Hier
Selon la pensée libérale bourgeoise, la religion ne devrait pas être une affaire politique, l’État démocratique devrait admettre toutes les opinions religieuses et traiter de la même manière les citoyens de toute croyance. Mais, de la religion comme affaire idéologique on passe au culte, affaire d’actes collectifs et publics, et à l’église, organisation associative dotée de hiérarchies et de rouages solides, d’une tradition forte et d’une discipline stricte. Cet organisme déclare ouvertement s’occuper non seulement de la foi et de la prière, mais aussi du comportement et des actions des hommes, lesquelles sont jugées, interdites ou approuvées, et de ce fait il est impossible de distinguer entre action et comportements individuels et collectifs, privés et publics.
Cette formule utopique d’un État neutre en matière de foi religieuse et d’une Église neutre en matière de politique intérieure et internationale, formule contredite de façon criante par les siècles d’histoire de chaque nation, n’a jamais pu satisfaire la bourgeoisie elle-même. Tout le monde sait que, pour parvenir au pouvoir, elle a dû vaincre la résistance déclarée de l’appareil ecclésiastique qui, au Moyen-Age, revendiquait le droit de distribuer les charges publiques, d’investir et de couronner rois et empereurs. La lutte pour la révolution libérale fut avant tout une lutte contre les églises et aussi, tant qu’elles se montrèrent intransigeantes, une lutte contre le principe religieux lui-même. Les libéraux naquirent athées, puis, au fur et à mesure que la classe qu’ils représentaient détenait le pouvoir de manière durable et devenait conformiste, ils admirent la religion mais conservèrent plus ou moins longtemps leur anticléricalisme originel, spécialement dans les pays catholiques et surtout en Italie.
Là, l’église non seulement voulait, comme partout, intervenir dans les affaires de l’état, mais elle était elle-même un état et gouvernait le territoire romain. Le libéralisme italien voulait conclure la longue lutte qu’il a menée pour lui ôter le pouvoir temporel par des formules du type: l’église libre dans l’état libre et la religion catholique religion d’État, tout en tolérant les autres cultes. Pendant longtemps, le Vatican refusa les termes du compromis.
La position du prolétariat et de sa théorie, le marxisme, est très claire en la matière. En plaçant dans l’économie et les faits sociaux la base des luttes politiques et des idéologies qui en sont le reflet, elle considérait pleinement la religion comme un fait politique et une idéologie dérivé de la même façon de la base sociale, elle traitait les différentes églises comme des organisations politiques qui, de plus, ont des fonctions toujours solidaires avec les résistances des classes dominantes, même dans les périodes historiques où les reflets des rebellions sociales durent prendre le visage de schismes religieux (on pourrait citer en exemple la naissance-même du christianisme et le mouvement de la Réforme).
En plus de la critique théorique qu’il fit de toute interprétation religieuse de la nature (que la pensée bourgeoise avait déjà tenté) et des rapports sociaux et historiques, le socialisme reconnut partout dans la religion et dans l’église des forces qui, dans la lutte contre la bourgeoisie, seraient directement et intégralement alliées avec celle-ci.
Malgré cela, dans beaucoup de pays et spécialement en Italie, on évalua de façon erronée les survivances de l’anticléricalisme bourgeois de type maçonnique: cela déboucha sur la tactique des alliances de bloc et, en intervertissant le processus de conversion des forces les plus puissantes du capitalisme de la lutte contre l’église à l’alliance avec elle, sur l’illusion de la lutte d’une bourgeoisie anticléricale avancée contre les couches rétrogrades et réactionnaires, alors que la tendance politique la plus réactionnaire qui est en circulation depuis des décennies est justement, à la lumière de la véritable critique marxiste, le libéralisme maçonnisant complètement dépassé et décrépit.
Cette méprise et la ruineuse nostalgie d’une lutte démocratique de bloc ont tout envahi à nouveau lorsque Mussolini réalisa, avec le traité du Latran, la paix en Italie entre le capitalisme moderne et l’organisation religieuse.
Aujourd’hui
Il est devenu évident qu’il s’est agi d’un rapprochement définitif entre les deux forces politiques parallèles de l’État capitaliste et de l’église, étant donné qu’aucun des partis qui ont contrecarré le fascisme et lui ont succédé au pouvoir n’a proposé ou ne propose l’abandon de cette conciliation.
le processus qui y a conduit a commencé sous Giolitti avec l’intervention des catholiques dans la lutte politique pour faire face au socialisme révolutionnaire; il s’est développé ensuite avec la naissance du parti populaire qui collabora au début avec ce fascisme dont personne ne prenait au sérieux certaines de ses attitudes anti-curés et le passage à l’huile de ricin de quelques prêtres considérés comme neutralistes, c’est-à-dire (quel étrange hasard) ennemis de ces puissances occidentales contre lesquelles le fascisme partit par la suite en croisade… Le processus de conciliation en question s’est perfectionné après la période fasciste et la guerre, avec la formation de la démocratie chrétienne qui fut reconnue comme magna pars (partie importante) de cette grosse ânerie qu’on appelle la résistance, acceptée comme alliée syndicale et de gouvernement par nos prétendu communistes et socialistes, et finalement installée à un pouvoir quasi exclusif.
Que toutes les idéologies en faillite de la pitoyable bourgeoisie italienne convergent dans ce fatras indigne, est démontré par le fait qu’on retrouve malgré tout dans ce gouvernement, apprécié hautement par le Vatican autrefois bombardé régulièrement à coups de canon rhétoriques, des partis directement engendrés par les blocs maçonniques ou libéraux, républicains mazzinistes et socialistes ultra-droitiers. Il y a donc de quoi rire lorsque, dans la même journée, le chef catholique du gouvernement a fait visite au Pape pour célébrer l’anniversaire de la pacification mussolinienne et que pendant ce temps on fêtait également le centenaire de la très bourgeoise, certes, mais étant donné la situation de l’époque, très radicale république romaine qui chassa pour un temps de l’Urbe Église et État pontificaux (et dire que Pie IX avait tout d’abord joué la carte libérale et constitutionnelle!). Le pape est pape et roi, et donc à abhorrer trois fois! – déclamait le bourgeois italien, le bourgeois le plus dégonflé de l’histoire; pourtant, il leva ses mains sacrilèges sur sa personne sacrée, et, après cent ans d’un cycle glorieux, ayant préservé avec des fastes partisans les loges et les sacristies, il fondait ce chef d’œuvre de la république (toute romaine) vaticano-kremlino-quirilinesque, héritière légitime de la solution historique donnée par le fascisme à la vieille question des relations entre état et Église.
C’est pourquoi les staliniens sont les derniers à être en droit de s’indigner et de s’étonner de l’idylle avec le Vatican. Ils sont indignés à propos d’une seule chose, c’est de rester en dehors du pouvoir; ils ne sont en colère que parce que c’est leur heureux concurrent électoral, et non pas eux, qui est allé baiser la pantoufle. Non seulement, s’ils conquéraient le pouvoir légal de l’État bourgeois en Italie, ils n’en changeraient pas la politique ecclésiastique et religieuse, mais ils seraient également prêts à accepter des places dans un gouvernement de collaboration avec les catholiques, comme ils le postulent sans cesse.
Et même dans les pays où, pour des raisons contingentes, ils luttent politiquement avec les forces des églises, leur pulsion invétérée à changer de principes les conduit à soutenir dans la polémique qu’ils sont prêts à admettre la liberté religieuse pour une église qui ne ferait pas de politique et qu’ils ne combattent pas le clergé comme un allié nécessaire du capitalisme. Plus, ils iraient jusqu’à se fabriquer une religion et une église qui fassent leur politique.
L’imbroglio s’éclaircit lorsqu’on comprend qu’ils sont eux-mêmes des alliés du capitalisme.