1966

1966 - Préparation de la conférence du Comité International


Les problèmes du Parti Mondial de la Révolution et la reconstruction de la IVème Internationale

Voix Ouvrière

CERCLE LEON TROTSKY du 28 février 1966


INTRODUCTION

Depuis une dizaine d'années nous assistons à l'effondrement du monolithisme stalinien. Le conflit sino-soviétique, la politique de plus en plus pro-occidentale des Démocraties Populaires et leur éloignement de l'Union Soviétique, ont fait éclater la mystique qui entourait la politique de la bureaucratie du Kremlin. Dans les pays industrialisés l'opportunisme des P.C. apparaît au grand jour et ils mettent ouvertement au rencart le vocabulaire marxiste dont ils se paraient encore il y a quelques années. Dans les pays sous-développés leur faillite est encore plus éclatante. Dans certains pays tels l'Egypte, ils se dissolvent car la bourgeoisie nationale a complètement repris leur programme. Dans d'autres alors que les masses paysannes s'arment, ils crient à l'aventurisme et rêvent d'un parlementarisme impossible. Devant la trahison manifeste de ceux qui pendant des générations représentèrent aux yeux de millions d'hommes l'héritage du bolchévisme, il n'est pas étonnant que de plus en plus de nombreux militants se tournent vers l'œuvre de Trotsky pour y trouver des réponses aux problèmes de notre époque. Car les écrits de Trotsky n'ont pas vieilli et quiconque veut saisir ce qui se passe en URSS, en Hongrie ou à Cuba est obligé de s'y référer. Malheureusement, entre l'œuvre de Trotsky et les organisations qui s'en réclament il y a un hiatus énorme.

Ceux qui tournent leur regard vers la IVème Internationale, créée en 1938 par le fondateur de l'Armée Rouge et ses compagnons, n'aperçoivent qu'une multitude de petite groupes sans grande audience alors que, plus que jamais, à l'époque de crise où nous vivons, une Internationale Révolutionnaire, un Parti mondial de la révolution, serait nécessaire. Car ce n'est que par une Internationale que peut s'établir, tant sur le plan politique qu'organisationnel, la liaison dans la lutte de classe entre les militants révolutionnaires des pays industrialisés et ceux des pays industriellement sous-développés, entre ceux des pays impérialistes et ceux de l'URSS et des Démocraties Populaires. Et c'est parce que nous nous sommes toujours réclamés du programme de fondation de la IVème Internationale, et que nous sommes solidaires de la tentative actuelle de sa reconstruction entreprise par certains groupes ayant appartenu à cette organisation et qui ont reconnu sa faillite dont nous allons tenter ce soir d'analyser les causes qui ont conduit à l'échec de la IVème Internationale, afin de ne pas reconstruire la IVème Internationale telle qu'elle a échoué, mais d'oeuvrer ensemble à la construction d'une véritable Internationale révolutionnaire. Les organisations qui ont entrepris cette reconstruction sont essentiellement le groupe français qui édite "La Vérité" et "Informations Ouvrières" et la SLL anglaise qui sont groupées au sein du Comité International de la IVème Internationale.

Ce que nous allons traiter ce soir n'est pas tant les positions que nous défendrons dans cette entreprise, quoique nous y ferons allusion, mais surtout, ce sera la majeure partie de mon exposé, quelles furent dans le passé nos opinions vis à vis de la IVème Internationale et ce qu'elles sont à l'heure actuelle.

Quand à notre participation à la discussion qu'a entreprise le Comité International, nous en publierons la majeure partie dans la "Voix Ouvrière" ou éventuellement, dans des suppléments.

Tout d'abord nous écartons d'emblée l'explication que donnent certains, explication selon laquelle l'échec de la IVème Internationale serait dû à une insuffisance théorique. L'incapacité des militants trotskystes à construire des organisations révolutionnaires résiderait dans leur incapacité à mettre en équations un monde moderne différent de celui que connut Trotsky. Malheureusement, les groupes et individus qui ont voulu "dépasser" le trotskysme ont été incapables, non seulement de donner un semblant d'explication théorique cohérente de leurs conceptions mais aussi de construire quoi que ce soit. Certains ont d'ailleurs théorisé leur échec en abandonnant le marxisme faisaient ainsi d'incapacité vertu. D'autres ont regagné les places qu'ils n'auraient jamais dû quitter : celles de professeurs pour intellectuels de "gauche" s'intéressant aux ouvriers tout comme d'autres s'intéressent à l'entomologie. Nous ne pensons pas non plus être les derniers tenants d'une doctrine préhistorique — celle de la lutte des classes —. Les ultimes survivants d'une époque révolue, bons à mettre au réfrigérateur pour l'édification des générations futures. La disparition de la casquette ou de la blouse n'a pas plus entraîné la disparition de la classe ouvrière que celle des bottines à boutons n'entraîna l'extinction du patronat. Nous laissons ces théories fumeuses aux sociologues de salon pour qui le bonheur de l'homme se mesure uniquement en nombre moyen de calories, de chevaux vapeurs ou de longueurs d'ondes, indépendamment de leur répartition sociale. Pour nous, l'incapacité des militants trotskystes à construire une Internationale n'est pas due au trotskysme, héritier direct du bolchevisme, et seule doctrine capable de mener le prolétariat à la conquête du pouvoir sur toute la planète.

Notre originalité est d'être un groupe trotskyste n'ayant jamais appartenu à la IVème Internationale mais qui s'est toujours réclamé de son programme. C'est justement parce que nous n'étions pas dans la IVème Internationale que nous nous sentons d'autant plus le droit de nous revendiquer du programme qu'elle a maintes fois abandonné.

Nous tenons à réaffirmer notre attachement et notre fidélité au programme de fondation de la IVème Internationale, le Programme de Transition, qui est pour nous l'instrument indispensable peur guider notre combat. Ce programme synthétise tous les enseignements que le mouvement ouvrier a tiré d'un demi-siècle de lutte. Et ce programme ainsi que les autres textes de fondation de la IVème arme les organisations trotskystes comme aucune autre organisation ne le fut jamais. Qu'ils combattent dans les pays impérialistes, en URSS, dans le Tiers-Monde, les révolutionnaires peuvent en tirer un enseignement précieux. Et pour les révolutionnaires du XXème siècle il revêt la même importance que le Manifeste Communiste pour la période antérieure. Pour nous trotskystes, il ne peut exister de révolutionnaires conséquents qui ne s'appuient sur ce programme.

LA IVème EN FRANCE : DU P.O.I. AU P C.I. UN OPPORTUNISME CONSTANT

Mais ce n'est pas par plaisir que nous nous sommes tenus hors de cette organisation et que nous nous avons refusé, lors de l'unification des groupes trotskystes français en février 1944 de nous fondre dans le sein du P.C.I, qui venait de naître, ni comme nous en accusaient ces camarades à l'époque, nous n'avons pas non plus créé de toutes pièces des divergences pour justifier notre "autonomie" C'est pour des raisons politiques précises que nous rappellerons aujourd'hui.

Tout d'abord, des camarades pourraient s'étonner que nous remontions si loin. Cela tient simplement au fait que notre analyse commence dès la fondation de la IVème et se termine vers les années 1950, alors que d'autres camarades prennent la période 1952-1953 comme base d'analyse. Pour nous, à cette époque, la IVème Internationale avait cessé d'exister comme organisation d'avant garde révolutionnaire depuis plusieurs années.

Lorsque nos camarades quittèrent le P.O.I. (Section Française de la IVème Internationale) en 1939, ils voulaient se démarquer d'une organisation opportuniste. Il s'agissait pour eux de se délimiter d'un milieu petit bourgeois dont les pratiques organisationnelles étaient social-démocrates et non communistes. Mais il s'agissait à l'époque d'une critique de la section française et non de l'ensemble des organisations de la IVème Internationale.

La déclaration de guerre va voir l'effondrement complet de l'organisation française de la IVème internationale. Peu préparés à la clandestinité, un grand nombre de militants se retrouve en prison. Les organisations se démantèlent.

En juin 1940 , la grande majorité des éléments de la IVème Internationale, groupés dans les "Comités français pour une IVème Internationale" abandonnent complètement la position internationaliste en faveur d'un "front commun avec tous les éléments pensant français" et préconisent la création de comités de "vigilance nationale". Ces camarades faisaient paraître dans le "Bulletin du Comité pour la IVème Internationale"- N° 2 - 20 septembre 1940 - le rapport adopté au Comité Central du Comité pour la IVème Internationale à l'unanimité.

En voici quelques extraits :


"La bourgeoisie française s'est précipitée dans une impasse : pour se sauver de la Révolution elle s'est jetée dans les bras d'Hitler. Pour se sauver de cette emprise il ne lui reste plus qu'à se jeter dans les bras de la Révolution. Nous ne disons pas qu'elle le fasse de gaieté de cœur ; ni que la fraction de la bourgeoisie capable de jouer ce jeu soit la plus importante : la majorité des bourgeois attend en secret son salut de l'Angleterre, une large minorité l'attend d'Hitler. C'est à la fraction française de la bourgeoisie que nous tendons la main."


"Cependant notre politique sur ce plan doit être avant tout axée vers la fraction de la bourgeoisie qui se veut avant tout française, qui sent qu'elle ne peut attendre le salut de la France que des masses populaires, qui est capable de susciter un mouvement nationaliste petit bourgeois, capable de jouer la carte de la Révolution (de droite ou de gauche ou éventuellement de droite et de gauche)."


"Nous devons être les défenseurs des richesses que des générations de paysans et d'ouvriers de France ont accumulées. Nous devons aussi être les défenseurs de l'apport magnifique des écrivains et savants français au patrimoine intellectuel de l'humanité, les défenseurs de la grande tradition révolutionnaire et socialiste de la France...

b) Comités de Vigilance Nationale.
Il est nécessaire de créer des organes de lutte nationale. Les Comités de Vigilance Nationale peuvent être soit des organismes permanents, soit - et cette forme correspond davantage aux nécessités de la lutte nationale à l'étape actuelle forcément illégale - être des organismes temporaires..."


Des mots d'ordre : le nombre de mots d'ordre nationaux est infini. Nous essaierons seulement ici d'en mettre en relief quelques-uns.

"A BAS LE PILLAGE DES RICHESSES FRANCAISES.
Le b1é que les paysans de France ont fait lever, le lait des vaches qu'ils ont élevées ; les machines sans lesquelles nos ouvriers seront sans travail et sans pain ; le matériel de laboratoire qu'a construit le génie de nos savants, toutes ces richesses françaises doivent rester en France..."


"Retrait de la monnaie allemande ! Le peuple français veut créer par son travail de vraies richesses et non être précipité dans la misère de l'inflation."


Et pendant la guerre "La Vérité", qui s'intitulera successivement organe Bolchevik-Léniniste, organe Communiste-Révolutionnaire, organe Central des Comités Français pour la IVème Internationale, organe du P.O.I., organe du P.C.I., déversera jusqu'à la fin 1941 au nom du trotskysme une prose nationaliste, reprendra les mots d'ordre de Comités de Vigilance Nationale, proposera un rassemblement de tous les partis qui veulent défendre les masses. Voici à titre d'exemple quelques extraits de "La Vérité" :

VERITE N°2 - 15 SEPTEMBRE 1940
"L'office du b1é prévoit que 60% de la récolte française en céréales partirait pour l'Allemagne. Et le gouvernement ne dit rien. Est-il d'accord avec Hitler pour affamer les français ? Paysan, mon frère, oppose la résistance passive aux réquisitions ; ne vends ton blé que pour faire du pain aux femmes et aux enfants de France."

VERITE N°8 - 1er JANVIER 1941
"Tous ceux qui luttent contre l'oppresseur et qui ne sont pas ouvriers doivent comprendre que l'appui des forces ouvrières est vitalement nécessaire au succès de la lutte pour la libération nationale ; qu'on doit donc leur assurer un statut de travail qui les intéresse et à la défense et à la renaissance de la patrie dont ils constituent 1a force.
Que doit être l'Union Nationale ?
500 000 métallos anglais demandent l'adaptation de leurs salaires au coût de la vie. Ils soulignent que le prix des denrées alimentaires a doublé sans élévation correspondante des salaires. C'est en satisfaisant à cette juste revendication que le gouvernement anglais commencera à réaliser une véritable solidarité nationale contre l'impérialisme allemand, en répartissant équitablement les charges entre les diverses classes du pays, en défendant aussi les intérêts des ouvriers anglais."

VERITE N° 11 – 1er AVRIL 1941
(A propos de l'anniversaire de la Commune de Paris.)
"Nous savons comme nos devanciers de 1871 que nous aurons à prendre en mains la lutte pour l'indépendance nationale trahie par la bourgeoisie..."


Ce ne sont plus là des positions internationalistes, cela n'a plus rien à voir avec le trotskysme.

L'unification des différents groupes trotskystes (P.O.I., C.C.I., Groupe Octobre) eut lieu au début de 1944. On passa allègrement l'éponge sur la politique chauvine de 1940 ; tout était oublié ; mieux, on avait toujours eu raison. Dans un bulletin commun P.O.I.-C.C.I, de juillet 1943 on peut lire en substance :

Le P.O.I. n'a commis que la faute d'employer dans "La Vérité" certaines expressions dangereuses ; la position fondamentale a été non seulement juste, mais perspicace car le P.O.I. avait prévu dès 1940 la transformation du mouvement national en mouvement de classe.

Ainsi la trahison complète de l'internationalisme est qualifiée "d'expressions dangereuses" . C'est un euphémisme délicat qui recouvre malheureusement quelque chose qui l'est beaucoup moins. Et ces camarades écrivaient dans la déclaration d'unité parue dans "la Vérité" du 25 mars 1944 que depuis le début de la guerre :

"Ces organisations ont développé en conséquence une politique et une action internationalistes".

et plus loin :

"En ce moment décisif la IVème Internationale regroupe ses forces, corrige ses fautes, à travers une auto-critique "bolchevique"... "

Le texte faisant simplement allusion à

"des fautes épisodiques de tel ou tel groupement"...

En 1944, lorsque la Section Française de la IVème Internationale refusa non seulement de reconnaître ses erreurs mais prétendit avoir suivi une ligne correcte, il était évident que cette section n'avait plus rien de trotskyste. Comme il arrivera souvent par la suite, la Section Française inventera tout un arsenal théorique pour justifier une pratique opportuniste. On parlera d'un mouvement national en 1940, au XXème siècle, dans un pays impérialiste, on découvrira deux résistances distinctes, l'une bourgeoise, l'autre ouvrière. C'est ce qui fit écrire à nos camarades en février 1944 :

"Pour pouvoir - dans un texte exprimant la position officielle - transformer la trahison du mouvement de la IVème Internationale en un conte bleu de perspicacité bolchevique (hormis "quelques erreurs") il faut que le niveau idéologique du P.O.I. soit bien bas.
Il faut repousser avec dégoût les prétextes invoqués à la manière stalinienne par le P.O.I,, qui rejette ses fautes sur les "masses". De ce point de vue il est caractéristique que les organisations P.O.I. - C.C.I. attribuent l'effondrement des organisations de la IVème Internationale en France en 1939 à l'éclatement de la guerre, qui aurait isolé l'avant garde des masses. Tout révolutionnaire ayant fait son travail pendant la drôle de guerre sait que c'est là pur mensonge : tout au contraire, jamais le contact avec les masses ouvrières n'a été plus facile (et pas seulement avec les masses ouvrières) jamais les masses n'ont été plus disposées à accueillir la propagande révolutionnaire"…

Cette attitude de la section française révélait que tant sur le plan politique (cas de 1939) que sur le plan des principes (refus d'autocritique et justification à tout prix) l'opportunisme régnait en maître dans son sein. Car il ne s'agissait pas pour nous de refuser de s'unifier sous prétexte que la section française avait commis des erreurs, des fautes graves. Mais un certain nombre de militants de cette section reconnaissaient ces erreurs mais refusaient de les réexaminer pour ne pas nuire à la fusion. Cette attitude montrait que cette organisation n'avait plus rien de bolchevik et n'était plus en rien l'avant-garde qu'aurait voulu forger Trotsky. Et lorsque après la guerre, la IVème entérina la politique de la section française il était clair qu'elle était aussi opportuniste.

La guerre finie, la section française va continuer sa politique. Elle se caractérise sur le plan intérieur par le suivisme vis-à-vis du PCF. Au référendum du 21 octobre 1945 le PCI appelle à voter OUI pour que l'Assemblée soit Constituante. Il lance un appel au P.S. et au P.C. pour former des Comités de Défense de la Constituante, il demande que les députés soient éligibles et révocables à tout moment. Il veut ni plus ni moins "soviétiser" la Constituante bourgeoise. Il pratique alors une politique de critique de gauche du PCF mais absolument pas une politique révolutionnaire. Du nationalisme le plus notoire le PCI est tombé dans l'électoralisme le plus plat. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas ces camarades de regretter quelques mois plus tard "la persistance des préjugés parlementaires dans les masses".

Et au référendum constitutionnel de mai 1946, le PCI fera bloc encore une fois avec les partis soi-disant ouvriers, en faisant voter OUI à la Constitution.

Et leur argument était pour le moins étrange. en effet, on pouvait lire dans "La Vérité" du 28 avril 1946 :

"La Constitution prévoit 1'indemnisation des gros actionnaires des entreprises nationalisées, elle maintient l'oppression impérialiste des peuples coloniaux. Elle reconnaît comme inviolable la propriété privée des exploiteurs."

Mais il fallait voter OUI pour empêcher le triomphe de la réaction.

VERITE N° 120 - MAI 1946
"Le MRP ayant fait bloc avec les partis bourgeois contre les partis "ouvriers" en faisant voter "NON" au "référendum", il faut faire bloc avec ces derniers en faisant voter OUI pour empêcher que le plébiscite pour ou contre le PCF - PS tourne à leur désavantage"...

Sur le plan extérieur on assiste au même phénomène de suivisme des staliniens non plus seulement de la part de la section française mais de toute l'Internationale. L'Internationale était atteinte dans son ensemble et l'image de la section française n'était que le reflet fidèle des autres sections.

La Conférence d'Avril 1946 de la IVème Internationale si elle demandait le "départ immédiat des troupes d'occupation" (USA - France - Angleterre par rapport à l'Allemagne) refusa l'amende­ment de la section anglaise demandant le retrait des troupes russes des territoires qu'elles occupaient (IVème Inter. Décembre 1946).

Lorsqu'après 1948 les staliniens baptisent les "Démocraties Populaires" du nom d'Etats "ouvriers", la IVème leur emboîtera le pas allègrement en ajoutant bien entendu le terme "dégénérés" ou "déformés". On est trotskyste ou on ne l'est pas. Là aussi l'analyse politique sera remplacée par des étiquettes vides de sens décernées généreusement. Et lorsque se produira la rupture entre l'URSS et la Yougoslavie, Tito sera salué comme un révolutionnaire aux qualités remarquables et le PCY appelé à devenir le tremplin d'où partirait l'assaut contre le stalinisme. "La Vérité" d'octobre 1950, n° 258 titrait après le voyage de militants en Yougoslavie :

"Ceux qui ont vu la vérité en Yougoslavie vous disent : "OUI C'EST UN ÉTAT OU SE CONSTRUIT LE SOCIALISME, C'EST LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT"

 Ici apparaît clairement ce qui allait devenir une constante de la IVème Internationale. Incapables de construire une organisation révolutionnaire, ses militants étaient à la recherche de l'ersatz, du raccourci qui permettrait rapidement de construire une organisation. Sur le plan intérieur cela se traduisit par la politique dite d'entrisme (aller chercher ailleurs les masses que l'on ne peut soi-même influencer) et sur le plan extérieur par la découverte de leaders révolutionnaires qui évoluaient "objectivement" et quasi-automatiquement vers le trotskysme. Il y a eu d'abord Tito, puis Mao, puis Castro, puis Ben Bella et nous sommes sûrs que ces camarades ne s'arrêteront pas en si bon chemin. Et à son tour la recherche de "raccourcis révolutionnaires" ne faisait que traduire une incapacité de travail moléculaire au sein de la classe ouvrière et des habitudes de pensées et et de pratiques petites-bourgeoises.

LA CRISE DE 52-53

La crise qui éclata dans les années 1952-1953 ne fut que l'évolution logique de l'opportunisme de la IVème Internationale.

La guerre de Corée traduisait une tension extrême entre les anciens alliés victorieux de l'Allemagne, l'URSS d'une part, les impérialistes de l'autre. Le bloc des "démocraties" volait en éclats cinq années à peine après la fin de 1a guerre. La IVème Internationale théorisa alors l'incapacité qu'elle avait manifesté à construire une organisation révolutionnaire, aussi embryonnaire fût-elle. Elle déclara que la guerre mondiale était proche et que la guerre qui venait aurait un caractère spécial :

"Une telle guerre prendrait dès le début le caractère d'une GUERRE CIVILE INTERNATIONALE, particulièrement en Europe et en Asie qui passeraient rapidement sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, des partis communistes ou des masses révolutionnaires."

Dans un tel conflit, les partis staliniens joueraient un rôle révolutionnaire et, comme on n'avait plus le temps de construire des partis révolutionnaires, il faut dire que ces camarades semblent n'avoir jamais le temps d'en construire, il fallait entrer coûte que coûte au sein des partis staliniens ou socialistes afin de s'intégrer dans le mouvement réel des masses. Il fallait travailler et rester à tout prix dans les P.C., les "ruses" et les trahisons étant non seulement admises mais nécessaires.

Cela équivalait à renoncer à l'organisation trotskyste après avoir renoncé à son programme. Mais ces positions n'étaient pas un tournant dans la politique de la IVème Internationale. Déjà la caractérisation des pays du glacis comme Etats ouvriers dégénérés signifiait que la bureaucratie avait un rôle révolutionnaire, qu'elle était capable de transformer à la place de la classe ouvrière des Etats bourgeois en Etats ouvriers, de remplir la tâche historique du prolétariat. Et Pablo comptait beaucoup sur cette possibilité. Il en tirait la conclusion que le stalinisme avait un rôle "historiquement progressif". Et l'intégration aux partis staliniens n'en était que la conséquence logique. Et c'est cette conception qui prit le nom de "pablisme".

Devant ce qui apparaissait enfin clairement comme une trahison de son programme, une partie de la IVème Internationale ne fit pas ce nouveau pas en avant sur la voie de la liquidation complète du trotskysme. La majorité de la section française refusa de se dissoudre au sein du P.C.F. et brandit l'étendard de la révolte. Elle créa peu après avec les sections anglaise, néo-zélandaise et suisse le C.I.

Et cette crise qui démantelait la IVème Internationale n'était qu'une confirmation de plus de l'analyse que nous avions faite de ces organisations. Leur composition essentiellement petite-bourgeoise, leurs pratiques politiques et organisationnelles héritées de ce milieu les rendaient non seulement incapables de se lier à la classe ouvrière mais les faisait suivre fidèlement toutes les fluctuations politiques de la petite-bourgeoisie intellectuelle influencée par les staliniens ou les sociaux-démocrates.

DES METHODES BUREAUCRATIQUE DÈS... 1944

Mais pendant ces années, quelles furent nos relations avec la IVème Internationale ?

Les camarades qui sont à l'origine de notre groupe ont quitté en octobre 1939 le P.O.I. Section française de la IVème Internationale. Au début, ce fut simplement pour se délimiter d'un milieu petit-bourgeois sans pratique bolchevique. Et la position nationaliste d'une grande partie des militants trotskystes après 1940 et l'occupation du pays par les armées allemandes, leur donna malheureusement raison.

Et dans un texte de juillet 1943, ils écrivaient :

"Nous nous sommes engagés depuis le début de la guerre, dans la création d'une organisation de type révolutionnaire bolchevique, Le bolchevisme implique, avec une politique juste (qui pour nous est celle définie dans "La IVème Internationale et la guerre" et le "Programme de Transition" qui continue la ligne des quatre premiers Congrès de l'I.C.), un contact réel et étendu avec la classe ouvrière, la participation quotidienne à ses luttes, il s'inspire des intérêts quotidiens et permanents de la classe ouvrière. Pour se dire Parti Bolchevique, il faut avoir un certain poids organisationnel qui permette la conduite de la lutte de classe dans tout le pays, il faut des traditions de luttes ouvrières. Il faut avoir un bilan de luttes politiques favorable. Dans ce sens, la question du Parti ne peut et ne pouvait être résolue par nos propres forces de A à Z et, en 1943, la question du Parti reste ouverte."

 "Mais notre travail a été conçu comme un travail en direction d'un Parti Bolchevique. Pour cela notre indépendance nous était et nous est vitale. Car on ne peut pas commencer la formation de militants communistes... qui le deviennent réellement par la pratique de la lutte de classes dans un milieu petit-bourgeois opportuniste. Nous voulions et nous voulons au moyen de militants instruits et d'une politique conséquente, affirmer devant les autres organisations prolétariennes une conception révolutionnaire. Notre réussite dans cette tâche, si nous discernons dans la classe ouvrière des forces capables de former avec nous le Parti, peut déclencher ou précipiter un regroupement sur la base communiste de tous les militants vraiment révolutionnaires de la classe ouvrière française".

Comme nous l'avons vu nous ne participâmes pas à l'unification de 1944 car elle ne nous apparut pas comme menant à un regroupement positif.

La nouvelle organisation née du regroupement prit le nom de Parti Communiste Internationaliste (Section Française de la IVème Internationale).

Nous refusâmes cette unification parce que ces groupes se refusaient à réexaminer leur propre passé et à en faire la critique. Selon nous, et l'avenir nous a malheureusement donné raison, cela ne pouvait aboutir qu'à des résultats similaires, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

Dans un texte de Février 1944 nous écrivions que :

"La consécration théorique de la trahison de la lutte de classes après Juin 1940 est l'acte le plus grave qu'ait pu commettre la direction du P.O.I.. Les militants de la IVème qui ne le comprendraient pas se prépareraient des lendemains pires que ceux de Juin 1940".

Mais nous savions que vu notre petit nombre il ne nous serait pas possible de l'intérieur de redresser la Section française. Elle était devenue une organisation opportuniste et notre seul espoir était d'arriver à démontrer aux éléments valables du P.O.I. la justesse des méthodes politiques et organisationnelles du bolchévisme et de provoquer un regroupement.

Malgré tout nous n'abandonnâmes pas la IVème. Pendant plusieurs années nous demandions que la discussion s'engage sur les problèmes que nous posions. On nous répondait en substance, entrez d'abord au P.C.I., nous discuterons ensuite.

Le P.C.I. nous reprochait, en nous traitant d'ailleurs de provocateurs et cela dès juillet 1945, d'utiliser le terme de IVème Internationale qui figurait sur notre presse et en nous menaçant d'un procès. Il faut noter à ce propos que le P.C.I. nous déniait dès 1945 le droit de nous réclamer de la IVème Internationale alors que la seule instance qui pouvait trancher était le Congrès Mondial qui ne se réunit que trois ans plus tard. Nous refusâmes d'engager la polémique sur ce terrain pensant que le recours aux tribunaux bourgeois ferait plus de mal que de bien à la IVème Internationale. Mais nous avons demandé une commission d'enquête au P.C.I. qui décide si nous, qui avions toujours défendu fermement des positions trotskystes, étions moins dignes de nous réclamer de la IVème Internationale que la soi-disant Section française dont les dirigeants s'étaient complètement effondrés à la première poussée nationaliste. Évidemment, le P.C.I. refusa toujours cette commission d'enquête.

C'est alors que nous avons porté sur nos publications la mention "trotskyste" au lieu de IVème Internationale.

En 1947, nous avons eu, en dirigeant 1a grève Renault d'avril-mai, qui obligea les ministres communistes à quitter le gouvernement, des succès visibles. Après aussi. Et ni à ce moment-là, ni à un autre, ne se produisit le "regroupement" sur lequel nous comptions. Nous avons interprété ce fait comme signifiant qu'il ne fallait plus escompter ce regroupement.

Mais pratiquement, en tant que telle, fin 1949, et avant même la crise de 1952-1953, la IVe Internationale avait vécu.

A cette époque, il n'était plus question pour nous de rejoindre l'un quelconque des petits bouts de la IVème.

Cependant nos positions restaient inchangées tout au moins sous la forme où précédemment nous le voyions, sauf bien entendu en ce qui concerne un éventuel regroupement. Nous n'y comptions plus. C'est pourquoi nous nous engageâmes dans un travail plus large qu'avant 1947.

En Janvier 1957 nous écrivions :

"C'est en élargissant notre expérience que nous pourrons provoquer le regroupement qui ne s'est pas produit en 1947. Mais cette fois-ci nous ne comptons plus, dans la période qui vient, sur les éléments déjà organisés, trotskystes ou autres. Nous comptons sur les éléments les plus dévoués et les plus éveillés de la classe ouvrière elle-même.
C'est pourquoi notre expérience doit s'élargir : pour convaincre des éléments politisés, donc susceptibles de comprendre une expérience il pourrait suffire d'un succès voyant dans un secteur même limité. Mais, pour convaincre des ouvriers du rang, il nous faudra des succès, moins voyants, peut-être, mais sur une plus large échelle".

Mais comment l'organisation fondée par Léon Trotsky, comment la IVème Internationale a-t-elle pu en arriver là ?

DE LA IIIème A LA IVème INTERNATIONALE

La IVème Internationale est issue historiquement de la IIIème Internationale Communiste fondée au lendemain de la Révolution Russe. Mais l'isolement de cette dernière entraîna sa dégénérescence et celui du Parti Bolchévique dont le poids était déterminant à l'intérieur de l'Internationale.

Et la stalinisation du Parti Bolchévique entraîna celle du Komintern.

Dès 1923 Trotsky engagea la lutte contre la bureaucratie qui envahissait l'Etat et le Parti. Avec l'Opposition de gauche il essaya de combattre la politique de Staline qui mettait en péril les conquêtes de la Révolution d'Octobre (Comité Anglo-Russe en 1926, Révolution Chinoise, politique de concessions puis d'extermination envers les koulaks).

Rejoint par Zinoviev et Kamenev en 25-26, abandonné par ceux-ci un an plus tard, il se retrouve seul en 1928 ; l'Opposition de Gauche groupe à l'époque un grand nombre de militants de valeur, vieux bolchéviques qui ont fait Octobre.

L'enterrement de Joffé en 1927 sera leur dernière manifestation publique.

Deux ans plus tard en 1929, Trotsky est exilé hors d'URSS et Staline pour la première fois fait assassiner un sympathisant de l'opposition : Blumkine. L'exemple de Blumkine montrait en quelque sorte aux trotskystes d'Union Soviétique le seul avenir qui les attendait : la balle dans la nuque.

Le découragement dû au manque de perspective révolutionnaire, la possibilité de se rendre utile à la Patrie Socialiste, vont entraîner redditions et capitulations chez de nombreux membres de l'Opposition.

En 1929 Karl Radek militant des mouvements ouvriers polonais, allemand et russe capitule. Il est suivi d'Ivan Nikitich Smirnov, surnommé le Lénine de Sibérie, le vainqueur de Koltchak, de Serge Mratchkovsky, dirigeant de l'Opposition, d'Ivan Smilga chef de la Baltique, de Preobrajensky co-auteur avec Boukharine de "l'A.B.C. du Communisme".

Puis en 1934, Christian Rakovsky, lié à Trotsky depuis la Première guerre mondiale où ensemble ils écrivent le journal russe internationaliste de Paris : "Nache Slovo", Rakovsky, le Président du Conseil des Commissaires du Peuple d'Ukraine, capitule à son tour.

Mais d'autres comme Vladimir Smirnov, dirigeant de l'insurrection d'Octobre à Moscou, comme Solntsev, refusent de se plier au diktat stalinien. Le premier, devenu aveugle par suite des privations en isolateur disparaîtra sans avoir capitulé, le second, jeune bolchevik, mourra d'épuisement en janvier 1936 après une grève de la faim.

Mais Staline prépare la plus effroyable boucherie que le mouvement révolutionnaire ait connue. De 1936 à 1938 il va éliminer toute la vieille garde bolchevique au cours des sinistres mascarades de justice socialiste baptisées "Procès de Moscou".

En août 1936 sont jugés et exécutés : Zinoviev, Kamenev, Evdokimov, Bakaiev, I.N. Smirnov, Mratchkovsky, Ter Vaganian. Le 23 août, Tomsky mis en cause au cours du procès se suicidera. Du 23 au 30 janvier 1937, Piatakov et Mouralov seront exécutés. Du 2 au 13 mars 1938 Boukharine, Rykov, Rakovsky - et ce sont seulement là les plus connus - tous avoueront "être à la solde des impérialistes et avoir voulu tuer Staline".

Dans la Russie le massacre commence. Des milliers de bolcheviks obscurs, dont l'histoire n'a pas retenu les noms seront éliminés.

Évidemment les trotskystes n'échappent pas à la règle. Dans le tome III de sa biographie sur Trotsky, Deutscher a montré la fin des trotskystes au camp de Vorkouta. Arrivés à la mine durant l'été 1936, ils refusaient de travailler plus de huit heures par jour (le règlement exigeait dix et douze heures). Ils organisaient meetings et manifestations lors des procès de Moscou. Ils ignoraient systématiquement le règlement des camps. De mars à mai 1938 ils furent tous exécutés.

Mais le massacre ne touche pas seulement le Parti russe.

Tous les révolutionnaires étrangers se trouvant à Moscou sont eux aussi victimes des purges. Nous pouvons citer les Allemands Neumann, Remmele, le spartakiste Heckert ; les polonais Adolph Warsky, ami de Rosa Luxembourg, un des fondateurs de la Social-Démocratie polonaise et vétéran du P.C. Polonais, Lensky et Bronsky combattants de la Révolution Russe, Wera Kostzewa.

Le 17 décembre 1936 la Pravda annonce que "l'épuration des éléments trotskystes et anarcho—syndicalistes a commencé en Espagne et sera exécutée jusqu'au bout avec la même énergie qu'en URSS". Le 17 mai 1937 débutera la répression contre les anarchistes, les trotskystes et les militants du P.O.UM.

Comme l'écrivait Trotsky le 20 février 1938 dans la brochure consacrée à la mémoire de son fils Léon Sédov assassiné par la Guépéou :

"De cette génération ainée, dans les rangs de laquelle nous sommes entrés à la fin du siècle dernier, tous, sans exception, ont été balayés de la scène. Ce que n'ont pu faire les bagnes du tzar, la déportation rigoureuse, les besoins des années d'émigration, la guerre civile et les maladies, Staline l'a fait comme le fléau le plus malfaisant de la Révolution. Après la génération ainée, a été anéantie la meilleure partie de la génération moyenne, c'est à dire celle qu'a suscitée 1917 et qui a reçu sa formation des 24 armées du front révolutionnaire".

Ainsi Staline, par une fureur sanguinaire qui lui valait une place d'honneur au Panthéon des massacreurs d'ouvriers, laissant loin derrière les Thiers, Dollfus, Hitler et autres Franco, faisait disparaître des milliers de révolutionnaires socialistes, hommes qui quelques années auparavant avaient fait trembler la bourgeoisie de tous les pays.

Il ne traduisait par là que la peur de la bureaucratie russe devant toute révolution. Il est bon de se rappeler aujourd'hui, alors que certains osent se dire révolutionnaires en se réclamant de Staline, qu'avant de devenir le petit père des peuples, le sinistre Géorgien fut d'abord leur bourreau.

Dès le début de son exil, Trotsky espère que Staline expulsera à l'étranger d'autres militants de l'Opposition. Mais son espoir est déçu. Il est seul, bien seul. Et après le massacre de la Vieille Garde, il reste désormais l'unique maillon qui puisse transmettre l'héritage d'Octobre aux générations nouvelles.

La tâche qu'il entreprend est impressionnante. Il s'agit pour, lui de regrouper les révolutionnaires afin de continuer la lutte pour la Révolution. Mais se dressent contre cette poignée de militants non seulement la bourgeoisie et son appareil de répression, mais aussi la clique stalinienne et ses complices des différents P.C.

Très rapidement des agents provocateurs staliniens s'infiltrent dans le mouvement trotskyste, trahissant, suscitant partout suspicion et semant le trouble quand ils n'assassinent pas. Le meilleur exemple est celui de Marc Zborowsky, dit Etienne, agent provocateur stalinien, le meilleur ami et on l'apprit plus tard, l'assassin de Sedov, le fils de Trotsky. Il dirigera à la mort de Sedov le bulletin de l'Opposition et représentera la Section russe à la Conférence de fondation de la IVème Internationale en 1938. Huit secrétaires politiques de Trotsky sont successivement abattus et en Espagne tous les trotskystes sont massacrés.

De plus, l'énorme appareil du Komintern se sert de ses milliers de journaux pour déverser sur eux des flots de calomnies.

Mais malgré les tortures, les assassinats, les calomnies, les dénonciations, malgré les conditions de vie et de militantisme effroyables, les militants trotskystes tiennent bon et font preuve d'un courage admirable.

Mais parmi les militants trotskystes, les seuls qui aient eu une véritable formation bolchevique étaient ceux d'Union Soviétique.

A l'étranger les groupes qui soutiennent Trotsky sont formés pour la plupart d'hommes courageux, d'intellectuels brillants, dévoués tout entier à la cause de la Révolution. Mais ils ressemblent peu aux militants bolcheviks qui eux, se sont formés au cours des longues années de répression, qui ont subi le feu de deux révolutions et d'une guerre civile. Ils ignorent totalement ce qu'est la discipline bolchevique et le travail au sein de la classe ouvrière. Mais leur faiblesse n'est finalement que celle de la IIIème Internationale. Créée par le Parti Bolchevique sur une base programmatique, l'Internationale Communiste regroupa un certain nombre d'organisations les unes révolutionnaires, les autres plus ou moins opportunistes. Et les vingt et une conditions qui dressaient une barrière contre les opportunistes furent facilement tournées.

En France au Congrès de Tours, c'est la majorité du P.S. qui vota l'adhésion à la IIIème Internationale. Non seulement ces gens n'avaient pas de formation bolchevique mais beaucoup d'entre eux étaient des réformistes notoires.

Aussi les militants gagnés par le mouvement trotskyste viennent soit de la IIème, soit de la IIIème Internationale, à leur déclin, qui sont de bien mauvaises écoles de militantisme. Dès cette époque les militants communistes sont formés au détriment du travail en profondeur et en plus sans formation bolchevique. Les trotskystes sont de plus isolés de la classe ouvrière car aux yeux de milliers de travailleurs les Partis Communistes qui se réclament de la Révolution Russe apparaissent comme des partis révolutionnaires. Car si le mouvement trotskyste compte des militants et sympathisants de grande valeur comme Trotsky lui-même, Rosmer, Cannon aux U.S.A., l'italien Blasco, il n'a pas de cadres moyens liés aux masses et capables de former l'armature d'un parti révolutionnaire.

Chassé du mouvement ouvrier par le stalinisme, le mouvement trotskyste recrutera surtout chez les intellectuels. "La prédominance des intellectuels dans une organisation [révolutionnaire], écrit Trotsky, est inévitable dans la première période de son développement".

Mais ces intellectuels pendant des années de 1928 à 1933 n'ont pas eu la possibilité de militer sur le terrain des luttes ouvrières et n'ont pas eu de formation ni de traditions véritablement communistes.

Tout cela confère au mouvement trotskyste un caractère petit-bourgeois qui rendent aléatoire tout développement ultérieur de la IVème Internationale. Et si dans la première période de son développement la prédominance d'intellectuels est obligatoire le fait que cette prédominance se perpétue entraîne obligatoirement des déformations politiques et organisationnelles. Nous essaierons de montrer les conséquences qu'eurent l'influence du milieu petit-bourgeois et son idéologie dans les rangs des révolutionnaires de la IVème Internationale.

Lors de la proclamation de la IVème Internationale en 1938, toute une partie des trotskistes, considérait cette décision comme prématurée et arbitraire. Des groupes trotskystes refusèrent donc l'appellation de IVème Internationale et continuèrent à militer "Pour une IVème Internationale".

La proclamation de la IVème Internationale était-elle prématurée ? NON, nous ne le pensons pas. Bien entendu à cette époque, Trotsky le premier ne pensait pas pouvoir construire réellement avant la guerre toute proche la IVème Internationale.

Elle existait certes, avec des sections dans de nombreux pays. Mais nulle part pratiquement ces sections n'étaient numériquement nombreuses, ce qui n'était pas très grave, mais nulle part liées aux masses, ce qui l'était plus.

Il fallait la créer cependant, cc n'était pas une erreur, car il était nécessaire de proclamer aux yeux de tous les travailleurs la valeur de l'Internationalisme devant les trahisons nationalistes et chauvines des partis staliniens et sociaux-démocrates.

La guerre mondiale ne pouvait pas manquer de provoquer une situation, une crise révolutionnaire, Il fallait que les masses aient un drapeau internationaliste auquel se rallier. A Zimmerwald et à Kienthal les internationalistes avaient, durant la première guerre mondiale planté les jalons d'une future Internationale. Là, les militants de la IVème Internationale s'y prenaient à l'avance et ils ne pouvaient pas ne pas le faire !

Cela eut été un renoncement aux responsabilités de l'heure. Cela devait être fait indépendamment du succès escompté à court terme. Car pour Trotsky et ses camarades il fallait répondre présent aux tâches du moment et non pas attendre des jours meilleurs pour faire leur devoir vis-à-vis de leur classe.

Si Trotsky n'avait pas créé la IVème Internationale, Isaac Deutscher lui aurait certainement décerné un satisfecit, mais ni nous, ni vous ne serions ici aujourd'hui.

L'assassinat de Léon Trotsky deux ans plus tard fut une perte irréparable pour le mouvement ouvrier en général et la IVème Internationale en particulier.

De son vivant Trotsky réussissait à maintenir le mouvement trotskyste dans une cohésion très relative dans le domaine politique. Il représentait à lui seul l'acquis théorique d'un demi-siècle de luttes ouvrières et de révolution. Il était, sans vouloir vexer personne, la seule tête théorique de la IVème Internationale et sa direction. Et de plus, il masquait de sa personne l'opportunisme plus ou moins latent des sections.

ET MAINTENANT ?

La IVème Internationale n'a pas joué pendant et après la guerre de rôle déterminant. Il y a quinze ans qu'elle s'est effondrée complètement.

Aujourd'hui, une pluralité de groupes se réclament d'elle, plus ou moins juste titre.

En France, deux groupes affirment représenter des tendances de la IVème Internationale, et deux autres affirment être la IVème Internationale.

Tout d'abord le Parti Communiste Internationaliste (Section française de la IVème Internationale) dont le secrétaire est le camarade Pierre Frank.

Nous sommes en désaccord avec ces camarades sur un grand nombre de points politiques. Nous formulons des appréciations différentes sur le stalinisme, les pays du Tiers-Monde (Cuba, Algérie) et sur les points tactiques qui en découlant comme, par exemple, notre intervention dans les entreprises.

De plus, ces camarades se parent du mythe d'une Internationale qui n'existe plus que dans leur tête, et de leur trentaine de sections qui, bien entendu, se renforcent de Congrès Mondial en Congrès Mondial, et dont le niveau théorique et la maturité ne cessent de s'améliorer.

Ceci pourrait passer pour une douce lubie sans gravité si, au nom d'une fantomatique Internationale, ces camarades n'imposaient aux groupes qui s'y rattachent ou qui voudraient s'y rattacher une discipline qui, elle, est bien réelle.

Donc les désaccords sont trop profonds, et ils ne font même que s'accroître, pour qu'un travail en commun soit envisageable.

De ce groupe sont issues deux autres tendances :

La première le P.C.R.(t), - IVème Internationale - rattachée à l'ex-bureau-Latino Américain de la IVème et dont le militant le plus connu est Posadas. Il a rompu avec la tendance Frank en 1962.

Il nous est très difficile de porter un jugement sur ces camarades car si nous possédons un certain nombre de textes authentifiés comme provenant du P.C.R.(t), d'autres ressemblent fort à des canulars et pour ces derniers nous serions obligés de quitter le terrain de l'analyse politique pour aborder de plein pied celui, combien plus délicat, de l'analyse psychanalytique.

Prenons à titre d'exemple la dernière brochure attribuée au camarade Posadas :

"Le rôle des militaires anti-impérialistes, et révolutionnaires, le rôle des trotskystes, le programme et "les tâches durant et après la guerre atomique".

Le titre est déjà tout un programme. Incontestablement ce camarade voit loin. Les problèmes de la guerre atomique lui semblent familiers. La guerre atomique, dit-il en substance, sera défavorable à la bourgeoisie, car non seulement il y a déjà 14 États ouvriers, mais 9 sont en formation : Zanzibar, Algérie, Irak, Egypte, Mali, Guinée, Cambodge, Laos, Birmanie. Il aurait pu également ajouter la principauté de Monaco, la Commune libre de Montmartre et l'île de Ré, et s'il ne l'a pas fait, ce ne peut être que par oubli.

Autre problème de la plus grande importance que va poser la guerre atomique, celui de l'échange :

"Un des problèmes essentiels qui va se poser dans la guerre atomique sera comment échanger ? Sur quelle base ? Celui qui voudra des chaussures dira : Pourquoi me donner de l'argent alors que je ne peux rien acheter avec celui-ci ?"

Et pour garder les pieds sur terre, il termine par des conseils aux militants. Il faut

"Chercher à se prémunir par avance et pendant la guerre au moyen de tout ce qui sera possible en vue de combattre la radio-activité (mais ne pas suivre ceux qui disent qu'il faut se mettre dans une cave, eux, oui, nous les mettrons dans une cave !)"

Et pour ainsi dire, comme programme minimum, il propose un cours sur la radio-activité.

J'arrêterai là les citations en espérant que les camarades comprendront les faibles possibilités que nous avons de travailler avec les membres réels ou supposés du P.C.R.(t).

Le troisième groupe est celui formé par l'ex-bureau africain de la IVème Internationale et qui s'intitule aujourd'hui "Tendance Marxiste Révolutionnaire de la IVème Internationale".

Son dirigeant est Michel Pablo. Il fut pendant longtemps le théoricien et un des militants les plus représentatifs de 1a IVème Internationale. Il en a été exclu l'année dernière.

Il nous semble que ces camarades quittent de plus en plus le terrain du marxisme. Pour eux, le centre de la révolution s'étant déplacé vers les pays du Tiers-Monde, les masses paysannes prennent la place du prolétariat pour accomplir son rôle historique. Et, au nom d'un anti-dogmatisme, d'une vue pénétrante de dialectique de la réalité du monde moderne, ils écrivent dans leurs thèses intitulées "Le Marxisme et notre Époque" datée de Juin 1965 :

"Comme la première guerre mondiale avait clos l'ère de la social-démocratie, et ouvert celle de l'épanouissement de la pensée et de l'action du bolchevisme, ainsi, la dernière guerre mondiale a clos l'ère du marxisme, nourri essentiellement de l'expérience du bolchévisme".

Et plus loin

"L'avenir des forces marxistes-révolutionnaires de la IVème Internationale réside dans leur fusion possible à rechercher avec ténacité, avec des forces révolutionnaires nouvelles, qui sortent essentiellement de la Révolution coloniale et du processus de "déstalinisation" des Etats ouvriers et des Partis Communistes".

Nous laisserons, sans les suivre, ces camarades jeter le bolchevisme par-dessus bord et rechercher, avec ténacité, une alliance avec la petite bourgeoisie coloniale et les staliniens libéraux (qui sont une autre variété de petit-bourgeois).

Quant à nous, fidèles à Lénine et à Trotsky nous continuerons à combattre sur le terrain de la classe ouvrière.

Le quatrième groupe, nous nous excusons de cette énumération laborieuse que nous sommes les premiers à regretter, le quatrième groupe est la section française du C.I. qui édite "la Vérité" et "Informations Ouvrières",

Ce sont de tous les camarades trotskystes les plus proches de nous. Sur un grand nombre de points nous formulons des analyses communes (Cuba, le stalinisme, l'Algérie).

Cependant des divergences existent, non seulement sur des problèmes politiques importants (par exemple la nature de l'Etat dans les pays du glacis et en Chine), mais aussi, et cela est plus grave vue la tâche que nous nous sommes fixés en commun, sur l'appréciation des causes qui entraînèrent la destruction de la IVème Internationale.

Mais nous pensons que ces divergences sont de celles qui peuvent se régler à l'intérieur d'une même organisation internationale.

CONSTRUIRE LA IVème ... MAIS SERIEUSEMENT

Car, répétons-le, une Internationale révolutionnaire est plus que jamais nécessaire. De plus, le fait que ces camarades ne mettent aucun préalable, le fait aussi qu'il ne s'agisse pas d'une adhésion formelle à un bout de la IVème qui se proclame la seule, la vraie, l'authentique direction révolutionnaire du prolétariat, mais qu'il s'agit d'essayer de travailler ensemble, sans s'illusionner sur l'importance de nos forces, nous incite d'autant plus à prendre part à cette conférence.

Mais, bien que la tenue de la conférence constitue un premier pas en avant dans le regroupement d'organisations révolutionnaires, ce premier pas ne garantit nullement le succès de la tentative. Car les organisations du C.I. nous semblent aborder de manière fausse un certain nombre de problèmes et ces fautes risquent de compromettre gravement l'avenir. Nous avons donc l'intention lors de la conférence, de prendre toutes nos responsabilités et de lutter pour que le Comité International corrige ses faiblesses et que, mieux armé, il s'attaque résolument à la tâche qu'il s'est fixé.

Quelle sera la nature de notre intervention ?

1°) Tout d'abord sur le plan théorique il est nécessaire de réanalyser le monde moderne à la lumière de la théorie marxiste. Il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause l'analyse de la nature de l'Union Soviétique. Celle qu'en a donné Trotsky est la complète complète faite jusqu'à présent et sa valeur nous parait totale ! Mais le C.I. a hérité d'un certain nombre d'analyses de la IVème Internationale qui elles, nous paraissent radicalement fausses. Et sur le plan théorique, cela conduit ces camarades à d'insolubles contradictions. Par exemple, ces camarades parlent de l'Etat ouvrier chinois et de l'Etat bourgeois cubain. Pourtant, si nous analysons le processus qui a conduit à la formation de ces deux Etats, nous ne voyons aucune différence de nature entre eux. Mais alors que leur analyse de l'Etat cubain s'est faite après leur rupture avec le courant pabliste, leur analyse de la Chine est celle qu'ils ont héritée directement et sans changer une ligne, de la IVème Internationale dite pabliste. Et le fait qu'ils puissent faire coexister deux conceptions d'un même phénomène montre de leur part un manque de rigueur certain dans l'emploi des méthodes d'analyse marxistes, il prouva que ces camarades ne font pas assez attention à la théorie, malgré leurs affirmations.

Et bien longtemps après leur rupture avec Pablo, ces camarades soutiennent encore la théorie des Etats ouvriers dégénérés ou déformés dans le glacis. L'expression figure dans 1a résolution éditée par le C.I.

2°) Ensuite, il est de la plus haute importance d'analyser clairement les causes qui ont conduit à l'échec de la IVème Internationale. C'est la la condition "sine qua non" pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs et aboutir aux mêmes échecs. Et l'analyse que donne le C.I. de l'échec de la IVème Internationale est celle aussi d'une certaine insuffisance théorique. Nous lisons entre autres dans le texte du C.I. :

"l'opportunisme petit-bourgeois sous la forme d'une tendance révisionniste cristallisée pénétrant toutes les sections du mouvement trotskyste, a détruit la IVème Internationale... (p. 9), puis, plus loin : "un tel centre (c'est-à-dire le S.I. de Pablo) ne discutait pas des expériences vivantes des sections dans le cours du développement du programme et de la théorie marxiste, mais, au lieu de cela, il laissait les sections sans direction, ou bien intervenait bureaucratiquement (sur la base des statuts les plus "bolchevik") pour imposer une ligne internationale aux sections" (p. 17).

Mais d'où venait cette tendance révisionniste ? Comment a-t-elle pu non seulement se développer, mais aussi triompher dans l'Internationale ? Nous n'avons nulle part une explication satisfaisante de ce phénomène. Les méthodes bureaucratiques de Pablo n'expliquent rien. Une partie des groupes rattachés au Comité International et qui avaient rompu politiquement et organisationnellement avec Pablo en 1953, l'ont rejoint dix ans plus tard, sans pression bureaucratique possible. Une autre explication aussi peu satisfaisante est celle qui énonce que :

"... la dégénérescence révisionniste au sein de la IVème Internationale est un phénomène de classe de caractère international correspondant aux besoins de l'impérialisme dans sa phase ultime de contradictions extrêmes et de dépendance pour sa survie, de la bureaucratie stalinienne, de la social-démocratie et des dirigeants nationalistes" (p. 16).

Faire de la situation objective (la crise de l'impérialisme) une des causes de la destruction de la IVème Internationale, c'est finalement faire endosser ses propres responsabilités à la "situation". Si cela peut expliquer l'apparition d'une tendance petite-bourgeoise dans la IVème Internationale, cela n'explique absolument pas pourquoi cette tendance a rallié à elle la majorité des sections.

Car loin de voir dans le pablisme un corps étranger, pénétrant la IVème Internationale, l'immense majorité des sections a reconnu en Pablo sa propre image. Image petite bourgeoise, bien sûr, opportuniste, bien sûr, mais c'est parce que depuis la mort de Trotsky, la IVème Internationale était une organisation opportuniste et petite-bourgeoise.

Affirmer que l'échec de la IVème Internationale est du à Pablo, à ses méthodes organisationnelles, à sa politique, c'est grandir considérablement son importance. C'est faire de lui une espèce d'escroc politique de génie qui non seulement arriverait à mystifier des centaines de militants révolutionnaires, mais à faire que ceux-ci se transforment, par une "transcroissance sui generis" sans doute, en opportunistes petit-bourgeois, en couverture de gauche de la bureaucratie, en flanc-gardes de la bourgeoisie.

Ces camarades ne voient pas les vrais problèmes car ils se mettent un bandeau sur les yeux. Et ce bandeau s'appelle Pablo. Mais à marcher les yeux bandés, on risque la chute. Et si la cécité de ces camarades persiste, cette chute sera l'échec de notre entreprise commune.

Notre intervention dans cette tentative de réunification consistera donc aussi à tenter d'amener ces camarades à analyser correctement les causes de la dégénérescence de la IVème.

C'est-à-dire que non seulement nous défendrons l'analyse qui est la nôtre et que je viens d'exposer ce soir mais nous défendrons aussi, ce qui en est le corollaire, les méthodes organisationnelles propres à tenter d'écarter des organisations trotskystes les éléments petit-bourgeois et opportunistes.

Lorsqu'une tendance petite-bourgeoise apparut à la veille du la guerre au sein de la section américaine le S.W.P., Trotsky, que personne n'accusera je suppose de sous-estimer l'importance de l'élaboration théorique et politique, conseilla fermement aux trotskystes américains toute une série de mesures organisationnelles pour mettre à l'épreuve les militants d'origine petite-bourgeoise.

Cette préoccupation de se préserver des éléments petit-bourgeois n'apparaît nulle part, et pour cause, dans le texte du C.I. et, de plus, dans le domaine politique, ces camarades font preuve de pratiques opportunistes qui nous procurent de grandes craintes quant au succès de notre entreprise commune.

3°) En effet, le fait qu'ils n'analysent pas correctement les causes de l'échec de la IVème Internationale les conduit naturellement à négliger les symptômes de la maladie qui a fait mourir la IVème Internationale que peuvent présenter leurs propres organisations. Nous négligerons ici les reproches et les critiques qui pourraient paraître polémiques pour ne prendre qu'un exemple.

Manifestement dans la résolution du C.I. un certain nombre de phrases et d'affirmations sont incontestablement le résultat de compromis politiques. Nous dirons même théoriques, en particulier, justement, à propos de l'analyse de la nature des pays du "glacis soviétique". Que des divergences existent au sein du C.I. ou même à l'intérieur des organisations qui y sont affiliées c'est normal. Mais qu'un texte d'orientation soit mi-chèvre, mi-chou pour ne choquer personne, c'est une façon peu sérieuse de procéder, et qui peut être grave pour l'avenir, de deux points de vue différents.

D'abord ce genre de compromis est l'indice d'une certaine façon de poser, ou plutôt de ne pas poser les problèmes politiques. On peut envisager beaucoup de compromis mais certes pas sur plan des idées. On doit exprimer clairement accords et désaccords mais ne pas rédiger un texte qui ne reflète ni la position des uns, ni celle des autres et qui sert à façonner une bien piètre unité de façade. Et qui veut-on, qui espère-t-on tromper ?

D'un autre point de vue, cela est grave pour l'avenir car cela déconsidère du point de vue théorique et du point de vue organisationnel la direction internationale que l'on veut reconstituer. Ce n'est qu'avec beaucoup de rigueur, et aucun compromis de cette sorte, que la future IVème Internationale pourra gagner le crédit politique nécessaire à l'autorité sur toutes les sections. Il faut que cette Internationale puisse être un centre d'attraction, un guide révolutionnaire du monde entier.

La résolution du C.I. ne laisse pas bien augurer de cela et pour gagner et mériter la confiance de tous, à notre avis, ces camarades devront là aussi faire un effort pour écarter de leur méthodologie des pratiques politiques qui ne sont ni marxistes, ni bolcheviques, ni trotskystes.

Notre critique dans ce domaine sera fraternelle et autant que possible constructive car nous sommes les premiers à souhaiter que l'Internationale Révolutionnaire renaisse mais elle sera ferme car il ne faut pas compter sur nous pour accepter des compromis de cette sorte ou même les voir sans les dénoncer.

4°) Tels seront les points essentiels de notre participation à la discussion, Nous ne nous faisons cependant guère d'illusions sur les difficultés de cette reconstruction. Il se peut que très facilement les camarades du C.I. fassent leur l'analyse que nous faisons.

Bien plus difficile sera la mise en accord de la pratique quotidienne avec cette analyse. Les différents groupes de la IVème Internationale ne sont toujours pas implantés réellement dans la classe ouvrière.

La pression de l'entourage petit-bourgeois est toujours aussi sensible que par le passé. Se délimiter de cet entourage est chose bien difficile surtout quand les évènements politiques font que les succès que nos idées rencontrent sont toujours plus grands en milieu intellectuel que dans le milieu des ouvriers d'industrie. Même des pratiques militantes et organisationnelles rigoureuses ne mettent pas à l'abri de cette pression et de ses répercussions politiques. Nous avons nous-mêmes à le vivre tous les jours.

Mais une chose est certaine et nous pouvons malheureusement le dire avec la même assurance qu'en 1944 :

Si les militants et les organisations du C.I. ne se penchent pas immédiatement sur ces questions en se donnant les moyens moraux et matériels de les régler, leur tentative, et la notre donc, car nous sommes solidaires, sera un nouvel échec.

Il faudra attendre plusieurs années encore pour que, dans différents pays, de nouvelles générations venues au trotskysme dans d'autres conditions peut-être, reconstruisent pour de bon une Internationale Révolutionnaire qu'il faudra très certainement appeler Vème Internationale car elle consacrerait l'échec définitif de toute une génération de militants.

Nous ne le souhaitons pas. Nous espérons militer suffisamment sérieusement pour être un facteur suffisant pour que cette tentative-ci soit la bonne.


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