lendemain, vers 16 heures, une troupe de soldats armée, dirigée par le sous-officier Fischer, occupe le local de l'exécutif des conseils et met ses membres en état d'arrestation. Une autre commandée par le sous-officier Spiero, se rend à la chancellerie et proclame son intention de nommer Ebert président de la République [6]. Enfin, dans la soirée, des soldats de la garnison tirent à la mitrailleuse sur une manifestation de la Ligue des soldats rouges [7].

Pauvrement menée, avec des hommes de troupe incertains, qu'un discours suffit à désorienter, l'opération n'a sans doute pas grande signification en soi. Mais elle est symptomatique d'un certain état d'esprit. Suivie le lendemain d'une arrestation de Liebknecht dans les locaux même de Die Rote Fahne [8], elle soulève une inquiétude qui se manifeste à travers l'ampleur de la réaction dans les journées qui viennent : une centaine de milliers de manifestants le 8 décembre, et des expéditions punitives organisées par des travailleurs [9]. Les résultats de l'enquête menée par Eichhorn accroissent l'inquiétude et orientent les soupçons vers l'entourage d'Ebert : il semble que soient compromis non seulement le comte Wolf-Metternich, que la protection de Wels a placé pendant quelques jours à la tête de la « division de marine du peuple », mais aussi Colin Ross lui-même, qui démissionne à cette époque, et le secrétaire particulier d'Ebert, Moser [10]. Les majoritaires du gouvernement, accusés jusque-là de faiblesse, commencent à être soupçonnés de complicité.

Or, Ebert est au même moment soumis à de fortes pressions de la part des chefs militaires qui s'impatientent, et il cède à une partie de leurs exigences tout en s'efforçant de le dissimuler. C'est ainsi que sur une intervention pressante de Hindenburg, par une lettre du 8 décembre, il accepte l'entrée dans la capitale de dix divisions provenant du front et parfaitement tenues en main par leurs officiers [11]. Leur chef, le général Lequis, a tracé un programme de combat : désarmement des civils, ratissage des quartiers peu sûrs, exécution immédiate de toute personne « exerçant illégalement des fonctions d'autorité » [12]. Mais Ebert proteste contre ce qui pourrait déclencher à Berlin des combats dont l'issue serait alors incertaine, et le major von Schleicher élabore un compromis selon lequel les militaires se borneront pour le moment à un défilé en bon ordre dont ils attendent un « choc psychologique », le désarmement étant remis à une date ultérieure [13]. L'entrée solennelle des troupes fournit à Ebert l'occasion d'un discours dans lequel il affirme que l'armée allemande n'a pas été « vaincue par l'ennemi » [14] - caution de poids à la légende selon laquelle elle aurait été « poignardée dans le dos » par les révolutionnaires. Mais, très rapidement, les généraux doivent renoncer à appliquer leur plan, car les troupes leur échappent. Le général Groener expliquera plus tard :

« Les troupes avaient une telle envie de rentrer chez elles qu'on ne pouvait rien faire avec ces dix divisions. Le programme qui consistait à épurer Berlin des éléments bolcheviques et à ordonner la remise des armes ne pouvait être réalisé. » [15]

Rentrée du front en bon ordre, l'armée en effet ne résiste ni à la lassitude ni à l'atmosphère de l'arrière, celle de Berlin en particulier, et le général Lequis. confessera même que « l'influence de l'extraordinaire propagande des spartakistes s'est fait sentir » [16]. Benoist-Méchin écrit :

« Sitôt arrivées à Berlin, les divisions se disloquent et s'effondrent. (...) Gagnés par la contagion, un à un, les régiments passent à la révolution. » [17]

Il est clair que l'armée ne saurait être utilisée dans les combats de rues ; il faudra trouver un autre instrument.

Batailles autour de l'armée.

Les décisions prises sur l'armée par le congrès des conseils, si docile par ailleurs à Ebert, démontrent le sentiment de larges masses de travailleurs que les délégués ne reflètent qu'imparfaitement : même quand ils soutiennent la politique d'Ebert, parce qu'ils veulent un socialisme qui soit démocratique, ils ne sont pas prêts à le suivre dans sa collaboration avec le corps des officiers, qui leur paraît précisément une force antidémocratique.

Soumis à la pression d'une manifestation  de soldats de la garnison de Berlin dont Dorrenbach s'est fait le porte-parole [18], le congrès vote une résolution présentée par le social-démocrate Lamp'l de Hambourg. Adoptés malgré Ebert, les « sept points de Hambourg » constituent un véritable arrêt de mort de l'armée traditionnelle : abolition des insignes de grade, du port de l'uniforme et de la discipline en dehors du service, des marques extérieures du respect, élection des officiers par les soldats et remise du commandement par les conseils de soldats [19]. Prévenu par son observateur, le major von Harbou, Hindenburg fait savoir à Ebert qu'il n'acceptera pas l'assassinat de l'armée allemande et refusera de laisser appliquer la décision du congrès. Il envoie une circulaire dans laquelle il affirme qu'elle ne sera pas appliquée [20].

Le 20 décembre, deux envoyés du maréchal, le général Groener et le major von Schleicher, en grand uniforme, rencontrent Ebert et Landsberg, puis, avec les commissaires du peuple, tentent de convaincre le conseil central [21]. Ils insistent sur la nécessité de ne pas entraver la démobilisation et de laisser à la Constituante les décisions définitives. Le 28 décembre encore, Haase protestera, à une session commune du conseil des commissaires et du conseil central, contre la capitulation d'Ebert et la non-application des décisions du congrès [22]. Pendant ce temps, l'agitation grandit dans Berlin, où courent des rumeurs sur un coup d'Etat militaire en préparation.

Le heurt va se produire à propos de la troupe de matelots qui est devenue la division de marine populaire (Volksmarinedivision) [23]. A un premier groupe venu de Kiel début novembre s'est joint un contingent venu de Cuxhaven ; la troupe, que commandent successivement Otto Tost, le comte Wolff-Metternich, puis Fritz Radtke, a été utilisée comme force de police par Wels qui l'a installée dans le Marstall, les écuries du Palais, et lui a confié la reprise en main du château tenu par des « incontrôlables » [24]. Les relations se détériorent en décembre : les marins, probablement sous l'influence de l'ancien lieutenant Dorrenbach, proche de Liebknecht, se radicalisent, et la division se joint au défilé des spartakistes et de la Ligue des soldats rouges du 21 décembre [25]. Le ministre des finances prussien proteste contre l'augmentation des effectifs de la division, et réclame son départ du château et du Marstall [26]. Les commissaires du peuple exigent la réduction de l'effectif de 3 000 à 600 hommes, mais les marins réclament l'intégration des licenciés dans les forces de défense républicaine [27]. Pour couper court, Wels prévient que la solde ne sera pas versée tant que les effectifs n'auront pas été réduits au chiffre décidé [28]. Les conseils de soldats des garnisons de la capitale réclament, quant à eux, l'augmentation des effectifs de la division [29].

Les négociations se sont déroulées dans une atmosphère très tendue, Wels ayant, selon les marins, menacé leur chef, Radtke, d'utiliser éventuellement contre eux les troupes de Lequis [30]. Un accord est finalement conclu le 21 décembre, par lequel les matelots s'engagent à vider les lieux et à remettre les clefs à Wels. Celui-ci, en échange, leur versera les sommes dues [31]. Le 23 décembre, les marins, qui ont évacué le Palais, remettent les clefs à Barth [32] Wels, sollicité par Barth de payer les soldes, renvoie à Ebert. Les marins se rendent à la chancellerie, n'y trouvent pas Ebert mais donnent libre cours à leur colère : ils ferment les portes, bloquent le central téléphonique et marchent sur la Kommandantur pour réclamer leur argent [33].

En cours de route, ils essuient des coups de feu, ripostent, puis sont mitraillés par une voiture blindée des forces de Wels : trois morts, de nombreux blessés. Persuadés qu'on leur a tendu un traquenard, ils arrêtent Wels et deux de ses collaborateurs comme otages et les enferment au Marstall. Dorrenbach réussit à les convaincre d'évacuer la chancellerie. Cependant, dans l'intervalle, Ebert a appelé au secours le haut-commandement et les troupes de Lequis se sont mises en marche avec des ordres très stricts pour ramener le calme et dissoudre la division de marine : elles occupent la chancellerie dans la soirée [34]. On peut craindre un affrontement armé, mais Barth, puis Ebert, s'interposent entre marins et soldats. Finalement, les marins acceptent de se replier sur le Marstall [35]. A 3 heures du matin, ils libèrent leurs otages, sauf Wels. Mais des ordres ont été donnés au capitaine Pabst, de la division de cavalerie de la Garde, d'attaquer le Marstall pour délivrer les otages. A 7 heures du matin, commence le bombardement du Marstall encerclé. Il se poursuit deux heures durant [36].

Le bruit de la canonnade a alerté les ouvriers berlinois qui se rassemblent dans les quartiers et marchent vers le centre. Au moment où le capitaine Pabst, qui croit toucher au but, accorde aux marins vingt minutes de suspension d'armes, il est pris à revers par la foule. Benoist-Méchin raconte :

« La multitude s'avance comme un raz de marée et vient se heurter au barrage de soldats placé par le général Lequis pour défendre les troupes de choc. On demande aux soldats s'ils n'ont pas honte de faire cause commune avec les officiers contre le peuple. Les soldats hésitent et sont rapidement débordés. Les uns jettent leurs fusils, les autres sont désarmés par les manifestants. En un clin d'œil le barrage est rompu, et la foule se précipite en hurlant dans le dos des cavaliers de la Garde postés devant le Marstall. » [37].

C'est un désastre pour les officiers, que les hommes d'Eichhom auront grand-peine à arracher au lynchage. Le gouvernement non seulement a dû payer la solde des marins, mais encore retirer de Berlin la division Lequis. Wels quitte la Kommandantur, et c'est Anton Fischer qui lui succède [38].

Ebert est le grand vaincu de l'affaire. Aux yeux des travailleurs berlinois, il apparaît comme le complice des militaires. Au cabinet, les ministres indépendants regimbent. Ils sont eux-mêmes pressés par leurs troupes, qui les somment de rompre avec les « traîtres » et les « fourriers de la contre-révolution », et exigent au moins des explications. Qui a donné l'ordre d'attaquer le Marstall, alors que la question était en voie de règlement ? Les social-démocrates approuvent-ils les initiatives de Winnig qui, à l'est, participe dans les pays baltes à une croisade antibolchevique ? Ebert et ses collègues ont-ils ou non l'intention d'appliquer les sept points de Hambourg ? A ces questions posées au conseil central [39], les indépendants jugent les réponses données insuffisantes. Aussi, refusant de cautionner la responsabilité endossée par leurs collègues majoritaires pour les incidents du 24 décembre, décident-ils, le 29 la démission de Haase, Barth et Dittmann [40], qu'imitent aussitôt leurs camarades du gouvernement prussien [41].

Le geste a tout l'écho qu'en attendait Rosa Luxemburg lorsque, quinze jours plus tôt, elle le réclamait à Haase. La démission des commissaires indépendants, qui est la conséquence de la radicalisation des masses ouvrières de Berlin, en est aussi un facteur d'accélération. Mais elle pousse un peu plus les majoritaires dans la dépendance à l'égard des chefs militaires.

Vers la guerre civile.

Le départ de Haase et de ses collègues enlève à Ebert, au moins à Berlin, une caution qui lui avait été jusque-là précieuse. La foule qui, le 29 décembre, accompagne au cimetière les corps des marins tués à Noël, arbore une immense pancarte :

« Comme meurtriers des marins nous accusons Ebert, Lansdberg et Scheidemann. » [42]

Cependant, le même jour, le parti social-démocrate organise une contre-manifestation, apparemment plus nombreuse encore [43], sous le mot d'ordre de « A bas la sanglante dictature de la ligue Spartakus ! » [44]. Des deux côtés, on se prépare à la guerre civile.

Le processus de la radicalisation des ouvriers berlinois est profond, mais surtout contradictoire. La révolution de novembre, victorieuse sans vrai combat, avait étayé le mythe de l'unité, semé l'illusion de la facilité. En deux mois, les ouvriers de la capitale ont pris simultanément conscience et de leur force et de leurs faiblesses. Les conquêtes qu'ils avaient crues assurées leur échappent au moment précis où ils comprennent quelle est leur puissance. Dès le 6 décembre, ils ont commencé à apprendre l'efficacité exaltante du coude à coude de dizaines et de centaines de milliers d'hommes dans les rues. S'ils sont si nombreux, le 16 décembre - à la surprise des organisateurs eux-mêmes - à répondre à l'appel des spartakistes pour manifester devant le congrès des conseils, c'est qu'ayant éprouvé leur force, ils tentent obscurément de l'utiliser pour arrêter une retraite qu'ils ressentent sans pouvoir l'expliquer autrement que par la « trahison ». Ainsi, en juillet 1917, dans une situation analogue, les ouvriers et soldats de Petrograd « avant d'avoir trouvé la voie vers un renouvellement des soviets, (...) essayèrent de les soumettre à leur volonté par la méthode de l'action directe » [45].

Dans la situation de cette époque, les appels des indépendants, et ceux mêmes de Die Rote Fahne à prendre part à la campagne électorale semblent un moyen dérisoire de lutter contre un adversaire qui dispose de mortiers, de mitrailleuses et de grenades, mais dont on sait maintenant qu'il n'est pas invincible dans les combats de rue. Après les journées de Noël, sans se soucier du reste de l'Allemagne, les ouvriers de Berlin prennent leur élan, mus par une conscience diffuse que la violence révolutionnaire immédiate est la seule arme efficace contre la violence contre-révolutionnaire. Sur un point au moins, ils sont d'accord avec l'analyse des dirigeants spartakistes : la révolution est en danger, et il va falloir se battre.

Les voies et les moyens de cette bataille restent pourtant obscurs aux yeux du plus grand nombre. Car une insurrection ouvrière ne pourrait guère compter sur une force militaire organisée. Spartakus et sa Ligue des soldats rouges appellent à la formation d'une garde rouge qu'elles ne peuvent ni diriger ni encadrer. La Ligue a ses propres unités, peu nombreuses, Eichhorn a ses forces de sécurité. La garnison de Spandau, influencée par le spartakiste von Lojevski, se considère - et est considérée - comme une troupe révolutionnaire. Dorrenbach, qui est lié à Liebknecht, a acquis une incontestable autorité sur les marins de la Division du peuple, qui sont pourtant loin de se sentir « spartakistes » ou même sympathisants [46]. De toute façon, ces unités sont dispersées, hétéroclites, et manquent à la fois d'un état-major et de liaisons étroites avec les ouvriers des grandes entreprises. En définitive, le prolétariat en armes de Berlin n'est pas une armée prolétarienne, mais une foule, avec ses impulsions et ses passions, et puis ses détachements autonomes qui croient à la vertu de l'action des minorités agissantes. De ce point de vue, les successives occupations du Vorwärts ont provoqué bien des polémiques. Le rôle des éléments « incontrôlables » et même des provocateurs est indéniable, mais il n'explique pas tout : les interventions de ce genre ne sont efficaces et écoutées que dans un milieu favorable, et notamment au sein d'une foule impatiente où seul le langage du révolutionnaire novice sait toucher le cœur des manifestants, parce qu'il fait écho à leurs propres sentiments.

L'éclatement de la coalition gouvernementale, l'évanouissement du mythe de l'unité, le suicide des conseils au sein de leur propre congrès, ne laissent aux ouvriers berlinois que leurs armes, et un sentiment aigu du péril imminent auquel ils ne voient point de remède politique. En décembre 1918, à Berlin, de même qu'à Petrograd en juillet 1917, les masses radicalisées voient dans la lutte armée le raccourci simplificateur qui tranchera le noeud gordien des arguments politiques auxquels ils ne veulent plus se laisser prendre. Mais il n'y a à Berlin pas de parti bolchevique pour leur ouvrir une perspective de lutte politique, ni après l'échec des premières manifestations armées et ses conséquences aisément prévisibles, pour les conduire dans une nécessaire retraite.

Du côté des dirigeants révolutionnaires, on oscille : les délégués révolutionnaires ont condamné l'occupation du Vorwärts, mais les congressistes du K.P.D. (S) ont rejeté l'analyse de Paul Levi et Rosa Luxemburg. Ceux qui devraient diriger donnent à ceux qui cherchent des indications contradictoires et le spectacle de leurs propres divergences. Ce facteur-là pèse d'un poids très lourd dans la volonté des masses d'aller de l'avant. Ainsi que le note Trotsky,

« l'irrésolution des dirigeants est ce qui débilite le plus les masses. Une attente stérile les pousse à frapper de plus en plus opiniâtrement aux portes qu'on ne veut pas leur ouvrir. » [47]

Or la contre-révolution, dans ce moment, trouve précisément ce qui manque aux révolutionnaires, une direction capable d'analyser le rapport des forces, un instrument, une troupe entraînée et disciplinée. Son chef n'est plus Ebert, bousculé par la tornade de décembre, mais un membre de son parti, un député social-démocrate qui, depuis de longues années, jouit de la confiance du corps des officiers, Gustav Noske ; celui-ci entre au gouvernement, avec Rudolf Wissell et Paul Löbe pour remplacer les indépendants démissionnaires [48]. Cet homme est décidé. « L'un de nous, déclare-t-il, doit faire office de bourreau » [49].

Il n'est plus question de compter sur l'armée traditionnelle pour rétablir l'ordre : elle n'existe plus depuis la mésaventure de Lequis. Prévoyant cependant cet effritement, des officiers se sont depuis plusieurs semaines employés à sauver du désastre des unités d'élite. A la suite d'une conférence qui s'est tenue le 6 décembre au Q.G. du général Sixte von Arnim, un général de division, Maercker, a constitué au sein de son unité un « corps franc des chasseurs volontaires » semblables à ceux qui se constituent à l'est pour lutter contre le bolchevisme [50]. Les troupes formées par Maercker sont destinées à la guerre civile, organisées, armées et instruites dans ce but. Les hommes qui les composent, volontaires touchant des soldes élevées, sont préparés à des tâches précises :

« Occupation des gares et régulatrices, protection des dépôts  de matériel et de munition, police des ports, défense d'édifices  publics, nettoyage des rues et des places, prise d'assaut des bâtiments. » [51]

Ils  prêtent en entrant un serment spécial, « au gouvernement provisoire du chancelier Ebert jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait constitué un gouvernement définitif » [52]. Le 24 décembre, au moment où éclate à Berlin le conflit du Marstall, le général Maercker dispose déjà de 4 000 volontaires, installés près de Berlin, mais loin de ses foules, au camp du Zossen. Le 4 janvier, invités par le général von Lüttwitz - qui a succédé à Lequis -, Ebert et Noske passent ensemble en revue ces hommes qu'ils considèrent avec émerveillement parce que ce sont « de vrais soldats ». Noske se penche vers Ebert et lui dit : « Sois tranquille : à présent tu vas voir que la roue va tourner ! » [53].

A cette date, c'est de plus de 80 000 hommes que dispose autour de Berlin le général von Lüttwitz [54] : il ne fait aucun doute que leurs chefs comptent les utiliser dans la capitale [55]. Le temps travaille peut-être pour la révolution : il s'agit, pour ses adversaires conscients, de ne pas le laisser faire et de frapper de façon décisive pendant qu'ils en ont les moyens.

L'affaire Eichhorn.

C'est l'affaire Eichhorn qui constituera le prétexte, saisi de part et d'autre, pour l'épreuve de force. Vieux militant social-démocrate, vétéran radical, un des fondateurs du parti social-démocrate indépendant, le préfet de police de la révolution de novembre - surnommé parfois le « Caussidière allemand » en souvenir de 1848 - est pour les majoritaires l'un des hommes à abattre. Ils ont dû tolérer jusque-là sa présence à la préfecture de police faute de pouvoir s'en débarrasser sans détruire la coalition gouvernementale. Mais la démission des indépendants leur laisse désormais sur ce plan les mains libres. Gouvernement homogène, ils entendent nommer aux postes d'exécution des hommes à eux. Décidés à la répression, ils ne peuvent tolérer à la préfecture de police un homme dont les sympathies pour les révolutionnaires sont connues.

Ils opèrent cependant avec prudence. Le 29 décembre, leur homme de confiance, Anton Fischer, prend des contacts avec des collaborateurs d'Eichhorn et leur fait des propositions chiffrées pour le cas où ils accepteraient de s'intégrer dans les unités qu'il dirige [56]. Le 1° janvier, le Vorwärts lance l'attaque, une véritable campagne de diffamation, contre Eichhorn, accusé d'avoir reçu de « l'or russe » comme employé de la Rosta, d'avoir acheté illégalement des armes, volé des produits alimentaires : le journal social-démocrate déclare que la présence d'Eichhorn dans ses fonctions constitue « un danger pour la sécurité publique » [57]. Le 3, convoqué au ministère prussien de l'intérieur, Eichhorn s'entend accuser par le conseiller privé Doyé, collaborateur du ministre social-démocrate Hirsch, des pires méfaits, allant de l'escroquerie au vol à main armé. Le 4, au cabinet prussien, sur proposition de Hirsch, il est révoqué et remplacé par le social-démocrate Ernst [58]. Mais il refuse de s'incliner [59], soutenu en cela par toutes les organisations de gauche de Berlin, des indépendants aux I.K.D. en passant par les spartakistes et les délégués révolutionnaires.

Arthur Rosenberg, cherchant à rendre compte de l'attitude d'Eichhorn et de son refus d'abandonner son poste, conclut à l'impossibilité de l'expliquer rationnellement et parle de ses « caprices » [60]. La démission de l'indépendant Eichhorn de la préfecture de police allait à ses yeux de soi, après la démission des ministres indépendants : il était inconcevable qu'un poste de l'importance de celui-ci reste aux mains d'un homme dont l'hostilité aux majoritaires et les sympathies pour les révolutionnaires était notoire. Les indépendants n'avaient pas non plus à invoquer l'importance de ce poste-clé : avec ce genre de raisonnement, ils n'auraient jamais dû réclamer la démission de leurs ministres.

En réalité, la question ne se situe pas sur le plan juridique où la place Rosenberg. En refusant de céder la place à Ernst, Eichhorn répond au sentiment des travailleurs berlinois, pour qui lui et sa troupe, renforcée au cours des dernières semaines par des militants sûrs, constituent l'une de leurs dernières garanties contre les entreprises contre-révolutionnaires qui bénéficient au moins de la bienveillance gouvernementale. La nouvelle de sa révocation provoque une explosion de colère qui se traduit par des résolutions, des grèves, des manifestations [61].

Réunis dans la soirée du 4, les délégués révolutionnaires sont pour une fois unanimes : le recul a assez duré, il faut un coup d'arrêt. C'est également ce que pense la centrale communiste, qui propose de lancer le mot d'ordre de grève générale. Rosa Luxemburg insiste : il ne s'agit pas d'aller au-delà d'une simple grève de protestation, et il faut savoir à la fois jusqu'où Ebert est prêt à aller et comment réagiront les ouvriers des autres régions d'Allemagne [62]. Un participant communiste dira, un an et demi plus tard :

« Le 4 janvier au soir, la centrale du K.P.D. délibéra sur la situation créée par la mesure prise contre Eichhorn. Sur l'appréciation de la situation ainsi créée, il y avait une complète unanimité. Tous les présents pensaient qu'il serait insensé de tendre vers le gouvernement : un gouvernement soutenu par le prolétariat n'aurait pas eu à vivre plus de quatorze jours. En conséquence, les membres de la centrale étaient unanimes sur le point qu'il fallait éviter tous les mots d'ordre qui auraient eu nécessairement pour conséquence le renversement du gouvernement de cette époque. Nos mots d'ordre devaient être précisés dans le sens suivant : annulation de la révocation d'Eichhorn, désarmement des troupes contre-révolutionnaires (les gardes de Suppe, etc.), armement du prolétariat. Aucun de ces mots d'ordre n'impliquait le renversement du gouvernement; pas même celui de l'armement du prolétariat, dans une conjoncture où ce gouvernement aussi possédait encore dans le sein du prolétariat un parti non négligeable. Nous étions tous d'accord là-dessus : ce minimum dans les mots d'ordre devait être défendu avec le maximum d'énergie. Il devait être le résultat nécessaire d'un puissant acte de volonté révolutionnaire. (...) C'est dans ce sens que nous avons lancé nos mots d'ordre pour la manifestation. » [63]

En fait, certains désaccords subsistent, inexprimés et probablement pas encore entrevus. Liebknecht confie à un de ses camarades, hors réunion :

« Notre gouvernement est encore impossible, c'est vrai, mais un gouvernement Ledebour appuyé sur les délégués révolutionnaires est d'ores et déjà possible. » [64]

Rosa Luxemburg estime, elle, avec quelque apparence de raison, que si le renversement du gouvernement Ebert à Berlin est envisageable, une telle initiative serait dénuée de sens, car la province n'est pas prête à suivre. Les circonstances se chargeront d'aggraver cette divergence.

Quoi qu'il en soit, l'accord n'est pas pour le moment difficile à réaliser au sein de états-majors révolutionnaires. Le matin du 5, le parti social-indépendant de Berlin, les délégués révolutionnaires et le parti communiste distribuent un tract commun qui appelle à une manifestation allée de la Victoire à 14 heures :

« Il y va de votre liberté, il y va de votre avenir ! Il y va du destin de la révolution ! Vive le socialisme révolutionnaire international ! » [65]

C'est à une manifestation que les organisations berlinoises appellent, et à rien de plus. Il s'agit seulement, comme l'indique leur tract, « de montrer que l'esprit révolutionnaire des journées de novembre n'est pas encore éteint » [66], de prendre position pour une bataille qui approche, certes, mais n'est pas encore pour aujourd'hui : c'est la réponse des masses à l'appel de la manifestation qui donnera des indications sur la suite à donner [67].

Mais la protestation prend une ampleur qui surprend les organisateurs eux-mêmes : le coeur de la capitale est occupé par des centaines de milliers de manifestants, depuis les allées de la Victoire jusqu'à l'Alexanderplatz où, du haut du balcon de la préfecture de police, Ledebour, Liebknecht, Däumig, Eichhorn lui-même, exaltent la puissance des travailleurs rassemblés, célèbrent cette grandiose manifestation de leur volonté. Eichhorn clame : « J'ai reçu mon poste de la révolution et je ne le remettrai qu'à la révolution ! » [68].

Un an plus tard, le dirigeant communiste déjà cité écrira, évoquant cette manifestation :

« Ce que l'on vit (ce jour-là) à Berlin était peut-être la plus grande action prolétarienne de masse jamais vue dans l'Histoire. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu en Russie des manifestations de masse de cette envergure. De Roland à Victoria se tenaient des prolétaires, tête contre tête. Il y en avait jusque très loin dans le Tiergarten. Ils avaient amené leurs armes, faisaient flotter leurs bannières rouges. Ils étaient prêts à tout faire et à tout donner, même leur vie. Une armée de deux cents mille hommes, comme aucun Ludendorff n'en avait vue. » [69]

Pour les organisateurs de la manifestation, le nombre des manifestants, leur acharnement, leur volonté de lutte, sont un facteur nouveau. Non seulement l'esprit révolutionnaire de novembre n'est pas mort, mais il n'a jamais été aussi vivace. Les masses berlinoises les plus larges veulent se battre ; elles ne comprendraient pas que leur manifestation demeure un geste sans lendemain.

Un pied sur la route de l'insurrection.

Le témoin communiste poursuit son récit :

« C'est alors que se produisit l'incroyable. Les masses étaient là très tôt, depuis 9 heures, dans le froid et le brouillard. Et les chefs siégeaient quelque part et délibéraient. Le brouillard augmentait et les masses attendaient toujours. Mais les chefs délibéraient. Midi arriva et, en plus du froid, la faim. Et les chefs délibéraient. Les masses déliraient d'excitation : elles voulaient un acte, un mot qui apaisât leur délire. Personne ne savait quoi. Les chefs délibéraient. Le brouillard augmentait encore et avec lui le crépuscule. Tristement les masses rentraient à la maison : elles avaient voulu quelque chose de grand et elles n'avaient rien fait. Et les chefs délibéraient. Ils avaient délibéré dans le Marstall, puis ils continuèrent à la préfecture de police, et ils délibéraient encore. Dehors se tenaient les prolétaires, sur l'Alexanderplatz vidée, le flingot à la main, avec leurs mitrailleuses lourdes et légères. Et dedans, les chefs délibéraient. A la préfecture, les canons étaient pointés, des marins à tous les angles, et dans toutes les pièces donnant sur l'extérieur, un fourmillement, de soldats, de marins, de prolétaires. Et à l'intérieur, les chefs siégeaient et délibéraient. Ils siégèrent toute la soirée, et ils siégèrent toute la nuit, et ils délibéraient. Et ils siégeaient le lendemain matin quand le jour devenait gris, et ceci, et cela, et ils délibéraient encore. Et les groupes revenaient de nouveau sur le Siegesallee et les chefs siégeaient encore et délibéraient. Ils délibéraient, délibéraient, délibéraient. » [70]

Il y a là les dirigeants berlinois du parti social-démocrate indépendant Ledebour, Däumig, l'adjoint d'Eichhorn, Grylewicz, les délégués révolutionnaires, Scholze et d'autres, et deux membres de la centrale communiste, Karl Liebknecht et Wilhelm Pieck [71]. Le problème qu'ils débattent est en vérité complexe. Tous ont le sentiment qu'un recul de leur part dans l'affaire Eichhorn constituerait pour les ouvriers berlinois une grave déception, qu'il ne serait pas compris et ouvrirait sans doute la voie au découragement et à la démobilisation. Ils considèrent aussi qu'ils ne peuvent se battre à moitié, et que, s'il y a bataille, elle sera décisive. Beaucoup parmi eux pensent que la meilleure des défenses est dans l'attaque. On dit d'ailleurs qu'il y a des flottements dans les rangs des forces de l'ordre, que des hommes de Fischer ont refusé d'obéir quand il leur a donné l'ordre d'enlever la préfecture de police.

La centrale communiste ne s'est pas réunie depuis la veille au soir : à ce moment-là, elle était unanime pour estimer qu'on pouvait et devait obtenir l'annulation de la révocation d'Eichhorn, le désarmement des troupes contre-révolutionnaires et même l'armement du prolétariat. Tous pensaient alors qu'il aurait été erroné de lancer des mots d'ordre risquant de provoquer une bataille pour le renversement du gouvernement Ebert. Mais, depuis, il y avait eu la gigantesque manifestation de masses, et Liebknecht et Pieck peuvent à bon droit estimer que la situation a évolué.

Parmi les autres responsables présents [72], beaucoup pensent qu'il suffirait de peu pour s'emparer du pouvoir, question qu'ils n'abordent qu'en termes de rapport militaire des forces. Les révolutionnaires sont-ils suffisamment organisés pour engager une bataille qui ne saurait être que la bataille décisive ? C'est l'avis de Dorrenbach. Agitateur de talent, dont l'influence est grande sur les matelots de la division stationnée au Marstall, il affirme que les marins n'attendent qu'un signe pour se battre, aux côtés des ouvriers, en vue de renverser le gouvernement Ebert. Il ajoute que, selon les informations dont il dispose, la plus grande partie de la garnison de Berlin se trouve dans des dispositions d'esprit analogues. Il affirme enfin tenir de source sûre que plusieurs milliers d'hommes, cantonnés à Spandau et disposant de deux mille mitrailleuses et de vingt canons de campagne, se tiennent prêts à marcher sur la capitale : il faut aller de l'avant. Ledebour est convaincu et Liebknecht jette dans la balance, à ses côtés, le poids de son prestige : pour eux, il ne suffit plus de protester contre la révocation d'Eichhorn, il faut, puisque c'est possible, engager la lutte pour le pouvoir [73].

L'alliance Ledebour-Liebknecht, inhabituelle, est décisive. L'assemblée ne tient pas compte de la mise en garde d'un délégué de soldats, Albrecht, qui conteste non seulement l'appréciation portée par Dorrenbach sur l'état d'esprit de la garnison de Berlin, mais même ses certitudes quant aux dispositions des marins [74].

Richard Müller, qui préside, pense comme Liebknecht que les masses sont en train de prendre la voie révolutionnaire, mais conteste que le moment soit venu de lancer à Berlin une attaque qui, dans le meilleur des cas, n'aboutirait qu'à la victoire, dans la seule capitale, d'une avant-garde isolée du reste du pays [75]. Däumig le soutient : pour lui, il ne s'agit pas de l'emporter pour quelques jours seulement, par une éphémère Commune de Berlin, mais de vaincre définitivement et à l'échelle du pays. Mais cette fois Richard Müller et Däumig sont mis en minorité, et, au vote, ne recueillent que six voix [76]. C'est donc à la presque unanimité que l'assemblée décide de tenter l'épreuve du renversement du gouvernement. A cet effet elle désigne un « comité révolutionnaire » de cinquante-deux membres chargé de diriger le mouvement et de s'ériger, dès que nécessaire, en gouvernement révolutionnaire provisoire en attendant la réélection des conseils et la réunion d'un nouveau congrès. A sa tête, trois présidents avec des droits égaux, représentant les trois tendances alliées, Ledebour, Liebknecht, Paul Scholze [77]. Un organisme trop lourd, condamné à l'impuissance. Däumig dénonce une fois de plus l'aventure, refuse d'en partager la responsabilité et quitte la salle.

Au même moment, un incident dont les conséquences seront décisives et sur lequel toute la lumière est loin d'avoir été faite, se produit : un groupe d'ouvriers armés, agissant de façon autonome, s'empare une nouvelle fois des locaux du Vorwärts [78]. D'autres groupes, au cours de la nuit, occupent à leur tour les principales entreprises d'édition et de presse [79], en vue probablement de durcir le conflit : il est peu vraisemblable en effet que ces hommes aient pensé pouvoir régler par de telles opérations de commando la question de l'expropriation de la presse capitaliste. Ledebour dira plus tard au sujet de ces initiatives : « Cette action de masse nous a mis devant le fait accompli » [80]. Mais il était au même moment en train de placer lui-même les ouvriers berlinois devant un fait accompli d'une encore plus grande envergure.

La lutte pour le renversement du gouvernement.

Pendant que se déroulent ces événements dans les rues de la capitale, le lourd comité révolutionnaire s'est attelé au travail préparatoire. Le bilan de son travail est mince et se réduit en fait à un appel pour une nouvelle manifestation le lundi 6 janvier à 11 heures [81] : une participation ouvrière massive aurait exigé un appel à la grève générale. Puis il rédige une proclamation - pour le moment dactylographiée - qu'il lancera au moment de prendre le pouvoir:

« le gouvernement Ebert-Scheidemann s'est rendu intolérable. Le comité révolutionnaire sous-signé, représentant des ouvriers et soldats révolutionnaires (parti social-démocrate indépendant et parti communiste), proclame sa déposition.
Le comité révolutionnaire soussigné assume provisoirement les fonctions gouvernementales.
Camarades ! Travailleurs !
Serrez les rangs autour des décisions du comité révolutionnaire !
Signé : Liebknecht, Ledebour, Scholze. » [82]

Mais cet appel ne verra jamais le jour. Déjà le sol se dérobe sous les pas du comité révolutionnaire. Les marins du Marstall protestent contre une entreprise dans laquelle ils ont été engagés contre leur gré [83] et s'en prennent à Dorrenbach qui a disposé d'eux sans les avoir consultés [84]. Ils obligent le comité révolutionnaire à quitter le Marstall où il siégeait [85], et remettent en liberté ses prisonniers, parmi lesquels Anton Fischer, arrêté par précaution au petit matin [86]. Un détachement de trois cents hommes, dirigé par le marin Lemmgen, va occuper sur l'ordre du comité révolutionnaire le ministère de la guerre : comme le sous-secrétaire d'Etat exige un ordre écrit, le chef du détachement va le réclamer et fait un somme avant de le rapporter ; lasde l'attendre, ses hommes se sont dispersés [87]. Le déroulement de la journée du 6 dissipe les illusions de la veille. Notre témoin communiste écrit :

« Ces masses n'étaient pas prêtes à s'emparer du pouvoir; autrement de leur propre initiative, des hommes se seraient mis à leur tête et leur premier acte révolutionnaire eût été de faire cesser les délibérations des chefs dans la préfecture de police. » [88]

Il y a au total, malgré les centaines de milliers de grévistes, moins de dix mille hommes décidés à se battre, les troupes d'Eichhorn, les détachements qui ont occupé journaux et imprimeries, ceux du Vorwärts, que sont venus renforcer et contrôler des communistes et des indépendants, Eugen Léviné, Werner Möller, Otto Brass et Haberland, le président du conseil de Neukölln [89]. La masse ouvrière berlinoise est prête à la grève et même à la manifestations mais pas à la lutte armée.

Dès la soirée du 6 janvier, il apparaît à beaucoup que le mouvement est en recul et que l'idée qu'on peut prendre le pouvoir est une grave erreur. Le comité central des conseils et son exécutif berlinois ont tous deux confirmé la révocation d'Eichhorn [90]. Noske, installé à l'état-major des corps francs, prépare sa contre-offensive. A la centrale communiste, c'est la crise. Radek, qui, sur les instances de Rosa Luxemburg, s'est caché depuis le début de l'action, fait, par l'intermédiaire de Duncker, tenir à la centrale un message dans lequel il l'adjure d'appeler à la reprise du travail et à entreprendre immédiatement une campagne pour la réélection des conseils ouvriers [91]. Rosa Luxemburg lui fait répondre que  les indépendants s'apprêtent à capituler, et que les communistes ne doivent pas leur faciliter la tâche en sonnant le signal d'une retraite qu'elle juge, elle aussi, nécessaire [92]. Jogiches voudrait que la centrale désavoue Liebknecht et Pieck, qui ont agi sans mandat et en dehors de toute discipline de parti à partir de la soirée du 5, mais la centrale hésite devant un désaveu qui arriverait en plein combat et risquerait de n'être pas compris [93]. Les indépendants ne sont pas moins divisés et l'exécutif national envoie Oscar Cohn et Luise Zietz tenter de convaincre les Berlinois, en particulier Ledebour, qu'il faut négocier, ce à quoi le comité révolutionnaire finit par se résoudre par 51 voix contre 10 [94].

Les négociations commencent dans la nuit du 6 au 7 janvier Du côté des indépendants, on souhaite un armistice dont une clause spécifierait l'évacuation des immeubles occupés par les révolutionnaires. Le gouvernement fait de l'évacuation sans conditions un préalable à tout accord [95]. Sa position s'améliore en effet d'heure en heure, avec le reflux et la désorientation dans les rangs de l'avant-garde ouvrière, la confiance qui renaît en face. Dans la nuit du 5 au 6, le tract lancé - sous le titre Extra-Blatt-Vorwärts - par l'exécutif social-démocrate montre ses intentions, traitant les « bandits armés de la Ligue Spartakus » de « fous et de criminels » qui menacent les ouvriers allemands de « meurtre, guerre civile sanglante, anarchie et famine » [96]. A partir du 6, Noske, qui a fait confier les pouvoirs de police au général von Lüttwitz, prépare l'intervention des corps francs [97]. Devant la chancellerie s'est tenu un véritable meeting harangué par Ebert lui-même et par Scheidemann, qui dénoncent les tentatives d'ériger « la dictature de Liebknecht et Rosa Luxemburg », et appellent à l'aide tous les citoyens [98]. Quelques heures plus tard commence dans l'immeuble du Reichstag la mise sur pied d'une unité armée « social-démocrate » : le 8, deux régiments, de six compagnies chacun, ont été organisés au Reichstag, avec le journaliste du Vorwärts Kuttner et le colonel Gramthow, du ministère de la guerre [99]. Le même jour, les ministres se réunissent - hors des ministères - et prennent des mesures de combat. Nommé commandant en chef, Noske décide de concentrer les corps francs dans la zone de Lichterfeld [100]. Dans la soirée du 8 janvier, les négociations sont rompues, chacun étant resté sur ses positions.

Le gouvernement lance alors un appel à la population berlinoise annonçant son intention de combattre la violence par la violence et de « mettre un terme à l'oppression et à l'anarchie » [101]. Côté révolutionnaire, Liebknecht rend visite aux occupants du Vorwärts - parmi lesquels se trouve son fils Wilhelm - et dénonce devant eux la défection des chefs indépendants [102]. Le 9, la délégués révolutionnaires, les représentants du K.P.D. (S) et ceux de l'exécutif berlinois des indépendants répondent à la proclamation gouvernementale par un appel : « Debout dans la grève générale ! Aux armes ! »

« La situation est claire. (...) Il y va du salut de tout l'avenir de la classe ouvrière, de toute la révolution sociale ! C'est publiquement que les Scheidemann-Ebert appellent leurs partisans et les bourgeois à la lutte contre vous prolétaires. (...) Il n'y a pas le choix ! Il faut combattre jusqu'au bout ! (...) Debout pour la grève générale ! Dehors, dans la rue pour le dernier combat, celui de la victoire ! » [103]

La Ligue des soldats rouges appelle de son côté les travailleurs en armes à se rassembler dans la rue pour combattre [104].

Les travailleurs de Berlin, dans leur majorité, ne sont pas prêts à prendre part, ni même à se résigner à cette guerre civile sur le point d'éclater entre deux camps qui se réclament également du socialisme. Dans les usines se tiennent réunions et assemblées, qui se prononcent presque toujours pour l'arrêt immédiat des combats, la fin de la « lutte fratricide » ; l' « unité » de tous les courants socialistes est réclamée et acclamée. Un meeting convoqué à la Humboldthain au matin du 9 avec des travailleurs du Schwartzkopff et de l'A.E.G. se tient sous le mot d'ordre :

« Prolétaires, unissez-vous, sinon avec vos chefs, du moins par dessus leurs têtes. » [105].

Une délégation de ces manifestants se rend au conseil central, où Max Cohen lui-même se fait l'écho de leur inquiétude ; c'est pour se faire immédiatement rappeler à l'ordre par le président Leinert [106]. Indépendants de droite et social-démocrates majoritaires, pour des raisons différentes, exploitent cette volonté d'apaisement pour pouvoir mieux dénoncer les aventuriers jusqu'au-boutistes. Mais le mouvement est dans une large mesure spontané, et c'est sous sa pression que les négociations, réclamées à cor et à cri par les social-démocrates indépendants, reprennent dans la soirée du 9 janvier : elles vont se poursuivre jusqu'au 11 avec une délégation gouvernementale que dirige Hermann Müller [107].

Dans l'intervalle, cependant, le temps a travaillé pour le gouvernement, de toute façon décidé à frapper. Dès le 8, ses troupes ont repris la gare d'Anhalt et le bâtiment de la direction des chemins de fer occupés depuis la veille. Le 9, elles réoccupent l'imprimerie du Reich et investissent l'immeuble du Vorwärts. Là, Brutus Molkenbuhr confirme à l'officier chargé de l'opération que les ordres sont bien de le reprendre de force [108]. Le 10, les régiments de la Garde passent à l'attaque à Spandau, qui est un bastion de l'insurrection, et menace sur leurs arrières les forces de répression : le président du conseil ouvrier est tué dans l'action, celui des conseils de soldats, l'ancien rédacteur du Leipziger Volkszeitung, le spartakiste Max von Lojevski, est arrêté et abattu avec ses compagnons de détention [109]. Dans la nuit du 10 au 11, alors que les négociations se poursuivent, l'un des négociateurs, Georg Ledebour, est arrêté ainsi que le dirigeant spartakiste Ernst Meyer [110]. Le 11 au matin, les troupes que commande le major von Stephani commencent le bombardement de l'immeuble du Vorwärts [111]. Après deux heures, les assiégés hissent le drapeau blanc, et envoient une délégation, dont les membres sont arrêtés. L'officier accorde dix minutes aux occupants pour capituler sans conditions. Plusieurs prisonniers sont abattus sur place, parmi lesquels Werner Möller et le journaliste Fernbach. Plus tard dans la soirée, les soldats reprennent l'immeuble de l'agence Wolff et les dernières maisons d'édition occupées. Le 12 enfin ils lancent l'assaut contre la préfecture de police, dans laquelle se tiennent encore quelque trois cents insurgés, dont le chef, le communiste Justus Braun, est abattu avec plusieurs de ses compagnons [112] .

La brutalité de l'offensive des hommes de Noske, la poussée du mouvement dans les entreprises pour la fin des combats fratricides ont achevé de désorganiser la médiocre direction du comité révolutionnaire, dont la dernière réunion semble bien s'être tenue le 9. La centrale du K.P.D.(S.) est elle aussi totalement désorganisée. Depuis plusieurs jours elle n'a aucun contact avec Liebknecht, qui passe son temps avec les dirigeants indépendants. Levi et Radek, qui se concertent chez ce dernier, constatent la paralysie de la direction, son impuissance face aux décisions claires qui s'imposent. Le 9, ils envisagent ensemble d'intervenir dans les assemblées ouvrières afin de proposer la retraite, l'évacuation des immeubles occupés, ce qui leur paraît l'unique moyen de faire reculer la répression qui menace. Mais ils renoncent à ce projet - initiative aussi personnelle que celles de Liebknecht et Pieck - quand ils apprennent qu'il est trop tard, puisque les troupes se sont mises en mouvement [113]. Radek, le 9 janvier, écrit à la centrale une lettre que Levi va porter :

« Dans votre brochure sur le programme, Que veut la Ligue Spartakus ?, vous déclarez que vous ne voulez vous emparer du pouvoir que si vous avez derrière vous la majorité de la classe ouvrière. Ce point de vue pleinement correct a son fondement dans le simple fait que le gouvernement ouvrier est inconcevable sans organisation de masse du prolétariat. Aujourd'hui, les seules organisations de masse à considérer, les conseils d'ouvriers et de soldats, n'ont de force que sur le papier. Par conséquent, ce n'est pas le parti du combat, le parti communiste, qui les domine, mais les sociaux-patriotes ou les indépendants. Dans une telle situation, il n'est absolument pas question de songer à une éventuelle prise du pouvoir par le prolétariat. Si le gouvernement tombait entre vos mains à la suite d'un putsch, vous seriez coupés de la province et balayés en quelques heures. » [114]

Il considère donc comme une grave erreur l'initiative prise, avec l'approbation des représentants du parti :

« Dans cette situation, l'action décidée samedi par les délégués révolutionnaires en réplique à l'attaque du gouvernement social-patriote contre la préfecture de police ne devait avoir que le caractère d'une action de protestation. L'avant-garde prolétarienne, exaspérée par la politique gouvernementale, mal dirigée par les délégués révolutionnaires que leur inexpérience politique rend incapables de saisir le rapport des forces dans l'ensemble du Reich, a, dans son élan, transformé le mouvement de protestation en lutte pour le pouvoir. Cela permet à Ebert et Scheidemann de porter au mouvement berlinois un coup qui peut affaiblir le mouvement tout entier. » [115]

S'appuyant sur l'exemple des bolcheviks en juillet 1917, Radek se prononce donc catégoriquement pour que les dirigeants communistes prennent leurs responsabilités, l'initiative, devant les masses, d'un appel à battre en retraite :

« L'unique force capable de freiner et d'empêcher ce désastre, c'est vous : le parti communiste. Vous avez assez de perspicacité pour savoir que ce combat est sans espoir : que vous le savez, vos membres, les camarades Levi et Duncker me l'ont dit. (...) Rien ne peut empêcher celui qui est plus faible de battre en retraite devant une force supérieure. En juillet 1917, alors que nous étions infiniment plus forts que vous ne l'êtes aujourd'hui nous avons de toutes nos forces retenu les masses et, comme nous n'y avons pas réussi, nous les avons conduites, au prix d'efforts inouis, vers la retraite, hors d'une bataille sans espoir. » [116]

il est incontestable que l'analyse de Radek correspond à un sentiment profond extrêmement répandu parmi les travailleurs berlinois, décidés à se défendre contre les entreprises contre-révolutionnaires, mais désorientés par la politique incohérente des dirigeants révolutionnaires et par la guerre civile qui oppose les différents partis ouvriers. Le jour même où il adresse cette lettre à la centrale, 40 000 ouvriers des usines A. E. G., Schwarzkopff et quelques autres, se réunissent à Humboldthain et élisent une commission de huit membres (deux de chaque parti et deux des délégués révolutionnaires) [117] chargée d'organiser une campagne sur les mots d'ordre adoptés : retrait des dirigeants actuels, mise en place de dirigeants « non compromis », dissolution du grand quartier général, suppression des grades, démobilisation de l'armée [118]. Le lendemain, ce sont 15 000 travailleurs de Spandau qui réclament le retrait des commissaires du peuple, la formation à tous les niveaux de comités formés paritairement de représentants des trois partis, majoritaire, indépendant et communiste, la réélection des conseils d'ouvriers et de soldats [119]. Dans les jours qui suivent, les résolutions se multiplient en ce sens, qui réclament toutes le retrait d'Ebert et Scheidemann, la nomination d'un autre indépendant à la préfecture de police, la formation d'un gouvernement des trois partis ouvriers [120]. Le fait que de nombreux militants social-démocrates rallient ces positions montre la profondeur du sentiment unitaire, l'hostilité de la masse ouvrière berlinoise à ce qui lui paraît un combat fratricide. Les positions de Radek, adoptées par la centrale, eussent pu permettre au parti communiste de ne pas apparaître comme responsable directement ou indirectement de la poursuite de ces combats, d'entraîner dans une retraite nécessaire les indépendants et les délégués révolutionnaires éperdus et d'isoler au sein du parti social-démocrate ceux qui ne rêvaient que répression contre l'extrême-gauche, les alliés conscients de l'état-major. Mais les dirigeants spartakistes - y compris Rosa Luxemburg - jugeront autrement la situation : ils feront de la résistance et du maintien de l'occupation du Vorwärts une question d'honneur, poursuivant ainsi avec les délégués révolutionnaires et les indépendants de gauche une sorte de surenchère à gauche, et laisseront les indépendants exploiter à leur profit l'aspiration unitaire dont en définitive les majoritaires profiteront seuls, puisqu'ils réussiront à faire croire que seuls les communistes ont été hostiles à la formation d'une alliance ouvrière dans ces circonstances. S'engageant jusqu'au bout dans l'acte insurrectionnel à moitié engagé, ils laisseront du coup les adversaires d'Ebert au sein du parti social-démocrate majoritaire désarmés face à une politique de répression sans solution de rechange apparente [121].

Dans la discussion qui suit à la centrale, Levi défend le point de vue de Radek ; Jogiches va plus loin et réclame un désaveu public de l'action de Liebknecht et Pieck dans Die Rote Fahne. Quoique Rosa Luxemburg partage son sentiment - elle aurait, selon Paul Levi, dit qu'il ne lui serait plus possible, désormais, de continuer à travailler avec Liebknecht [122], ce désaveu public ne sera pas fait. Simplement, au nom de la centrale du K.P.D.(S.), Wilhelm Pieck adresse, le 10 janvier, aux délégués révolutionnaires et au comité d'action, une lettre annonçant le retrait des représentants du K.P.D.(S.) de ce comité. La lettre reproche aux délégués révolutionnaires leur « incertitude et leur irrésolution », ainsi que d'avoir « engagé des pourparlers démoralisateurs, désorganisateurs, paralysants », laissant donc entendre qu'il faut que combat continue [123]. C'est probablement à l'issue de cette discussion que Rosa Luxemburg dresse, pour Die Rote Fahne, un véritable réquisitoire contre les indépendants :

« Une fois de plus, l'U.S.P. a joué le rôle de l'ange sauveur - de la contre-révolution. Haase-Dittmann ont bien démissionné du gouvernement Ebert mais, dans la rue, ils poursuivent la même politique qu'au gouvernement. Ils servent de paravent aux Scheidemann (...). Avant toute chose, les semaines qui viennent doivent être consacrées à la liquidation de l'U.S.P., ce cadavre pourrissant dont la décomposition empoisonne la révolution. » [124]

Le 8 janvier, elle écrivait :

« L'Allemagne était jusqu'ici la terre classique de l'organisation, on y avait le fanatisme de l'organisation, disons-le, on en faisait parade. Tout devait être sacrifié à « l'organisation », l'esprit, les buts, la capacité d'action du mouvement. Et aujourd'hui, que voyons-nous ? Aux moments décisifs de la révolution, ce « talent d'organisation » tant vanté fait fiasco de la plus piteuse façon. » [125]

Le 11, elle précise :

« L'absence de direction, l'inexistence d'un centre chargé d'organiser la classe ouvrière berlinoise, ne peuvent plus durer. Si la cause de la révolution doit progresser, si la victoire du prolétariat, si le socialisme doivent être autre chose qu'un rêve, il faut que les ouvriers révolutionnaires mettent sur pied des organismes dirigeants en mesure de guider et d'utiliser l'énergie combative des masses. » [126]

Ainsi, sous l'influence de ces journées de combat révolutionnaire, Rosa Luxemburg semble-t-elle se rapprocher de la conception du parti révolutionnaire qu'elle avait jusque-là combattue [127]. Elle va, dans un dernier article, tenter de dresser le bilan de la « semaine spartakiste » [128]. Il n'y a pour elle aucun doute et, elle le répète, il était impossible de s'attendre à « une victoire décisive du prolétariat révolutionnaire », à la chute des Ebert-Scheidemann et à « l'instauration de la dictature socialiste ». La cause en réside dans le manque de maturité de la révolution, l'absence de coordination entre les foyers révolutionnaires - « l'action commune donnerait aux coups de boutoir et aux ripostes de la classe ouvrière berlinoise une tout autre efficacité » -, le fait que « les luttes économiques n'en soient qu'à leur début ». Dans ces conditions, il faut se demander si la semaine écoulée constitue une « faute ». Elle ne le pense pas, car elle estime que les travailleurs ont été provoqués :

« Placés devant la provocation violente des Ebert-Scheidemann, les ouvriers révolutionnaires étaient contraints de prendre les armes. Pour la révolution, c'était une question d'honneur que de repousser l'attaque immédiatement, de toute son énergie, si l'on ne voulait pas que la contre-révolution se crût encouragée à un nouveau pas en avant ; si on ne voulait pas que fussent ébranlés les rangs du prolétariat révolutionnaire et le crédit dont jouit au sein de l'Internationale la révolution allemande. » [129]

Ce sont en définitive, « la contradiction entre la tâche qui s'impose et l'absence, à l'étape actuelle de la révolution, des conditions préalables permettant de la résoudre » qui expliquent, selon elle, que le combat se soit formellement terminé par une défaite. Mais l'histoire enseigne que la route du socialisme est « pavée de défaites », et qu'elles mènent à la victoire qui sait en tirer les leçons :

« La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. (...) Les masses ont été à la hauteur de leur tâche. Elles ont fait de cette « défaite » un maillon dans la série des défaites historiques qui constituent la fierté et la force du socialisme international. Et voilà pourquoi la victoire fleurira sur le sol de cette défaite. » [130]

Malgré cet acte de foi, le titre donné par Rosa Luxemburg à son article, « L'Ordre règne à Berlin », résumait la situation dans toute sa brutalité. La direction du parti communiste n'avait pas été capable d'empêcher l'écrasement d'un mouvement qu'elle avait contribué à déclencher et qu'elle n'avait rien fait pour empêcher ou arrêter. Elle avait sans doute laissé passer pour longtemps l'occasion d'une lutte pour l'unité du front de classe contre les dirigeants alliés des généraux. Elle allait durement payer l'action gauchiste inconsidérément engagée par Liebknecht et la majorité des délégués révolutionnaires - ceux-là mêmes qui, quelques jours plus tôt, reprochaient à Spartakus sa « tactique putschiste ».

Le double assassinat.

Les corps francs sont en effet décidés à frapper à la tête, et recherchent activement les dirigeants révolutionnaires. Dorrenbach, Emil Eichhorn, Paul Scholze, réussissent à quitter la capitale [131], mais Rosa Luxemburg et Liebknecht y demeurent. Rosa Luxemburg est encore en train de travailler dans les locaux de la rédaction de Die Rote Fahne alors que les troupes de Noske donnent l'assaut de l'immeuble du Vorwärts, et Levi a beaucoup de peine à la persuader que sa vie est en danger et qu'elle a le devoir de se cacher. Liebknecht fait preuve de la même inconscience, insiste au même moment afin qu'on prenne des dispositions pour une réunion publique où Rosa et lui-même prendraient la parole au nom du parti. L'un et l'autre acceptent finalement de se cacher, mais refusent de quitter Berlin au moment où la répression frappe les ouvriers [132]. Ils se réfugient d'abord à Neukölln, les 12 et 13 janvier, puis dans l'appartement d'un sympathisant à Wilmersdorf. C'est là que Rosa Luxemburg découvre à la lecture de Vorwärts que Liebknecht a apposé sa signature sous le fameux texte du comité révolutionnaire [133]. Elle lui dit : « Karl, c'est ça notre programme ? » [134]. Le silence tombe entre eux.

C'est dans ce même appartement qu'ils sont arrêtés, ainsi que Wilhelm Pieck qui venait de leur apporter de faux papiers, dans la soirée du 15 janvier. Tous trois sont transférés dans le centre, à l'hôtel Eden, où s'est installé le quartier général de la division de la garde, et interrogés par le capitaine Pabst. Au cours de la nuit, Liebknecht le premier, puis Rosa Luxemburg, quittent l'hôtel sous escorte pour être écroués à Moabit. Le 16, Vorwärts est l'unique quotidien qui annonce dans son édition du matin l'arrestation des deux dirigeants communistes. Dans un commentaire, il se félicite de la « générosité » des vainqueurs qui ont su défendre « l'ordre, la vie humaine, le droit, contre la force » [135].

Cependant, la presse de midi annonce la nouvelle sous de gros titres : Liebknecht et Rosa Luxemburg sont morts, le premier abattu au cour d'une tentative de fuite, et la seconde lynchée par des inconnus qui auraient arrêté sa voiture pendant son transfert à Moabit. Un communiqué de la division de la Garde donne des détails qui constituent pour le moment l'unique source d'information. Liebknecht, frappé à la tête par un inconnu, était blessé lors de son départ de l'hôtel Eden ; profitant d'une panne, il aurait tenté de s'enfuir dans le Tiergarten et aurait été abattu après les sommations d'usage. Quant à Rosa Luxemburg, assommée par la foule à la sortie de l'hôtel Eden, emportée sans connaissance, elle aurait été enlevée à ses gardes et achevée. Le cadavre de Liebknecht est à la morgue, celui de Rosa Luxemburg n'a pas été retrouvé [136].

La vérité se fait jour peu à peu : ce sont les militaires qui ont tué leurs prisonniers, après les avoir vraisemblablement durement malmenés au cours des premiers interrogatoires. Liebknecht, sorti le premier, a été frappé d'un coup de crosse à la nuque par le soldat Runge, jeté ensanglanté dans une auto, qui l'a emporté dans le Tiergarten, où son escorte l'a achevé : le lieutenant de vaisseau von Pflugk-Hartung a dirigé toute l'opération. Le cadavre a été ensuite déposé au poste de police du Zoo comme cadavre « non identifié ». Rosa Luxemburg, très mal en point déjà, a été frappée par Runge dans les mêmes conditions, emportée évanouie et achevée. Son corps, lesté de pierres, a été ensuite jeté dans le canal, qui ne le restituera que des mois après. C'est le lieutenant Vogel qui a dirigé l'opération [137].

Quelques mois plus tard, en mai 1919, le conseil de guerre condamnera Runge à deux ans et Vogel à deux ans et demi de prison, acquittant von Pflugk-Hartung [138]. Vogel s'évadera grâce à la complicité d'un de ses juges, le lieutenant de vaisseau Canaris [139], et gagnera l'étranger.

Les conséquences-du double meurtre sont incalculables. Certes, malgré les efforts de Jogiches et Levi, qui consacrent à l'enquête d'immenses efforts, la responsabilité directe d'aucun dirigeant social-démocrate ne peut être retenue. En revanche, leur responsabilité morale est écrasante : deux jours auparavant, le Vorwärts avait publié un véritable appel au meurtre contre « Karl, Rosa et consorts, pas un mort, pas un, parmi les morts » [140], et ce sont des hommes réunis, armés et finalement couverts par Noske et les ministres social-démocrates qui ont perpétré l'assassinat. Scheidemann dira : « Voici que leur propre tactique terroriste les a eux-mêmes frappés ! » [141]. Entre social-démocrates et communistes allemands, il y a désormais le sang de Liebknecht et Rosa Luxemburg.

Le jeune parti communiste est privé simultanément de sa meilleure tête politique et de son tribun le plus prestigieux. Rosa Luxemburg et Liebknecht étaient connus de tous les ouvriers allemands, estimés dans tout le mouvement international. Seuls de tous les communistes hors de Russie ils étaient de taille à discuter d'égal à égal avec les dirigeants bolcheviques, à constituer, dans l'Internationale à fonder avec eux, un contrepoids à leur autorité. Par-dessus le marché, les dépositions de Runge et surtout les déclarations du capitaine Pabst tendent à faire peser sur Pieck, épargné par les tueurs, de terribles suspicions, qui nécessiteront une enquête du parti dont les conclusions n'ont pas cessé d'être discutées [142].

Le double meurtre ne creuse pas seulement un fossé entre majoritaires et révolutionnaires. Il convainc également bien des révolutionnaires que leur unique erreur a été de trop temporiser. Il faudra aux détachements isolés de communistes allemands plusieurs mois d'une expérience cruelle pour se persuader que leurs erreurs étaient d'un autre ordre.


Notes

[1] P. Frölich, Rosa Luxemburg, p  . 345.

[2] Die Rote Fabne, 27 novembre 1918.

[3] Dok. u. Mat., II/2, p. 563, n° 1.

[4] Vorwärts, 2 décembre 1918 ; Barth, op. cit., pp. 80-81 ;  Ill. Gesch., II, p. 228.

[5] Vorwärts, 6 décembre 1918.

[6] Vorwärts, 7 décembre 1918.

[7] Die Rote Fahne, 7 décembre 1918 ; Wrobel, Der Sieg der Arbeiter und Matrosen.... p. 30.

[8] Die Rote Fahne, 8 décembre 1918.

[9] Wrobel, op. cit., p. 30, fait, d'après des témoins, le récit d'une expédition contre l'hôtel Bristol, Unter den Linden, menée par des travailleurs de Neukölln.

[10] Résumé de l'enquête (dont les éléments se trouvent dans la presse quotidienne et dans Eichhorn, op. cit.) dans R. Coper, Failure of a Revolution, pp. 154-156.

[11] Déposition du général Groener au procès de Munich, dans G. Ritter et S. Miller, Die deutsche Revolution, p. 125.

[12] Texte cité dans Berthold et Neef, Militarismus und Opportunismus, p. 165.

[13] Wheeler Bennett, op. cit., p, 31.

[14] Vorwärts, 11 décembre 1918.

[15] Cité par G. Badia, Les Spartakistes, p. 171.

[16] Vossische Zeitung, 25 décembre 1918.

[17] Benoist-Méchin, Histoire de l'armée allemande, I, p. 101.

[18] Allgemeine Kongress., col. 123 sq.

[19] Ibidem, col. 181.

[20] Groener, Lebenserinnerungen, p. 475.

[21] Ibidem, H. Müller, op. cit., p. 184. Der Zentralrat, pp. 44-54.

[22] Ibidem, p. 78, n° 38.

[23] K. Wrobel, Der Sieg der Arbeiter und Matrosen im Dezember 1918, présente la version la plus favorable aux marins. Mais les autres versions n'en divergent guère.

[24] Ill. Gesch., p. 254.

[25] Ibidem, p. 264 ; H. Müller, op. cit., p. 227.

[26] Ill. Gesch., p. 255 ; H. Müller, op. cit., p. 227.

[27] H. Müller, op. cit., p. 227.

[28] Ibidem; Ill. Gesch., p. 255.

[29] Résolution dans H. Müller, op. cit., p. 226.

[30] Ill. Gesch., p. 255.

[31] H. Müller, op. cit., p. 266.

[32] Ill. Gesch., p. 255 ; H. Müller, op. cit., p. 228.

[33] H. Müller, op. cit., p. 256 et 228.

[34] Ill. Gesch., p. 256 ; H. Müller, op. cit., p. 229.

[35] Ill. Gescb., p. 256, insiste sur le rôle de Barth et H. Müller sur celui d'Ebert.

[36] Ill. Gesch., p. 258 ; H. Müller, op. cit., p. 230.

[37] Benoist-Méchin, op. cit., t. I, p. 118.

[38] H. Müller, op. cit., p. 232.

[39] Der Zentralrat, pp. 85-86, 89-94.

[40] Freiheit, 29 décembre 1918.

[41] Der Zentralrat, pp. 185-186.

[42] R. Müller, Bürgerkrieg, p. 20.

[43] C'est en tout cas ce qu'affirme au congrès Heckert (Protokoll..., p. 116) ; il estime à 160 000 le nombre de ces manifestants.

[44] R. Müller, op. cit., p. 21.

[45] Trotsky, Histoire de la révolution russe, t. III, p. 101.

[46] Die Rote Fahne les ayant considérés comme des soutiens solides de la révolution prolétarienne, des représentants de la division répondent dans le Vorwärts qu'ils n'ont « rien à faire avec Spartakus » (Bock, op. cit., p. 112).

[47] Ibidem, t. Ill, p. 24.

[48] Le représentant officieux du président Wilson, Dresel, écrit que Noske est un homme énergique, capable de réprimer le putsch ou les troubles qu'il prévoit d'ailleurs (cité par Drabkin, op. cit., p. 442.) Le même auteur souligne (pp. 423-442) le lien entre la formation des corps francs et une politique extérieure de rapprochement avec l'Entente et de lutte militaire contre les bolcheviks, notamment dans les pays baltes.

[49] Noske, op. cit., p. 68.

[50] Benoist-Méchin, op. cit., t. I, p. 142.

[51] Ibidem, p. 143.

[52] Maercker, Vom Kaiserheer zur Reichswehr, p. 53.

[53] Ibidem, p. 64.

[54] Drabkin, op. cit., p. 480.

[55] Le général Groener devait déclarer plus tard que Noske avait fait appel à Ebert le 29 décembre pour « conduire les troupes contre les spartakistes » (Dolchstossprozess, p. 225).

[56] Ill. Gesch., p. 260.

[57] Vorwärts, I° janvier 1919.

[58] Kolb, op. cit., pp. 226-227.

[59] Voir ses propres explications dans Eichhorn, Ueber die Januarereignisse, pp. 60 sq.

[60] Rosenberg, op. cit., p. 325.

[61] Ill. Gesch., II, p. 308.

[62] R. Müller, Bürgerkrieg, p. 30.

[63] Die Rote Fahne, 5 septembre 1920. Levi est vraisemblablement l'auteur de cet article, qui exprime en tout cas son point de vue.

[64] Radek, November..., p. 137.

[65] Le texte intégral du tract dans Dok. u. Mat., II/2, pp. 9-10.

[66] Ibidem, p. 10.

[67] Déclaration de Ledebour, Ledebour-Prozess, pp. 44 sq.

[68] Die Rote Fahne, 6 janvier 1919.

[69] Ibidem, 5 septembre 1920.

[70] Ibidem.

[71] Le récit le plus complet des discussions qui suivent se trouve dans R. Müller, Bürgerkrieg, pp. 30 sq.

[72] Délégués révolutionnaires et indépendants de gauche. Certains y sont àplusieurs titres, comme Anton Grylewicz, délégué révolutionnaire, second président de l'U.S.P.D. à Berlin et suppléant d'Eichhorn. Weber, Die Wandlung, II, p. 145.

[73] Ill. Gesch., p. 274 ; Müller, Bürgerkrieg, pp. 30-38, 46.

[74] Ibidem, et H. Müller, op. cit., p. 252.

[75] Ibidem, p. 253.

[76] R. et H. Müller mentionnent Däumig, R. Müller, Eckert, Neuendorf, Rusch et Malzahn.

[77] Ill. Gesch., p. 275 ; Ledebour Prozess, p. 53.

[78] Ill. Gesch., pp. 280-281, précise que l'initiative fut prise au cours même de la manifestation devant la préfecture de police par un garçon de café du nom d'Alfred Roland, démasqué plus tard comme provocateur. Le fait est confirmé par l'enquête du Landtag prussien, par plusieurs dépositions au procès de Ledebour, et repris à son compte par Richard Müller (Drabkin, op. cit., p. 486, n. 23). Mais il est incontestable que des éléments gauchistes qui n'avaient rien de provocateurs ont participé à cette occupation dès ses premières heures ; le plus connu était l'écrivain Werner Möller, un des dirigeants des I.K.D. de Berlin avant la fondation du K.P.D. (S), dont M. Bock (op. cit., p. 435) dit qu'il était dans la capitale un des dirigeants de l'activisme gauchiste.

[79] Il s'agissait des entreprises de presse Büxenstein, Scherle, Mosse, Ullstein, et de l'agence télégraphique Wolff. A la tête des occupants de Mosse figurait un dénommé Drach, dont une dépêche d'Eisner (I.M.L.-Z.P.A., n' 8/28, f. 184 et 8/29, ff. 41 sq.) citée par Drabkin (op. cit., p. 486, n. 23) précisait qu'il était un « espion » de Ludendorff.

[80] Ledebour-Prozess, p. 62.

[81] L'appel est signé des délégués révolutionnaires, de l'exécutif central de l'U.S.P.D. du Grand Berlin et de la centrale du K.P.D. (S), nom du comité révolutionnaire (Freiheit, 6 janvier 1919; Dok. u. Mat., Ii/3, p. 11).

[82] Reproduction photographique de l'original dans Ill. Gesch., p. 272. Liebknecht avait signé pour Ledebour absent.

[83] Freiheit, 10 janvier; Dok. u. Mat., III/2, p. 136.

[84] Ledebour-Prozess, pp. 189-194 ; Waldman, Spartacist Uprising, p. 176.

[85] R. Müller, op. cit., p. 87.

[86] Ill. Gesch., p. 280.

[87] Ill. Gesch., p. 276; Ledebour-Prozess, pp. 278 sq. ; Drabkin, op. cit.,p. 488, n° 28.

[88] Die Rote Fahne, 5 septembre 1920.

[89] lIl. Gesch., p. 281 ; Drabkin, op. cit., p. 495.

[90] Seuls Däumig et Richard Müller, en l'absence de Malzahn, ayant voté contre. Dok. u. Mat., II/3, p. 15.

[91] Radek, November... pp. 137-138.

[92] Ibidem, p. 138.

[93] Ill. Gesch., p. 283 ; P. Levi, Was ist das Verbrechen ?, pp. 33-34.

[94] Ill. Gesch., p. 284; H. Müller, op. cit., p. 262.

[95] Ibidem.

[96] Texte dans H. Müller, op.cit., pp. 254-255.

[97] Noske, Von Kiel bis Kapp, pp. 69 sq.

[98] I.M.L.-Z.P.A., n° 8/28, cité par Drabkin, op. cit., p, 490.

[99] Ibidem, p. 490, n° 35.

[100] Ibidem, p. 91.

[101] Tract cité par Drabkin, op. cit., p. 496; Reichsanzeiger,7, 9 janvier 1919.

[102] F. Zikelsky, Mein Gewehr in meiner Hand, pp. 144-145.

[103] Dok. u. Mat., II/3, pp. 33-34.

[104] Cité par Drabkin, op. cit., p. 498.

[105] Cité par Drabkin, op. cit., p. 499.

[106] Der Zentralrat, pp. 287-288.

[107] Ill. Gesch., p. 284 ; H. Müller, op. cit., p. 262, etc.

[108] IIl Gesch., p. 285.

[109] Ibidem, pp. 285-286.

[110] Ibidem, pp. 286.

[111] Ibidem, pp. 288.

[112] Ibidem, pp. 288-290.

[113] Radek, November..., p. 138.

[114] Cité par Ill. Gesch., p. 282. Radek fut longuement interrogé ultérieurement par la police allemande au sujet de cette lettre. L'original en figurait dans les archives de Thomas, qui ont servi à la rédaction de l'Illustrierte Geschichte, mais qui ont disparu sous le nazisme.

[115] Ibidem.

[116] Ibidem.

[117] Der Zentralrat, p. 277.

[118] Ibidem, p. 295.

[119] Der Zentralrat, p. 296.

[120] Voir les rapports de Leinert sur les résolutions reçues, Ibidem, pp. 308 et 326.

[121] Max Cohen, qui exprime à plusieurs reprises son inquiétude devant les initiatives des militaires, reflète en partie dans le conseil central les appréhensions des travailleurs du parti d'Ebert face à l'alliance de leurs chefs avec les corps francs. Brutus Molkenbuhr lui-même dressera un violent réquisitoire contre Noske et ses alliés (Drahkin, op. cit., p. 509) en citant (I.M.L.Z.P.A., Il/5, ff. 12-17) le compte rendu de l'exécutif du 13 janvier.

[122] Paul Levi, Was ist das Verbrechen ?, pp. 33-34.

[123] Die Rote Fahne, 13 janvier 1918, Dok. u. Mat., II/3, pp. 41-42.

[124] Die Rote Fahne, 11 janvier 1918, Ibidem, pp. 47-49.

[125] Die Rote Fahne, 6 janvier 1918, Dok. u. Mat., II/2, pp. 23-26.

[126] Die Rote Fahne, 11 janvier 1918, Ibidem, pp. 47-51.

[127] Badia (Les Spartakistes, p. 261) écrit : « Il n'en reste pas moins que Rosa Luxemburg a senti la nécessité, à la tête de la révolution, d'un organisme qui guide et oriente l'action, en imposant sa volonté aux masses. N'est-ce pas là un pas vers la conception léniniste du parti de la classe ouvrière ? » Il est difficile de le suivre, aussi bien en ce qui concerne la pensée de Rosa Luxemburg elle-même qu'en ce qui concerne la conception dite « léniniste » d'un parti « imposant » sa volonté aux masses.

[128] Die Rote Fahne, 14 janvier 1918. Dok. u. Mat., II/3, pp. 71-75.

[129] Die Rote Fahne, 14 janvier 1919 ; Dok. u. Mat., II/3, p. 73.

[130] Ibidem, p. 75.

[131] Rosenberg, op. cit., p. 331 ; Badia, Les Spartakistes, p. 249.

[132] Radek, November..., p. 138. Le conseil central apprendra le 15 par Max Cohen l'arrestation d'une belle-sœur âgée de Liebknecht, ainsi que d'une jeune fille ayant habité chez Rosa Luxemburg (Der Zentralrat, pp. 415-416).

[133] Un fac-similé du texte est publié par Vorwärts le 14 janvier.

[134] Paul Levi écrira : « Aucun des présents n'oubliera jamais la scène au cours de laquelle Rosa Luxemburg présenta à Liebknecht le document Signé « Le gouvernement provisoire, Ledebour, Liebknecht, Scholze » (« Rosa Luxemburg und Karl Liebknecht zum Gedächtnis », Der Klassenkampf, n° 2, 15 janvier 1929, p. 34). Rosi Wolfstein a rapporté à J. P. Nettl la réflexion mentionnée ici (op. cit., II, p. 767).

[135] Vorwärts, 16 janvier 1919 (édition du matin).

[136] Extraits de presse dans E. Hannover-Drück et H. Hannover, Der Mord an Rosa Luxemburg und Karl Liebknecht, pp. 35-45.

[137] Ibidem, pp. 45-58.

[138] Ibidem, p. 116 ; dossier du procès, pp. 59-120.

[139] Ill. Gesch., p. 305. Cet officier, qui avait joué un rôle dans la répression des marins révolutionnaires en 1917, devait être couvert par ses chefs. Amiral, il deviendra sous le III° Reich le chef de l'Abwehr.

[140] Vorwärts, 13 janvier 1919, fac-similé du poème « Das Leichenhaus », Ill. Gesch., p. 331.

[141] Scheidemann, Memoiren, II, p. 348.

[142] Nollau, Tbe Communist International, p. 332, avec une déclaration de Pabst à l'auteur, datée du 30 novembre 1959; E. Wollenberg (Der Apparat, pp. 76-78) est l'une des sources de la version selon laquelle Hans Kippenberger, responsable de l'enquête, aurait payé de sa vie, lors des procès de Moscou, les informations recueillies contre Pieck à cette occasion.


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