Nous sommes de petits chiffres : pouvons-nous entrer ?
La terre, sur l’écorce de laquelle nous vivons, a la forme d’une balle ou d’une sphère. Faisons d’emblée une première digression : ce concept, qui pendant des milliers d’années est resté extrêmement ardu à comprendre pour les savants les plus géniaux, est aujourd’hui familier à un enfant de sept ans ; voilà qui montre combien la distinction entre facile et difficile à comprendre est stupide. C’est pourquoi une doctrine qui affirme l’existence d’un grand cours de l’histoire, accompli par bonds grandioses par la relève des classes, n’aurait pas de sens si elle se laissait arrêter par le souci de ne présenter à la classe avançante, révolutionnaire, que des pilules de concepts faciles.
A la différence de Silvio Gigli [animateur radio], nous allons donc vous poser quelques problèmes très très difficiles. Mais nous vous donnerons les questions et les réponses.
Donc, cette balle, la Terre, a un diamètre d’environ 12 700 kilomètres, que l’on a calculé en mesurant son ventre, sur lequel on a reporté quarante millions de fois le mètre-étalon de platine conservé à Paris à l‘Institut International des Poids et Mesures. Comment ont-ils fait pour passer sur l’eau ? Mais laissons le ton de la plaisanterie et cessons d’imiter ceux qui parlent de façon inintelligible pour le plaisir, et pour qu’on dise d’eux : Quelle culture ! On n’y comprend vraiment rien ! Cette obscurité est à la base de la gloire de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des grands hommes.
Donc, au moyen d’un petit calcul (cours moyen première année), on établit que la surface de la Terre est de cinq cents millions de kilomètres carrés. Les mers en occupent plus des deux tiers et, pour se promener à pied sec, il reste à peine cent cinquante millions de kilomètres carrés. Là-dedans il y a les calottes glaciaires, les déserts, les très hautes montagnes ; on peut donc estimer qu’il reste pour l’espèce humaine – la seule qui vit désormais dans toutes les parties du globe, avec ses animaux domestiques – environ cent vingt-cinq millions de kilomètres carrés.
Comme aujourd’hui les livres disent que « nous sommes » 2 500 millions, nous les animalcules humains qui fourrons notre nez partout, il est clair qu’en moyenne notre espèce dispose d’un kilomètre carré pour vingt de ses membres.
A l’école, on dit donc : densité moyenne de la population des terres habitées : vingt âmes (en fait on ne compte pas les cadavres des morts, qui sont bien plus nombreux) au kilomètre carré.
Nous avons tous l’idée de ce que représentent vingt personnes ; quant au kilomètre carré, ce n’est pas difficile à se représenter. Nous sommes à Milan : c’est l’espace occupé par le Parc entre l’Arc du Simplon et le château Sforza, Arène comprise. Puisque cinquante mille personnes réussissent à s’entasser dans le stade de l’Arène pour les grandes parties de football, un kilomètre carré peut contenir, avec une foule compacte (meetings de Mussolini, Togliatti et autres) cinq millions d’âmes – en peine –, soit plus que la population réunie de Milan, Rome et Naples, 250000 fois plus que la densité moyenne sur la terre.
Ainsi, si les vingt malheureux hommes moyens symboliques se plaçaient aux intersections d’un filet à mailles égales, ils se trouveraient à 223 mètres les uns des autres. Ils ne pourraient même pas se parler. Quelle catastrophe si c’étaient des femmes, et encore plus si c’étaient des candidats au Parlement !
Mais l’homme n’est pas cloué au sol comme les arbres, ni amassé en colonies comme les madrépores dont nous parlions l’autre fois et, en se déplaçant de mille manières, il s’est établi de façon très irrégulière dans les différents espaces qui constituent l’écorce de la planète.
En Italie, la densité de la population est de 140 personnes au kilomètre carré, donc sept fois plus que la moyenne générale. La province la plus peuplée est celle de Naples : 1 500 habitants au kilomètre carré, 55 fois la moyenne de la terre. Les pays de plus forte densité en Europe (et dans le monde) sont la Belgique, la Hollande et l’Angleterre (Écosse mise à part) qui tournent autour de 300, c’est-à-dire 15 fois la densité moyenne. Le pays d’Europe à la densité la plus basse est, avec la Suède et la Norvège, la Russie : 29 habitants au kilomètre carré pour la partie européenne, à peine plus que la moyenne mondiale.
La densité des divers continents est : 53 pour l’Europe, 30 pour l’Asie. Mais ensuite, il y a une chute impressionnante au-dessous de la moyenne : Amérique Centrale et Amérique du Nord : 8,5 ; Afrique : 6,7 ; Amérique du Sud : 6,3 ; Australie-Océanie : 1,5. On arrive donc à treize fois moins que la densité moyenne mondiale.
La densité des États-Unis est de 19, inférieure donc à celle de la Russie européenne (c’est-à-dire jusqu’à l’Oural et au Caucase). Cela coïncide parfaitement avec la moyenne de la terre : est-ce pour cette raison qu’ils la veulent toute pour eux ?
Ceci dit, aux U.S.A. la population est répartie de manière extrêmement inégale : même sans tenir compte des petits districts, on passe de 0,5 dans le Nevada désertique à 240 dans le fourmillant New Jersey, qui est un peu moins grand que la Lombardie.
Notons enfin que pour la R.S.F.S.R., qui comprend la Sibérie, la densité de population est de 6,8 seulement. Quant à l’ensemble de l’U.R.S.S., sa densité est de 9 habitants au kilomètre carré, et la plus peuplée des républiques fédérées est l’Ukraine, située à l’ouest, avec 70 habitants au kilomètre carré.
Les ruches urbaines
Si on néglige la population « dispersée », en majorité rurale, et si l’on ne tient compte que des hommes qui sont « agglomérés » dans les villes, on observe en considérant la densité, comme nous l’avons déjà noté, un bond dans les chiffres, ceux-ci étant dans les villes environ mille fois plus élevés que la moyenne mondiale : comme disent les scientifiques, on passe à un autre ordre de grandeur. Il n’est pas bien difficile de comprendre que la population des campagnes considérées isolément, dans chaque circonscription petite ou grande, voit au contraire sa densité baisser par rapport à la densité moyenne.
Établir le nombre des hommes dispersés et le nombre des hommes agglomérés, mettons dans le monde ou en Italie, est en revanche un problème des plus ardus. Même si l’on fait le total des populations des villes qui dépassent un certain seuil choisi arbitrairement, disons 5000 habitants, la conclusion est faussée par le fait que l’on dispose des chiffres des communes. Or, à Rome, par exemple, où la commune est bien plus grande que la ville, le chiffre comprend une partie de population éparpillée. En revanche, pour Londres, où la commune est bien plus petite que la ville, le chiffre comprend toute la population agglomérée, et il faut donc ajouter, en totalité ou en partie, la population du « Grand Londres ». Hasardons un chiffre : si l’on considère toute la Terre, on peut dire qu’un cinquième de la population vit dans les villes, compte tenu du fait que cette proportion est égale à zéro dans le centre de l’Afrique, alors qu’en Belgique au moins quatre personnes sur dix vivent dans les villes.
Quoi qu’il en soit, voici les nouveaux chiffres qui, vu le nouvel ordre de grandeur, sont exprimés normalement par rapport à l’hectare, mais que nous continuerons à donner par rapport au kilomètre carré (soit cent fois plus). Le Grand Londres (que des projets en cours continuent de dilater selon le système des villes satellites, qui comprennent chacune cinquante mille habitants environ et se trouvent à une distance moyenne de vingt kilomètres du centre historique) accueille sur ses 600 kilomètres carrés huit millions et demi d’habitants. Densité : 14 000. Mais à Londres on respire encore, sauf dans les anciens quartiers, crasseux, des Juifs, des Chinois et des Italiens. La ville la plus engorgée d’Italie, Naples, entasse dans une zone urbaine de 800 hectares, soit 8 kilomètres carrés, pas moins de 600 000 habitants, sur le million que compte la commune administrative, à laquelle se sont agrégées des communes voisines : la densité atteint le chiffre presque inhumain de 75 000 habitants au kilomètre carré, soit 3750 fois la moyenne de la terre. Même si l’on ne considère que la commune de Naples avec ses 12 quartiers traditionnels, et sans tenir compte donc des « villages », la densité est encore de 45 000 habitants au kilomètre carré, soit le triple de celle de Londres. Si l’on considère un modèle abstrait, genre ville du XIX° siècle, avec des maisons d’habitation de cinq étages et des rues assez larges occupant les quatre dixièmes de la superficie totale, un calcul technique simple montre que chaque local ou « pièce » utilise environ 5 mètres carrés « couverts » et 3 mètres carrés « urbains ». Mais seule une pièce sur trois est destinée au logement ; en moyenne (en Italie), chaque pièce héberge une personne et demie (par exemple, une famille de six membres a quatre pièces). Donc, chaque habitant dispose, pour ainsi dire, d’environ 16 mètres carrés dans la ville compacte, ce qui, hygiéniquement parlant, est à peine tolérable. Nous retrouvons donc la densité de 60 000 habitants au kilomètre carré. Là où il y a des jardins, des parcs, etc., en plus des rues et des places, la densité s’améliore, c’est-à-dire baisse.
Donc le processus historique qui a entassé les hommes de mille façons dans les villes des pays avancés moyens les a amenés d’une densité nationale de l’ordre de 200 personnes au kilomètre carré (pour l’Europe centrale, qui est la plus peuplée) à une densité urbaine qui, dans la meilleure des hypothèses – dans le cas de véritables cités-jardins – dépasse 20 000 habitants au kilomètre carré, soit cent fois plus que dans le pays tout entier, mille fois plus que la moyenne de la terre. Nous savons que cet entassement trouve presque entièrement son origine dans les effets de l’époque capitaliste. Les régimes pré-capitalistes se contentaient en effet de villes peu nombreuses et qui n’avaient rien d’immense, dominant des myriades de villages ruraux.
Mais le capitalisme ne veut toujours pas s’arrêter, et en fait, dans ce domaine comme dans tous les autres, il ne le peut pas. C’est même ce phénomène très important qui le définit. Ce sont en effet les mesures quantitatives qui comptent, et non les étiquettes qualitatives, politiques et propagandistes. Tout ce qui réduit l’espace de l’homme est capitalisme.
La cité radieuse
Il y a eu en effet quelqu’un qui a pensé et – malheureusement -fait encore mieux : c’est le sieur Charles-Edouard Jeanneret de Genève, architecte de son métier. Mais qui est donc ce monsieur ? Un instant, vous le connaissez aussi : les grands hommes changent leur nom, et le nom sous lequel celui-ci est connu dans le monde entier est Le Corbusier.
Le citoyen Le Corbusier fait partie de cette catégorie d’intellectuels compagnons de route qui constitue à elle seule un phénomène suffisant pour vous dégoûter des gros partis qui s’appelaient naguère prolétariens et communistes. On dit en effet grand bien de lui et, qui pis est, de ses théories et de ses méthodes, dans la presse soviétique et dans tous les journaux et revues qui en sont la projection dans le monde, comme on disait d’ailleurs autrefois grand bien de lui dans la presse fasciste et nazie. En outre on encourage les imitations et les applications de son style, dont certaines font les charmes de l’immense Moscou, fille de dix types différents d’organisation humaine, qui s’étend souverainement sur des espaces grandioses et dont, qui plus est, la force de domination résida toujours dans la distance et l’espace, la construction basse et espacée dont l’incendie arrêta la vague empoisonnée du capitalisme en culbutant Bonaparte dans la Bérézina.
Aujourd’hui, Moscou ne peut faire moins que de rivaliser avec New York. Mais gratte-ciel et paranoïa à la Le Corbusier ne sont pas la même chose. Il ne faut pas croire que les douze millions de New Yorkais sont plus à l’étroit, dans leur constellation urbaine, que les Londoniens, malgré la hauteur supérieure des édifices. Dans un bâtiment de trente étages, en tout premier lieu, la proportion entre les appartements et les bureaux n’est pas de 1 à 3 mais de 1 à 10 ou 20 ; la hauteur maximum n’est atteinte que dans un étroit clocheton, les rues sont au moins dix fois plus larges que dans les villes typiques du XIX° siècle européen dont nous avons calculé plus haut les « indices » d’entassement, chaque habitant a à sa disposition un petit appartement et non deux tiers de pièce, et ainsi de suite ; si bien qu’en fin de compte la densité n’est pas supérieure à 20000 habitants au kilomètre carré, tout en dépassant néanmoins sans aucun doute les 14 000 habitants au kilomètre carré du Grand Londres.
Nous avons lu une brillante description de l’édifice que Le Corbusier a conçu et fait construire à Marseille sous sa direction. L’auteur de l’article a quelques formules efficaces. Ainsi lorsqu’il dit que dans les 330 cellules destinées à 1 600 locataires « l’espace est plus précieux que l’uranium », ce n’est pas une caricature, mais une manière cohérente de rapporter les doctrines corbusiennes : « Le Corbusier anticipe avec ses constructions le futur radieux de l’humanité qui n’a pas de terre pour s’étendre à son aise ». « Son architecture est une lutte angoissée contre le superflu, une course anxieuse vers la conquête d’espace pour la vie ».
Cependant, plus que les impressions et les jugements de valeur qui peuvent être influencés par les préjugés de celui qui écrit, ce qui compte pour nous, comme nous le disions, ce sont les chiffres. Et c’est ici – et non dans la question des rapports classe-parti qu’ils comprennent de travers – que certains peuvent apprendre ce que veut dire la transformation de la quantité en qualité. Le principe de la surexploitation de l’espace aboutit à ces tendances extravagantes : superposer l’espace vert des jardins urbains (et demain, pourquoi pas, celui des champs de blé et de pommes de terre), les voies de communication et l’aire couverte des édifices, verticalement, sur un seul et même espace.
Verticalisme, tel est le nom de cette doctrine difforme ; le capitalisme est verticaliste. Le communisme sera « horizontaliste ». Pour la dictature impériale, Caïus Julius avait conseillé de couper les têtes « des plus hauts coquelicots » [gros bonnets], pour la dictature prolétarienne il conviendra de faire de même avec les têtes mais aussi avec les hautes constructions. Nous pouvons respecter un Michel-Ange ou un Bernin, voire des bourgeois comme Eiffel ou Antonelli, mais certainement pas ce « démocrate de Jeanneret.
Hommes ou sardine ?
Donc, le premier prototype de ce qui n’est plus une maison mais une unité d’habitation, et qui devrait devenir un quartier adossé à un relèvement de terrain dans l’ensoleillée et méditerranéenne Marseille, repose sur 36 piliers nus, sous lesquels, étant donné qu’il n’y a pas de murs au rez-de-chaussée, passent la rue et un « jardin ». Les crétins en sont abasourdis, mais techniquement, cette « réalisation » (le grand mot des réactionnaires, pour qui chaque chose existe prius in intellectu, d’abord dans les têtes, plus ou moins tordues, et ensuite in facto, autrement dit dans la vile et passive matière) est à la portée de n’importe quel bon maître-maçon qui a en poche un manuel de 100 pages (le maître-maçon étant, lui, respectable). Ce rectangle posé sur ses 36 piliers, nous l’évaluons à 800 mètres carrés environ : si quelqu’un y trouve à redire, qu’il nous envoie le plan et l’élévation. Au-dessus de la hauteur, vide, du rez-de-chaussée, on a non pas neuf étages, mais neuf routes ou couloirs, sur lesquels donnent les appartements-cellules, où chaque décimètre cube est étudié de manière à servir de meuble, d’ustensile et, en dernier lieu, d’espace à l’usage de l’habitant, lequel doit bien se garder de dépasser les mesures du plan. Nous aussi, nous sommes tentés de faire de l’ironie en décrivant la salle opératoire prévue pour retailler les individus trop longs ou trop larges…
Les cellules sont donc au nombre de 330 sur neuf étages, destinées à 1600 habitants soumis à un règlement sévère pour l’utilisation de l’espace individuel et des espaces communs. Ne nous étendons pas sur les aspects de l’installation et de la vie des habitants de cet ouvrage, que le journaliste cité plus haut s’amuse à appeler pénitencier doré, grande baraque grise, et vaisseau fantôme. Retenons ce chiffre : d’après le projet, il y a 1 600 habitants. Faire tenir 1600 crétins sur 800 mètres carrés cela signifie être descendu de 10 mètres carrés couverts par habitant à un demi-mètre carré ! Mais soyons prudents, et supposons que les unités ne seront pas toutes des unités d’habitation, qu’il y aura des unités affectées au travail et aux services publics et que donc l’habitant occupera un espace d’un mètre et demi (entendons-nous bien : il y a neuf étages, pour parler selon l’ancienne manière, et dans l’habitation elle-même chacun a pour bouger, lui et les divers meubles et appareils, environ 5 mètres carrés – la dimension d’un petit débarras). On pourrait arriver ainsi à 650 000 personnes au kilomètre carré, mais si on compte 30 pour cent pour les rues et les places – en supposant que la lumière artificielle et l’air conditionné ne permettront quand même pas de mettre les divers parallélépipèdes directement en contact l’un avec l’autre, en bouchant entrées et fenêtres -on descend à 400.000 habitants au kilomètre carré Si on prévoit même de vastes espaces vides et des parcs, Le Corbusier, excellent entasseur, aura quand même réussi à faire tenir 200.000 bipèdes sur un kilomètre carré.
La nature a donc donné à l’espèce humaine assez de terre pour que nous soyons vingt au kilomètre carré.
La civilisation et l’histoire ont voulu, elles, que dans les nations avancées on commençât à se serrer dix fois plus : disons quand même qu’on peut parler de progrès.
Mais le type urbain d’organisation a établi que les hommes les plus riches et les plus avancés en culture et en sagesse se réuniraient dans les villes, où ils seraient mille fois plus à l’étroit !
La manie capitaliste d’amasser les hommes-sardines ne s’est pas arrêtée là ; les Le Corbusier, qui se bouchent volontairement les yeux, nous ne disons pas sur les déserts inhabités comme il peut y en avoir au Canada ou en Australie, mais sur les étendues de champs aux moissons verdoyantes qui seuls sont à l’origine de cette vie à la plénitude de laquelle ils prétendent pourvoir, veulent en entasser encore au moins dix fois plus. En faisant ainsi subir aux vivants une densité dix mille fois supérieure à la moyenne de la terre, peut-être pensent-ils que de tels rapports contribueront à la multiplication des fourmis humaines !
Celui qui applaudit à de telles orientations ne doit pas seulement être tenu pour un défenseur de doctrines, d’idéaux et d’intérêts capitalistes mais pour un complice des tendances pathologiques du stade suprême du capitalisme en putréfaction et en dissolution, qui, à force de faire l’apologie de sa science et de sa technique et à force de vanter leur aptitude à vaincre tous les obstacles, fonde les villes sur leurs propres excréments (comme disait Engels) et entend organiser la vie des hommes de manière si « fonctionnelle » que l’habitant de ce système ultra-rationnel finira par ne plus distinguer la baignoire de l’égout.
La lutte révolutionnaire pour la destruction des épouvantables agglomérations tentaculaires peut être ainsi définie : oxygène communiste contre cloaque capitaliste. Espace contre ciment. La course à l’entassement n’est pas due au manque d’espace. Malgré la prolificité humaine, fille elle aussi de l’oppression de classe, l’espace abonde partout. Ce qui provoque la course à l’entassement, ce sont les exigences du mode de production capitaliste qui inexorablement pousse toujours plus loin sa prospection du travail dans des masses d’hommes.
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L’économie sur le « capital constant »
Comme nous n’écrivons pas pour nous plonger dans l’ivresse de l’esprit créateur mais parce que nous sommes au service d’une œuvre de parti, il nous faut comme d’habitude faire une pause pour prouver que nous ne sommes pas en train de lancer un discours nouveau, ni même de découvrir une nouvelle loi de l’histoire, mais que nous marchons fermement sur les traces de la doctrine établie. Après avoir décrit dans le Livre I du Capital le procès de production capitaliste qui, tout en étant situé dans le cadre plus vaste de l’histoire et de la société, présente avant tout le rapport de classes entre capitalistes et ouvriers à l’intérieur de l’entreprise, après avoir étudié dans le Livre II la circulation du capital, autrement dit sa reproduction grâce à cette partie des marchandises fabriquées qui ne va pas à la consommation directe mais constitue les instruments de la production ultérieure, Marx étudie dans le Livre III, qui est inachevé, « le mouvement du capital considéré comme un tout », qui conduit aux « formes concrètes », telles qu’on les rencontre réellement dans la société, dans « l’action réciproque des divers capitaux, dans la concurrence et dans la conscience ordinaire des agents de la production ». L’exposé devait finir, à l’évidence, par des chapitres où aurait été traitée, comme nous l’avons souvent dit, la question de l’action « politique » des classes en lutte et de la conscience de l’action de classe, en tant qu’effet et superstructure finale de tout le reste. Dans le chapitre V du Livre III, avant d’établir la loi de la chute tendancielle du taux de profit moyen, Marx étudie un point de première importance : L’économie dans l’emploi du capital constant.
Dialectiquement (c’est l’un des points que Staline a mal rapportés, sinon mal vus, dans son fameux texte), le capital, comme chaque capitaliste, fait tout pour élever son profit et donc également le taux de son profit. Ce n’est que si elle voulait ou pouvait s’opposer aux découvertes et aux inventions qui augmentent la productivité du travail humain, que la société capitaliste réussirait à éviter la chute du taux de profit, en accroissant démesurément le nombre des prolétaires exploités sans que la consommation augmente continuellement (cf. Dialogue avec Staline, troisième journée). Mais ne pouvant faire cela, le capital lutte avec d’autres moyens pour retarder et freiner la chute du taux de profit, une chute que l’accumulation et la concentration rendent néanmoins tout à fait compatible avec l’augmentation illimitée de la masse totale des profits et du profit de chaque entreprise.
Dans chaque entreprise le profit du capital est donné par la différence entre le prix de vente de toutes les marchandises produites (en un an, par exemple) et leur coût, ou coût de production. Le capital cherche donc à vendre à un prix élevé et à réduire les coûts de production. Plus loin, Marx traitera de l’effet des variations des prix de marché ; pour le moment, il traite des coûts de production.
Dans la théorie marxiste, le coût de production se divise en deux parties : le capital variable, qui est la dépense avancée pour tous les salaires et traitements, et le capital constant, c’est-à-dire les sommes dépensées pour acquérir les matières premières et assurer en permanence le bon fonctionnement des installations, des machines, etc. Nous ne parlons pas ici du moyen évident d’accroître le profit qui consiste à abaisser les salaires, et d’ailleurs ce n’est pas là la tendance générale du capitalisme, du moins dans la période qui suit les décennies d’exploitation la plus féroce. Historiquement, le salaire de l’ouvrier augmente en chiffres courants et même en valeur constante exprimée en monnaie non dévaluée, par exemple en lires ou en dollars de 1914 ; mais si on le mesure en temps de travail social moyen, il diminue, même si le niveau de vie ouvrier a augmenté, parce que l’accroissement de la productivité du travail, sur le plan technique, a fait baisser la valeur, sinon le prix, de toutes les marchandises que l’ouvrier consomme. Mais ceci est une question que nous aborderons plus tard.
Pour le moment, supposons que le prix de vente et le prix des salaires restent inchangés : il est évident que le capital va s’efforcer de réduire le coût de la partie constante du capital dépensé. Non seulement il existe divers moyens d’atteindre cet objectif, mais c’est une tendance décisive de l’économie capitaliste que d’aller dans ce sens.
Marx laisse de côté un premier moyen : l’allongement de la journée de travail à salaire égal (et même si le salaire augmente en proportion, ou encore si les heures supplémentaires sont payées plus cher). Dans ce cas en effet, si l’on n’économise pas, évidemment, sur les matières premières, on fait des économies dans l’utilisation des machines et des bâtiments en abrégeant la durée de la « rotation », c’est-à-dire la durée du cycle de production qu’ils permettent d’effectuer. Notons qu’un moyen auquel le capitalisme recourt fréquemment pour obtenir une telle économie est d’instaurer des tours de travail continu, ce qui en plus, par exemple en empêchant le refroidissement des fours, fait gagner des calories, et donc du profit.
Parasitisme en trois personnes
Mais même en supposant que les ouvriers réussissent à refuser tout accroissement, même rétribué, du temps de travail, il existe trois autres moyens pour diminuer la dépense de capital constant :
1° – Agrandir ou regrouper les entreprises. Le fait même d’associer des travailleurs auparavant isolés – même si aucune modification n‘est apportée à la technique du travail – aboutit à une énorme économie : construction d’un lieu de travail unique, économies sur l’éclairage, le chauffage, et autres frais généraux, etc. Ainsi, même si les outils manuels restent les mêmes, d’innombrables petites forges disséminées représentent une énorme dispersion de chaleur par rapport à une seule grande forge servie par une armée de forgeurs ; et l’on peut penser à des centaines d’autres exemples. « Toutes ces économies, qui tirent leur origine de la concentration des moyens de production et de leur utilisation massive, supposent comme conditions essentielles l’entassement des ouvriers et leur coopération, donc une combinaison sociale du travail. Partant, elles découlent du caractère social du travail tout autant que la plus-value est issue du surtravail de chaque ouvrier individuel, pris en soi, isolément ».
2° – La récupération des rebuts, des déchets de toute production, qui deviennent ainsi matière première pour d’autres transformations (sous-produits) dans la mesure où ils sont désormais disponibles en grande quantité, alors que dans le cas de la petite production ils étaient purement et simplement jetés. Voilà une source d’économie sur les dépenses de production, et donc une source de profit capitaliste qui elle aussi résulte uniquement du caractère social pris par le travail.
3° – Le perfectionnement technique dû aux nouvelles inventions, à l’introduction de nouvelles machines, etc., dans les entreprises d’autres secteurs qui produisent à un prix inférieur les matières premières, les machines, les installations nécessaires à l’entreprise en question. Un progrès dû au fait même de la production en masse, qui stimule l’intelligence humaine et l’incite à résoudre des problèmes techniques que la petite production ne se posait même pas car elle n’en avait pas besoin, produit donc, ici encore, un bénéfice, non pas social, mais à l’avantage du capital. « Ce dont le capitaliste tire profit dans ce cas, c’est encore d’un gain qui résulte du travail social, même s’il n’est pas le produit des ouvriers qu’il exploite lui-même directement. Ce développement de la productivité du travail s’explique toujours en dernière analyse par le caractère social du travail mis en action ; par la division du travail à l’intérieur de la société ; par le développement du travail intellectuel, notamment des sciences de la nature. Le capitaliste profite, dans ce cas, des avantages de tout le système de la division sociale du travail. C’est le développement de la force productive du travail dans un secteur extérieur, celui qui lui fournit des moyens de production, qui fait subir au capital constant employé par le capitaliste une baisse de valeur relative et donc provoque une augmentation du taux de profit » (*).
C’est sur ces citations essentielles qu’il faudrait inviter à réfléchir les camarades, même parmi les meilleurs, qui réduisent l’antagonisme des intérêts au simple duel entre le capitaliste et son ouvrier, au salaire plus ou moins élevé qu’il lui paye, et qui enferment ainsi cet antagonisme dans le cadre de l’entreprise tout au plus. L’antagonisme entre les classes sociales se fonde en fait sur une tout autre appropriation : celle que le capital réalise sur une échelle bien plus vaste en s’emparant, au profit de sa propre domination, de tous les fruits de l’amélioration du rendement social, qui résulte de la combinaison des travailleurs et de la diminution du temps de travail moyen contenu dans les produits. Si l’on supprimait la plus-value directe, l’ouvrier pourrait ne travailler que 6 heures au lieu de 8 ; mais si l’on tient compte de l’augmentation du rendement social, avec l’élimination de tout le gaspillage dû autrefois à la production parcellaire, et les grandioses inventions techniques, on ne devrait travailler qu’une heure par jour.
Où il faut frapper
C’est justement le domaine de la plus-value qui sera enlevé au capitaliste, mais sans être pour autant donné à l’ouvrier, car il devra, avec elle, contribuer aux services généraux. La conquête ne se situera donc pas là, mais dans l’organisation sociale : celle-ci ne sera plus orientée vers le profit du capital, mais vers l’amélioration des conditions d’existence du travail vivant. Dans la société socialiste, en vérité, le travailleur fournira seulement à la société un juste « surtravail » ; son « travail nécessaire » sera réduit en raison de l’augmentation de la puissance technique, en raison des dix esclaves d’acier dont chacun d’entre nous pourrait disposer aujourd’hui, alors qu’il y a un siècle nous n’en avions aucun.
Aujourd’hui au contraire, le système capitaliste considère que toutes ces ressources infinies sont inhérentes au capital, qu’elles sont des vertus propres au capital et que le travailleur est complètement étranger aux conditions de réalisation du travail. Le capitaliste, comme les marxistes imparfaits, voit dans le montant du salaire « la seule transaction » entre lui et son ouvrier. Celui-ci n’aurait donc pas à s’intéresser aux économies faites sur le capital constant, mais uniquement à celles que l’on tenterait de faire sur le capital variable, sur l’argent dépensé pour son mois. En fait, pour économiser sur tout, le capital économise avant tout sur la sécurité et l’hygiène des conditions humaines du travail. Ce qui nous reconduit à notre thème : ville et campagne, ciment et espace, égout et oxygène. « Cette économie va jusqu’à bourrer d’ouvriers des pièces étroites et malsaines, ce qui, en langage capitaliste, s’appelle économiser des bâtiments ; entasser des machines dangereuses dans le même local et négliger les moyens de protection contre le risque d’accident ; ne pas prendre de mesures de sécurité dans les procès de production insalubres de par leur nature ou périlleux comme dans les mines, etc. Sans parler de l’absence de toute installation pour rendre humain, agréable ou seulement supportable à l’ouvrier le procès de production. Du point de vue capitaliste, ces dépenses constitueraient un gaspillage inutile et déraisonnable. En dépit de sa ladrerie, la production capitaliste est d’ailleurs fort gaspilleuse de matériel humain, tout comme d’ailleurs, par sa méthode de répartition des produits par le commerce [ohé, Moscou, vous entendez ?] et sa façon d’organiser la concurrence, elle dilapide énormément de moyens matériels, perdant d’un côté pour la société ce qu’elle gagne de l’autre pour le capitaliste individuel ». De ce puissant chapitre du Capital, d’essence programmatique (à ne pas lire chez le coiffeur où il vaut mieux réclamer le dernier numéro de Sélection), nous ne citerons maintenant que la conclusion : « Tout établissement fondé sur de nouvelles inventions [entraîne des frais bien plus élevés] si on les compare à ceux d’établissements ultérieurs surgissant sur ses ruines. Cela va si loin que les premiers entrepreneurs font souvent faillite et que ce sont seulement leurs successeurs, à qui échoient à bon compte, bâtiments, machines, etc., qui font fortune. De là vient que ce sont la plupart du temps les capitalistes financiers les plus nuls et les plus minables qui tirent le plus grand profit de tous les nouveaux développements du travail général de l’esprit humain et de leur utilisation sociale par la combinaison du travail ».
Telle est la description, digne du ciseau de Michel-Ange, et faite par avance, de ce siècle maudit qui déroule ses fastes dans le culte de la bête triomphante.
AUJOURD’HUI
Inflation de techniques
Si de petites lois réformistes ont changé quelque chose dans l’organisation de l’usine en imposant au capitaliste certaines dépenses de sécurité, qu’il récupère au centuple par ailleurs, le concept de Marx cité plus haut est particulièrement efficace si on l’applique à l‘ « urbanisme ». Économiser les faux-frais, c’est le motif criminel que le capitaliste fait régulièrement valoir avec suffisance, et auquel fait écho la stupidité des opposants de carton-pâte payés pour jouer le même air ; pour économiser les faux frais, on entasse à côté des grandes villes, dans les grandes villes mêmes, au milieu des habitations dont la densité croît à un rythme effréné et des usines fréquemment collées à ces habitations ou « entourées » par elles du fait de la croissance incessante de la population et de l’urbanisation, des dépôts de substances nocives, d’explosifs et d’engins de guerre, à cause surtout de l’accumulation dans les zones urbaines des gares de triage et de dépôt, des ports, des aéroports et autres services. Les accidents qui en résultent font partie de la chronique quotidienne, une chronique qui prend une tournure particulièrement sadique en ce début d’année 1953 où l’on a enregistré toute une série de catastrophes qui malheureusement ne s’arrêteront pas là. Cette situation est favorisée par la légèreté et le je-m’en-foutisme des bureaucraties techniques qui s accroissent de façon effrayante d’une guerre à l’autre. D’ailleurs la guerre elle-même ne paraît plus si dangereuse lorsque la production et la vie sont déjà sanglantes. L’on ne comprend pas que la seule mesure pour contrecarrer cette tendance est de décongestionner, d’interposer entre les différents services des distances plus grandes et, pour le moins, de stopper l’implantation de nouveaux monstres au cœur des centres habités et des zones industrielles. La leçon des bombardements en tapis et des coventrysations n’a vraiment servi à rien.
Le capital libéra les serfs que le féodalisme clouait à la terre ; mais si le servage était un grave affront à la dignité humaine, c’était en revanche une excellente formule, par exemple, pour maintenir uniforme la densité territoriale en France. Les serfs étaient forcés de rester sur place, mais en des lieux où ils pouvaient manger et dormir et avoir de l’espace autant que nécessaire. L’urbanisation répondit aux exigences de l’extension des manufactures et de la conquête historique du « travail associé ». Tant que le lieu de production consistait en un immense local avec un poste pour chaque artisan, il est clair qu’il n’y avait rien d’autre à faire et que l’entassement d’innombrables ouvriers dans un espace réduit, pour travailler, habiter et vivre, permettait de produire une richesse bien plus grande. Quand on eut donné au salarié un niveau de vie dépassant d’une miette celui de l’artisan et du paysan, la masse énorme du bénéfice servit avant tout à agrandir et embellir les villes : alors que dans l’ancien régime un palais royal suffisait, dans le nouveau régime la classe dominante eut besoin d’une centaine d’endroits différents pour effectuer ses opérations et pour se divertir.
Mais les innombrables inventions techniques qui ont suivi n’ont certainement pas conduit par la suite à l’entassement d’une quantité toujours plus grande de travailleurs dans peu d’espace. Bien au contraire. Si nous cherchions un indice de « densité technologique », déterminé par le nombre d’ouvriers qui doivent être réunis en un lieu donné pour une production donnée, nous verrions que la loi générale est une tendance à la diminution de cette densité.
Dans l’industrie mécanique, l’utilisation de machines automatiques ou actionnées à distance par un nombre très réduit de techniciens qui manœuvrent des tableaux de commande a permis de simplifier une quantité énorme d’opérations qui autrefois étaient exécutées par des groupes de travailleurs manuels et par une gamme d’ouvriers spécialisés. En proportion, la superficie des usines Fiat a augmenté bien plus que le nombre des ouvriers, et l’augmentation de la production a été plus grande encore. Marx avait déjà pu décrire la révolution qui suivit le remplacement du métier manuel par le métier mécanique dans l’industrie textile, qui entraîna une chute brutale du nombre des travailleurs pour une même quantité de fuseaux. Dans la minoterie, on a aujourd’hui des moulins mécaniques où tout l’outillage obéit à un seul opérateur, depuis le déversement du blé dans les trémies jusqu’à la sortie des sacs de farine. Et ainsi de suite.
Même sur la terre arable, quand le tracteur remplace la bêche ou la charrue tirée par des bêtes, il y a une baisse énorme du nombre des paysans pour une même ferme et pour une même superficie de terrain cultivé.
Enfin on peut donner un autre exemple tiré de la navigation. A l’époque des trirèmes et des galères, un navire de quelques dizaines de tonneaux contenait plus d’une centaine de rameurs, esclaves ou prisonniers, enchaînés aux bancs. Aujourd’hui, un personnel beaucoup plus réduit, inférieur en nombre même au personnel des voiliers les moins anciens, suffit à la propulsion et à la manœuvre d’un transatlantique de 5 000 tonnes.
Coordonner, pas étouffer !
Ce qui est acquis avec les inventions et l’augmentation énorme de la productivité du travail, c’est la coordination de nombreux travailleurs, mais le bestial entassement au coude à coude n’a plus de raison d’être. Cela est même vrai pour la guerre ! Du reste Fourier et Marx n’avaient pas tort de qualifier de bagnes les fabriques, auxquelles de prétendus défenseurs des ouvriers ont entonné depuis des hymnes stupides, en les idéalisant comme l’antithèse de la production rurale qui, certes, torture (même dans ses formes anciennes) les muscles, mais qui au moins n’intoxique pas les poumons et le foie.
Les formes de production les plus modernes, qui utilisent des réseaux de stations de tout genre, comme les centrales hydroélectriques, les communications, la radio, la télévision, donnent de plus en plus une discipline opérationnelle unique à des travailleurs répartis en petits groupes à d’énormes distances.
Ce qui est acquis, c’est le travail associé, avec ses enchevêtrements de plus en plus vastes et merveilleux, tandis que la production autonome disparaît de plus en plus. Mais la densité technologique que nous avons évoquée diminue sans arrêt. Si l’agglomération urbaine et productive subsiste, ce n’est donc pas parce qu’elle permettrait de réaliser la production dans les meilleures conditions, c’est à cause de la permanence de l’économie du profit et de la dictature sociale du capital.
Quand, après avoir écrasé par la force cette dictature chaque jour plus obscène, il sera possible de subordonner chaque solution et chaque plan à l’amélioration des conditions du travail vivant, en façonnant dans ce but ce qui est du travail mort, le capital constant, l’infrastructure que l’espèce homme a donnée au cours des siècles et continue de donner à la croûte terrestre, alors le verticalisme brut des monstres de ciment sera ridiculisé et supprimé, et dans les immenses étendues d’espace horizontal, les villes géantes une fois dégonflées, la force et l’intelligence de l’animal-homme tendront progressivement à rendre uniformes sur les terres habitables la densité de la vie et celle du travail ; et ces forces seront désormais en harmonie, et non plus farouchement ennemies comme dans la civilisation difforme d’aujourd’hui, où elles ne sont réunies que par le spectre de la servitude et de la faim.
(*) Dans ses «Problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S.», Staline soutenait qu‘il était faux que «la loi du taux moyen du profit» (sic) soit «la loi fondamentale du capitalisme actuel», car «l‘actuel capitalisme de monopole ne demande pas le profit moyen, mais le maximum de profit». En conséquence, la «loi fondamentale du capitalisme actuel» devenait celle du «profit maximum». La thèse de Staline (qui trahit une piètre compréhension de la théorie marxiste), a été réfutée dans notre texte «Dialogue avec Staline».