1957

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSE n° 7 [a]


LA LUTTE DE CLASSE

Barta

29 janvier 1957


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LA COMMUNAUTE EUROPEENNE

Après force discussions, l'Assemblée Nationale a donné ces jours-ci un vote favorable à la "Communauté européenne", le dernier remède en date qui doit relever le capitalisme occidental affaibli par deux guerres mondiales et de plus en plus coupé de ses ex-colonies.

Cette "Communauté" viserait à supprimer les frontières et surtout les barrières douanières entre les principaux pays européens. La libre circulation des marchandises créerait un marché unique en Europe dont l'étendue et les possibilités permettraient un essor considérable de l'économie. L'exemple qui inspire les promoteurs du projet est celui des USA dont l'énorme territoire, qui s'étend sur presque tout un continent, peuplé de près de 200 millions d'hommes, a permis le développement de la première puissance industrielle du monde. Une fédération européenne sur le même modèle pourrait avoir une envergure comparable.

Mais, car il y a un mais, la différence c'est que l'économie américaine s'est développée dans ces conditions et que l'économie européenne l'a fait dans les conditions inverses. L'industrie s'est douillettement développée bien à l'abri des frontières nationales et des douanes dont les taxes étaient d'autant plus élevées que l'industrie en question était retardataire par rapport aux pays voisins. Supprimer les barrières douanières serait un bien pour le consommateur (les prix baisseraient d'autant), mais cela serait la faillite pour un grand nombre d'entreprises qui ne survivent que grâce au protectionnisme douanier. En France par exemple, la RNUR ne pourrait plus faire payer les pertes sur la Frégate par les acheteurs de la 4 CV, car il y aurait la concurrence de la Volkswagen, meilleure et moins chère.

Aussi la levée de boucliers a été grande contre le projet de cette "Communauté" et, au nom de l'intérêt général bien entendu, chacun y a apporté des restrictions de façon à tirer son épingle, c'est-à-dire sa boutique, du jeu. Et finalement le projet de "Communauté" dont l'Assemblée a adopté le principe, envisage une suppression progressive, en vingt ans, des taxes douanières en ne prévoyant que leur diminution pour le moment, sur certains produits seulement et par accords résiliables à tout moment, etc... La montagne a une fois de plus accouché d'une souris.

En réalité, l'économie européenne se trouvera effectivement renforcée par une réelle fédération à l'échelle du continent, mais la propriété capitaliste nécessite les barrières et les obstacles à la circulation des marchandises que sont les frontières et leurs douanes. Ce ne sont pas les capitalistes qui pourront renoncer d'eux-mêmes à leurs profits. Ce n'est pas d'hier que des économistes ont proposé cette solution d'une fédération européenne : depuis la guerre de 14-18, alors qu'il était clair que l'Europe ravagée perdait son rôle de premier plan au profit des Etats-Unis. Depuis la "Libération" que de projets n'avons-nous pas vus, ayant tous comme objet un marché commun, mais limités avant même d'avoir vu le jour et ligotés ensuite dans un tas de règlements les rendant inopérants (l'UEP, le Pool charbon-acier, le pool vert, le pool blanc, etc.). Pendant la dernière guerre, Hitler a occupé militairement toute l'Europe pendant quatre ans. Il n'a pu (sauf dans les territoires annexés par l'Allemagne) supprimer la moindre frontière ni la moindre barrière douanière. Tout au plus a-t-il pu aménager ces dernières dans un sens favorable à l'industrie allemande.

Les hommes de la bourgeoisie les plus clairvoyants voient bien où sont les solutions, mais ce n'est pas eux qui pourront les appliquer, car ces solutions sont incompatibles avec la propriété privée des moyens de production. Ce qu'ils feront peut-être c'est au nom de ces solutions, dans le cas présent au nom de la "Communauté européenne", prendre des mesures favorables à certains groupements capitalistes ayant des intérêts de chaque côté de certaines frontières. C'est aussi peut-être en libéraliser certains échanges pour pouvoir à tout moment faire pression sur certains secteurs et par là sur les salaires.

Il n'empêche que l'avenir est effectivement à une communauté européenne, sinon plus. Les frontières et les douanes sont autant d'obstacles qu'il faudra abattre. C'est la classe ouvrière qui en prenant les usines des mains des capitalistes et en les faisant fonctionner pour le bien de tous, réalisera une communauté des peuples d'Europe.


[*]

LE VRAI DANGER

Le Populaire a l'air très content des résultats du 2ème tour des élections législatives du 1er secteur de la Seine. 27 janvier 1957: "Nouveau succès socialiste, recul communiste, Poujade écrasé", insiste-t-il. C'est cependant Tardieu, candidat du très réactionnaire Frédéric Dupont, un des champions de l'"anti-communisme" et de la GUERRE A OUTRANCE EN ALGERIE, qui a été élu, loin devant les candidats du PCF (Montjauvis) et de la SFIO (Mireille Osmin) ! Mais cela n'a pas l'air d'inquiéter l'organe de Guy Mollet, qui se contente simplement de l'annoncer sans aucun commentaire presque en catimini.

Et pour cause, Tardieu appartient aux "indépendants", et les indépendants, Pinay en tête, sont actuellement le principal soutien de Guy Mollet à la Chambre des députés. Commenter comme il convient l'élection de ce fieffé réactionnaire serait pour Le Populaire se dresser violemment contre la politique de son propre dirigeant Guy Mollet.

"Poujade est définitivement écrasé", "il n'a plus qu'à aller au Canada", insiste en revanche l'organe "socialiste" heureux d'avoir tout de même contre qui faire valoir son "démocratisme". (Poujade n'a en effet recueilli que 20.000 voix contre 37.000 récoltées par son candidat en janvier 1956).

Comme tous les faibles Le Populaire prend ses désirs pour des réalités. Le fasciste Poujade serait en effet "définitivement écrasé" si son but c'était de gagner 51% des sièges à la Chambre ou s'il voulait être un parti d'extrême-droite    PARLEMENTAIRE. Mais Poujade est un chef de bandes fascistes organisées en vue de l'action directe, comme celles contre le siège du PCF, la Mutualité ou le Vel' d'Hiv'. Ce que les bandes ont perdu dans UN SECTEUR sur le terrain électoral, elles peuvent le retrouver demain sur d'autres terrains (action directe de l'UDCA et des "Unions parallèles", etc.). Leur échec relatif à la dernière élection ne peut d'ailleurs que les inciter à accentuer leur action terroriste. Donc, à supposer même que Poujade soit personnellement à jamais discrédité aux yeux de ses troupes – mais ce n'est qu'une supposition - LE POUJADISME DEMEURE. Le Populaire ne l'enterre si vite que pour essayer de cacher le danger qui menace les libertés démocratiques EN FRANCE MEME, du fait de l'action colonialiste des ministres "socialistes" en Algérie.

En effet, les Tardieu, les F. Dupont, les Pinay, seront les adversaires du poujadisme TANT QUE GUY MOLLET fera en Algérie LEUR politique de répression sanglante. Guy Mollet pourra-t-il la mener jusqu'au bout ?

Non. Guy Mollet ne pourra pas la mener jusqu'au bout ! Car la guerre en Afrique du Nord est maintemant arrivée à un stade où elle exige UN POUVOIR FORT à Paris même "c'est à Paris que nos soldats sont trahis" c'est avec ce slogan que Tardieu s'est fait élir....tandis qu'à Alger certains généraux ont pris carrément la voie de la rébellion contre le pouvoir civil (affaire du général Faure).

Non. Guy Mollet ne pourra pas la mener jusqu'au bout ! Car l'instauration d'un "pouvoir fort" (dictature militaire et policière) mettrait en danger l'existence de son propre parti. Et c'est pour cette raison, et nulle autre, qu'il a refusé de soutenir la demande de dissolution du PCF déposée par les indépendants et les modérés.

Mais si Guy Mollet ne peut pas aller jusqu'au bout d'une politique colonialiste qui en fin de compte exige la dictature en France même, que se passera-t-il ?

Il pourra alors se passer que la droite parlementaire et l'extrême-droite antiparlementaire, conjuguent leurs efforts vers l'instauration d'une dictature genre Pétain (Faure ou un autre) à défaut d'un Hitler (Poujade ou un autre).

C'est là le vrai danger. Le vrai danger c'est celui que la politique colonialiste de la SFIO en Afrique du Nord fait courir à la démocratie en France même, car la continuation de la guerre en Algérie ne pourra pas à la longue, ne pas unir contre le régime actuel tous les adversaires avoués et inavoués du mouvement ouvrier.


[a] Cette série de La Lutte de Classe, bulletin ronéotypé, a été éditée par le groupe Voix Ouvrière.
Barta collabora à sa rédaction. Les articles qui lui sont attribués avec certitude sont signalés par un [*].


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